Un tombeau de l’imaginaire
« Quand on est ado, les films porno apprennent des choses sur le corps humain et sur certaines pratiques, mais c’est surtout très excitant », reconnaît Jean-Claude, qui explique en avoir regardé « régulièrement » à partir de l’âge de 12 ans. En effet, si les ados regardent des films X, c’est moins pour s’initier à la sexualité que pour enrichir un imaginaire masturbatoire. « Le but premier de la pornographie est de donner aux gens un plaisir immédiat autour de la représentation sexuelle, analyse le psychanalyste Gérard Bonnet. C’est une sorte de raccourci qui permet d’extraire des images ce qu’il y a de plus sexuel sans en passer par la relation. » Les sentiments, tout comme les rapports de séduction préludant à la rencontre, sont absents des scénarios des films pornographiques. Le passage à l’acte se fait directement, sans discussion, sans préliminaires et, surtout, sans amour.
« Pour certains, explique Serge Tisseron, le porno est un tombeau de l’imaginaire et de l’imagination de ses spectateurs. Alors que les métaphores de la sexualité sont riches et que l’imagination prend, habituellement, une grande place dans les rapports sexuels entre individus, la pornographie réduit la sexualité à des images stéréotypées qui prétendent rendre compte de l’intégralité de ce qui se passe dans la rencontre amoureuse ». Claude Rozier, elle, n’est pas entièrement d’accord : « Si les garçons et les filles baignent dans ces stéréotypes vers l’âge de 14 ans, ils en sortent en général vers 15-16 ans. Entre-temps, ils se sont renseignés et ont appris en lisant, en discutant avec leur entourage. Le problème de croire ou non à ce qu’ils voient dans les films X relève ainsi, en grande partie, de la possibilité qu’ils ont de parler. C’est lorsque les jeunes ne peuvent pas confronter leurs points de vue avec des amis ou avec des adultes qu’ils risquent de rester sur leurs convictions. »
Une étape pas toujours dangereuse Margot, 17 ans, n’a encore jamais eu de relations sexuelles mais, comme la majorité des ados de son âge, a déjà vu un film X. Pour elle, les choses sont claires : « Ces films sont tournés avec des acteurs et tout est basé sur le sexe, alors qu’un rapport sexuel engage les sentiments amoureux. » Margot a pleinement conscience que tout cela reste du cinéma. Pour Serge Tisseron, ce témoignage illustre parfaitement la certitude qu’il entretient : « Le grand risque de la pornographie est derrière nous. » Parce que les enfants sont devenus des producteurs ayant eux-mêmes expérimenté la fabrication d’images via leur téléphone portable, leur appareil photo numérique ou leur caméra, ils se rendent bien compte que les films porno sont truqués. Le psychanalyste affirme ainsi qu’« ils sont moins portés à y croire et prennent plus de distance vis-à-vis de ces films ». Ce que confirme Richard. A 18 ans, encore vierge, il pense que « même si l’on peut faire l’amour sur une pulsion, sans préliminaires, la sexualité est initialement basée sur l’amour, et le but n’est pas de battre des records de performance comme dans ces films ». Marie-Noëlle, éducatrice de jeunes en banlieue sensible, établit cependant une distinction : « Dans les cités où je travaille, les ados prennent les films porno au premier degré. Mais c’est parce qu’il n’y a aucun adulte qui soit en position de confiance pour les aider à faire la part des choses. Ces jeunes, totalement ignorants des choses du sexe puisque personne ne leur en parle, pensent que les films X sont une référence. Et là, on peut s’inquiéter. » En matière d’éducation sexuelle, comme d’éducation tout court, le dialogue entre l’adolescent et les adultes est le seul rempart contre toutes les dérives, toutes les interprétations.
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