Épistémologie

 

Épistémologie

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L’épistémologie est l'étude de la connaissance (du grec épistémê («connaissance », «science ») et logos (« discours »)). Le "Larousse de la Langue Française Lexis", Ed. 1979, en donne la définition suivante : "n. f. (du gr. epistêmê, science ; 1906). Philos. Etude, d'un point de vue philosophique, de la science, de ses méthodes, de ses principes et de sa valeur". En philosophie, elle est souvent définie de façon simplifiée comme "Réflexion critique sur la connaissance", au même titre que l'Ethique est définie de la même manière comme "Réflexion critique sur l'action et ses conditions". Le terme d'origine anglaise est attesté la première fois en 1856, et apparaît en 1906 dans un dictionnaire français comme « critique des sciences »; c'est-à dire en tant que discipline de remise en question[réf. nécessaire] de la connaissance et des méthodologies scientifiques.

La notion d'épistémologie est généralement comprise de deux manières différentes :

  • Dans la tradition anglo-saxonne, l'épistémologie est peu ou prou synonyme de théorie de la connaissance, sans que cette connaissance soit réduite à la connaissance scientifique.
  • Sur le continent, l'épistémologie est le plus souvent comprise comme une branche de la philosophie des sciences.

La distinction entre ces deux sens n'est cependant pas tranchée. L'épistémologie continentale peut ainsi traiter d'objets non scientifiques[1]. Il s'agit plus d'une différence de degré dans l'attention portée à la connaissance scientifique plutôt qu'à la connaissance générale.

Sommaire

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Questions épistémologiques fondamentales [modifier]

Le problème du protocole d'observation [modifier]

Au début du XXe siècle, certains philosophes, dans une perspective fondationaliste, se sont posé la question de savoir s'il était possible d'isoler des faits d'observation, bases de la généralisation et de la connaissance. On peut distinguer schématiquement deux points de vue :

  • un point de vue atomiste pour lequel des faits peuvent être isolés ; cette thèse est notamment celle du positivisme logique (cf. Carnap) qui, en séparant les vérités analytiques et synthétiques, admet que des faits relatifs à un sujet doivent permettre de fonder la connaissance scientifique ; une théorie est alors une construction logique, dont la matière est la connaissance privée ;
  • un point de vue holiste, pour lequel aucun fait n'est séparable d'une théorie (cf. Willard van Orman Quine par exemple). Il n'y a donc pas de protocole d'observation décisif ; c'est la vérité cohérente qui est déterminante. Dans ce cas, il n'y a pas non plus une limite précise entre la théorie et l'expérience, ce qui invalide l'idée que des hypothèses seules soient falsifiables. La conséquence la plus extrême de cette thèse est que l'on ne peut tout simplement pas réfuter une théorie car la falsifiabilité de l'hypothèse n'atteint pas la théorie dans son ensemble et dans la mesure où des hypothèses ad hoc sont toujours possibles (comment prouver qu'un cygne est blanc?).

Épistémologie générale : Théories de la validation [modifier]

Bachelard et l' "obstacle épistémologique" [modifier]

Gaston Bachelard définit, en 1934, dans un article intitulé "La formation de l'esprit scientifique", ce dernier comme étant "la rectification du savoir, l'élargissement des cadres de la connaissance". Pour lui, le scientifique doit se dépouiller de tout ce qui constitue les "obstacles épistémologiques internes", en se soumettant à une préparation intérieure afin que sa recherche progresse vers la vérité. A ce titre, il prête une grande importance à la psychanalyse, non pas à titre thérapeutique, mais en ce qu'elle permettrait de mieux écarter certaines croyances naïves qui ne seraient que la projection de nos désirs et pulsions. Ce qu'il appelle la "psychanalyse de la connaissance" permettrait la libération pour l'homme de ce qui fait obstacle à la recherche scientifique, et marquer alors dans sa recherche des progrès décisifs. La notion d'obstacle épistémologique est ce qui permet de poser le problème de la connaissance scientifique: c'est à partir du moment où celui-ci est surmonté, donnant lieu à une "rupture épistémologique", que l'on atteint le but recherché. Les obstacles sont, pour Bachelard, non seulement inévitables, mais aussi indispensables pour connaître la vérité. Celle-ci en effet n'apparaît jamais par une illumination subite, mais au contraire, après de longs tâtonnements, "une longue histoire d'erreurs et d'errances surmontées".

Plutôt que de vouloir changer le fonctionnement des choses, l'attitude la plus juste pour un scientifique serait de se changer lui-même, dans sa manière d'aborder la science. Ce qui freine le chercheur n'est pas ce qu'a priori il pourrait croire: ce ne sont pas les phénomènes eux-mêmes, mais bien à l'intérieur de lui que les rectifications doivent être faites. Le chercheur, dans sa quête, investit de manière humaine, trop humaine, c'est-à-dire que bien souvent il pose la conclusion d'abord et offre ensuite à l'esprit d'explorer les chemins vers cette conclusion selon les désirs qu'il projette. Si l'on sait que nous ne devons jamais poser trop tôt les conclusions, la quête scientifique n'en demeure pas moins une longue suite de tâtonnements. Le plus grand obstacle resterait en effet, selon Bachelard, ce qui a été déjà découvert, et il faut pouvoir le remettre en question. "La compréhension de demain passe par la négation du discours d'aujourd'hui", affirmait-il. Ainsi les obstacles épistémologiques peuvent-ils être autant de vagues sens communs que les formations de la pensée réfléchie. Les "régressions, stagnations, inerties" dont il parle sont dues à l'échec de conceptions d'abord jugées conformes à la réalité, et qu'il faut rectifier aujourd'hui car elles conduisent à une contradiction intellectuelle. Bachelard dénonce l'opinion que nous laisse l'expérience empirique et son influence sur la connaissance scientifique : "le réel n'est jamais ce que l'on pourrait croire, il est toujours ce qu'on aurait dû penser", dit-il. "La science s'oppose formellement à l'opinion : l'opinion ne pense pas, elle traduit des besoins en connaissances." La connaissance scientifique consistera à revenir sans arrêt sur le déjà découvert.

En plus de permettre la connaissance juste de ce qui nous entoure, elle s'avère être également, par la quête longue et difficile qu'elle représente, une conquête de l'esprit humain par l'incessant travail de rectification de nous même.

L'inductivisme [modifier]

L'induction consiste à passer de cas singuliers à une proposition générale. Le problème est de savoir si nous sommes justifiés à croire que nous pouvons prédire un quelconque fait d'après nos théories. Par exemple, nous avons observé que le soleil, jusqu'ici, se lève le matin. Mais rien ne semble justifier notre croyance au fait qu'il se lèvera encore demain. Ce problème avait été jugé insoluble par Hume, pour lequel notre croyance relevait de l'habitude. Le théorème de Cox-Jaynes donne cependant non seulement des bases mathématiques à l'induction, mais sous condition de savoir que c'est simplement notre modèle du monde que l'induction nous permet d'améliorer, non une connaissance intime de celui-ci.

Falsificationnisme ou Réfutabilité [modifier]

Karl Popper critique le raisonnement par induction. Ce dernier a certes une valeur psychologique mais pas une valeur logique. De nombreuses observations cohérentes ne suffisent pas à prouver que la théorie qu'on cherche à démontrer soit vraie. A contrario, une seule observation inattendue suffit à falsifier une théorie. Ainsi, mille cygnes blancs ne suffisent pas à prouver que tous les cygnes sont blancs ; mais un seul cygne noir suffit à prouver que tous les cygnes ne sont pas blancs. Voir Paradoxe de Hempel.

Il en résulte qu'une théorie ne peut être « prouvée » mais seulement considérée comme non invalidée jusqu'à preuve du contraire. Partant de là, on peut distinguer :

  • les théories impossibles à réfuter (par l'observation ou l'expérience)
  • celles qui peuvent être invalidées.

Seules les potentiellement réfutables (celles associables à des expériences dont l'échec prouverait l'erreur de la théorie) font partie du domaine scientifique; c'est le « critère de démarcation des sciences » (entendre par là : des sciences dures).

Parmi les théories réfutables (Popper dit falsifiables), certaines ont été réfutées et abandonnées, d'autre n'ont pas été réfutées : elles sont dites par Popper « corroborées » ie. considérées vraies jusqu'à preuve du contraire.

On peut remarquer que l'hypothèse du démon trompant en permanence les sens imaginé par Descartes dans les Méditations métaphysiques et qui préfigure l'idée de réalité virtuelle est elle aussi, par définition, corroborée par l'expérience. C'est un autre critère qui nous conduit à ne pas la considérer comme prioritaire : celui du rasoir d'Occam.

Lakatos [modifier]

Pour Imre Lakatos, il existe deux méthodes de recherche: l'heuristique positive et l'heuristique négative. L'heuristique positive, qui se trouve autour de l'heuristique négative, peut être modifiée. Elle est dynamique. L'heuristique négative présente le noyau dur, une base de programme qui est inchangeable et est protégée de toute forme de modification (ceinture protectrice). Le noyau contient toutes les hypothèses fondamentales et se trouve au centre du modèle de recherche. Lakatos considère le noyau comme infalsifiable par décision méthodologique du chercheur.

Ainsi, deux programmes de recherche peuvent coexister même si un des deux est dynamique et l'autre stagne.

Lakatos exclut les hypothèses ad hoc.

Si le noyau, enrichi par les chercheurs, est détruit par des preuves scientifiques qui s'opposent, Lakatos prédit un changement du programme de recherche.

Kuhn [modifier]

Mettant l'accent sur la discontinuité dans le processus de la construction scientifique, Thomas Kuhn discerne des périodes relativement longues pendant lesquelles la recherche est qualifiée de « normale », c'est-à-dire qu'elle s'inscrit dans la lignée des paradigmes théoriques dominants, périodes pendant lesquelles de brefs et inexplicables changements constituent une véritable « révolution scientifique ». Le choix entre les paradigmes n'est pas fondé rationnellement. Cette posture implique que chaque paradigme permet de résoudre certains problèmes et, de là, les paradigmes seraient incommensurables.

Feyerabend [modifier]

Paul Feyerabend observait à l'exemple de la naissance de la mécanique quantique que souvent l'avancement scientifique ne suit pas de règles strictes. Ainsi, selon lui, le seul principe qui n'empêche pas l'avancement de la science est « a priori tout peut être bon » (ce qui définit l'anarchisme épistémologique). Il critique donc l'aspect réducteur de la théorie de la réfutabilité et défend le pluralisme méthodologique. Il existe selon lui une très grande variété de méthodes différentes adaptées à des contextes scientifiques et sociaux toujours différents. De plus, il remet en question la place que la théorie de la réfutabilité accorde à la science, en en faisant l'unique source de savoir légitime, et le fondement d'une connaissance universelle qui dépasse les clivages culturels et communautaires. Enfin, Feyerabend critique son manque de pertinence pour décrire correctement la réalité du monde scientifique et des évolutions des discours et pratiques scientifiques.

Son œuvre principale, Contre la méthode. Esquisse d'une théorie anarchiste de la connaissance, fut reçue très négativement par la communauté scientifique, car elle accuse la méthode scientifique d'être un dogme et soulève la question de savoir si la communauté doit être aussi critique par rapport à la méthode scientifique que par rapport aux théories qui en résultent.

Pour en savoir plus: anarchisme épistémologique

Les lois de la nature [modifier]

La loi a d'abord été conçue comme une relation entre une cause et un effet. Mais face à la contingence de la nature, certains penseurs, et notamment Guillaume d'Ockham, furent amenés à formuler l'idée que l'expression de la nécessité des lois de la nature s'exprime sous la forme d'une proposition hypothétique du type :

  1. (x) (Px ⊃ Qx)
  2. Or Px
  3. Donc Qx

Épistémologie interne : Théories de l'explication [modifier]

L'explication scientifique [modifier]

L'unité des sciences [modifier]

L’épistémologie est aussi l’histoire des sciences [modifier]

Pourquoi la science s’est-elle formée ici plutôt que là ? Comment ? Il y a une approche internaliste de la question, repris notamment par Alexandre Koyré, et une approche externaliste, par Pierre Thuillier.

La vision internaliste [modifier]

Elle ne prend en compte que l’histoire des idées scientifiques, de découverte en découverte : les savants sont un monde à part, qui progresse indépendamment du reste. La science se nourrit d’elle-même. Il est ainsi possible de comprendre l’histoire des sciences sans se référer au contexte culturel. L’important, ce sont les étapes de progression de l’histoire scientifique.

La vision externaliste [modifier]

La vision externaliste rend au contraire la science dépendante de l’économie, la psychologie, etc. Ceci amène à des conséquences différentes suivant le contexte. Voir ou revoir la série télévisuelle de Jacob Bronowski "L’évolution de l’homme" ("The Ascent of Man") de la BBC qui l’a rendu célèbre auprès du grand public cultivé, disponible aussi en francophonie.

Courants épistémologiques [modifier]

Le positivisme [modifier]

Le positivisme scientifique a été fondé par Auguste Comte dans son Cours de philosophie positive. Ernest Renan, Ernst Mach, parmi bien d'autres, ont repris une approche très voisine.

La science positiviste renoncerait à la question « pourquoi ? », rejetée comme "métaphysique", et ainsi à chercher les causes premières des choses. Elle se limiterait au « comment ? », c'est-à-dire à la formulation des lois de la nature, exprimées en langage mathématique, en dégageant, par le moyen d'observations et d'expériences répétées, les relations constantes qui unissent les phénomènes, et permettent d'expliquer la réalité des faits.

A l'origine élaboré pour dégager la science du carcan des idées métaphysiques dominant au XIXe siècle, le positivisme a eu une influence décisive sur la science et la philosophie contemporaines. Parmi les tendances qui s'en inspire, on peut noter le positivisme logique, le réductionnisme, ...

Cependant, on constate que les avancées les plus spectaculaires de la science sont amenées par des interrogations sur le « pourquoi ? » avant d'être des questions purement techniques. On peut penser que la science positiviste est condamnée à rester une science peu inspirée, et à terme stérile.

Article détaillé : positivisme.

Le réalisme [modifier]

Le réalisme en épistémologie s'oppose au nominalisme et au positivisme. Pour le scientifique réaliste, le réel n'est pas limité à l'expérience immédiate : les idées et concepts scientifiques sont tout aussi réels. Ainsi la science réaliste est une découverte de la nature des choses, à laquelle il est possible d'accéder, et des liens causaux entre ces objets.

Le premier réaliste fut sans doute Platon, qui pose la réalité comme un monde d'idées auquel on accède par la raison. Mais de nombreux scientifiques contemporains sont réalistes, en ce sens que la science n'est pas pour eux seulement une invention humaine, mais une description de la nature telle qu'elle est en réalité.

Article détaillé : Platonisme (doctrine philosophique).

Le constructivisme [modifier]

Article détaillé : Constructivisme (épistémologie).

L'épistémologie constructiviste ou les épistémologies constructivistes (Jean Piaget), ou encore le constructivisme, est un courant de l'épistémologie qui considère le caractère construit (et construisant) de la connaissance et par suite de la réalité.

Les auteurs clés pour ce courant sont : Giambattista Vico, Gaston Bachelard, Paul Valéry, Jean Piaget, Herbert Simon, Gregory Bateson, Paul Watzlawick, Anthony Wilden, Edgar Morin, Jean-Louis Le Moigne.

Thèmes épistémologiques [modifier]

L'épistémologie produit un savoir sur le savoir. C'est un métasavoir ou "savoir des savoirs", comme la métalinguistique (linguistique des linguistiques) et la métamathématique (mathématique des mathématiques) d'une hiérarchie de types logiques de Bertrand Russell et Alfred North Whitehead (Principiamathematica). Elle est donc réflexive. Cet aspect fait de celle-ci une discontinuité de la philosophie, l'un des points de départ possibles, et non pas un domaine d'application parmi d'autres. Voir Cybernétique, logique épistémique.

Savoir :

Transmission du savoir : pédagogie, rhétorique et zététique.

Annexes [modifier]

Articles connexes [modifier]

Par champ scientifique [modifier]

Auteurs de l'épistémologie [modifier]

Aristote, Bachelard, Canguilhem, Cercle de Vienne, Descartes, Duhem, Feyerabend, Hacking, Kant, Koyré, Kuhn, Lakatos, Laplace, Lecourt, Le Moigne, Morin, Guillaume d'Ockham, Jean Piaget , Poincaré, Popper, Quine, Rand, Rorty, Stengers, Bateson.

Bibliographie [modifier]

Liens externes [modifier]

Notes et références [modifier]

  1. On peut ainsi signaler l'existence d'une "épistémologie des affects" développée par un philosophe français, Pascal Nouvel
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