TROUBLE BIPOLAIRE ET COMORBIDITE

 

TROUBLE BIPOLAIRE ET COMORBIDITE

Aujourd’hui nous pouvons affirmer que la maladie du trouble bipolaire s’accompagne d’une importante comorbidité. C'est-à-dire qu’elle est souvent associée à d’autres troubles. Cette association peut changer l’expression de la maladie et peut affecter son pronostic et la réponse au traitement.

Une étude récente du réseau collaboratif de la Stanley Foundation, publiée en 2001, a examiné, aux États-Unis, la comorbidité des pathologies survenant au cours de la maladie bipolaire, chez des patients ambulatoires. Celle-ci révèle que 65 % des patients présenteront au moins une autre affection psychiatrique, 42 % deux affections et 24 % trois affections au cours de leur vie. Dans cette même étude, 33 % des patients présentaient une affection concourante actuelle, 13 % deux affections et 6 % trois affections comorbides simultanées (1). Les pathologies les plus fréquemment retrouvées sont : les troubles anxieux (42 % dans leur ensemble), l’abus de substances (42 % dans leur ensemble), en particulier l’alcool (33 %), la marijuana (16 %), l’abus de cocaïne et de stimulants (9 %) et les sédatifs (8 %) ; enfin, les troubles des conduites alimentaires (6 %), en particulier la boulimie. La comorbidité dans le trouble bipolaire ne différait pas sensiblement entre les formes bipolaires I et bipolaire II

Il est  essentiel de dépister cette comorbidité et de la traiter conjointement au trouble bipolaire.


ABUS DE SUBSTANCE

Cette comorbidité est l’une des plus courante et aussi l’une des plus inquiétante.

En effet les conduites addictives peuvent induire la plupart des symptômes psychiatriques : Les patients alcoolodépendants avec répercussions organiques et sociales présentent souvent des éléments dépressifs : humeur dépressive, dévalorisation (congruents à la situation), anhédonie, modification de l’appétit et du poids, troubles du sommeil (réveil matinal précoce), anergie, troubles cognitifs, gestes suicidaires souvent impulsifs. Il est donc possible de retrouver un tableau dépressif du simple fait de l’intoxication alcoolique chronique.

Au contraire la prise de cocaïne  entraîne une mégalomanie, une réduction du sommeil, une logorrhée, une tachypsychie, une désinhibition sociale pouvant faire évoquer un épisode hypomaniaque ou maniaque.

La dépendance à l’alcool reste néanmoins la prévalence des personnes souffrant de trouble bipolaire. Kraepelin l’avait déjà signalée et décrite en 1921.

→Dans la grande étude naturaliste de Zurich, les patients bipolaires II présentent, par rapport aux sujets contrôles, des consommations clairement supérieures de tabac (48,7 % contre 33,9 %), d’alcool (23,1 % contre 7,6 %) et de cannabis (19,7 % contre 7,8 %) (2). Ainsi, simplement par les chiffres de prévalences, cette comorbidité représente un énorme problème de santé publique. Il faut signaler que les femmes atteintes de trouble bipolaire ont beaucoup plus de risques que les hommes, comparativement à la population générale de présenter une surconsommation d’alcool.

Ces données devraient conduire à rechercher systématiquement un trouble bipolaire chez une femme présentant un abus ou une dépendance à l’alcool (3).
Lorsque bipolarité et alcoolisme sont associés il y’ a davantage d’épisode de manie, de cycle rapide, de suicide, de résistance aux traitements. Le temps de rémission est beaucoup plus long.

L’alliance entre l’alcoolisme et la bipolarité reste encore discuté quant à savoir si l’alcoolisme est secondaire aux troubles bipolaires ou s’il s’agit d’une comorbidité partageant des facteurs étiologiques éventuellement communs. Les deux propositions s’appuient sur des arguments cliniques et neurobiologiques pertinents. Par contre, d’un point de vue thérapeutique, l’existence de cette comorbidité alcoolique et bipolaire a d’importantes implications et il est important de proposer une prise en charge intégrative du point de vue diagnostique et thérapeutique et permettant d’obtenir un sevrage et une abstinence dans un premier temps, avant de réévaluer la symptomatologie thymique, après une période d’une quinzaine de jours, puis de débuter les traitements thymorégulateurs (4).

Les cycles rapides et les états mixtes, plus fréquents lors d’abus de substances, seraient des facteurs de résistance à la lithiothérapie. De plus, le lithium n’est pas efficace dans l’alcoolisme simple. Les sels de lithium ne sont donc pas dans ce cas le traitement de premier choix. Les anticonvulsivants semblent être en revanche le traitement de première intention car ils sont plus efficaces sur les cycles rapides, les états mixtes et le syndrome de sevrage alcoolique.
Le valproate de sodium agirait sur la prévention des rechutes alcooliques (5, 6, 7).

Le trouble bipolaire peut être associé aussi à la consommation ou à la dépendance d’autres toxiques (notamment cannabis) et de la même façon les soins doivent intégrer le traitement du trouble de l’humeur et la prise en charge de la  toxicomanie.


TROUBLES ALIMENTAIRES

Les répétitions importantes des troubles de l’humeur, chez les personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire (TCA), ont été largement débattues dans la littérature quant à son importance et sa signification (8 ). Néanmoins la fréquence de cette comorbidité est variable d’une étude à l’autre.

La prévalence vie entière d’« au moins un trouble de l’humeur » varie dans la littérature de 24,1 % (35) à 90 % (53) chez les sujets souffrant de boulimie, et de 31 % (63) à 88,9 % (25) chez ceux souffrant d’anorexie mentale. En 1982 Eckert et al. avaient constaté un fait encore d’actualité : « la comparaison des études rapportant la présence de dépression chez les anorexiques est difficile à cause des différences aussi bien dans les méthodes d’évaluation de la symptomatologie dépressive que dans les critères diagnostiques » (9).

De plus, peu d’études ont inclus des groupes témoins.
→les troubles de l’humeur sont l’un des troubles psychiatriques les plus fréquents chez les femmes – 23,9 % (59) – il est difficile de dire si les troubles de l’humeur sont plus fréquents parmi celles souffrant de troubles du comportement alimentaire essentiellement la boulimie et le trouble bipolaire de type II.

→Dans l’étude de McElroy et al., les troubles du comportement alimentaire représentent 6 % (prévalence sur la vie entière), la boulimie intervenant pour 4 % et l’anorexie pour 2 % respectivement (10).

→La comorbidité du Binge Eating Disorder (BED) et de la maladie bipolaire n’a encore été que peu étudiée mais la prévalence du BED  serait 7 à 8 fois supérieure dans le trouble bipolaire à celle observée en population générale. Il faut souligner que le BED précède souvent dans sa survenue le trouble bipolaire. Ces comportements pourraient être en rapport avec une automodulation de l’humeur, les compulsions alimentaires agissant comme un mécanisme compensateur par l’intermédiaire de l’action des hydrates de carbone sur le système sérotoninergique.

→Le trouble dépressif majeur apparaît, dans tous les types d’études (population clinique, études de devenir, population générale) (11, 12, 13), significativement plus fréquent chez les anorexiques que parmi les sujets témoins. Néanmoins, l’explication de cette comorbidité, elle, reste très compliquée. Ainsi sait-on par exemple que la dénutrition (14, 15) cause des symptômes dépressifs. Or, la plupart des patients examinés dans les études cliniques sont extrêmement dénutris, et on peut donc penser que nombre de symptômes dépressifs chez ces personnes sont causés par la dénutrition. Il existe classiquement une corrélation entre la sévérité du trouble du comportement alimentaire et la sévérité de la dépression (16). 

Les liens entre trouble bipolaire et trouble du comportement alimentaire sont toujours à explorer, car les études menées sur des groupes de trouble du  comportement alimentaire sont peu en faveur d’une surreprésentation des troubles bipolaires, mais les patients souffrant de trouble bipolaire ont une prévalence de trouble du comportement alimentaire évaluée à 6 % (17), ce qui est plus élevé qu’en population générale.

→Dans une étude dimensionnelle sur la dépression, il a été prouvé que, parmi les personnes souffrant de trouble du comportement alimentaire, les plus jeunes tendaient à être les moins déprimés (18 ). Il serait judicieux de faire de nouvelles études avec des échantillons témoins appariés sur l’âge, pour savoir si les sujets souffrant de trouble du comportement alimentaire présentent un risque accru pour les troubles de l’humeur en comparaison avec des sujets du même âge.

Il est dure de savoir si la chronologie relative d’apparition entre les troubles de l’humeur et les troubles de comportement alimentaire est seulement liée à l’évolution normale de chacun des 2 troubles ou si la survenue d’un trouble de l’humeur peut contribuer a expliquer un développement du trouble de comportement alimentaire.

Il serait bon de faire d’autres études, celles-ci devraient considérés séparément les personnes issues de populations diverses : population générale, population suivie en ambulatoire, population hospitalière et études de devenir. Elles devront aussi inclure des groupes témoins appariés, au moins pour le sexe et l’âge et évaluer la prévalence de tous les troubles de l’humeur individuellement, afin de distinguer si un type de trouble de l’humeur est plus spécifiquement lié au trouble du  comportement alimentaire.



TROUBLES ANXIEUX

20% des personnes souffrant de trouble bipolaire présentent au cours de leur vie une forme de trouble anxieux 13 à 23% des personnes souffrant de trouble panique sont bipolaires

Trouble panique

13 à 23% des personnes souffrant de trouble panique sont bipolaires

Les patients bipolaires souffrant d’un trouble panique comorbide présentent un tableau clinique plus sévère, ont plus d’antécédents d’épisodes dépressifs, nécessitent plus de temps pour atteindre la rémission clinique et ont une réponse moins favorable au traitement ; ils sont donc plus difficiles à traiter (19, 20).

→Une étude récente, portant sur plus de 8 000 personnes, âgées de 15 à 24 ans suggère que la co-occurrence d’un trouble bipolaire avec des attaques de panique ou un trouble panique s’accompagne d’un age d’entrée plus précoce dans la maladie bipolaire et d’une symptomatologie anxieuse plus sévère (21).

L’association entre trouble panique et trouble bipolaire est claire chez l’adulte. Elle reste plus confuse  chez l’enfant et l’adolescent.

→Selon certaines études, conduites en population générale, des collégiens présentant une quelconque forme de trouble anxieux ont 7 fois plus de risques que les collégiens indemnes de troubles anxieux, de développer précocement un trouble bipolaire à l’âge adulte.
De tous les troubles psychiatriques, c’est le trouble panique qui présente le risque co-morbide le plus élevé avec le trouble bipolaire : 19 %, alors qu’il est de 5,4 % pour les autres troubles anxieux et de 7,1 % pour les autres pathologies non anxieuses (22).

Trouble obsessionnel compulsif (toc)

Il est fréquent chez les personnes souffrant de trouble bipolaire.
La co-occurence d’un toc, au cours d’un trouble bipolaire est plus fréquente dans le trouble bipolaire de type II.
Elle semble liée à un taux de tentative de suicide plus élevée.
Le toc est  plus fréquemment observé au cours des épisodes dépressifs que maniaques.

Chez l’enfant, en revanche, le toc surviendrait de façon équivalente dans les formes bipolaire de type I ou II.
→Une enquête, faite en France chez des personnes souffrant de toc, adhérentes ou non de l’AFTOC, (Association Française de personnes souffrant de Trouble Obsessionnels et Compulsifs ) retrouve une co-morbidité de 11 % à 15 % avec le trouble bipolaire, avec une prédominance de la forme bipolaire de type II.

Les traitements antidépresseurs étant également largement prescrits dans le toc, plus de 30 % des répondants signalaient avoir présenté un épisode hypomaniaque ou maniaque sous traitement antidépresseur (23), ce qui requiert  une surveillance clinique attentive.



COMORBIDITE SOMATIQUE

Surpoids et obésité

Le surpoids (déterminé par l’indice de masse corporelle, IMC supérieur à 25) touche 58% des patients bipolaires.
L’IMC est défini par le rapport du poids exprimé en kg et de la taille exprimée en mètre et portée au carré : IMC = Poids (kg)/taille (m) au carré

Différentes possibilités ont été évoquées : l’implication des médicaments thymorégulateurs et plus particulièrement les antipsychotiques.

Le lithium peut occasionner aussi un gain de poids important pouvant aller jusqu’à l’obésité.

La prise de poids est plus fréquente chez les femmes et chez les personnes souffrant déjà de surpoids.

La prise de poids est à surveiller car beaucoup de personne arrête le traitement à cause de cela surtout lors de long traitement.
De plus le surpoids est à lui tout seul une source de problème. Il peut entraîner des risques tel que : diabète non insulino-requérant, affection cardio-vasculaire, rhumatismale, hypertriglycéridémie, ..

Il faut donc prévenir ce trouble ou ajuster et modifier le traitement lorsque la prise de poids est déjà installée. Des conseils diététiques sont aussi à fournir aux patients dès le début du traitement.
La surveillance du poids doit devenir machinale et routinier


Diabète et affections endocriniennes

→Certaines études conduites chez les patients bipolaires hospitalisés estiment la prévalence du diabète de type II chez les patients souffrant de troubles bipolaires à près de 10 %, alors qu’elle n’est que de 3 à 4 % dans la population générale.


Cette comorbidité plus élevée du diabète de type II chez les personnes souffrant de troubles bipolaires.
Cela a des répercussions sur l’évolution de la maladie bipolaire : chronicité plus importante, plus grande fréquence des cycles rapides, durées d’hospitalisations prolongées (24).

Les liens vraisemblable entre ces deux groupes d’affections pourraient être le traitement, le mode de vie, les altérations de transduction du signal et une probable corrélation génétique.

En ce qui concerne les affections endocriniennes, des épisodes maniaques ou dépressifs récurrents ont été décrits depuis longtemps dans certaines pathologies, hyperthyroïdie en particulier.

Ils déclinent normalement sous traitement, mais des rechutes surviennent à l’arrêt de celui-ci. Quelques cas de troubles bipolaires à  début tardif, attribués à l’hyperthyroïdisme ont été décrits et soulèvent la question de l’existence antérieure d’oscillations thymiques infracliniques augmentées par les hormones thyroïdiennes.

En outre, des anomalies thyroïdiennes sont décrites au cours des lithothérapies chez les patients bipolaires : leur fréquence est estimée entre 5 et 35 % des sujets traités. Ces troubles thyroïdiens justifient le dosage annuel de la TSH ultrasensible chez les personnes traitées par le lithium. Des troubles typiques de type accès maniaque ou dépressif ont également été décrits au cours des syndromes de Cushing, de la maladie d’Addison et des dysfonctionnements parathyroïdiens.


Maladie cardio-vasculaire

Les maladies cardio-vasculaires sont elles aussi plus fréquentes chez les bipolaires et cela peut être mis en relation avec le risque relativement plus grand chez ces patients de développer diabète et surpoids, de présenter un trouble anxieux ou de mal respecter les règles d’hygiène de vie (consommation d’alcool notamment)

La comorbidité psychiatrique modifie l’expression et le cours évolutif du trouble  bipolaire.

Les patients souffrant d’une affection comorbide présentent les premiers symptômes affectifs plus jeunes, entrent dans la maladie bipolaire plus précocement, présenteraient également des formes cliniques à cycles rapides et des épisodes plus sévères au cours de l’évolution de la maladie, des séjours plus longs à l’hôpital et des taux de rémission réduits.

Ces personnes ont de plus des difficultés dans leurs activités professionnelles et leur adaptation sociale.

Par ailleurs, le nombre de pathologies somatiques comorbides aux troubles bipolaires, qui ne peut se limiter aux pathologies décrites précédemment nécessite que soient réalisés une anamnèse et un examen clinique attentif, dans la mesure où l’association d’une affection psychiatrique et d’une affection somatique peut occasionner un retard de diagnostic, une péjoration du pronostic et des difficultés de prise en charge pour les deux conditions.



REFERENCES

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22/04/2013
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