Définition du deuil

Tout deuil représente une perte DEFINITIVE qui entraîne un sentiment intense de manque. Le terme «deuil » renvoie à diverses significations :

  • Perte liée au décès d’un être proche, parent ou personne chère (situation objective de la perte)
  • Réaction psychologique consécutive à cette perte, chagrin, douleur dont seul le temps permet son amenuisement.
  • Processus psychologique conduisant à la fin du deuil, «travail de deuil » : il doit permettre à l’endeuillé de se détacher de l’objet perdu pour pouvoir réinvestir de nouveaux objets présents dans la vie actuelle.
  • Différentes manifestations individuelles, familiales et sociales liées au deuil, plus ou moins ritualisées et diversement codifiées sur le plan culturel

Le deuil normal

Phase 1 : état de choc, sidération

(phase initiale, d’installation, phase de détresse, phase d’impact, phase d’hébétude)

La personne se trouve brutalement plongée dans un état de torpeur pendant lequel il continue cependant à vivre et à agir de façon automatique.

  • Perturbations physiques : troubles du sommeil, de l’appétit, asthénie
  • perturbations affectives avec douleur psychique importante
  • hyperactivité désordonnée ou au contraire régression dans le sommeil
  • déni, dénégation de la perte
  • Récupération de la personne perdue à travers des rêveries :le réveil est bien souvent douloureux où le patient se rend compte que la personne est décédée.
  • une agressivité retournée contre l’entourage qui est en fait destinée à la personne perdue accusée «d’abandonner les survivants »

Période dont la durée est inconstante ; peut durer de quelques heures à quelques jours, rarement plus d’une semaine. La personne n’en conserve que peu de souvenirs.

Phase 2 : phase de dépression

(de repli sur soi)

Phase pendant laquelle le vécu douloureux de la perte va s’installer.

  • Etat émotionnel intense d’allure dépressive avec un vécu de culpabilité et de colère (ambivalence de l’endeuillé qui est pris entre le sentiment de ne pas avoir faut tout ce qui était en son pouvoir à l’égard du défunt et celui d’avoir été injustement abandonné par lui). Un sentiment de honte d’être vivant peut accompagner cette culpabilité, notamment lorsque le décès s’accompagne d’une idéalisation de la personne décédée ; « elle méritait plus que moi de vivre ». On peut retrouver une anorexie, des insomnies.
  • Un état de retrait social : désinvestissement des habitudes de travail et des relations interpersonnelles
  • Identification inconsciente au défunt comme manifester des préoccupations de santé similaires.
  • Au cours de cette période, des perceptions sensorielles d’allure hallucinatoires (impression d’entendre la voix du défunt, de l’entr’apercevoir) peuvent survenir. L’endeuillé est toutefois conscient de leur absence de support réel. C’est le cas d’une patiente qui a l’impression de voir des morts, des spectres, principalement au cours de la nuit. Elle est très rassurée et soulagée quand je lui explique que ces manifestations sont normales. Cette peur d’être pris pour un «fou » peut faire que les patients ne vont pas parler de leurs troubles, aussi perturbant soient-ils.

Cette période peut varier entre plusieurs semaines et un an. Elle est inférieure à 6 mois pour la plupart des personnes.

Phase 3 : phase de résolution

(de récupération, de guérison, d’adaptation)

D’autres objets peuvent être à nouveaux investis (nouvelles relations, nouveaux projets, reprises d’activités).

C’est aussi l’étape de l’acceptation de la perte, de la mort : le patient est conscient d’avoir fait un deuil. Il put se souvenir du défunt sans douleur excessive. Il s’agit d’un retour à un mieux être psychologique et somatique.

Le deuil après un suicide

L’incidence annuelle des suicides est d’environ 11000 par an pour la France.

Le suicide est un acte qui se situe en dehors de la norme sociale. Il s’agit d’un acte inattendu, brutal entraînant chez l’entourage des réactions d’incrédulité, d’incompréhension et de colère.

Phase 1 : état de choc, sidération

Ici, le déni porte essentiellement sur les circonstances du décès et non sur le fait lui-même de la mort d’un proche. L’entourage croit plus à un accident, voire un meurtre qu’à un suicide. En effet, même si avant de se suicidé présentait une souffrance connue par son entourage (souffrance physique et/ou psychologique), cette souffrance ne constitue pas une raison convainquante, suffisante pour se supprimer.

Sentiment dominant : COLERE : la violence et l’agressivité de l’entourage ressenties contre ce geste vont s’exprimer contre tous ceux qui étaient censés et investis du pouvoir d’empêcher ce geste, c’est à dire le corps médical. Exemple du suicide dans l’institution : colère importante des patients à l’égard de l’équipe médicale investie de «protéger les patients contre ce type de geste ». « On n’est pas en sécurité ici » était le reproche le plus évoqué.

Phase 2 : phase de dépression

Sentiments dominants :

CULPABILITE : les vivants vont se faire une représentation personnelle du suicide de l’être proche qui va venir envahir tout le champ de la pensée avec une reconstitution incessante de l’événement et de ceux ayant précédés :

  • Est-ce qu’il y avait des signes, des indices qui auraient pu laisser entrevoir cette éventualité ? Dans le cas où le suicide surviendrait après une maladie psychologique comme la dépression, la culpabilité peut survenir avec des idées de ne pas avoir pu sauver la personne malade, de ne pas l’avoir suffisamment écouté, d’avoir pu perdre patience (à cause des ruminations classiques dans la dépression, souvent l’entourage s’éloigne du malade).
  • Qu’est ce que je faisais à ce moment là ?
  • Est-ce que j’aurai pu faire quelque chose ? (et SI…) : longue période de reproches sur ce qu’il a fait, ce qu’il n’a pas fait, ce qu’il n’a pas compris, ce qu’il n’a pas entendu.

Importance dans ce cadre de l’enquête judiciaire et de l’examen médico-légal qui permet de répondre à une question importante : est-ce que le suicidé à souffert ? et aux autres questions citées ci-dessus.

  • lpabilité d’être toujours vivant mais en dépression « J’ai tout pour être heureux ! ». Rappeler systématiquement que cette douleur est normale et que l’endeuillé ne doit pas en avoir honte.

ANXIETE : qu’un autre suicide n’arrive. Des mécanismes identificatoires au défunt peuvent aller jusqu’à l’envie de le retrouver dans la mort. Dans cette période, on relève une augmentation de la tentation de se suicider, élément qui semble être une particularité du deuil après un suicide. Attention quand l’endeuillé présente des antécédents psychiatriques où le suicide peut alors être perçu comme un acte de courage et peut être alors envié (cas de Steve).

SOULAGEMENT : lorsque le suicide vient clore une longue période de souffrance. Ce soulagement est difficilement exprimable et source de culpabilité. Là aussi, relever sa normalité.

Cette période peut être plus ou moins longue, voire s’étendre sur plusieurs années ; on parle alors de deuil compliqué.

Le deuil compliqué est caractérisé par une perturbation du travail de deuil qui ne s’engage pas ou qui ne parvient pas à son terme. Le sujet continue à éprouver plus d’un an après (pour une patiente, cette période s’est étendue à plus de 15 ans. Elle ne s’était jamais autorisée à exprimer sa peine empêchant alors le travail de deuil de se réaliser.) le décès d’intenses pensées intrusives, de violents assauts émotionnels, un sentiment de solitude et de vide excessif, un évitement disproportionné des activités rappelant le souvenir du décédé, des troubles du sommeil inhabituels, une perte importante d’intérêt pour les activités personnelles.

Peut également se mettre en place un deuil pathologique caractérisé par la survenue de troubles psychiatriques durant la période du deuil (dépression, troubles anxieux, troubles somatiques, suicide). Exemple d’une patiente qui à la suite du suicide de son frère s’est mise à fumer régulièrement du cannabis. Cette attitude à été interprétée par la patiente comme le signe qu’elle était malade psychiquement comme son frère (qui devait être bipolaire) et qu’elle allait également finir par se suicider.

hase 3 : phase de résolution

Le deuil après un suicide : prise en charge psychothérapeutique

Chaque prise en charge est unique ; elle entre autres dépend des liens qu’entretenaient le patient avec le défunt, de la date du suicide (récent ou ancien), de la présence ou non de manifestations psychiatriques (état maniaque, dépression,….).

L’écoute permet d’accueillir et de partager la peine du patient et ainsi de lui apporter un soulagement immédiat. Bien souvent, un sentiment de honte accompagne les endeuillés après un suicide, honte relative au geste du suicide. En effet, le suicide effraie et reste évidemment mal perçu par les vivants. Les proches des suicidés ont également honte de leurs sentiments, émotions accompagnant leur deuil, «je dois vous ennuyer à toujours dire la même chose ! » me disait un patient. On constate actuelle une tendance à marginaliser le mal être accompagnant tout travail de deuil. Aujourd’hui, on considère qu’un deuil doit être caché (on ne porte plus le deuil), la personne ne devant plus faire-part de sa tristesse, de son désarroi suite à cet événement. Ceci à pour conséquence une «pathologisation » du deuil ; de plus en plus de patients viennent consulter en psychiatrie parce qu’ils considèrent comme anormal, se perçoivent comme malade parce qu’ils sont tristes d’avoir perdu un être cher. Il apparaît nécessaire dans ce cadre de rassurer le patient sur son ressenti; ne pas l’écouter ne ferait que renforcer ce sentiment de honte. Notre travail consiste à lui apporter des réponses réconfortantes quant à ce qui se passe au niveau de son ressenti, de son comportement (CF attitudes d’identification au défunt, hallucinations…). Le fait d’expliquer au patient que les manifestations qu’il présente sont normales compte tenu du contexte lui procure un soulagement important.

La verbalisation autour des circonstances (lieu, moyen) de la mort permet d’entreprendre une compréhension, si elle est possible du geste suicidaire. D’après mon expérience clinique de la prise en charge de patient en deuil suite au suicide de l’un de leur proche, l’important est de permettre au patient de verbaliser ses émotions. Le plus difficile va être de faire s’atténuer le sentiment de culpabilité ; pour cela, il ne faut pas hésiter à évoquer avec le patient les circonstances précises du décès. L’écriture de lettres au disparu avec sa réponse permet au patient de se rendre compte du sentiment de culpabilité intense qui n’a pas lieu d’être. Ce travail peut également lui permettre symboliquement de dire adieu au défunt, de lui présenter ses excuses…

Le cadre psychothérapeutique permet:

  • mettre en lien manifestations psychiatriques et deuil (exemple des équivalents suicidaires comme la toxicomanie interprétés comme des mouvements identificatoires au défunt).
  • mettre à jour et d’expliquer l’ambivalence du patient (colère / soulagement par rapport au suicide) : être didactique : expliquer son origine, en quoi elle consiste, sa normalité.
  • mettre en garde le patient à ce qu’une préoccupation excessive pour autrui n’apparaisse pas. La motivation de cette préoccupation (souvent inconsciente) est la peur qu’un nouveau suicide ne survienne ou une attitude de réparation (empêcher que ne se produise ce qui s’est déjà produit auparavant).
  • moyen terme, de diriger le patient vers de nouveaux investissements.

Il apparaît important au cours de la psychothérapie d’engager un questionnement autour la mort : des questions concernant ce qu’il y a après la mort, sur le droit ou non de se donner la mort et par le conséquent, sur le fait ou non de pouvoir disposer librement de son propre corps vont fréquemment être soulevées. Cette étape de la psychothérapie est centrale. Elle permet à la personne de faire le point, peut être pour la première fois, sur sa philosophie de vie et de mort. En effet, la mort de l’autre nous renvoie à notre propre mort. Arriver à accepter la mort d’autrui c’est finalement accepter l’avènement de sa propre mort. Sachant cela, on amènera le patient à se questionner sur comment profiter au maximum du temps de vie qui lui est accordé : «qu’est ce que je désir dans la vie, qu’est ce qui est important pour moi, qu’est ce que je souhaite réaliser ? ». Finalement, accepter la mort d’autrui, ne serait-il pas un chemin permettant de devenir « plus » adulte, c’est à dire dépasser l’étape de la permanence de l’objet, étape au cours de laquelle nous avons besoin que la personne aimée soit physiquement, « charnellement » à nos cotés pour nous sentir heureux.

Conclusion

Le deuil après un suicide nous amène à nous poser diverses questions.

En premier lieu, Est-il judicieux et nécessaire pour l’entourage de voir le corps du défunt afin de faire "le travail de deuil" ? Même si cette étape peut permettre de «lever le déni » existant à priori autour du décès, l’image du corps du défunt, d’un cadavre reste néanmoins souvent traumatisante. C’est le cas d’une patiente qui a insisté pour voir le corps de son père mort malgré les réticences de l’équipe médico-légale. Son père était carbonisé et par le fait uniquement reconnaissable selon elle à sa moustache. Aujourd’hui, elle en garde une image traumatique quasi indélébile ; quand elle repense à son père, elle dit ne pouvoir le visualiser que de cette façon. Malgré tout, le médecin légiste ne peut s’opposer à la vue du corps du défunt par son entourage ; il ne peut que le déconseiller. Aller au funérarium ou à la chambre mortuaire (plutôt que de demander de voir le corps à la morgue) permet de dire adieu au défunt, de lui rendre hommage, de rompre le déni.

Le deuil nécessite-t-il nécessairement une prise en charge médico-psychologique et plus particulièrement le deuil faisant suite à un suicide ? Il semble important de pouvoir effectuer dans un premier temps un entretien, pouvant être réalisé collectivement, afin de proposer à l’entourage une aide psychologique à plus ou moins long terme, s’ils en ressentent la nécessité. Actuellement, les cellules dites de «crise » ne sont pas systématiquement mobilisées lors d’un suicide. Aucune proposition de soutient psychologique n’est faite à la famille dans les moments suivants le décès.

Quelle prise en charge proposer aux personnes demandeuses d’une aide psychologique ? Cette prise charge doit intervenir dans les semaines, voire les quelques mois suivants le décès afin d’éviter que des personnes ne manifestent leurs troubles des années après l’événement traumatiques. Une prise en charge dans l’immédiat ne peut être entreprise étant donné l’état de choc habituel dans lequel se situent les familles. Rappelons qu’il existe des associations telles que «vivre son deuil » permettant d’apporter une écoute et des temps de parole en groupe afin de rompre l’isolement dans lequel peut plonger un individu en deuil suite à un suicide. Elles permettent d’apporter une aide, notamment au moment des « dates anniversaire » où bien souvent les personnes se retrouvent dans une fragilité physique et psychologique.

En conclusion, la pris en charge des patients en deuil suite au suicide d’une personne de leur entourage proche nous engage dans une aventure interhumaine dont on ne connaît jamais le dénouement à l’avance.