Dualités des tempéraments dans le trouble Bipolaire type I
Dualités des tempéraments dans le trouble Bipolaire type I
23/08/2012
Auteur : Dr Hantouche
Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Tempéraments
Il y a deux groupes, au sein de patients présentant un trouble bipolaire type I, en fonction de la dominance du tempérament affectif : « hyperthymique » versus « cyclothymique ».
Lien entre tempérament, manie et dépression
Il a été déjà montré que le tempérament hyperthymique était plus manifeste dans les manies pures et le dépressif dans les manies mixtes (études italiennes). Dans l’étude EPIMAN (n = 104 patients en phase maniaque), on a démontré une influence des tempéraments sur l’expression de la manie ; notamment un lien entre la manie mixte et le tempérament dépressif (relation indépendante du sexe féminin prévalent dans cette forme de manie) (1).
Ultérieurement, l’exploration des tempéraments dans la manie aiguë a été réalisée dans une population de 1090 patients (l’échantillon le plus large jusqu’à présent).
Le tempérament hyperthymique est plus important dans les manies pures alors que les manies mixtes se différencient par des scores plus élevés sur les 3 autres tempéraments (cyclothymique, dépressif et irritable). En considérant le score seuil de 10 sur chaque tempérament, 75% des manies mixtes sont cyclothymiques versus 44% des manies pures ; 37% dépressifs versus 22% et 30% irritables versus 20% (toutes les différences significatives) (2).
Quand il s’agit de comparer les manies délirantes (ou psychotiques) par rapport aux manies non psychotiques, on a observé dans les même étude (EPIMAN-II-Mille) que les formes avec éléments psychotiques congruents à l’humeur avaient le niveau le plus élevé du tempérament hyperthymique, tandis que les formes avec éléments psychotiques non congruents à l’humeur sont caractérisées par les scores les plus élevés sur le tempérament irritable (3).
Comme si les tempéraments les plus « forts » (hyperthymie et irritable) interagissent avec l’épisode maniaque au point d’arriver au délire. De plus, la congruence du délire au sein de la manie doit être spécifiée avec la nature du dérèglement de l’humeur : euphorique (GLAD), dépressive (SAD) ou irritable (BAD) (4).
Un travail de Giulio Perugi et al (5) a permis la distinction, au sein de patients présentant un trouble bipolaire de type I, de deux sous-groupes en fonction de la dominance du tempérament affectif : « hyperthymique » versus « cyclothymique ». Cette étude confirme l’influence du tempérament sur la forme clinique des troubles bipolaires (tableau)
Tempérament stable hyperthymique |
Tempérament instable cyclothymique |
• Bipolarité épisodique (présence d’intervalles libres entre les épisodes) • Prédominance masculine • Début tardif • Episodes (hypo)maniaques plus flagrants et nets • Hospitalisations psychiatriques plus fréquentes • Abus d’alcool • Conduites antisociales |
• Bipolarité « circulaire » (absence de vrais intervalles libres) • Prédominance féminine • Début précoce (avant 18 ans) • Anxiété de séparation assez nette • Comorbidité avec les troubles anxieux et de contrôle des impulsions (boulimie, achats pathologiques…) • Traits de personnalité Borderline • Tentatives de suicide et automutilations • Histoire familiale plus chargée de bipolarité et troubles anxieux |
Dualité au sein des tempéraments de base
La dualité entre tempérament stable hyperthymique et tempérament instable cyclothymique a été observée dans les études ayant exploré le tempérament chez des personnes sans trouble psychiatrique. Ainsi, Evans et Rothbart (2009), les concepteurs du questionnaire du Tempérament, ATQ, proposent un modèle à 2 facteurs (6) :
- Premier facteur principal comportant la dimension « Extraversion » et celle de la « sensibilité d’orientation ».
- Deuxième facteur comportant deux dimensions de manière opposée : « affects négatifs » versus le « contrôle exigeant de l’effort » ; par exemple, un niveau élevé d’affects négatifs va avec un niveau bas de contrôle et vice versa.
Malgré la complexité des traits et des facettes des émotions et des tempéraments, on arrive dans les méta-analyses de dégager deux profils dominants à polarité opposée :
- « Extraversion » où prévale une affectivité positive comme la chaleur, la grégarité, l’affirmation de soi, l’hyperactivité, la recherche de sensations et les émotions positives
- versus « Névrosisme » où domine une affectivité négative incluant l’anxiété, la colère / l’hostilité, la dépression, la timidité, l’impulsivité.
Evans et Rothbart viennent récemment de démontrer cette double polarité des dimensions basiques du tempérament chez l’adulte. En plus, cette polarité affective a réussi de convaincre les experts les plus sceptiques à l’approche biologique de la personnalité via les tempéraments. En effet, les dimensions extraversion et névrosisme s’avèrent être les robustes et prédictifs des affects momentanés ; c’est-à-dire plus d’affects positifs dans l’extraversion et négatifs dans le névrosisme.
De plus, la dimension névrosisme s’avère être corrélée de manière négative avec la dimension « contrôle émotionnel exigeant de l’effort » et représente un facteur robuste de vulnérabilité. Dans le NEO PI-R, la dimension opposée au névrosisme c’est l’équilibre émotionnel. Pas étonnant que le contrôle, témoin de l’autorégulation, soit défaillant chez les personnes fragiles – souvent étiquetées comme « immatures » par défaut de contrôle, de retenue…
Cette double polarité du tempérament détermine d’une part la prédisposition à ressentir les états émotionnels et la réactivité aux stimuli agréables (plus importante dans l’extraversion) et désagréables (dans le névrosisme) et d’autre part le style de vie et d’action (plus d’engagement dans des actions stimulantes chez les extravertis). Cette opposition s’opère également entre les tempéraments hyperthymique (affects positifs) et dépressif (affects négatifs) d’une part et d’autre part entre les tempéraments hyperthymique (intense, extraverti et stable) et cyclothymique (intense mais instable et faible niveau de contrôle).
Références
- 1- Akiskal HS, Hantouche EG, Bourgeois ML et al. Gender, temperament, and the clinical picture in dysphoric mixed mania: findings from a French national study (EPIMAN). J Affect Disord. 1998; 50(2-3):175-86.
- 2- Hantouche EG, Akiskal HS, Azorin JM. Clinical and psychometric characterization of depression in mixed mania: a report from the French National Cohort of 1090 manic patients. J Affect Disord. 2006;96(3):225-32.
- 3- Azorin JM, Akiskal H, Hantouche E. The mood-instability hypothesis in the origin of mood-congruent versus mood-incongruent psychotic distinction in mania: validation in a French National Study of 1090 patients. J Affect Disord. 2006;96(3):215-23.
- 4- Akiskal HS, Azorin JM, Hantouche EG. Proposed multidimensional structure of mania: beyond the euphoric-dysphoric dichotomy. J Affect Disord. 2003; 73(1-2):7-18.
- 5- Perugi G, Toni C, Maremmani I et al. The influence of affective temperaments and psychopathological traits on the definition of bipolar disorder subtypes: a study on bipolar I Italian national sample. J. Affect. Disord. 2012 136(1-2), 41-49.
- 6- Evans DE, Rothbart MK. A Two-Factor Model of Temperament. Pers Individ Dif. 2009, 1; 47(6):565-570.