Crise des subprimes - Partie 2

 

La crise de liquidité bancaire [modifier]

Les incertitudes sur les engagements directs et indirects des établissements financiers en matière de crédit à risque, mais aussi la crainte d'un ralentissement général des activités de banque de financement et d'investissement, très rentables et moteurs de la croissance au cours des années précédentes, ont fini par entraîner une véritable crise de confiance, ayant connu peu de précédent, entre banques. Celles-ci ont vu se tarir leurs principales sources de refinancement, le marché interbancaire et l'émission d'ABCP ((en) asset-backed commercial paper)[18],[19].

Sur le marché interbancaire, sur lequel les banques en situation d'excédent de capitaux prêtent à celles qui en manquent, la défiance entre banques elle-même a conduit à une envolée du taux d'intérêt[20].

Par ailleurs, les banques avaient mis en place au cours des années précédentes des structures de financement, appelées conduits ou SIV ((en) structured investment vehicles) qui émettaient du papier commercial à court terme à taux faible ((en) asset-backed commercial paper) vendu à des investisseurs. Les fonds levés étaient ensuite prêtés à long terme à des taux plus élevés, ce qui permettait de dégager une marge d'intérêt. Seulement, ces emprunts à court terme devaient être renouvelés régulièrement (tous les trois mois). Or, une fois la crise de confiance envers les banques engagée, les investisseurs ont cessé de financer les ABCP, obligeant les banques à les financer elles-mêmes.

La crise de liquidité bancaire a conduit les banques centrales, Banque centrale européenne (BCE) et Federal Reserve (Fed) en premier lieu, à procéder à de massives injections de liquidité sur le marché interbancaire afin de permettre aux établissements de refinancer leur activité et d'éviter le déclenchement d'une crise « systémique » (crise de tout le système). La première intervention a eu lieu le 9 août 2007, lorsque la BCE a injecté 94,8 milliards d'euros dans le système financier européen pour accroître les liquidités qui manquaient au marché. Il s'agit de la plus grande mise à disposition de fonds faite en un seul jour par la BCE, dépassant le prêt de 69,3 milliards d'euros fait après l'attentat du 11 septembre 2001. Le même jour, la Fed injecte 24 milliards de dollars US dans le système financier du pays.

Les banques se financent traditionnellement en empruntant sur le marché monétaire interbancaire à des échéances de trois mois. Le taux d'intérêt auquel elles empruntent (en Europe continentale, il s'agit de l'Euribor à 3 mois) est habituellement supérieur de 15 à 20 points de base (0,15 à 0,20 % en langage courant) au taux directeur de la banque centrale qui est considéré comme le taux sans risque[21]. La différence entre le taux auquel les banques empruntent et le taux directeur est appelée prime de risque ou spread en anglais. À partir de la crise de confiance du mois d'août 2007, le taux Euribor s'est envolé, atteignant 4,95 % en décembre 2007 alors que le taux directeur était de 4 % (2007) et qu'en temps normal, elles auraient emprunté à 4,20 %.

La forte hausse, à partir du mois d'août 2007, des taux à court terme auxquels se refinancent les banques constitue un vrai risque pour leur équilibre financier : « L'envolée des taux du marché du refinancement bancaire (Eonia et Euribor), devenus supérieurs aux taux des prêts sans risque à long terme, [constitue] une situation intenable pour les établissements financiers », écrit le 15 septembre un journal spécialisé[22]. En effet, certaines banques en arrivent à emprunter à des taux élevés pour refinancer des crédits qu'elles ont accordés précédemment à des taux moindres.

La crise de liquidité est renforcée par l'asymétrie d'information entre banques, qui sont donc réticentes à se prêter entre elles[23].

Les conséquences sur les marchés internationaux [modifier]

Les marchés financiers, qui avaient subi une première crise de confiance en février-mars 2007, avant de se reprendre au début de l'été, atteignent leur plus haut niveau annuel à la mi-juillet. Ils chutent à partir du 18 juillet (annonce de l'effondrement de deux hedge funds de Bear Stearns), un mouvement accentué le 9 août avec l'annonce du gel des trois fonds monétaires dynamiques de BNP Paribas. Le 9 août 2007, le CAC 40 perd 2,17 % pour finir à 5 624,78 points.

La crise a des effets sur d'autres marchés, comme celui des matières premières : « C'est un effet de contagion : ce qui se passe sur les marchés des bourses et des capitaux a causé un assèchement des liquidités, obligeant plusieurs acteurs comme les hedge funds à quitter le marché de l'énergie et à liquider leurs positions. »[24]

Les craintes de contagion au reste de l'économie [modifier]

Il y a d'importantes craintes que la crise financière n'affecte l'économie réelle par le biais notamment de la baisse du moral des ménages et des chefs d'entreprises, des difficultés rencontrées par les banques, du resserrement des conditions de crédits (hausse des taux d'intérêt, sélection plus forte des emprunteurs) qui pourraient peser sur la consommation des ménages comme sur l'investissement des entreprises, et donc sur la croissance du PIB.

C'est pour conjurer ce risque que la réserve fédérale des États-Unis a décidé le mardi 18 septembre la baisse d'un demi point de ses taux directeurs, ramenés de 5,25 % à 4,75 %[25]. C'est la plus forte baisse depuis novembre 2002 (crise de confiance de l'affaire Enron)[26]. Or, la confiance des agents économiques est très affectée[27] et, dans ce cadre, la Fed poursuit cette politique de baisse du taux directeur en novembre 2007[28].

Après une action concertée des principales banques centrales concernées, le 18 décembre 2007 la BCE s'est engagée à prêter en quantité illimitée et en garantissant l'anonymat au taux de 4,21 % pour deux semaines pour réduire les difficultés à emprunter sur le marché interbancaire[29].

Les conséquences sur les comptes des banques [modifier]

Les banques australienne Macquarie, américaine Bear Stearns, britannique HSBC et allemande IKB sont parmi les premières touchées. Bear Stearns, notamment, possède des fonds spéculatifs qui avaient misé sur une remontée du secteur immobilier pour le recouvrement de fonds prêtés par des banques. La banque, affaiblie par la faillite de deux de ses hedge funds, pourrait céder 20 % de son capital[30]. Merrill Lynch a préféré reprendre 850 millions de dollars US investis dans ces fonds spéculatifs[31].

Une « ruée bancaire », limitée à la banque britannique Northern Rock, a eu lieu en septembre 2007. En trois jours les clients de la banque ont retiré 12 % des montants déposés[32].

Les grandes banques mondiales ont annoncé des résultats des troisième et quatrième trimestres 2007 en forte baisse à la suite de la crise à cause à la fois :

  • de pertes directes sur les crédits subprimes ;
  • mais surtout de dépréciations d'actifs dérivés des subprimes (la valeur des actifs financiers de type RMBS, CDO inscrite dans les comptes, établie à leur valeur de marché, a fortement baissé au cours du trimestre) ;
  • d'un net ralentissement des activités de banque d'affaires et de marché qui avaient été les moteurs des bénéfices des années précédentes (titrisation, financement des LBO et des hedge funds, fusion-acquisition, gestion d'actifs, etc.).

Les grandes banques d'affaires américaines et européennes ont enregistré d'importantes dépréciations d'actifs au troisième trimestre 2007[33] :

D'autres dépréciations d'actifs sont attendues au titre du quatrième trimestre.

Les grandes banques françaises cotées en Bourse ont affiché pour leur part des dépréciations d'actifs limitées au troisième trimestre 2007[36] mais plus fortes au quatrième :

  • BNP Paribas : 301 millions d'euros. Et un total de 1,2 milliard d'euros pour l'ensemble de 2007[37].
  • Crédit agricole : 546 millions d'euros. Le 20 décembre 2007, Crédit agricole SA annonce une dépréciation supplémentaire de 2,5 milliards d'euros (1,6 milliard hors fiscalité) au titre du 4e trimestre[38].
  • Dexia : 212 millions d'euros.
  • Société générale : 404 millions d'euros. Et au total 2,57 milliards d'euros[39] ou 2,9 milliards[40].
  • Natixis.

Les estimations du coût global de la crise sur les banques (pertes et dépréciations d'actifs) établies par les analystes financiers spécialisés se chiffrent en centaines de milliards de dollars. Le coût est revu à la hausse de mois en mois :

  • 250 milliards de dollars selon Bear Stearns[41] et Lehman Brothers[42] vers le 7 novembre 2007,
  • 300 à 400 milliards de dollars selon Deutsche Bank en novembre 2007, dont 150 à 250 milliards liés directement aux prêts subprime et 150 milliards aux dérivés adossés à ces prêts[43],
  • 500 milliards de dollars selon Royal Bank of Scotland en novembre 2007[44].
  • 422 milliards de dollars (268 milliards d'euros) au niveau mondial, selon une estimation de l'OCDE en avril 2008. Sa précédente estimation était de 300 milliards de dollars[45].
  • 565 milliards de dollars (358 milliards d'euros) pour la seule exposition des banques au secteur des "subprimes", mais 945 milliards de dollars (600 milliards d'euros) pour le coût total de la crise financière, selon une estimation du FMI en avril 2008[46]

Références [modifier]

  1. [pdf]Document de l'IRS
  2. Le Figaro Economie, 9 octobre 2007, page 18
  3. (en) Sub-prime politicians, Thomas Sowell, The Washington Times, 10 août 2007
  4. (en) Voir par exemple:http://www.federalreserve.gov/fomc/fundsrate.htm
  5. (en) U.S. Foreclosures
  6. Le Figaro, 22 août 2007
  7. Les agences de notation dans la tourmente de la crise des subprimes, La Tribune, 10 janvier 2008
  8. Marchés financiers : le G7 réclame plus de transparence, Challenges, 9 octobre 2007
  9. Interview au Financial Times, 8 octobre 2007
  10. Special Purpose Vehicle aux États-Unis ou Fonds commun de créance en France
  11. Lire notamment Les Techniques de titrisation montrées du doigt, in Les Échos, 20/08/2007.
  12. Les Échos, 19/07/2007
  13. Le plus notable est le fonds d'investissement Paulson & Co de New York, dirigé par John Paulson, un ancien de Bear Stearns dont la rémunération en 2007 a été estimée à trois milliards de dollars. Voir par exemple "Les 100 meilleurs courtiers ont gagné plus de 30 milliards de dollars en 2007", article paru dans le journal Les Échos, édition du 6 avril 2008 [1]
  14. En se défaisant d'une main des risques, elles les ont repris d'une autre en investissant sur ces mêmes marchés [CDO, ABS, CMBS] à travers des fonds tels les « monétaires dynamiques »., Les banques dans la tempête, Sylvain de Boissieu, in Investir n°1753, 11/08/2007.
  15. Palmarès des 100 premières banques européennes, Les Échos, juillet 2007 (sur exercice au 31 décembre 2006).
  16. Voir Les Échos et La Tribune
  17. "Subprime" : le dernier fonds gelé par BNP Paribas rouvre sur une baisse de 1,21 %, Les Échos, 3 septembre 2007
  18. Selon Standard & Poor's, les 15 premiers apporteurs de liquidités du marché américain des ABCP seraient exposés à hauteur de 810 milliards USD, voir La Tribune, 4/09/2007, p. 20
  19. Les papiers commerciaux au cœur de la crise monétaire, Les Échos, 12/09/2007.
  20. Lire notamment La crise du marché monétaire fait plonger les actions, Les Échos, 6/09/25007, page 31
  21. La Tribune, mercredi 19 décembre 2007, page 17
  22. Le secteur bancaire reste très fragile, Sylvain de Boissieu, in Investir n°1758, 15/09/2007.
  23. (en) http://www.voxeu.org/index.php?q=node/564, Charles Wyplosz, 20 septembre 2007
  24. article de Challenges, 10 août 2007, qui cite John Kilduff, analyste chez MF Global.
  25. Money.cnn.com
  26. La Fed donne un coup de fouet aux marchés, Investir n°1759, 22 septembre 2007
  27. États-Unis : la confiance des ménages à un plus bas depuis deux ans, Boursorama
  28. La Fed baisse d'un quart de point ses taux directeurs, La Tribune
  29. La BCE fournit 348,6 milliards d'euros aux banques, Le Figaro, 19 décembre 2007
  30. (en) The New York Times, 26 septembre 2007
  31. Economie, Finance, Carrière et High-tech - L'Expansion
  32. Northern Rock aux pieds d'argiles, Le Journal du dimanche, 18 septembre 2007
  33. Le marché craint un nouvel impact de la crise sur les banques in La Tribune 12 octobre 2007, page 24 et Le marché craint une aggravation des dégâts liés au subprime, in La Tribune, 13 novembre 2007, page 19.
  34. Et aussi : Deux géants bancaires pris au piège du subprime, Les Échos, 2 octobre 2007
  35. Et aussi : Deux géants bancaires pris au piège du subprime, Les Échos, 2 octobre 2007
  36. Les banques trébuchent après publication, Sylvain de Boissieu, in Investir du 17 novembre 2007, page 2
  37. Conférence de presse des résultats annuels 2007 de BNP Paribas, mercredi 19 février 2008
  38. Conference call exceptionnelle analystes financiers, 20 décembre 2007 après clôture de la Bourse
  39. Slideshow des résultats annuels 2007, page 37, 21 février 2008
  40. Dépêche Reuters en anglais, jeudi 21 février 2008 15:56:53, qui ajoute 276 millions dans la gestion d'actifs et 49 millions pour des activités de siège
  41. Le marché craint une aggravation des dégâts liés au subprime"", in La Tribune, 13 novembre 2007, page 19.
  42. Subprime, l'addition pourrait approcher 400 milliards de dollars, in Les Échos, 13 novembre 2007, page 33.
  43. idem, La Tribune, 13 novembre 2007, page 19 et Les Échos, 13 novembre 2007, page 33
  44. idem, La Tribune, 13 novembre 2007, page 19 et idem Les Échos, 13 novembre 2007, page 33
  45. « L'OCDE chiffre les pertes liées à la crise des subprimes à 422 milliards de dollars », article paru dans le journal Le Monde, édition du 15 avril 2008 [2]
  46. "Le FMI chiffre à 945 milliards de dollars le coût de la crise financière", article paru dans le journal Les Échos, édition du 8 avril 2008 [3]

Voir aussi [modifier]

Bibliographie [modifier]

  • Paul Jorion, Vers la crise du capitalisme américain?, 2007, La Découverte, Paris.
  • Paul Jorion, L'implosion. La finance contre l'économie : ce qu'annonce et révèle la crise des subprimes, 2008, Fayard, Paris.

Articles connexes [modifier]

Liens externes [modifier]



11/06/2008
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