Les ados, à la frontière du borderline ?

 

Les ados, à la frontière du borderline ?

Les ados, à la frontière du borderline ?

L’enfant teste les limites de ses parents, en voulant toujours plus. Plus tard, ce besoin franchit un cap, et pour certains ados, flirter avec les limites devient le seul moyen de se sentir exister. Explications avec Pierre G. Coslin, professeur de psychologie.

Préambule : le terme «borderline» désigne un trouble de la personnalité grave en psychiatrie. Cette maladie mentale se caractérise par une instabilité émotionnelle. Ici, dans cet article, « borderline » est simplement utilisé pour souligner la façon dont les ados se rapprochent des limites, des frontières qui leur sont imposées.

PsychoEnfants : Pourquoi les ados ont-ils besoin de sortir des cadres et de tester les limites ?

Pierre G. Coslin : Les rapports des enfants avec leurs parents sont hiérarchisés. À la puberté, les changements hormonaux entraînent des réactions en chaîne, bouleversent la morphologie, les repères familiaux et leur rapport à la société. En effet, les ados se sentant plus "capables", plus adultes, ils ne supportent plus cette hiérarchie. Pour moi, c’est une part "normale” de transgression

PE. : C’est-à-dire ?

P.G.C. : Si ce n’était pas le cas, les enfants resteraient des enfants, inféodés à leurs parents. La plupart du temps, la transgression débouche sur une transaction pour arriver à une solution plus acceptable pour les deux parties. Mais dans un cas sur sept, la transgression se manifeste autrement, par l’échec scolaire, l’alcool, ou les drogues douces…

PE. : Quelles limites cherchent-ils ? Les leurs ou celles de leurs parents ?

P.G.C. : Un peu des deux. Ils attendent en face d’eux une réaction. C’est pour cela que les parents ne doivent pas être une structure molle et impassible. En même temps, les adolescents sont en proie aux questions existentielles ("qui suis-je, d’où viens-je, où vais-je ?"). Certains pensent que ces réponses se trouvent dans les conduites dites “à risques” : alcool, vitesse, drogues… Ils se mettent en quête de nouveaux rites initiatiques de passage à l’âge adulte car les anciens sont de plus en plus gommés par la société actuelle : service militaire supprimé, bac en contrôle continu, la conduite accompagnée... Or, ces rites de passage avaient le mérite d’éprouver l’ado dans un cadre sécurisé.

PE. : Concernant le tabac, l’alcool ou les drogues n’est-ce pas la recherche de sensation de bien-être qui motive le passage à l’acte ?

P.G.C. : Pour certains jeunes comme pour certains adultes, l’objectif est de boire 2 ou 3 verres pour "se sentir bien”. Mais bien souvent la consommation est une relation toxicomaniaque. L’ado n’est pas ivre parce qu’il a un peu trop fait la fête, mais parce que faire la fête, c’est devenu rechercher l’état d’ébriété : chercher à sortir de soi, boire à outrance, sans plaisir.

PE. : D’où vient ce besoin d’aller aussi loin ?

P.G.C. : Ce qui dicte ce comportement est le besoin de compenser. Il ne faut pas négliger la pression que les ados subissent. Ils ont des angoisses liées à leur devenir, à leur difficulté d’insertion qu’on leur présente comme inéluctable, à la pression du système scolaire français axé sur la performance... Toutes ces contraintes font naître un sentiment d’exclusion sociale ou familiale. Les soirées “ défouloir ” où l’on fait n’importe quoi sont une bonne occasion de se délester de cette pression permanente…

PE. : Quelles sont les autres causes des conduites à risques ?

P.G.C. : Même s’il existe des causes sociales et familiales, il ne faut pas négliger le poids des pairs. Les ados se détachent progressivement de leurs parents, et se rapprochent de leurs alter ego, car il est plus facile de chercher qui l’on est à plusieurs que tout seul. Les pairs vont proposer des conduites initiatiques au sein du groupe. Cela peut également revêtir la forme d’une compétition, celui qui conduit le plus vite, prend le plus de risques, boit le plus... Les jeunes s’exécutent souvent par mimétisme, par crainte de décevoir l’entourage.

PE. : Comment les parents doivent-ils réagir, face à un ado qui dépasse les limites ?

P.G.C. : Tout d’abord, parler, verbaliser le problème, se faire aider par un tiers au besoin. Attention à ne pas se mettre dans une posture moralisatrice ou d’interdit total, sinon l’ado se fermera. En amont, proposer des repères explicités, afin de montrer une certaine stabilité. Il faut savoir se montrer cohérent au sein du couple et constant dans les décisions, sinon l’enfant jouera un parent contre l’autre et obtiendra ce qu’il voudra. Pourquoi respecterait-il des règles à l’école ou en société s’il ne les a pas apprises chez lui ?

PE. : L’apprentissage de la frustration peut-elle aider à refréner les pulsions ?

P.G.C. : Dans la petite enfance, la frustration est un élément important pour couper le lien fusionnel avec la mère. Par la suite, les ados sont déjà assez frustrés. En effet, ils désirent la liberté mais n’ont pas leur propre toit, éprouvent des envies mais n’ont pas les moyens de les réaliser… Les frustrer davantage en devenant trop restrictif peut générer de l’agressivité, voire des comportements risqués et transgressifs.

PE. : Face à un jeune "borderline", comment réagir ?

P.G.C. : Établir la confiance par la mise en place de règles à respecter, en expliquant que celles-ci ne sont pas là pour se suffire à elles-mêmes mais qu’elles sont établies pour lui et parce qu’on l’aime. Cela permet d’ancrer les pratiques éducatives dans le contrôle et la supervision, sans oublier le corollaire de la fonction parentale, l’attachement et la protection qu’il procure. Ainsi, l’ado sentira qu’il existe aux yeux de ses parents et que ces derniers ont un projet pour son avenir.

PE. : Les parents sont-ils les mieux placés pour prévenir les conduites à risques ?

P.G.C. : Pour ma part, je pense que les ados rejettent moins leurs parents que le rôle qu’ils incarnent. Dans la petite enfance, les premiers moments des relations d’attachement sont très importants. Il faut que l’enfant puisse compter sur une base solide. Par la suite, les parents doivent comprendre et accepter que leur enfant se désinvestisse momentanément d’eux. Mais cela ne veut pas dire que les parents doivent se désengager ou devenir très intrusifs. Au contraire, ils doivent rester une base de sécurité. Le rôle de cette base est d’établir des relations bilatérales bienveillantes entre parents et ados. Ainsi, si ce dernier a flirté avec les limites, il appellera plus volontiers ses parents plutôt que de craindre leurs foudres.

Article publié par le 22/10/2010

Sources : Psychoenfants

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Ces ados qui nous font peur

Pierre G. Coslin est professeur de psychologie de l’adolescent à l’université Paris Descartes, et directeur GERPA (Groupe d’Études et de recherches en psychologie de l’adolescent) au sein du LPCP (Laboratoire de psychologie clinique et de psychopathologie) de l’Institut de psychologie.

Il vient de publier Ces adolescents qui nous font peur aux éditions Armand Colin



29/05/2013
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