Dépistage précoce de la schizophrénie
Quintessence
Si le traitement et le pronostic des psychoses schizophréniques se sont considérablement
améliorés au cours du temps, il n’en reste pas moins qu’il s’agit
souvent de maladies graves, impliquant des souffrances énormes pour les patients
touchés et ayant des conséquences socio-économiques non négligeables.
Les psychoses schizophréniques commencent le plus souvent de manière
sournoise et atypique, restant donc souvent méconnues durant des années. Le
diagnostic et le diagnostic différentiel requièrent des connaissances spécifiques
et un équipement approprié.
Les symptômes précoces comprennent des changements de la personnalité,
des sentiments et des capacités de performance, mais aussi des centres d’intérêts,
fréquemment associés à une méfiance et à un certain retrait social, ainsi
qu’à des troubles de la perception et de l’interprétation de l’environnement et
à des perturbations du vécu avec passage progressif vers une symptomatologie
véritablement psychotique.
Déjà à ce stade précoce méconnu, la maladie a souvent des conséquences
médicales et psychosociales extrêmement graves.
Un dépistage à ce stade encore non spécifique n’est malheureusement pas
possible. Ce qui est en revanche possible, c’est d’évaluer le risque de développement
d’une psychose. Une information du patient/de la patiente sur ce
risque au travers d’un travail de conseil et d’un accompagnement, si nécessaire
également à l’aide de traitements symptomatiques, peut et doit alors absolument
être proposée. L’établissement d’une relation de confiance entre le médecin
et le patient revêt à ce stade une importance primordiale dans l’optique
d’un éventuel passage au stade de la psychose et des mesures thérapeutiques
spécifiques qu’il conviendra alors à prendre.
On essaie, dans le cadre de l’étude bâloise FEPSY (Früherkennung von
Psychosen = dépistage précoce des psychoses), d’améliorer l’évaluation du risque
de développement d’une telle psychose, ainsi que les méthodes de dépistage.
Summary
Early diagnosis and early treatment
of schizophrenic psychosis – an update
Even if the treatment and prognosis of schizophrenic psychosis have recently
undergone substantial improvement, it has always remained a serious
disease associated with enormous personal suffering and overwhelming economic
consequences.
Schizophrenic psychosis usually has an insidious and atypical onset and
so often goes undetected for years. Diagnosis and differential diagnosis require
specific knowledge and equipment.
Early symptoms are alterations of personality, of emotional life and social
competence, and also of interests, frequently associated with distrust and
withdrawal from social contact, distorted perception and interpretation of the
environment and experience, with gradual transition to psychotic symptoms.
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Dépistage et traitement précoce des
psychoses schizophréniques – une mise à jour
Anita Riecher-Rössler, Evelyne Rechsteiner, Marcus D’Souza, Elizabeth von Castelmur, Jacqueline Aston
Psychiatrische Poliklinik, Universitätsspital Basel
Vous trouverez les questions à choix multiple concernant cet article à la page 593 ou sur internet sous www.smf-cme.ch.
Introduction
Le dépistage et le traitement précoce des psychoses
schizophréniques constituent depuis
quelques années un objectif primordial de la
psychiatrie. Il existe aujourd’hui des centres
de dépistage et de traitement précoce dans le
monde entier et leur nombre ne cesse d’augmenter.
Cette évolution a fait suite à différentes observations
et constatations:
– La schizophrénie est une maladie grave.
– Les psychoses schizophréniques débutent
souvent de manière sournoise et atypique.
– Le diagnostic et le traitement de ces psychoses
interviennent souvent trop tardivement.
– Ces affections peuvent s’accompagner de
complications graves, en particulier durant
leur phase précoce, lorsqu’elles n’ont pas encore
été diagnostiquées.
– Une prise en charge dès le stade précoce
peut considérablement améliorer le développement
de la maladie et son pronostic.
Une maladie grave
La schizophrénie est une affection fréquente.
Son incidence n’est pas si élevée, puisqu’on ne
dénombre qu’un à deux nouveaux cas par an
pour 10000 personnes, mais l’évolution chronique
récidivante chez deux tiers des patients,
porte sa prévalence à 1–5 cas pour 1000 personnes.
Les psychoses schizophréniques sont à l’origine
de 1,5–2% des dépenses de santé dans les
pays industrialisés, ce qui les place parmi les
maladies psychiatriques les plus coûteuses [1].
Mais c’est surtout le risque suicidaire qui est
élevé, avec une incidence atteignant près de 10%
au cours de l’existence.
Debut insidieux et atypique
Comme l’ont montré plusieurs études au cours
des dernières décennies, les psychoses schizophréniques
débutent en moyenne plusieurs années
avant la première hospitalisation et bien
avant que le diagnostic n’ait été posé [2–6]. Elles
commencent par l’apparition de troubles très
peu spécifiques (fig. 1
x
). Le sujet, en général
tarde d’autant le diagnostic de la maladie et la
mise en route du traitement.
Même lorsque les patients ont un contact avec le
système de santé, ils sont souvent confrontés à la
réticence de nombreux médecins à poser un diagnostic
de suspicion de psychose schizophrénique,
surtout dans le but d’éviter aux patients d’être
confrontés inutilement à un diagnostic aussi
lourd. De telles attitudes de déni ne sont cependant
plus défendables de nos jours, car les médecins
et les thérapeutes contribuent avec ce genre
de négation à renforcer le côté stigmatisant de la
maladie. L’expérience faite avec d’autres maladies
à forte connotation de rejet, telles que la
dépression ou le SIDA, a montré qu’une attitude
ouverte peut justement grandement contribuer
à dédramatiser la situation. Les psychoses schizophréniques
devraient donc être diagnostiquées
et traitées comme toutes les autres maladies.
C’est en fait la seule façon de rendre ce type de
troubles acceptables pour la société.
Il n’est plus admissible aujourd’hui de considérer
la prise en charge précoce comme «superflue
», car il est clairement apparu au cours des
dernières années qu’une intervention rapide et
la mise en route d’un traitement
précoce
sont essentielles
dans la prise en charge des psychoses
schizophréniques, en particulier dans l’optique
d’une amélioration du pronostic de la maladie et
d’une prévention des conséquences sociales si
délétères (cf. ci-dessous). L’information au patient
sur la nature de sa maladie se trouve considérablement
facilitée par les explications sur les
différentes options thérapeutiques disponibles,
qui sont devenues entre-temps tout à fait satisfaisantes
(cf. ci-dessous).
Conséquences
de la psychose débutante
Comme nous le savons, ces psychoses entraînent
souvent des conséquences graves dès la phase
prodromale aspécifique, donc avant même que
le diagnostic ait été posé. Les troubles dépressifs,
le manque d’énergie et d’entrain, les troubles de
la pensée et de la concentration qui se manifestent
au début de la psychose entraînent un important
fléchissement de la capacité de performance
scolaire, dans les études ou l’exercice de
la profession. Ces situations s’accompagnent la
plupart du temps de violentes crises de confiance
en soi qui tendent à renforcer encore les symptômes
régressifs. Associée à l’irritabilité générale,
aux problèmes de capture et de gestion de
l’information, ainsi qu’à la méfiance inhérente
à la maladie, la perte de confiance mène les
patients à un isolement social croissant avec tous
les problèmes de relations que cela suppose. Les
liens avec leurs proches volent en éclats ou les
patients évitent tout simplement d’emblée d’en
établir. Les contacts avec les amis se rompent.
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Even in these unrecognised early stages the disease often has serious medical
and psychosocial consequences.
Early diagnosis at this still unspecific stage is unfortunately impossible.
What is possible, however, is to assess the risk of developing psychosis. Briefing
the patient about this risk, with counselling and subsequent follow-up, and
if necessary symptomatic treatment, are not only possible but essential in such
cases. The prime necessity at this stage is to build up a relationship of trust
between patient and doctor, so that specific therapy can be initiated immediately
if the transition to psychosis actually occurs.
The aim of the Basel FEPSY Study (early diagnosis of psychosis) is to improve
risk assessment, and where possible early diagnosis, of such psychoses.
Figure 1
Evolution de la psychose.
Prodromes non
charactéristiques
sans spécifité
diagnostique
Prodromes
charactéristiques
avec spécifité
diagnostique?
Symptômes
atténués et/ou
symptômes
psychotiques
passagers
Symptômes
charactéristiquement
psychotiques
Temps
1. phase psychotique
Prodromes/
Symptômes
encore jeune, a un «comportement bizarre» et
«n’est plus le même». Il apparaît aussi de manière
de plus en plus évidente qu’il n’est plus à
même de tenir son rôle au niveau professionnel,
dans ses rapports avec les autres et avec ses proches
– survient alors la cassure dans le parcours
de vie (tab. 1
p
) [2–6].
Retard de diagnostic et de traitement
Malheureusement, la maladie est souvent reconnue
beaucoup trop tardivement. Il s’écoule en
moyenne deux à cinq ans depuis la phase des
prodromes et un à deux ans depuis le début de
la phase prépsychotique jusqu’au diagnostic définitif
et à la première hospitalisation (tab. 2
p
).
Les causes qui expliquent ces tergiversations
sont nombreuses. D’abord, la maladie commence
souvent, comme déjà évoqué, par des prodromes
atypiques. Ensuite, il existe fréquemment
chez les patients une grande méfiance et
une absence de prise de conscience de l’état pathologique;
par conséquent ils n’appellent pas à
l’aide. La prise en charge de ces patients est alors
souvent inadéquate, se bornant à des tentatives
infructueuses de l’une ou l’autre forme de médecines
parallèles, par exemple l’homéopathie, ou
à des séances auprès de guérisseurs, ce qui relieu
familial. Si la maladie n’est pas reconnue à
ce stade, il s’ensuit fréquemment aussi la perte
du poste de travail ou de la place d’apprentissage,
l’interruption de l’école et éventuellement
la rupture des relations familiales. Sans revenus,
les patients sont exposés à la précarisation et
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Souvent, la famille comprend mal les raisons de
cette soudaine cassure dans les performances
et de la tendance au retrait social du patient.
L’entourage interprète son attitude comme une
paresse et un manque de volonté, ce qui peut entraîner
de sévères et durables crises dans le mi-
Tableau 1. Signes précoces d’une éventuelle psychose (cf. [4, 11, 12]).
Changements de la personnalité
Agitation, nervosité, irritabilité
Sensibilité augmentée, hypersensibilité, irritabilité
Troubles du sommeil, inappétence
Négligence de soi-même
Manque soudain d’intérêt, d’initiative, d’énergie, d’élan vital
Modifications affectives
Dépression, atténuation des sentiments ou forte labilité de l’humeur
Anxiété, en particulier peur d’être menacé ou blessé
Modification des capacités de performance
Affaiblissement de la faculté de supporter les contraintes et de la résistance au stress
Troubles de la concentration, distraction
Cassure dans les performances
Altérations dans le domaine social
Méfiance
Retrait de la société, isolement
Problèmes relationnels
Changements dans les centres d’intérêt
Intérêts soudains inhabituels, par exemple pour des choses religieuses ou des phénomènes surnaturels,
la magie, etc.
Modifications des perceptions et du vécu
Perceptions inhabituelles (par ex. intensification et modification de certains bruits ou de certaines couleurs;
sentiment qu’il a lui-même changé ou que l’environnement est différent)
Impressions personnelles, vécu inhabituel, par ex. relations personnelles (le patient rapporte tout à lui-même);
sentiment d’être observé, sentiment d’être sous influence (l’impression que d’autres peuvent prendre
influence sur moi ou contrôler mes pensées, me contrôler, me téléguider).
Tableau 2. Retard de traitement.
Etude Nombre Durée entre les premiers Durée entre les
de patients premiers prodromes 1
ers
symptômes
et le début du et le début du
traitement (années) traitement (années)
Gross 1969, D [13] 290 3,5 –
Huber et al. 1979, D [14] 502 3,3 –
Lewine 1980, USA [15] 97 – 1,9
Häfner et al. 1991, D [2] 267 4,6 2,3
Haas & Sweeny 1992, USA [16] 71 – 3
Loebel et al. 1992, USA [17] 70 3 1
Beiser et al. 1993, CDN [18] 72 2,1 1
McGorry et al. 1996, AUS [19] 52 (61) 2,1 1,4
Larsen et al. 1996, N [20] 43 – 2,2
Ho et al. 2000, USA [21] 74 2,5 1,2
Norman et al. 2001, CDN [22] 113 3,3 1,2
Fuchs & Steinert 2000, D [23] 50 5 1,2
Malla et al. 2002, D [24] 88 2,4 0,9
Perkins et al. 2004, USA [25] 191 – 1,2
Melle et al. 2004, N [26] 281 – 0,9
conséquences négatives sur l’évolution de la maladie,
tant pour les patients que pour leurs proches
(tab. 4
p
).
Dépistage
Les observations qui précèdent soulignent l’importance
d’un dépistage et d’un diagnostic
précoces, ainsi que d’une mise en route rapide
du traitement. Plus le traitement commence tôt,
meilleur sera le pronostic de la maladie et meilleures
seront les chances de pouvoir prévenir les
conséquences psychiques et sociales potentiellement
désastreuses.
Premier contact
Souvent, c’est au médecin traitant, à un enseignant,
au pasteur ou à une autre personne de
confiance que s’adressent les patients souffrant
d’une psychose débutante. La forme et la qualité
de ces premiers contacts est d’une importance
extrême pour toute la suite de l’évolution de l’affection,
raison pour laquelle nous allons évoquer
quelques règles fondamentales à observer lors
du premier entretien (tab. 5
p
).
Dès le premier contact, il est essentiel de calmer
la méfiance du patient vis-à-vis du système de
soins. L’objectif prioritaire du médecin de premier
recours ne sera
pas obligatoirement
de
poser un diagnostic d’emblée, mais bien plus de
commencer par établir le contact avec le patient,
tout en douceur, et de mettre ce dernier en
confiance. Une bonne relation thérapeutique est
en effet de première importance pour le suivi du
traitement et la collaboration ultérieure de ces
sujets particulièrement vulnérables, pour qu’ils
acceptent des investigations complémentaires,
pour leur qualité de vie future et pour le pronostic
de l’affection.
A ce stade, la prise de contact et la communication
avec les patients peuvent s’avérer très
difficiles. Compte tenu de leur appréhension et
de leur symptomatologie fréquemment négative,
avec baisse de l’élan vital, troubles du comportement
et de la motivation, nombre d’entre eux
doivent se faire violence pour venir au cabinet et
peinent beaucoup à venir aux rendez-vous fixés.
En cas de suspicion de psychose, on cherchera à
tout prix à avoir une attitude proactive avec ces
patients, au besoin en allant les trouver à domicile.
Si leurs proches sont inquiets et que le patient
refuse de venir à la consultation, on n’hésitera
donc pas à aller les visiter chez eux.
A un stade plus avancé, il deviendra en général
plus difficile d’entrer en contact, car les patients
perdent progressivement conscience de leur état
pathologique. Autrement dit, ils reconnaîtront
de moins en moins ce qui ne va pas chez eux et
seront, au contraire, de plus en plus persuadés
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risquent carrément de devenir sans-abri. Ils peuvent
alors manifester des comportements de
compensation, surtout les hommes, avec abus de
substances, notamment d’alcool ou de cannabis.
Il n’est pas rare au cours de cette période que des
patients cherchent leur salut dans la religion ou
auprès de guérisseurs, ou tombent même dans
les griffes d’une secte [4]. La maladie a donc,
dès le stade précoce, des répercussions très graves
sur différentes fonctions sociales, les relations
avec les partenaires et la formation/l’exercice
de la profession (cf. tab. 3
p
). Autrement
dit, tout retard dans la pose du diagnostic et dans
la mise en route d’un traitement approprié peut
avoir des conséquences psychosociales dramatiques.
La mise en route tardive du traitement
peut également avoir en soi diverses autres
Tableau 4. Conséquences d’un retard de traitement (aperçu dans [7]).
Amélioration retardée et incomplète de la symptomatologie
Péjoration des fonctions cognitives
Péjoration du pronostic de la maladie
Augmentation des doses de neuroleptiques nécessaires
Compliance plus mauvaise
Augmentation du taux des hospitalisations et des réhospitalisations
Plus grande charge pour l’entourage familial
Coûts du traitement plus élevés
Augmentation des risques de dépression, de suicide, d’abus d’alcool, de drogues et
de délinquance
Renforcement du handicap psychologique et social et péjoration de la qualité de vie
Tableau 5. Règles à observer lors du 1
er
contact.
Prise de contact en douceur et axée sur la mise en confiance
Etre à l’écoute du patient
Se pencher sur l’anxiété (psychotique)
Respecter le point de vue exprimé par le patient
Penser à la diminution de la capacité à saisir et à gérer l’information chez le patient
Attitude claire, sans équivoque et franche
Langage de tous les jours, adapté et clair
Réunir progressivement les informations
Expliquer prudemment la suite de la procédure
Prendre au sérieux la crainte et les résistances face aux investigations complémentaires,
tout en essayant de convaincre le patient de les accepter
Etre attentif au risque suicidaire et aux dangers éventuellement encourus par les tiers
(par ex. en cas d’anxiété psychotique)
Tableau 3. Domaines des troubles (cf. [4, 12]).
Domaines des troubles
Confiance en soi
Développement cognitif et émotionnel
Relations: partenaires, famille, amis
Performances: formation, profession
Finances: revenus, type de logement
Comportement social: retrait de la société,
abus de drogues, etc.
adresse mentionnée ci-dessous). On veillera cependant
à ce que le patient «se rende réellement
là où il est censé aller» et qu’il ne «se perde pas»
dans les dédales du système de soins.
Le tableau 1, ainsi que notre check-list pour le
profil de risque, donnent quelques indications
pratiques pour l’évaluation du risque de psychose
[8] (également disponible sur demande auprès
de l’auteur). De nombreux signes précoces
non spécifiques mentionnés ici peuvent naturellement
aussi être présents dans d’autres formes
de pathologies psychiatriques. Les signes plus
spécifiques comprennent par ex. la méfiance,
l’apparition de centres d’intérêt inhabituels ou la
survenue de troubles cognitifs progressifs (par
ex. «mes pensées sont confuses», «je ne parviens
plus à penser clairement») avec une altération
persistante de la capacité de performance et
enfin des altérations de la perception du vécu.
A ce stade, le
diagnostic différentiel
, c.-à-d. l’exclusion
d’une affection organique ou de causes
exogènes à l’état psychotique, pouvant aller
d’une psychose induite par des drogues à des
psychoses accompagnant toute une série d’affections
touchant le cerveau, est de la plus haute importance.
On notera à cet égard que dans les psychoses
schizophréniques aussi les drogues
jouent souvent le simple rôle de «
révélateurs
»,
sans être véritablement à l’origine de la maladie.
Les psychoses de type schizoïde ne devraient
donc être taxées de «psychose secondaire à
des agents toxiques» que si elles sont dans un
rapport temporel
exclusif
avec la prise de drogues
(fig. 2
x
).
Mais d’autres maladies peuvent parfois aussi
imiter les symptômes d’une psychose débutante.
Nous avons par exemple diagnostiqué, chez un
patient qui avait été adressé à notre consultation
de dépistage pour cause de changement de
comportement avec retrait de la vie sociale, irritabilité
et méfiance, un hématome sous-dural
chronique, qui a nécessité une intervention chirurgicale
en urgence (fig. 3
x
) [9].
Centres de dépistage
Il existe aujourd’hui dans de nombreux pays des
«centres de dépistage et de traitement précoce
des psychoses». Les piliers de cette prise en
charge sont, outre le travail de relations publiques,
le diagnostic ambulatoire complet et la
mise en route de mesures interventionnelles précoces.
L’une des priorités absolues est la qualité
du premier contact psychiatrique, qui doit «ménager
» le patient le plus possible. De nombreux
centres ont également mis en place des «équipes
mobiles», dont le rôle est d’aller trouver les
patients à domicile si le besoin s’en fait sentir.
Les efforts de relations publiques ont pour but
d’essayer de combattre les préjugés fort répandus
dans la population envers la psychiatrie et
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607
que les problèmes se situent dans le monde qui
les entoure. Leurs craintes et leur méfiance n’en
seront que renforcées. Une certaine méfiance
est fréquemment déjà présente dès le début de
la maladie et pose parfois problème dans la relation
médecin-patient. S’ajoutent à cela, au
fur et à mesure de la progression de la maladie,
des idées de persécution et des troubles relationnels.
Le patient pourra ainsi croire que certaines
mesures sont intentionnellement prises pour
lui nuire. Il arrive qu’il intègre aussi le médecin
dans ce système de pensée. Celui-ci endosse
alors vite un rôle de persécuteur s’il n’y prend
pas garde. Il est très important d’éviter tout
ce qui pourrait éveiller la méfiance du patient.
Rien ne doit être entrepris derrière son dos. Lorsque
certaines mesures sont jugées nécessaires,
par exemple une consultation chez le psychiatre,
il convient toujours d’informer le patient de
manière aussi franche et aussi transparente que
possible.
Chaque fois que cela est possible, on s’adressera
aussi aux proches avec l’accord du patient. Ils
peuvent souvent apporter de précieuses informations
sur les modifications qu’ils ont observées
chez le patient. De plus, l’anamnèse familiale
(parents de 1
er et de 2e
degré atteints de
schizophrénie) pourra s’avérer utile, car l’hérédité
constitue un facteur de risque significatif de
la schizophrénie.
Diagnostic et consilium éventuel
Un patient présentant un certain risque de schizophrénie
ou souffrant déjà d’une psychose avérée
devrait être adressé à un psychiatre ou –
si possible – à un centre de dépistage (par ex.
Figure 2
Facteurs déclenchants des psychoses.
– Amphétamines
– Cocaïne
– Hallucinogènes
– PCP (Phencyclidin)
– Cannabinoïdes
– (Alcool)
cation, à des programmes de thérapie du comportement
et d’entraînement mental, dont certains
ont été spécialement développés pour
les patients qui se trouvent au stade initial de la
maladie (tab. 6, 7
p
) (cf. par ex. Edwards /
McGorry [10]).
Il convient d’avoir une approche globale, tant
au niveau du conseil que des mesures thérapeutiques.
Il s’agit en fait de tenir compte du
contexte global, notamment professionnel ou de
formation, familial et relationnel, des loisirs, des
finances et des conditions de logement. Cela suppose
une approche multidisciplinaire intégrant
aussi bien les médecins, les travailleurs sociaux,
les psychologues, les infirmiers en psychiatrie
que les rééducateurs, les conseillers professionnels,
etc. On attachera une importance particulière
à la réintégration rapide dans le milieu
scolaire/professionnel (pas d’incapacités/dispenses
«à durée indéterminée», ni sans mesures
de réintégration ou traitement!).
Résumé et conclusions
Depuis quelques décennies, l’évolution des psychoses
schizophréniques est bien plus favorable.
De nouvelles stratégies thérapeutiques ont permis
à de nombreux patients de retrouver une vie
relativement normale. Il y a cependant encore
trop de cas dont l’évolution est défavorable, où
la maladie devient chronique, et qui finissent en
invalidité précoce. Le dépistage et la mise en
route rapide d’un traitement approprié pourraient
permettre d’améliorer de manière absolument
décisive l’évolution de ces patients schizophréniques.
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les maladies psychiatriques. Les médecins de
premier recours peuvent y acquérir une formation
sur le dépistage des psychoses et sur les
contacts avec les patients concernés. Le premier
centre suisse a été créé en 1999. Il s’agit du
«FEPSY»,
Früherkennung von Psy
chosen, dans
la policlinique de psychiatrie de l’Hôpital Universitaire
de Bâle (cf. adresse ci-dessous).
Intervention précoce
Après que le diagnostic ait été posé par le spécialiste,
il faut avoir un entretien approfondi avec
le patient et, pour autant qu’il l’accepte, avec son
médecin traitant. Un plan de traitement sera ensuite
établi en accord avec le patient, en incluant
autant que possible le collègue établi et l’entourage
proche.
De nombreux centres, comme par exemple celui
de la policlinique bâloise, proposent en outre des
programmes d’intervention précoce. Le concept
de traitement, qui repose aujourd’hui chaque
fois que cela est possible sur un suivi ambulatoire,
dépend évidemment du stade de la psychose
ou du degré de certitude du diagnostic et
comprend simplement des activités de conseil et
des mesures de soutien non spécifiques. En cas
de décompensation psychotique évidente, on
passe rapidement à la prescription de neuroleptiques
(de préférence des neuroleptiques atypiques
faiblement dosés), à une psychothérapie de
soutien, la plupart du temps à une psychoédu-
Tableau 6. Formes de traitement et de réhabilitation.
Neuroleptiques
Information/psychoéducation
Psychothérapie
Programmes d’entraînement psychologique
Réhabilitation professionnelle
Mesures sociales
Case Management/Assertive Community Treatment
Travail avec les proches
Tableau 7. Eléments de la psychothérapie.
Conseil
Soutien
Thérapie comportementale et techniques cognitives
pour la réduction des troubles cognitifs
pour l’amélioration de la compétence sociale
pour la maîtrise des émotions
Psychoéducative
Attention: éviter l’hypo-, mais aussi l’hyperstimulation
Figure 3
IRM d’un hématome sous-dural [9].
«se perdent» en effet encore bien trop souvent
au cours du processus d’investigations ou dans
le courant de la thérapie – seul le médecin traitant
est alors habituellement en mesure d’assurer
une certaine continuité ou le rétablissement
de la prise en charge. Après tout, il connaît mieux
que quiconque la situation familiale et sociale de
son patient et il est le mieux à même d’activer ou
de réactiver les différents systèmes d’aide.
Le médecin traitant occupe une position centrale
dans le dépistage et le traitement des psychoses
débutantes.
Centre de dépistage de l’Hôpital
universitaire de Bâle
FEPSY (zur Früherkennung von Psychosen) –
Consultation de la Policlinique psychiatrique
universitaire, Petersgraben 4, CH-4031 Bâle,
Tél. 061 265 50 40, Fax 061 265 45 88,
http://fepsy.uhbs.ch, e-mail: fepsy@uhbs.ch.
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En général, le premier interlocuteur vers lequel
ces patients ou leurs proches peuvent se tourner
n’est pas le psychiatre, mais bien le médecin traitant
ou le généraliste.
Le praticien de premier recours joue ainsi un rôle
clé dans la prise en charge. Il est la première personne
de confiance auprès de laquelle ces patients
particulièrement inquiets et craintifs peuvent
chercher de l’aide. Il est souvent le seul à
pouvoir effectuer le difficile exercice d’équilibre
qui consiste à persuader le patient de la nécessité
de se soumettre aux investigations complémentaires
nécessaires et au traitement éventuellement
indiqué, tout en évitant de le repousser
encore davantage dans ses retranchements et
de renforcer sa méfiance.
C’est en définitive souvent sur le médecin traitant
que repose la responsabilité d’assurer la
continuité de la prise en charge thérapeutique.
Les patients psychotiques ou prépsychotiques
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Correspondance:
Prof. Anita Riecher-Rössler
Psychiatrische Poliklinik
Universitätsspital
Petersgraben 4
CH-4031 Basel
ariecher@uhbs.ch