Typologie de l'inceste
Typologie de l'inceste
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La typologie de l'inceste se rapporte au discours social sur l’inceste et le sentiment incestueux vis-à-vis des rapports sexuels entre des membres définis par des degrés de proximité dans une parenté biologique, imaginaire et symbolique.
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Généralités [modifier]
Comme YHWH l'innommable, l'inceste est aussi innommable et inspire autant de terreurs dans la transgression de l'interdit que d'horreurs dans la transgression du tabou. Comme YHWH, l'inceste est une idée multiforme, variable dans le temps et dans les groupes et pourtant constante. Comme YHWH, l'interdit et le tabou se rapportent non seulement au contenu, à l'acte, mais encore à sa dénomination. Freud a bâti le complexe d'Œdipe, clé de voûte de l'édifice freudien, sur l'inceste mère-fils et a inventé l'inconscient, ce « deus ex machina », pour le justifier.
Le scandale de Phèdre (d'Euripide à Racine en passant par Platon) n'est pas qu'elle ait trompé son mari Thésée, mais qu'elle l'ait fait avec Hippolyte, son beau-fils, le fils de Thésée issu d'un précédent mariage. Pourtant, l'amour de Phèdre est le paradigme de la passion amoureuse. Il y a comme, à la fois, fascination, terreur et horreur.
Ce scandale, dans la mythologie grecque, rejoint celui, plus contemporain, de l'acteur-réalisateur Woody Allen qui vit en couple avec l'ainée des filles que Mia Farrow, sa compagne, avait recueillie et que lui-même avait élevée.
Les relation sexuelles entre mère et fils (Jocaste-Œdipe) et entre mère-et beau-fils (Phèdre-Hippolyte) ne sont pas du même ordre et sont pourtant amalgamées sous le même vocable d'inceste et inspirent la même horreur jusqu'au procès d'inceste intenté à Woody Allen pour avoir des relations sexuelles avec la fille adoptive de sa compagne.
La nomination et la législation civile et canonique de l'inceste ont simplement et seulement décrit celui-ci comme du registre des relations sexuelles entre des membres proches d'une parenté. De Jocaste à Phèdre et jusqu'à Woody Allen, le questionnement est dans le degré de proximité et dans ce qui constitue une parenté. Une conception plus fine, plus large et plus profonde montrerait:
- un « inceste direct du premier type », comme celui de Jocaste et Œdipe,
- un « inceste indirect du deuxième type »[1], comme celui de Phèdre et Hippolyte,
- un « inceste médiatisé de troisième type », comme celui de Woody Allen et la fille adoptive de sa compagne dont la seule proximité est affective et la seule parenté est l'adoption légale par sa compagne. Ce troisième type est médiatisé par l'arbitraire législatif de codes et de règles d'un acte symbolique d'adoption.
De ces trois situations, il ressort que l'inceste soit principalement un discours social, c'est-à-dire une représentation sociale construite dont le fondement biologique et le fondement culturel sont à rechercher, puisque les évidences biologiques et culturelles se sont effondrées à la lumière de nouvelles trouvailles.
Le biologique [modifier]
La justification biologique la plus commune est fondée sur la consanguinité de l'hérédité mendélienne du cumul des tares là où elles existent. Des études biologiques récentes, avec l'empreinte génétique de l'ADN, révèlent que la proximité génétique soit bien plus grande qu'on le croyait et que « elle frôle l'inceste »[2].
Quand le capital génétique initial ne contient pas de tare, la progéniture ne manifeste pas plus de mortalité et de morbidité que la population-témoin. Au-delà de la consanguinité biologique, la consanguinité sociale est souvent arbitrairement et variablement définie par la lignée paternelle. Si le fondement biologique n'est plus justifiable, il resterait la « Culture » après la « Nature » et « Dieu ».
Le culturel [modifier]
La justification culturelle la plus souvent évoquée est celle de l'hominisation dans la césure, la rupture et l'opposition binaire tout autant qu'imaginaire et symbolique entre l'animalité et l'humanité et entre la nature et la culture. Chez Claude Lévi-Strauss, la prohibition de l'inceste est le seuil entre la nature et la culture[3]. D'autres anthropologues réfutent cette prétention à l'universalité de ce tabou majeur et Malinowski, avec ses Argonautes du Pacifique s'est rendu célèbre en soutenant qu'il n'y a pas de « complexe d'Œdipe » auprès de la population de cet Océan Pacifique et en conséquence pas d'idée d'inceste générée par ce discours social.
L'éthologie [modifier]
L'éthologie animale a pu observer l'évitement de certains types de rapport sexuel que seul un anthropomorphisme nommerait de « incestueux ». Par l'audition, l'odorat, le toucher et la vision, des congénères se reconnaissent comme des particuliers dans un groupe restreint de proches, une "famille" dans les termes humains et l'anthropomorphisme pourrait nommer « degré de parenté » ce qui est « degré de familiarité » fondé sur l'empreinte que Konrad Lorenz a déjà longuement révélée. L'imprégnation est un processus biologique par lequel une composante du milieu de vie - perçue à une période sensible, critique et cruciale - s'incorpore à un individu comme une sorte de super-mémoire.
Dès lors, ce milieu de vie cesse d'être informe ou chaotique et devient structuré en catégories sensibles souvent binaires du type familier/étranger, bien-être/mal-être, à explorer/à éviter, etc.
Par l'imprégnation, l'éthologie animale trouve ses limites dans l'étude de l'inceste qui n'existe qu'en mots, c'est-à-dire sous forme verbale d’un « inceste spirituel » (marraine-filleul ou parrain filleule), de l'inceste des structures de parenté (cousins croisés, beau-père, belle-sœur (comme les épousailles d'André Malraux avec la veuve de son frère) ou encore de l'inceste clanique de ceux qui portent le même nom.
Par contre, l'éthologie animale peut éclairer le sentiment qui donne à tout animal la consigne biologique d'éviter une grande proximité et une grande familiarité dans les rapports sexuels. L'éthologie de l'inceste peut alors décrire une structure affective, sa genèse et son action, mais elle n'a rien à dire sur ce qui existe seulement dans le monde de la parole.
Cette éthologie animale a montré qu'en milieu naturel de vie il existe un dispositif d'évitement des rapports sexuels entre des congénères en deçà d'un seuil de proximité et de familiarité.
Les kiboutzim, réalisations marquantes du sionisme socialiste en Israël, sont des fermes collectives où les enfants des membres de cette communauté grandissent ensemble depuis la naissance ou la petite enfance et des études statistiques ont révélé un grand nombre de mariages d'hommes et de femmes qui ont séparément grandi dans différents kboutzim et une rareté de mariages entre des personnes qui ont grandi ensemble dans le même kiboutz.
Finalement, l'inceste est un discours social sur le possible/l'impossible des rapports sexuels entre des catégories de personne. Ce qui est peut-être plus intéressant est encore le sentiment incestueux issu de cette représentation sociale. Pour Claude Lévi-Strauss, la fonction sociale de la prohibition de l'inceste est de faire circuler les femmes entre des groupes par l'exogamie. Une autre interprétation possible de la prohibition de l'inceste est une séparation du même, de l'identique dont le cumul est redouté et apparaît comme néfaste dans la vision du monde (Weltanschauung) comme un équilibre ou une harmonie des causes de nature identique ou de nature différente.
La plupart des mythes d'origine, y compris la Genèse dans la Bible, raconte la peur de l'indifférencié et l'origine de l'ordre est dans la catégorisation, la différenciation et la nomination des différences. L'éternel a commencé par distinguer le jour de la nuit, a séparé l'eau de la terre et a créé le verbe pour nommer chaque être, événement et objet. Avec le verbe, il a qualifié les uns de bons et les autres de mauvais, les uns de purs et les autres d'impurs. Cet interdit de l'inceste rejoint celui de l'homosexualité dans l'indifférenciation et le cumul des similarités. En d'autres termes, il n'y a pas d'inceste tant qu'il n'y a pas de sentiment incestueux généré par ce discours social assimilé depuis des générations par certains groupes sociaux plus que d'autres et par certains individus plus que d'autres dans un même groupe social. Par contre, il peut avoir un sentiment incestueux sans passage à l'acte, comme dans la plupart des cas de la relation mère-enfant qui s'exprime par le vocabulaire et les symboles de l'anthropophagie amoureuse, principalement, au moment des soins donnés à l'enfant.
Le discours social [modifier]
L'inceste, comme discours social ou représentation sociale, se dilue, se métamorphose et finalement se perd dans les degrés de rapport sexuel - du simple croisement de regards complices au coït complet - et dans les degrés de parentés physique, imaginaire et symbolique.
La parenté physique est celle de l'arbre généalogique, alors que la parenté imaginaire est celle des cousins à la mode de Bretagne et tandis que la parenté symbolique est celle de ceux qui portent le même nom ou de ceux d'une même patrie, puisque la parenté est souvent patrilinéaire. En génétique, nous savons que l'ADN nucléique est patrilinéaire, tandis que l'ADN mitochondrial et matrilinéaire dans la recherche biologique de la parenté physique.
Souvent, des membres d'une même fratrie ont des jeux sexuels d'exploration et de découverte mutuelles et ces jeux posent problème seulement avec le sentiment incestueux et son cortège de culpabilité, de honte, d'horreur et de terreur.
Le discours social ou représentation sociale, en Occident chrétien, vient de Moïse avec les textes bibliques et se poursuit avec le pape Grévoire VI dans les textes du droit canonique pour lutter contre la proximité et le mélange biologiques du même sang, de la même chair et du même os, là où le cumul fait désordre et est considéré comme néfaste. Inversément, la recherche de l'inceste ne serait possible que dans un groupe ou une culture où le cumul d'identiques est recherché comme quelque chose de faste et ce discours social change d'orientation ou de sens.
Derrière la circulation des femmes entre les groupes, chez Claude Lévi-Strauss, se profile le cumul des femmes chez le mâle dominant d'un groupe, au dépens des autres mâles, créant ainsi une situation qui peut faire désordre. Par contre, dans les groupes où le cumul est faste par la concentration des terres, des biens, des titres et des statuts, l'endogamie est favorisée et ce discours social change d'orientation, à l'exemple des Amérindiens, des anciens pharaons et des pas aussi anciennes familles royales, princières ou bourgeoises pour ne pas éparpiller le patrimoine en restant "entre soi".
L'endogamie est un mot savant et compliqué qui signifie des épousailles (gamie) entre des personnes à l'intérieur (endo) d'un même groupe en un "entre-soi" légalisé et généralisé, mais il a l'avantage de ne pas soulever ce bourrasque d'émotions de culpabilité, de frayeur, de honte, d'horreur et de terreur, comme le fait le terme "inceste".
À quoi sert ce discours social? Dans les textes bibliques, il servirait à démarquer les créatures humaines du Créateur qui, de soi à soi et en un hyper-inceste, a réussi par clonage une parfaite reproduction et un déploiement non moins parfait des identiques dans le désir d'éternité, d'immortalité et d'universalité. Cette prohibition exprimerait un privilège et le droit d'exclusivité. Dans les textes canoniques, le pape Grégoire VI (papauté de 1045 à 1046) aurait voulu éviter le cumul des puissances par des alliances matrimoniales au moment où les pouvoirs féodaux pouvaient menacer le pouvoir pontifical. de Rome. Des exceptions papales ou dispenses pouvaient lever cette prohibition dans certains cas singuliers à la demande de certains particuliers, princes, rois ou seigneurs. Pour les drôles et drôlesses des bourgs et pour les vilains et vilaines des campagnes, il reste la terreur et l'horreur des tourmentes de l'enfer.
Dans les textes médicaux du règne de la Faculté de Médecine et de la bourgeoisie capitaliste du XIXème siècle, les mariages consanguins qui donnent beaucoup de malformés et d'anormaux suffisaient peut-être à dissuader les monopoles capitalistes par alliances matrimoniales. En même temps s'inventait le mythe d'un « instinct maternel »[4] pour inciter les femmes à s'occuper de leurs enfants afin d'avoir un grand réservoir bien garni de main d'œuvre disponible à bon marché, alors que les enfants étaient le plus souvent abandonnés, négligés ou mis en nourrice pour les gens plus fortunés. Alors, comme le pénis, l'inceste n'a pas cette valeur et cette possession universelles attribuées respectivement par Freud et Lévi-Strauss.
De Moïse à la Faculté de Médecine, ce discours social érige des barrières au désir de l'entre-soi et de l'identique dont l'expression suprême est la parthénogenèse techniquement réalisable par clonage. Cette parthénogenèse et cet inceste exprimeraient l'aspiration d'immortalité de l'individu ou du groupe, comme raconte l'histoire biblique des filles de Loth qui énivrent leur père pour s'accoupler avec et avoir une descendance et perpétuer la lignée après la destruction de Sodome et de Gomorrhe et la mort de leur mère transformée en statue de sel.
Les barrières érigées contre le désir de l'entre-soi s'élargissent à l'en-soi de soi-à-soi et s'expriment par l'interdit contre l'homosexualité et la masturbation ramenées à l'inceste.
Des contestations se sont élevées contre ce discours social et déjà, de son tonneau, Diogène tonnait et s'indignait de la répression injuste de l'inceste en soutenant que le tabou de l'anthropophagie était suffisant pour structurer les sociétés en dressant des barrières au désir de l'entre-soi et à l'aspiration pour l'immortalité en ingérant l'autre et en se perpétuant dans l'autre.
Le Marquis de Sade, le moralisateur, pensait que c'est une oppression sociale et discriminatoire dans une société où l'égalité et la fraternité font loi. Diderot, lui, doute déjà de l'universalité de ce tabou en utilisant les récits des navigateurs. Le mot "inceste" désigne des circuits sexuels très variables d'un groupe à un autre et d'une culture à un autre et il suscite un sentiment incestueux fait d'horreurs.
Ces contestations proposent, aux États-Unis et en Suède des années 90 de distinguer les "incestes abusifs" pénalisables - en tant qu'abus de pouvoir, en tant que pédophilie lorsque des enfants sont impliqués et en tant que viols considérés comme des meurtres sans mortalité physique - des "incestes par consentement" justifiables du droit des personnes à une sexualité pleine, libre et épanouie.
Le sentiment incestueux [modifier]
Il est le produit de ce discours social, c'est-à-dire de cette représentation sociale où les unions physiquement possibles ne sont pas toutes autorisées et certaines se heurtent à une impossibilité sociale. Les individus n'éprouvent pas tous le sentiment incestueux de la même manière ou avec les mêmes intensités, certains ne le connaissent même pas et d'autres y sombrent à la moindre proximité affective. Il s'agit alors de deux pièges à éviter: le piège nominaliste de ce qui est rapport sexuel, du simple croisement des regards complices au coït complet, et le piège légaliste de ce qui est la parenté.
Le piège nominaliste est la réalité façonnée par des mots, souvent dans la confusion de prendre l’un pour l’autre et la confusion dans la fusion ou l'amalgame entre la génitalité, la sexualité, la sensualité et l'intellectualité des regards affectueux, complices et indulgents.
Conclusion [modifier]
La notion d’inceste est une invention humaine du monde de la parole. Elle est variable d’une époque à l’autre et d’un groupe social à l’autre, au service de quelque intérêt.
Notes et références de l'article [modifier]
- ↑ Françoise Heritier, Boris Cyruluk & Aldo Naouri, « De l'inceste », Odile Jacob, Paris, 1994
- ↑ Langenay, N. H. Van Bliten Burgt & A. Sanchez-Mazas,, Tous parents, tous différents, Musée de l'Homme/Chabaud, Paris, 1992.
- ↑ Claude Lévi-Strauss, "Les structures élémentaires de la parenté", 2ème édition, Mouton, Paris, 1967.
- ↑ Elisabeth Badinter, L'Amour en plus : histoire de l'amour maternel (XVIIe-XXe siècle), Paris,1981;
Références bibliographiques [modifier]
Françoise Heritier, Boris Cyruluk & Aldo Naouri, "De l'inceste", Odile Jacob, Paris, 1994
Langenay, N. H. Van Bliten Burgt & A. Sanchez-Mazas,, "Tous parents, tous différents", Musée de l'Homme/Chabaud, Paris, 1992.
Claude Lévi-Strauss, "Les structures élémentaires de la parenté", 2ème édition, Mouton, Paris, 1967.