L’art-thérapie permet avec l'art-thérapie d'accéder à des sentiments enfouis

 

L’art-thérapie

Peindre pour prendre conscience de ses contradictions, danser pour dédramatiser ses conflits… La création artistique permet avec l'art-thérapie d'accéder à des sentiments enfouis.

Stéphanie Torre

Parce que nombre d’entre nous hésitent à entreprendre une thérapie classique ou une psychanalyse, l’art-thérapie compte de plus en plus d’adeptes. Elle apparaît souvent, en effet, comme une chance nouvelle d’accéder à ses sentiments et à ses émotions refoulés « parce qu’elle travaille dans le “mine de rien”, en utilisant une stratégie de détour, une ruse qui permet de contourner les résistances au changement », explique le Dr Jean-Pierre Klein (L’Art-thérapie, Puf, collection Que sais-je, 1997), psychiatre et directeur de l’Inecat (Institut national d’expression, de création, d’art et de thérapie) de Paris.

Son principe ? Se servir de la création artistique (peinture, théâtre, danse, collage, modelage, photographie, marionnettes) pour pénétrer les problématiques inconscientes de l’individu et le conduire à une transformation positive de lui-même. « Le but, reprend Jean-Pierre Klein, est de partir, dans le cadre d’un processus créatif, de ses douleurs, de ses violences, de ses contradictions pour en faire le matériau d’un cheminement personnel. Du pire naît ainsi une construction, une production qui tend vers l’art. »

Historique

Si l’on mentionne parfois le nom du marquis de Sade comme précurseur de la méthode – en raison des spectacles qu’il dirigeait, vers 1800, à l’asile de Charenton et qui attiraient le Tout-Paris avide de voir des aliénés en représentation –, on attribue plus sérieusement l’origine de l’art-thérapie au peintre anglais, Adrian Hill, qui en fit le premier l’expérience en 1940.
Tuberculeux et placé en sanatorium, il entreprit, durant sa convalescence, d’entamer une flânerie sur papier qui, au grand étonnement des médecins, lui octroya un rétablissement rapide. « Lorsqu’il est satisfait, l’esprit créateur […] favorisera la guérison au cœur du malade », écrivit-il. Intéressée par cette approche, la Croix-Rouge britannique l’utilisa avec ses patients. En 1950, les premiers programmes de formation en art-thérapie virent le jour aux Etats-Unis.

En France, il fallut attendre 1986, malgré une pratique bien antérieure, pour que le concept soit enfin reconnu par la communauté scientifique au cours d’un congrès international.

Déroulement d’une séance

Lors de la première séance d’art-thérapie, un entretien avec le thérapeute permet au patient d’évoquer son mal-être et ses attentes. Le déroulement des séances suivantes varie, lui, en fonction de l’art choisi, mais poursuit quand même toujours le même objectif : développer un langage symbolique donnant accès à ses sentiments enfouis pour pouvoir ensuite les intégrer. Prenons l’exemple de la peinture, la matière la plus fréquemment utilisée en consultation.

« Le premier rôle de l’art-thérapeute est de favoriser la créativité chez le patient qui, face à la feuille blanche, commence souvent par dire qu’il ne sait pas dessiner, explique Ariane Walker, art-thérapeute et artiste peintre. J’explique donc qu’il s’agit, avec les pinceaux et les tubes de couleur, de se laisser aller, de laisser faire sa main sans mobiliser son cerveau. » Pour contourner les résistances, certains thérapeutes proposent un thème : par exemple, les "quatre éléments", le "labyrinthe", la "signature", "l’arc-en-ciel"… Et plus rares sont ceux qui donnent un modèle à imiter.

« Dans tous les cas, commente Geoffrey Troll (co-auteur, avec le Dr Jean Rodriguez, de l’Art-thérapie, pratiques, techniques et concepts, Ellébore, 1995), artiste et formateur en art-thérapie, notre but est de donner une impulsion de création au patient. Nous sommes des guides montrant les chemins possibles. » Une fois le processus enclenché, le rôle du thérapeute est d’encourager le patient à poursuivre ou à développer – sans jugement – un mouvement, une forme qui se répète d’une production à l’autre et qui semble porteur de sens.
« L’accompagnement du thérapeute est discret, annonce Jean-Pierre Klein. Il se contente, dans un premier temps, d’accueillir les productions, de les orienter dans le sens d’une plus grande clarté, ce qui n’exclut pas la complexité. Car il ne s’agit pas non plus de se satisfaire du moindre trait, de dessins bâclés, de petits cœurs ou de jolies fleurs. Se contenter de peu est dévalorisant pour tous. La fonction de l’art-thérapeute est donc de pousser, avec beaucoup de prudence, le patient vers toujours plus de profondeur. » Car c’est lorsque la personne lâche enfin prise et quitte la superficialité que la thérapie avance.

En cours de séance, certaines personnes expérimentent ainsi des "surprises de conscience". « D’un seul coup, le sens de leur production s’impose, poursuit Jean-Pierre Klein. C’est comme si une évidence longtemps secrète leur sautait aux yeux. » Cela peut être un souvenir oublié, une émotion longtemps refoulée, une association particulière d’idées… L’art-thérapeute a, dès lors, une fonction d’écoute pour soutenir la prise de conscience au même titre qu’un thérapeute classique. Cependant, certaines personnes poursuivent leur thérapie sans qu’aucune surprise n’intervienne, et cela ne signifie nullement que la thérapie n’évolue pas. Dans tous les cas, les fins de séances donnent lieu à un échange verbal entre le praticien et son patient. Après avoir achevé sa production, ce dernier est ainsi invité à parler de ce qu’il a ressenti durant la création, de ce que celle-ci lui suggère. Pour ce, l’art-thérapeute peut soutenir la réflexion en posant des questions toujours extrêmement larges pour ne pas orienter les propos du patient. Chacun doit pouvoir, en effet, poursuivre son cheminement à son rythme, sans être brusqué par des révélations qu’il n’est pas prêt à entendre.

« Notre rôle, conclut Jean-Pierre Klein, ne se situe donc jamais dans l’explication de l’origine du trouble du patient, en ce sens que nous ne proposons pas une interprétation des œuvres. » Il est inutile de s’attendre donc à des révélations du genre "rouge = agressivité" ou "mouvement vertical = phallus". Ces raccourcis sauvages n’ont guère leur place ici.


 

Prix et durée

Comme pour toute autre méthode, la durée d’une art-thérapie varie selon l’individu et sa problématique. Généralement, elle nécessite d’un à trois ans. Une séance dure entre une heure et trois heures selon que l’on consulte en individuel ou en groupe, dans un cadre privé ou dans une institution. Le prix de la séance, fonction là aussi de son cadre, de sa durée mais aussi du matériel artistique utilisé, oscille entre 25 € et 70€.

Indication

Evidemment, l’art-thérapie est particulièrement indiquée pour les enfants chez lesquels l’introspection est souvent difficile, comme pour les adolescents, souvent réfractaires à l’approche psychothérapeutique classique. Chez les adultes, outre le fait qu’elle permette dans tous les cas d’accéder à une meilleure connaissance de soi, la méthode se révèle très bénéfique pour les personnes éprouvant des difficultés à fouiller leur problématique par la parole ou qui, au contraire, parlent facilement d’eux sans jamais progresser.
L’art-thérapie donne aussi d’excellents résultats avec les grands malades qui expriment alors leurs douleurs, avec les toxicomanes, les détenus ou les marginaux pour qui la création d’une œuvre induit une revalorisation d’eux-mêmes, mais aussi les personnes âgées dont la création répond, entre autres, à un besoin de reconstruction par la rétrospective de leur vie avant de mourir.

Contre indication 

L’art-thérapie est à éviter en cas de dépression profonde ou de phase de grande excitation. Elle est également déconseillée aux personnes possédant de grandes dispositions artistiques car rares sont ceux qui acceptent de mettre leur talent en péril pour mieux se rencontrer.

Quel art choisir ?

« L’art-thérapie ne doit se mouvoir ni dans la trop grande facilité ni dans l’expression taboue », explique Jean-Pierre Klein. A vous de trouver l’art du juste milieu, celui qui vous permettra de mieux vous explorer.

Arts plastiques :
ici, l’œuvre est faite de traces concrètes des problématiques de l’individu. En les "métaphorisant" par la peinture, le modelage, le collage ou même la photo, elle permet une distanciation objective puis une prise de conscience.

Théâtre, danse et conte :

mettant en jeu le corps, ces arts vivants permettent de rejouer ses conflits car « toute véritable deuxième fois est la libération de la première ». La danse figure symboliquement nos contradictions et renforce l’unité psycho-corporelle. Le théâtre remplit une fonction d’exutoire tout autant que de dédramatisation. Le conte lu, mimé ou inventé exorcise angoisses, deuils, peurs et frustrations.

Marionnettes, masques, maquillage et clown : 

ces techniques donnent une "voix" à toutes les figures de l’inconscient. La manipulation de marionnettes dévoile le refoulé en lui donnant la parole, le masque favorise la levée des inhibitions et des défenses, le maquillage confronte avec ses fantasmes et le clown encourage à jouer avec ses vulnérabilités.

Musique et voix :
la musicothérapie est un travail sur les vibrations et sur le corps à travers le rythme. La musique, dotée d’un exceptionnel pouvoir de mobilisation émotionnelle, encourage ainsi une réappropriation progressive de son corps, ouvre les voies de la communication et développe la créativité.

Salima

Adresses

• Inecat, 23, rue Boyer, 75020 Paris. T. : 01.46.36.12.12. www.art-et-therapie.fr
• Fédération nationale des arts-thérapeutes, 14, rue Jérôme-Dulaar, 69004 Lyon. Renseignements : 01.39.76.89.38 ou 06.07.36.46.95.
• Centre d’étude de l’expression CMME, 100, rue de la Santé, 75014 Paris. T. : 01.45.89.21.21.

Salima, 32 ans, souhaite renouer avec ses émotions et sa créativité. Ariane Walker, thérapeute, l’y a aidé (Atelier Le fil d’Ariane. Rens. : 01.48.59.44.98.)

Première séance :
« Il y a six pièces, explique Salima, et on est six enfants... — Moi, j’en compte sept, répond la thérapeute, il y a celle où tu as signé. — C’est vrai. Nous étions sept. Un frère est mort avant ma naissance. On ne parle jamais de lui... »

Deuxième séance :
Salima décrit ce dessin comme un visage alors qu’il est fragmenté, en vrac. Un trait noir et épais entoure chaque élément mais ne contient ni ne délimite aucun visage.

Troisième séance :
« C’est le mal/mâle qui pleure », commente Salima. Une structuration du visage apparaît mais toujours pas de contenant. Les émotions surgissent. « Mon père ne voulait pas qu’on pleure, il nous a élevées comme des garçons. »

Sixième et dernière séance :
Pour la première fois, le visage se reconstruit. Le trait, allégé, le contient et le limite en le rattachant, d’un seul geste, à une ébauche de corps. « Je suis endormie, il faut que je me réveille », dira-t-elle.


 

Line

Line, 42 ans : « J’ai pris soin de moi grâce à mon double d’argile »

« Je me suis intéressée à l’art-thérapie suite à un traitement que j’ai suivi pour guérir d’un cancer du sein. Durant ma convalescence, dans l’espoir d’expulser définitivement la tristesse qui m’habitait, j’ai fréquenté un stage de thérapie par le modelage. J’ai vécu mon expérience la plus forte lorsqu’il m’a été demandé de façonner dans l’argile, les yeux bandés, un personnage me représentant. Le résultat final m’a horrifiée et m’a fait fondre en larmes. Maigre, le corps marqué de trous, la tête partagée en deux, cette représentation sentait les métastases et la souffrance. J’étais persuadée que cela présageait une mort prochaine. L’art-thérapeute m’a alors écoutée vider toutes les peurs que j’avais accumulées en moi.
Sa recommandation ? “Mets cette statue dans un chiffon mouillé et emmène-la chez toi pour lui donner l’allure que tu souhaites.” J’ai ainsi retravaillé durant six semaines. A mon rythme, j’ai bouché les trous, lissé les surfaces… Masser cette poupée de terre était une façon détournée de prendre soin de moi. Mais le plus agréable à mes yeux était cette joie qui me gagnait au fur et à mesure du rétablissement de mon personnage, de ce prolongement de moi. »



02/06/2013
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