Qui connaît “quelqu'un” ?

 

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Qui connaît “quelqu'un” ?

David Foenkinos

David Foenkinos

David Foenkinos est écrivain. Dernier ouvrage paru : La Délicatesse (Gallimard, 2009).

Il y a quelques jours, une amie est venue m’annoncer avec une mine désolée : « En ce moment, je vois quelqu’un. » Aussitôt, je lui ai répondu : « Ben oui, moi aussi, je vois quelqu’un : toi. Puisque tu es en face de moi ! » Que n’étais-je pas premier degré… Elle reprit alors : « Mais non… Je veux dire, je vois un psy. »

Pourquoi dit-on toujours « quelqu’un » pour dire un psy ? Est-ce que les psys mettent « quelqu’un » sur leur carte de visite ? Moi, je n’aimerais pas que l’on dise « quelqu’un » pour dire écrivain. C’est comme ça : psy est la seule profession dont le nom, tout comme une combinaison secrète, une messe basse, un chuchotement, est remplacé par une périphrase qui la plonge dans l’anonymat. Tout me semble assez logique finalement : chez le psy, il faut payer en liquide (pour ne pas laisser de trace), les patients ne doivent surtout pas se croiser (pour ne pas devenir des témoins de l’angoisse des autres), alors tout ça est dans la lignée de l’appellation ultradiscrète. On est d’ailleurs dans une entreprise de l’inconscient (chut…), avec des traumatismes non visibles à l’oeil. Le métier de ce quelqu’un est de plonger dans notre invisible et d’en rapporter quelque chose à la surface du visible. À quand un mot de passe à l’entrée de leur cabinet ?

L’origine du quelqu’un vient peut-être de cette nécessité obsolète de la discrétion. De nos jours, il n’y a plus rien d’inavouable à consulter un psy (ce serait même devenu la norme). On devrait donc employer le quelqu’un pour une autre profession. Pourquoi ne l’utilisons-nous pas pour proctologue ? Après tout, c’est nettement plus gênant. On pourrait dire avec un air vraiment gêné, cette fois : « Je vois quelqu’un. » L’interlocuteur compatirait : « Ah mince… Tu vois quelqu’un… Bon courage. » Là, ça aurait plus de sens, non ? Ou alors : chacun pourrait décider de son quelqu’un ! Oui, ça, c’est bien !

Mon quelqu’un pourrait être… le boucher : « Attends chérie, je reviens, je vais acheter de la viande chez quelqu’un. » Voilà, c’est décidé. Mon quelqu’un, c’est le boucher. Je suis sûr que ça lui ferait chaud au coeur, à mon boucher, de devenir subitement quelqu’un. Après tout, quelqu’un, ce n’est pas n’importe qui. Et pourquoi ne pas décliner le concept ?

On pourrait convenir que « quelque part », ça veut dire la Suisse. Et même, si je veux, la Suisse du sud. Et que « quelque chose » n’est autre qu’une infusion bio au caramel. Ainsi, quand je serai avec quelqu’un, quelque part, et qu’il me demandera : « Tu veux boire quelque chose ? », ça voudra dire que je suis en train de partager une infusion bio au caramel avec mon boucheren Suisse du sud. Bon, c’est sûr, cette situation paraît peu probable. Et si je commençais à dire ce genre de phrases, je suis certain que mon entourage s’inquiéterait, et m’encouragerait à aller voir… quelqu’un. Et là, bien sûr, je répondrais : « Ah non, je préfère manger du poisson aujourd’hui! »

mars 2010

 



04/06/2013
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