Adieu, les ténèbres ! La nouvelle science de l’exubérance.

 

 

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Adieu, les ténèbres ! La nouvelle science de l’exubérance.

 

31/10/2010

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Courrier du lundi 20 septembre 2004 - rédigé par Peter D. Kramer,auteur du bestseller ˮListenning to Prozacˮ-
Traduction par Fabienne
A quoi ressent-on que la vie est belle ? Je veux parler de la vie qui vaut la peine d’être vécue, celle que nous devrions admirer et que nous admirons tant. Durant la majeure partie du siècle dernier, on répondait à cette question en des termes dérivés de l’étude de la dépression, de la schizophrénie, et des troubles de l’anxiété. On disait d’une personne en phase avec son temps qu’elle souffrait d’angoisse existentielle et d’anomie sociale. Etre sage signifiait éprouver de l’ambivalence vis-à-vis de questions importantes et se sentir aliéné de la culture.
Si je lis correctement dans le marc de café, la fascination qu’exerce sur nous la paralysie émotionnelle pourrait bien toucher à sa fin. Philip Fisher, un érudit en littérature à Harvard, a récemment plaidé en faveur des "passions véhémentes" dans un livre du même titre. Fisher fait référence aux émotions chères aux Grecs de l’Antiquité : la colère, l’amour-propre, l’obstination, et l’imprudence.

Les passions, précisément, ne sont pas modernes. Ceux qui en sont habités manquent de caractère duel ; leurs points de vue ne sont pas mitigés d’ironie. Le chagrin passionnel, par exemple, mène à l’action intrépide. Pensez à Electre ou Antigone ; pensez à Achille excité à se battre avec Hector.

Bien sûr, les mélancoliques ont toujours fait l’éloge d’une simplicité à laquelle ils ne pouvaient prétendre ; alors qu’ils étaient secrètement très fiers de leur propre complexité intérieure. Mais, il semble que nous soyons maintenant entrés dans une époque où les intellectuels louent l’ensemble des émotions et le signifient sans réserve. Notre esthétique a subi un profond changement.
Ce changement de goût se fait jour maintenant dans des livres destinés au grand public. En janvier, Mark Epstein, un psychiatre dont l’oeuvre se fonde sur le bouddhisme, va présenter Open to Desire : Embracing a Lust for Life. Et ce mois-ci, Kay Redfield Jamison publie Exuberance : The Passion for Life.

Jamison, une psychologue du Département de Psychiatrie à John Hopkins, est bien plus connue pour le récit de sa propre cyclothymie (PMD) : An Unquiet Mind. Elle est l’auteur de Touched With Fire, une étude exhaustive sur la relation entre créativité et troubles de l’humeur, et  elle est le co-auteur avec Frederick Goodwin de Manic-Depressive Illness, la documentation de référence sur les troubles bipolaires. Ce n’est pas faire un affront à son tout dernier livre que de dire que c’est l’une des oeuvres les moins substantielles de Jamison.

Jamison ne défend vraiment pas tant l’exubérance qu’elle l’illustre, à travers une avalanche d’exemples d’hommes (pour la plupart) dont l’optimisme et l’énergie les ont menés à la réussite. Exuberance : The Passion for Life  commence par une esquisse de Teddy Roosevelt, notre président le plus (et j’insiste) enthousiaste. Comme son sujet, le portrait est inlassablement positif, faisant l’éloge de la vitalité de Roosevelt, de sa bonne humeur, et même de son immaturité. "Vous devez toujours vous rappeler" dixit un diplomate britannique, "en ce qui concerne l’âge apparent de Roosevelt, le Président a toujours environ 6 ans".
A n’importe quel lecteur toujours enclin à la mélancolie, ce début peut sembler être un faux pas. Ne sommes-nous pas, nous, les Américains, déjà trop sujets à un optimisme aveugle, et en particulier pour nos aventures militaires. D’autres biographes ont appelé San Juan Hill une bataille inutile, dirigée d’une façon qui a mis les hommes de Roosevelt en danger de manière excessive. Peut-être que maintenant est une époque pour moins de certitude et un plus grand doute de soi ? plus de délayage et de volte-face, s’il vous plaît.

En règle générale, Jamison minimise les inconvénients de l’exubérance. Elle présente Carlton Gajdusek comme modèle du scientifique exubérant et brillant, et bien sûr qu’il l’est. En travaillant avec une tribu de l’âge de pierre en Nouvelle-Guinée, Gajdusek et ses collègues ont découvert l’encéphalopathie à évolution progressive ("kuru"). Ils ont alors remonté sa trace jusqu’à un virus lent, transmis par des rites cannibales. Ce travail représente un point de départ pour notre compréhension de la maladie de la vache folle ; et cela a valu le Prix Nobel à Gajdusek.

Jamison ne mentionne pourtant pas que Gajdusek, plus tard, a plaidé coupable dans deux chefs d’accusation d’abus sexuel sur enfant, et a passé plus d’un an en prison, ce fondé sur le fait qu’il avait entretenu une liaison avec un adolescent qu’il avait ramené de Micronésie aux Etats-Unis. Dans ses revues scientifiques, Gajdusek avait écrit ouvertement sur ce genre d’accord amiable ; l’aspect frappant de l’histoire est la naïveté de Gajdusek. Et d’ailleurs, Gajdusek n’est pas le seul exemple possible du précepte selon lequel une mauvaise opinion va de pair avec l’exubérance. Un traité sur les hommes bien intentionnés qui ont commis de mauvaises actions sérieuses pourrait inclure un grand nombre de personnages similaires à ceux dont Jamison parle ici.
Cependant, il est difficile de résister à Jamison. Son écriture exprime l’énergie qu’elle glorifie. Jamison porte son attention sur la littérature pour enfants (elle aime bien Toad de Toad Hall and Tigger), la physique (Richard Feynman), la poésie (Byron), et la guerre (George S. Patton). Les exemples s’amoncellent. Admirer Jamison revient à adhérer à son argumentaire. Il y a quelque chose de spécial en ce qui concerne l’exubérance.

On pourrait s’imaginer que la thèse de Jamison provient de "Psychologie Positive" de Martin Seligman, une masse d’écrits qui défendent les vertus de l’optimisme et suggèrent des lignes de conduites comportementales qui mènent au bonheur. Jamison fait mention des recherches de Seligman. Mais, la majeure partie de son livre a pour sujet les traits de l’humeur imprévisible , des périodes d’exaltation de naissance. Il se peut que l’influence des travaux de Seligman sur Jamison soit moindre ; dans ses nombreuses formes, l’intérêt actuel pour la psychiatrie dynamique qui se développe a une origine commune.
Je soupçonne que le nouvel enthousiasme pour les émotions positives et simples soit une question d’idéologie suivant la technologie. Vers le début de sa carrière, Freud écrivit que le but de sa méthode était de transformer la détresse hystérique en tristesse ordinaire. Ce commentaire était surtout un quolibet sur la condition humaine. Mais, cela démontre bien, également, un effet fréquent en psychothérapie : la fin d’un épisode aigu de troubles de l’humeur, auquel succède une amélioration modeste d’un état chronique handicapant. Jusqu’à il y a 10 ou 15 ans, un traitement qui transformait une forte dépression en dépression légère était considéré comme une réussite totale.

Mais, des recherches ultérieures ont mis en évidence que même des symptômes résiduels de faible intensité comportaient un risque à prendre en considération : troubles de l’humeur récurrents, suicides, et autres maladies telles les maladies de coeur. Chez les déprimés, du moins, les traits de personnalité qui ressemblent aux symptômes ont toujours l’air d’indicateurs de maladie progressive et suivie. Ces résultats cliniques sont en rapport inquiétant avec les recherches qui établissent un lien entre dépression et pathologie concrète : l’atrophie et la désorganisation des neurones dans les parties adéquates du cerveau.

En même temps, la réponse manifeste et occasionnelle à la pharmacologie, ou à une combinaison psychothérapie - médication, laisse transparaître ce qui constitue une guérison complète de la dépression. Une forte dépression en rémission ne ressemble pas à une dépression légère, mais à de l’énergie, de la vitalité, et de la résilience à fond.
Dans ce contexte, la paralysie émotionnelle perd beaucoup de son côté glamour. A tel point que l’angoisse, l’anomie, l’aliénation et l’ambivalence ont une mauvaise réputation ; les passions véhémentes en auront une bonne. Mon impression est que des livres comme Exuberance : The Passion for Life  indiquent un changement de direction, une modification des goûts et des valeurs, loin des idéaux modernes de nostalgie et de rumination et vers des idéaux post-postmodernes (cʼest-â-dire antiques) d’épanouissement et d’aventure.
En observant cette modification, il se peut que nous déplorions cette perte en termes de respect pour la complexité des émotions. En même temps, il se peut que nous reconnaissions que le changement est tardif. L’idylle, qui a duré des siècles, avec la dépression - mais, au fait, de quoi s’agissait-il donc ?


30/04/2013
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