A la recherche des hommes parfaits

 

A la recherche des hommes perdus

On les dit dépassés, paumés, angoissés et incapables de « bien » aimer. « On », ce sont les femmes. Ont-elles tort ou raison ? Les hommes aiment-ils mal, ou autrement ? Notre journaliste a enquêté auprès de spécialistes, en commençant par son homme.

Violaine Gelly

«Comment aiment les hommes ? » Au moment de me lancer dans cette enquête, je me demande dans quelle direction chercher un début de réponse. Comme d’habitude, je me dis que je vais commencer, sous mon toit, par interroger le seul homme que je côtoie de très près. Raté : « C’est bien une question de fille », répond-il, lapidaire. Bien sûr, il suffirait que j’interroge mes amies, ces trentenaires-quadras plus ou moins en couple, pour que tombent anecdotes et adjectifs : ils ne pensent qu’au sexe, ils aiment comme des menteurs, des pas fiables, des qui-ont-peur-de-l’engagement…
Tous ces qualificatifs font sourire la sociologue Christine Castelain-Meunier, qui a interrogé de nombreux hommes pour son livre Les Métamorphoses du masculin : « Le discours de surface chez les femmes est : ils sont lâches, veules, nuls. Mais dès que l’on creuse, le discours redevient : ils sont forts, on a envie de se reposer sur eux… À l’inverse, quand on interroge les hommes, ceux-ci affichent, en surface, un discours très respectueux des femmes : elles sont douces, tendres, responsables, affectueuses. Mais en profondeur, les jugements très sévères reviennent au galop : ce sont toutes des ­“salopes”, elles ne savent pas ce qu’elles veulent… Le ­malentendu est profond ! »

Ils préfèrent caresser une console de jeux vidéo

(1.) Enquête Ipsos-Menstyle.fr réalisée en 2008 auprès de trois cent quinze hommes CSP+ de 25 à 49 ans.
(2.) Dernier ouvrage paru : Histoires vraies et extra-ordinaires de l’inconscient (Fayard, 2008).

Le malentendu ? Je repense à ce sondage (1) qui m’a laissée pantoise : le sexe ne serait que la deuxième source de plaisir des hommes, derrière les nouvelles technologies. Ils sont 39 % à avouer préférer caresser une console de jeu, contre seulement 36 % une femme. Sommes-nous tombés si bas ? Ma question fait rire Bernard-Élie Torgemen (2), que je rencontre dans un café, au pied de son cabinet de psychanalyste, entre deux patients. « Arrêtons les caricatures, me dit ce spécialiste de groupes d’hommes : il y a autant d’hommes que de femmes­ qui ne savent pas aimer. L’amour est une folie qui, comme toute folie, n’est pas sexuée. L’amour n’est pas structurant. Ce qui est structurant, c’est ce qui vient après : s’accommoder de cette folie, la vivre au quotidien et la gérer à deux, si la rencontre aboutit au couple. »

D’accord avec la psychanalyse pour admettre que la pulsion est identique pour les deux sexes. Mais quand il s’agit de s’engager au quotidien, la différence revient au grand galop. Comment les hommes s’accommodent-ils, dans la construction de cette minitour de Babel qu’est le couple, de cette différence de langage avec les femmes ?

Ils aiment sans se poser de questions

(3).Une femme avec toi de Nicole Croisille.

Dans la brasserie bondée d’hommes en costume-cravate où nous déjeunons, Hélène Vecchiali, psychanalyste et auteure d’Ainsi soient-ils, s’amuse de ma question. « Comment aiment les hommes ? J’ai envie de répondre : simplement. C’est leur force, cette capacité à être clairs. Comme dans la chanson (3), ils sont gais s’ils savent qu’ils auront de l’amour et du vin. Les femmes, elles, se posent beaucoup de questions : cet homme-là est-il le bon ? Le vin est-il frais ? C’est du bourgogne ? Dommage, je préfère le bordeaux… Leur problématique est de deux sortes : elles veulent toujours plus et elles ne savent pas cloisonner.

Les hommes, eux, savent mettre de côté les doutes : quand ça va, ça va ! » Cette réflexion me renvoie à ce que disait récemment mon ami Marc, 42 ans, divorcé et heureux remarié : « Ce qui est fatigant chez les femmes, c’est leur obsession de la preuve d’amour. Demande-t-on sans cesse des preuves d’amitié à ses amis ? Je comprends leur besoin parce que, nous, les hommes, ne savons pas dire nos sentiments. Mais nous nous retrouvons devant une constante évaluation de notre amour, avec le sentiment que les femmes ne sont jamais satisfaites. » Quand je lui raconte cette anecdote, Hélène Vecchiali s’emporte : « Ce qui est spectaculaire, c’est que les hommes ne savent pas ce qu’ils veulent. Comme s’ils ne voulaient rien. On leur demande leur vrai désir ? Ils pensent que “répondre aux attentes des femmes” est la bonne réponse. Il y a quelque chose d’enfantin là-dedans : “Qu’est-ce que maman me demande ?” »

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Tiens, maman justement… Peut-on reprocher aux mères le fait que les hommes aiment mal leurs femmes ? « Depuis trente ans, on tend à faire croire aux enfants, notamment aux petits garçons, qu’ils peuvent tout avoir, explique Bernard-Élie Torgemen. Devenus adultes, ils ne savent pas renoncer et restent dans le leurre de leur toute-puissance. Or l’amour, ce n’est pas la liberté, c’est un enchaînement volontaire. Si l’on refuse de lâcher le fantasme de liberté absolue, on ne peut pas entrer dans la relation. Par ailleurs, l’amour, c’est le don. Or on ne peut pas avoir besoin ou envie de donner quand on reçoit tout. Surtout, comme chez les jeunes hommes, quand on a tout reçu de sa maman. »

Ils ne chassent plus, ils cueillent

Depuis la révolution féministe des années 1970, les femmes ont imposé, parfois à marche forcée, de nouveaux codes amoureux. Et les hommes ont suivi le mouvement sans se poser plus de questions. Difficile de leur reprocher cet attentisme. Des siècles d’éducation, de coutumes et de culture prétendues viriles les ont convaincus qu’ils n’avaient pas le droit aux émotions, ont rejeté leur intériorité et leur ont interdit d’être eux-mêmes. Pas facile de s’adapter, en une génération, à de nouvelles femmes qui les veulent tendres et émus, mais forts et solides.

Pour Christine Castelain-Meunier, « les hommes­ ont compris que les choses avaient changé, mais ils n’en ont pas profité pour imprimer leur propre marque sur ce changement. Ils sont restés dans le fantasme de la construction d’une masculinité idéale, garantie par des institutions, des cadres, des rôles prédéfinis. Mais ça ne marche plus ». Leurs compagnes ont imposé leur langage, l’« amoureusement correct » : bien aimer, c’est aimer comme une femme. Sauf que, bonne nouvelle, les ­hommes ne sont pas des femmes comme les autres… Et faute de le comprendre, mes amies en quête de l’âme sœur masculine se cognent contre des murs d’incompréhension et finissent par douter d’elles-mêmes. Du coup, dans les soirées ou sur Meetic, elles partent en chasse de l’homme parfait : si l’homme parfait me distingue, je ne peux être qu’une femme parfaite, non ?

Les femmes cherchent des hommes parfaits, les hommes se sentent imparfaits… Le malentendu persiste. Je retourne poser quelques questions à Bernard-Élie Torgemen. Dans les groupes d’hommes qu’il anime, les intervenants expriment-ils leur désarroi devant cette perte de repères ? « Ce n’est pas du désarroi, répond-il, c’est de la peur. Aujourd’hui, les hommes n’osent plus approcher les femmes parce qu’ils ont peur d’être repoussés, et que leur désir n’est pas assez fort pour affronter ce rejet. Le sublime, dans le masculin, c’est d’être chasseur. Dans l’amour, nous sommes des mammifères; en tant qu’animaux, nous sommes­ des chasseurs. La génération d’aujourd’hui est une génération de cueilleurs. Si tout est prêt à être cueilli, si les signaux sont au vert, ils sauront aller vers l’autre. Mais s’il faut combattre, ils ne sauront pas. » Je m’entête : mais pourquoi les femmes entretiennent-elles inconsciemment cette peur, de laquelle personne n’a rien à gagner ? « Parce qu’elles ne sont pas sûres de leur propre désir. Elles veulent être rassurées mais aussi chassées, voire chasseuses… »

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A lire

Les Métamorphoses du masculin de Christine Castelain-Meunier. La sociologue fait le point sur les évolutions intervenues dans le domaine de la masculinité depuis la fin des années 1980 (PUF, 2005).

Ainsi soient-ils d’Hélène Vecchiali. Perte de désir, déficit de loi, société maternante…, la psychanalyste passe en revue tous les craquements d’une société « fémininement correcte » (Calmann-Lévy, 2005).

Ils aiment à leur façon

« Je n’en peux plus de ne pas savoir comment faire, s’agace Emmanuel, 34 ans. Quand Anne est partie, elle m’a reproché d’être trop scotché à elle, de ne pas la laisser vivre sa vie. Deux ans plus tard, Léa m’a quitté parce que je ne m’engageais pas assez… Pourtant, je n’ai pas changé, je suis le même homme. Plutôt que de se demander ce qu’elles veulent vraiment, les femmes nous collent leurs propres contradictions sur le dos. Et comme elles parlent entre elles et qu’elles se soutiennent – chose que nous, les hommes, ne savons pas faire –, elles s’offrent une sorte de certitude de groupe qui les renforce dans leur refus de s’interroger sur ­elles-mêmes. » Pendant des siècles, les hommes ont traité les femmes comme des objets. D’accord. Mais au moins n’ont-ils jamais tenté de les transformer. Les femmes, elles, ont voulu changer les hommes, au risque de se priver de quelque chose de ma­gique : la complémentarité. Si elles les laissaient libres, ils pourraient cesser de vivre en réaction et se confronter à eux-mêmes. C’est pour ça qu’à la question « Comment aiment les hommes ? », la réponse ne saurait jamais être : « Comme des femmes. » Ils aiment avec passion, peur, tendresse, maladresse, profondeur, intensité. Mais à leur façon.

Retour à la maison. La tête un peu embrouillée par cette enquête, j’en teste immédiatement mes conclusions sur mon exemplaire personnel. Dont les yeux s’allument : « Je suis sûr que, dans les années qui viennent, nous, les hommes, allons apprendre à devenir chasseurs et cueilleurs, alternativement, en fonction du moment et de la femme qui est en face de nous. Du coup, nous retrouverons notre légèreté, et l’amour pourra redevenir ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un sentiment joyeux. » Quand on vous dit qu’ils ont l’amour heureux…



02/06/2013
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