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Marcel Rufo, pédopsychiatre : « Toute vérité n’est pas bonne à dire aux enfants » |
Voilà un psy qui n’hésite pas à bousculer le sacro-saint cadre thérapeutique. Il vient de publier “œdipe toi-même !” L’occasion d’évoquer avec lui quand, comment et pourquoi emmener son enfant consulter. |
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Pascale Senk |
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emander à un parent s’il a désiré son enfant, c’est inadmissible ! » Le ton est donné. Dans “Œdipe toi-même !”, le livre qu’il vient de publier (Anne Carrière), Marcel Rufo ouvre la porte de son cabinet de pédopsychiatre. Au fil des dialogues avec ses petits patients, il prouve son attachement à la psychanalyse mais n’hésite pas à y apporter sa touche personnelle. Au passage, il dénonce certains abus de ses pairs, critique la fameuse « neutralité bienveillante » et affirme qu’un secret de famille n’a pas à être révélé. | |
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Psychologies : Votre consultation est pleine jusqu’à la fin 2001. Pensez-vous qu’aujourd’hui on oriente trop rapidement les enfants chez le psy ?
Marcel Rufo : L’année dernière, sur dix mille consultations dans le service, près de 75 % étaient sur demande spontanée des parents, et deux pères sur trois étaient présents. Ces chiffres sont tout à fait révélateurs : le pédopsychiatre, en s’intéressant avant tout au développement de l’enfant, est devenu l’allié des parents. Ils le « consomment » comme un médecin généraliste capable de délivrer une sorte de vaccin psychologique. D’ailleurs, une consultation, ça ne peut pas faire de mal. J’encourage donc les parents à consulter dès qu’ils ont un doute sur l’évolution de leur enfant. | |
Psychologies : Mais qu’est-ce qui peut justifier l’entrée en psychothérapie d’un enfant ?
Marcel Rufo : Par exemple, on m’en amène beaucoup parce qu’ils ont « des peurs ». Or la peur est une émotion tout à fait normale. Winnicott rappelait qu’« un enfant saisi sous un gros orage, la nuit, dans les rues de Londres, et qui n’aurait pas peur, n’est pas un enfant sain ». On doit donc détecter si la peur du petit est un phénomène isolé, ou bien la partie émergée d’un doute profond quant à l’estime de soi, une souffrance non exprimée par rapport à une grande sœur qui réussit mieux que lui à l’école, etc. Un trouble, s’il est isolé, n’a rien d’alarmant. En revanche, s’il vient s’ajouter à d’autres signes, il y a intérêt à consulter. Prenons l’exemple d’un bébé de 15 mois qui ne marche pas encore. Si, en plus, il a du mal à saisir les objets ou à mordre sa tétine, on parlera d’un faisceau de signes qui justifient une consultation. De même pour un enfant de 7 ans qui parle mal, a une phobie scolaire et se montre très agressif. Mon rôle est alors de comprendre la signification de ces symptômes. | |
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Psychologies : Est-ce que, dans le cadre de cette “enquête”, les parents sont indispensables ?
Marcel Rufo : Bien évidemment. Ce sont mes alliés les plus proches, parce qu’un enfant est aussi sa famille. Il peut même m’arriver de faire entrer dans mon cabinet la grand-mère ou la voisine qui ont accompagné le petit patient à sa première consultation… Il est important que, dès cet instant, celui-ci sente une forte alliance entre les adultes qui s’occupent de lui. Je commence toujours la première séance par un entretien collectif, puis je reste seul avec l’enfant, pour rectifier avec lui ou appuyer ce qui s’est dit devant ses parents. Règles incontournables : confidentialité et respect des parents, même s’ils ne sont pas dans la pièce. Critiquer les parents, plaindre l’enfant, ce n’est pas le rôle du thérapeute. | |
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Psychologies : Voulez-vous dire que certains professionnels ont eu tendance à “charger” les parents ?
Marcel Rufo : Je trouve inadmissible que l’on puisse poser à des parents des questions aussi insidieuses que « Est-ce que vous avez désiré cet enfant ? » ou « Etiez-vous dépressive pendant la grossesse ? » Depuis 1965, j’observe qu’il y a eu des abus en ce sens. Je crois, comme mes maîtres Winnicott ou Leibovici, que le bébé arrive au monde avec son propre degré de narcissisme. Certains en sont bien pourvus, d’autres moins. Ce qui compte pour leur développement à tous, c’est l’« accordage » qui va s’instaurer entre leurs parents et eux. Il y a même des bébés très compétents, ayant des mères plutôt malhabiles dans leur maternage, qui parviennent peu à peu à rendre celles-ci très efficaces. Les problèmes surgissent quand une mère effondrée s’occupe d’un bébé plutôt fragile. Dans ce cas, c’est leur lien qui doit être traité. | |
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Psychologies : Comment se déroule une psychothérapie d’enfant ?
Marcel Rufo : Il n’y a pas de règle établie d’avance. Que du « sur mesure ». Mon livre reflète cette diversité : pour Elsa, bébé de 3 mois qui souffrait de coliques idiopathiques, il a fallu cinq séances de deux heures avec sa maman ; pour Camille, petit garçon de 5 ans qui « voulait être une fille », un an de psychothérapie avec des séances d’échange verbal – dites classiques – mais aussi du dessin, et même des bagarres dans le noir, ont été nécessaires ! Face à un enfant qui refuse de parler, je me retrouve à jouer. Je peux aussi l’orienter vers d’autres médiations, qui vont s’ajouter à la thérapie par la parole : la relaxation, le sport, la danse pour les anorexiques ! Il y a des prises en charge qui semblent interminables. D’autres, au contraire, s’avèrent très courtes. Ce sont les « consultations thérapeutiques » : l’enfant souffre d’énurésie et, dès la première séance, le symptôme disparaît. Mais je me méfie de ces séances miraculeuses. On doit faire attention à ne pas être des destructeurs de symptômes, car on court alors le risque d’un « déplacement » : l’enfant arrête de faire pipi au lit mais devient très agressif, par exemple. Il faut donc se méfier des guérisons trop rapides, les guérisons « magiques », et tenir compte de la modification du symptôme. | |
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Psychologies : Pourtant, on a vu des enfants guérir “miraculeusement” après qu’on leur a révélé leurs origines, un secret de famille…
Marcel Rufo : Toute vérité n’est pas bonne à dire. Et notamment quand les relations de l’enfant avec ses parents sont satisfaisantes. A quoi cela servirait-il de lui dire : « Tu es né d’un viol » ? Plutôt que de répéter aux parents qu’il faut toujours dire toute la vérité aux enfants sur leurs origines, il vaudrait mieux leur demander s’ils sont prêts à le faire et s’ils sont conscients de ce que la révélation de cette vérité peut entraîner comme conséquences sur le développement de l’enfant. Bien sûr, la psychologie est consciente des dommages du passé. Je m’en informe systématiquement et je trace à grands traits l’histoire de l’enfant. Mais dans un but précis : recréer un dynamisme ludique, et repérer chez cet enfant ce qui va lui être utile pour aller vers l’avenir. Car ce qui m’importe avant tout, c’est son avenir. | |
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MARCHE : Quel psy leur choisir ?
Aujourd’hui, plusieurs types de professionnels sont aptes à la prise en charge psychologique des enfants.
Le pédopsychiatre : psychiatre spécialisé dans les troubles psychiques de l’enfant, il est le seul, en tant que médecin, à pouvoir prescrire des médicaments.
Le psychologue clinicien : titulaire d’un DESS en psychologie, il peut choisir de s’occuper plus particulièrement du suivi psychologique d’enfants, à partir de tests et d’entretiens.
Le psychanalyste : son statut lui est attribué à la suite de sa propre psychanalyse approfondie. Si le suivi thérapeutique des enfants n’entre pas dans leur formation, les psychanalystes peuvent se spécialiser dans l’exploration de leur inconscient.
Le psychothérapeute : beaucoup de psychologues, de pédopsychiatres et de psychanalystes sont aussi psychothérapeutes, dans la mesure où ils utilisent avec l’enfant l’une des 400 méthodes existantes (thérapie familiale, relaxation, art-thérapie, etc.). Le statut étant en cours de réglementation, toute personne pratiquant ou enseignant une psychothérapie peut aujourd’hui se dire psychothérapeute. | |
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Pascale Senk novembre 2000 |
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