Les troubles apparentés aux TOC : connexion bipolaire ?

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Les troubles apparentés aux TOC : connexion bipolaire ?

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On commence à savoir (enfin, pour les psychiatres les plus formés) que les malades mentaux sont souvent multipathologie. Ca n'est pas à un bipolaire averti qu'on l'apprendra. Mais pour tous ceux qui sont encore en phase de recherche d'information, gageons que cet article sera extrêmement utile. Il le sera même pour nous tous, car il nous arrive de nous poser des questions comme :  telle conduite est-elle un TOC, peut-on parler d'addiction à internet ou au sexe comme on parle d'addiction à l'alcool ou à la cigarette ? 

Voici un très intéressant texte que nous reproduisons avec l'aimable autorisation du Centre de troubles de l'anxiété et de l'humeur et de son auteur, le docteur Elie Hantouche.

http://www.ctah.eu

 

 

Certains troubles ont en commun avec le TOC, l’intrusion, la répétition, l’absurdité, l’absence de plaisir, la lutte, les sentiments de honte et le besoin de dissimulation. C’est le cas pour l’anorexie mentale, la dysmorphophobie (obsession de l’apparence), l’hypocondrie, la kleptomanie, les achats compulsifs pathologiques, la trichotillomanie, le syndrome de Gilles de la Tourette (tics complexes),  la boulimie, le workaholisme (addiction au travail), le jeu pathologique, la pyromanie, les paraphilies ou conduites sexuelles compulsives (exhibitionnisme, fétichisme, frotteurisme, pédophilie, voyeurisme, transvestisme fétichiste…) et la personnalité borderline (état limite).

Prenons en détail deux exemples, le trouble dysmorphie corporelle et les addictions.

Trouble Dysmorphie Corporelle
Dans le spectre des troubles apparentés au TOC, le Trouble Dysmorphie Corporelle (en anglais « BDD ») est certainement le plus proche du TOC. Ce trouble est défini par des préoccupations répétitives et intenses concernant un défaut imaginaire de l’apparence physique qui sont responsables d’une souffrance cliniquement significative ou d’une altération du fonctionnement social, professionnel. Pour l’instant, on connaît peu de choses sur ce trouble. Les sujets qui en souffrent dissimulent cette souffrance autant que leur défaut physique. Une des caractéristiques du BDD est les rituels du camouflage et les achats excessifs de produits pour les soins corporels. Pour observer le BDD, il convient de recruter les patients dans les services de chirurgie plastique, de dermatologie, les instituts de beauté et les parapharmacies… Selon Katharina Phillips, l’experte internationale de ce sujet et auteur d’un ouvrage sublime, « Broken Mirror » (ou Miroir Brisé), le BDD est un trouble plus dépressogène et suicidaire que le TOC. C’est comme le TOC cyclothymique qui se démarque par rapport au TOC classique par plus de récurrence dépressive et un risque suicidaire plus élevé. Une autre différence se retrouve au niveau des phénomènes du doute qui sont moins évidents dans le BDD et remplacés par des idées surestimées et dans certains cas par des convictions sub-délirantes.

Julie, une jeune adolescente de 16 ans, est reconnue par son psychiatre comme étant obsessionnelle et dysmorphophobique, car obsédée par son apparence. Pour appuyer son diagnostic, le psychiatre retient le fait que Julie peut passer 5 heures par jour  ou plus pour se maquiller. Elle s’habille de manière provocante et se regarde trop. Curieusement, aucune mention d’Hystérie ! En fonction de ce diagnostic, le traitement instauré a été, comme il se doit, un ISRS, le Prozac®. Malgré les renseignements rapportés par la mère sur les nombreux cas de suicide dans la famille (arrière grand-mère, grand oncle, deux oncles maternels et une tante maternelle), la décision d’instaurer l’ISRS est maintenue. Juste après quelques prises de l’ISRS, Julie fait une tentative de suicide. La mère a signalé cette tentative, mais le psychiatre décide d’augmenter les doses en argumentant que la dose initiale était faible. Il a finalement changé l’ISRS par un autre, réputé être plus sédatif. Julie est encore plus provocante que d’habitude. Dans son histoire, on retrouve une enfant décrite par la mère comme « une nature plutôt triste et hyperémotive » (deux critères de cyclothymie). La mère indique qu’elle-même est totalement hyperémotive, à fleur de peau. Julie a tendance à tomber très facilement amoureuse (autre critère de cyclothymie). Vu la résistance au traitement ambulatoire, le psychiatre propose à la famille d’envoyer Julie dans un centre, spécialisé dans la prise en charge de l’anorexie mentale. Quelle incohérence ? En attendant, elle est toujours sous antidépresseur sans aucune couverture de stabilisateur de l’humeur. La mère est convaincue que sa fille est bipolaire. Elle admet le diagnostic de cyclothymie et cherche désespérément un expert dans sa ville pour sauver sa fille.
Voilà un autre cas dont le destin s’annonce d’emblée assez hasardeux, en l’absence de diagnostic correct et d’un traitement potentiellement inducteur de complications, une tentative de suicide suite à quelques prises d’un ISRS et l’aggravation de l’irritabilité avec un autre ISRS. Dans mon expérience clinique, la majorité des cas de TOC avec BDD se révèlent de nature cyclothymique.


TOC et Addictions : quelles similitudes ?

L’addiction vient du vieux Français signifiant « contrainte par corps ». Elle reste pour l’instant une entité mal définie bien qu’elle regroupe un ensemble de troubles et de conduites divers dont l’unité clinique se caractérise par une évolution du désir vers le besoin compulsif, de l’usage vers le « mésusage » et la perte de contrôle. L’addiction rime ainsi avec abus et dépendance. Actuellement, l’entité « addiction » concerne autant les addictions chimiques impliquant l’abus de substance psycho-active, alcool et autres, et les addictions comportementales ou « sans drogue ».

Parmi celles ci on trouve  :
- le jeu , « Trouble Jeu Pathologique »,
- les achats, « Trouble Achats Compulsifs »
- la nourriture « Boulimie » et « Frénésies Alimentaires »,
- la sexualité « Paraphilies » qui incluent les conduites sexuelles compulsives ainsi que les conduites déviantes comme la pédophilie, le voyeurisme, le fétichisme et l’exhibitionnisme,
- le travail, « Workaholisme »
- le corps, « trichotillomanie » ou arrachage compulsif des cheveux, « onychophagie » ou rongement compulsif des ongles, grattage compulsif du corps…
- récemment l’Internet, les « Web Addicts ».

Classiquement on approchait les addictions comme des équivalents dépressifs. Tout processus de régulation de l’estime de soi induit un phénomène addictif (compulsions sexuelles, jeu pathologique, dépenses excessives, exercices physiques…). Dans les addictions physiologiques, on retrouve la dimension du plaisir, tandis que dans la dépression, les addictions pathologiques représentent une lutte permanente contre la douleur psychique et la tristesse, une sorte de besoin obsédant de se déconnecter du vécu dépressif douloureux. Dans ce sens, les addictions se caractérisent plutôt par un aspect obsédant et une contrainte compulsive. Ainsi dans la définition moderne de l’addiction, on s’intéresse aux aspects psychologiques, notamment le « craving » ou désir compulsif et incontrôlable d’une substance ou d’un comportement. Donc, les dimensions de contrainte, du besoin irrésistible et compulsif et de perte de contrôle (impulsivité) sont à la base de l’addiction. Ces dimensions persistent même dans les phases d’abstinence prolongée et sont désignés comme un facteur principal de vulnérabilité aux rechutes.
Les phénomènes d’attirance vers une substance ou un comportement sont souvent couplés alternativement ou simultanément à des phénomènes de répulsion et d’évitement compulsifs. Ainsi, beaucoup de sujets victimes des addictions vont être en abstinence « apparente » chronique mais avec un état dysphorique persistant avec un niveau élevé de résistance et de lutte anxieuse contre la rechute. Là se pose un piège : considérer le « craving » comme un TOC ou une dysphorie chronique sans rechercher une connexion bipolaire associée aux addictions. En effet, le mélange de contrainte et d’impulsivité évoque la cyclothymie et les dépressions mixtes. Des études récentes consacrées aux addictions chimiques et « sans drogue » suggèrent leur appartenance au spectre bipolaire. Cette nouvelle approche des addictions est importante, car elle transforme radicalement les critères de jugement des traitements des addictions.
Certaines addictions comportementales (sans drogue), comme le jeu pathologique, la boulimie, la trichotillomanie, la kleptomanie, les achats compulsifs, montrent des similitudes avec les phénomènes Obesionnels compulsifs (contrainte compulsive) et bipolaires (colère impulsive et prise de risque). Parmi ces addictions, la boulimie est sans doute la plus connue.

Le regroupement  des troubles en super-familles


La tendance actuelle va vers la classification spectrale des troubles, comme si on rangeait différentes catégories diagnostiques dans des super-familles ou méga-familles. Par exemple, en ce qui concerne les troubles connectés à la dépression et à un dysfonctionnement de l’activité de la sérotonine, le regroupement spectral peut se faire selon deux pôles :

- un pôle marqué par un « excès de sérotonine » et corrélé à la dominance de la compulsivité avec un vécu de contrainte, un niveau élevé de résistance, un évitement régulier du risque, une minimisation de la menace, et trop de conventionalité. Dans ce pôle, on peut ranger l’anorexie mentale, l’hypocondrie et la dysmorphophobie

- un autre pôle lié au « déficit en sérotonine » avec dominance de l’impulsivité, la recherche permanente de l’action, la prise de risque et l’expérience du plaisir et des sensations fortes. Dans ce pôle, on peut inclure la personnalité borderline, les paraphilies, le jeu pathologique et la pyromanie

- un groupe intermédiaire regroupant la boulimie, la kleptomanie, les achats pathologiques, le syndrome de Gilles de la Tourette, la trichotillomanie…

Dans les deux dimensions compulsives et impulsives, on retrouve quand même en commun : les sensations d’urgence, le sens de non contrôle, l’hostilité et l’inadaptation du comportement par rapport au contexte. Cependant ce spectre à double polarité « impulsive – compulsive » reste quand même incomplet si l’on ne tient pas compte de la double polarité thymique (tableau).

  Pôle Compulsif
Intermédiaire
ou Mixte
Pôle Impulsif
Phénoménologie
- Soucis obsédantes
- Évitement du risque
- Résistance / lutte
- Compulsions
- Non-contrôlabilité
- Expérience du plaisir

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Troubles caractérisés

TOC, AM, HYP BDD, KLP, ACP, TRC, SGT,
BOL, WAL
JP, PYR, PAR, PBL
Polarité thymique Dépressive Mixte Maniaque
Neurobiologie Sérotonine GABA, Dopamine, Sérotonine GABA, Dopamine, Sérotonine
Traitement principal ISRS (±TR) ISRS (±TR) TR (±ISRS, NL)

TOC : trouble obsessionnel-compulsif ; AM = Anorexie mentale ; HYP : hypocondrie ;BDD : dysmorphophobie ;  KLP ; kleptomanie ; ACP : achats compulsifs pathologiques ; TRC : trichotillomanie ; SGT : syndrome de Gilles de la Tourette ; BOL : boulimie ; WAL : workaholisme ; JP : jeu pathologique ; PYR : pyromanie ; PAR : paraphilies ; PBL : personnalité borderline.
ISRS = Inhibiteur Sélectif de Recpature de Sérotonine ; TR = Thymorégulateur ; NL = Neuroleptiques

Référence
Hantouche E "Troubles Bipolaires, Obsessions et Compulsions", Odile Jacob, 2006

Avec l'aimable autorisation du ctah

 


Pour discuter autour de cette publication, rendez-vous dans le forum consacré aux troubles annexes Wink

Mariepaname, administratrice



12/04/2013
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