ANALYSE du Rapport catastrophique "IMAGINER l'IMPENSABLE" produit par le PENTAGONE - Partie 5

 

SUITE DU RAPPORT IMEGINER l'IMPENSABLE :

 

Les régions : 2010 à 2020

Le graphique ci-dessus présente une vue simplifiée des schémas climatiques décrits dans ce scénario.

Europe. Durement frappée par le changement climatique, avec une moyenne annuelle des températures qui chute de 3,3°C en moins d’une décennie et des écarts plus importants encore le long de la côte nord-ouest. Le climat en Europe du nord-ouest est plus froid, plus sec et plus venté, la faisant davantage ressembler à la Sibérie. L’Europe du sud connaît de moindres changements mais souffre néanmoins par moment de brusques refroidissements et de rapides changements de température. La réduction des précipitations fait de l’appauvrissement des sols un problème dans toute l’Europe, contribuant à la pénurie alimentaire. L’Europe lutte pour contenir l’émigration des nations scandinaves et de l’Europe du nord à la recherche de chaleur, ainsi que pour refouler l’immigration issue des pays gravement touchés en Afrique et ailleurs.

États-Unis. Un temps plus froid, plus venté et plus sec rend les saisons de culture et de récolte plus courtes et moins productives dans tous les États-Unis du nord-est, plus longues et plus sèches dans le sud-ouest. Les zones désertiques sont exposées à une recrudescence des tempêtes, alors que les zones agricoles souffrent de l’appauvrissement des sols du fait de l’élévation de la vitesse des vents et de la réduction de l’humidité au sol. L’évolution vers un climat plus sec est particulièrement prononcée dans les États du sud. Comme l’élévation du niveau de l’océan continue le long des côtes, les zones littorales qui étaient en péril pendant la période de réchauffement le demeurent. Les États-Unis se replient sur eux-mêmes, investissant leurs ressources pour nourrir leur propre population, renforcer leurs frontières et gérer la tension mondiale croissante.

Chine. Avec ses besoins alimentaires élevés étant donnée son importante population, la Chine est durement frappée à cause de ses pluies de mousson devenues aléatoires. Celles-ci, occasionnelles pendant la saison d’été, sont bien accueillies pour l’eau qu’elles apportent, mais elles ont des effets dévastateurs car elles inondent des sols généralement à nu. Des hivers plus longs, plus froids et des étés plus chauds, provoqués par une diminution du refroidissement par évaporation en raison de la réduction des précipitations, diminuent les ressources en énergie et en eau déjà faibles. Une vaste famine entraîne le chaos et des luttes internes, alors que la Chine, froide et affamée, lorgne jalousement sur les ressources énergétiques du côté de ses frontières avec la Russie et les pays situés à l’ouest.

Bangladesh. Les ouragans persistants et un niveau de la mer plus élevé provoquent d’énormes vagues qui entraînent une importante érosion côtière rendant presque inhabitable une grande part du Bangladesh. De plus, l’élévation du niveau de la mer provoque la contamination des approvisionnements d’eau douce à l’intérieur des terres, créant une pénurie d’eau potable et une crise humanitaire. Une émigration massive se produit, entraînant des tensions en Chine et en Inde, déjà en lutte pour contrôler la crise à l’intérieur de leurs propres frontières.

Afrique de l’Est. Le Kenya, la Tanzanie et le Mozambique font face au léger réchauffement du climat, mais sont confrontés à une sécheresse persistante. Accoutumés à des conditions climatiques sèches, ces pays ont été les moins influencés par le changement des conditions atmosphériques mais, comme les principales régions de production céréalière sont en difficulté, leur approvisionnement alimentaire est mis à mal.

Australie. Principale exportatrice alimentaire, l’Australie lutte pour fournir de la nourriture à toute la planète, car les changements moins importants de son climat n’affectent pas sévèrement son agriculture. Mais les grandes incertitudes au sujet du changement de climat dans l’hémisphère sud rendent suspect ce scénario moins préoccupant.

IMPACT SUR LES RESSOURCES NATURELLES
Les modalités de changement du temps et des températures des océans affectent l’agriculture, les poissons, la faune sauvage, l’eau et l’énergie. Comme les principales régions passent d’une tendance au réchauffement à une tendance au refroidissement, les rendements agricoles sont moins prévisibles car ils sont touchés par des perturbations de la température et de la pluviométrie ainsi que par la chute de 10 à 25% de la durée des saisons de culture et de récolte. Alors que quelques parasites agricoles meurent en raison des changements de température, d’autres espèces résistent plus aisément à la sécheresse et aux vents, requérant de nouveaux pesticides ou toute une panoplie de traitements. Les pêcheurs industriels, qui disposent de droits de pêche spécifiques dans des zones précises, seront mal équipés face à une migration massive de leurs proies. Ne comptant que cinq ou six régions essentielles pour la culture céréalière dans le monde (les États-Unis, l’Australie, l’Argentine, la Russie, la Chine, et l’Inde), l’excédent de l’approvisionnement alimentaire mondial est insuffisant pour répondre à de graves conditions climatiques dans plusieurs régions en même temps, sans parler de quatre ou cinq à la fois. L’interdépendance économique mondiale rend les États-Unis de plus en plus vulnérables à des bouleversements économiques, créés par des variations climatiques locales dans des zones agricoles clés et à forte densité de population tout autour du monde. Des carences catastrophiques dans l’approvisionnement en eau et en énergie, ressources déjà sous pression aujourd’hui dans le monde, ne peuvent être rapidement surmontées.

IMPACT SUR LA SECURITÉ NATIONALE
La civilisation humaine s’est établie avec la stabilisation et le réchauffement du climat de la planète. Un climat instable et plus froid aurait signifié que les humains n’auraient pu ni développer l’agriculture, ni s’établir de façon permanente. Avec la fin du Dryas Récent et grâce au réchauffement et à la stabilisation qui ont suivi, les humains ont pu apprendre les rythmes de l’agriculture et s’établir dans des endroits dont le climat permettait une production assurée. La civilisation moderne n’a jamais fait l’expérience de conditions climatiques aussi durablement perturbées que celles décrites dans ce scénario. En conséquence, les implications sur la sécurité nationale décrites dans ce rapport ne sont qu’hypothétiques. Les impacts réels varieraient considérablement selon les nuances des conditions climatiques, de l’adaptabilité de l’humanité et des décisions prises par les politiciens.

Les violences et les perturbations dues aux pressions qu’engendrent de brusques changements climatiques, présentent un genre de menace différent pour la sécurité nationale que celui auquel nous sommes accoutumés aujourd’hui. La confrontation militaire peut être déclenchée par un besoin extrême de ressources naturelles, telles que l’énergie, la nourriture et l’eau, plutôt que par des conflits liés à l’idéologie, à la religion ou à l’honneur national. Ces nouveaux motifs de confrontation changent la donne quant à la vulnérabilité des pays et modifieraient les signaux existants qui nous avertissent des menaces pesant sur la sécurité.

C’est un vieux débat d’école que de savoir dans quelle mesure les diminutions des ressources et les défis environnementaux conduisent à des conflits entre les États. Tandis que certains les considèrent comme seul motif nécessaire pour une nation d’en attaquer une autre, d’autres arguent du fait que leur effet premier est d’agir comme déclencheurs de conflits entre des pays qui font face à des tensions sociales, économiques et politiques préexistantes. Indépendamment de cette question, il semble indéniable que des problèmes écologiques graves sont susceptibles de faire grimper le taux de conflit mondial.

Le co-fondateur et président du Pacific Institute for Studies in Development, Environment, and Security (Institut Pacifique d’Études sur le Développement, l’Environnement et la Sécurité), Peter Gleick, décrit les trois défis les plus fondamentaux que pose un brusque changement climatique vis-à-vis de la sécurité nationale :
-  1. Manque de nourriture dû à la baisse de la production agricole
-  2. Diminution de la disponibilité et de la qualité de l’eau douce, due aux inondations et aux sécheresses
-  3. Interruption de l’accès aux minerais stratégiques à cause du gel et des tempêtes

Dans l’hypothèse d’un brusque changement de climat, il est probable que les contraintes liées à l’accès aux ressources en nourriture, en eau et en énergie seront d’abord gérées par des moyens économiques, politiques et diplomatiques, tels que des traités ou des embargos commerciaux. Cependant, avec le temps, les conflits sur l’utilisation de l’eau et des terres seront susceptibles de devenir plus graves et plus violents. Au fur et à mesure que le désespoir gagnera les États, la pression pour agir se fera plus forte.

LA BAISSE DE LA CAPACITÉ DE CHARGE

Le graphique montre comment un brusque changement climatique peut faire que la capacité de l’écosystème à assurer la subsistance de l’homme tombe en dessous des besoins de celui-ci, suggérant qu’une insuffisance des ressources entraîne une diminution de la population par la guerre, la maladie et la famine.

Aujourd’hui, la capacité de charge, qui représente l’aptitude de la Terre et de ses écosystèmes familiers, qui incluent les systèmes sociaux, économiques et culturels, à assurer la subsistance d’un nombre fini de personnes sur la planète, est mise au défi partout dans le monde. Selon l’Agence Internationale de l’Energie (International Energy Agency), la demande globale de pétrole augmentera de 66% dans les trente années à venir, mais la source de ces approvisionnements est peu claire. L’eau potable connaît une contrainte similaire dans beaucoup de zones autour du monde. Avec 815 millions de personnes recevant des moyens de subsistance insuffisants de par le monde, certains pourraient dire que pour notre planète, nous vivons bien au-dessus de notre capacité de charge, signifiant par là qu’il n’y a pas assez de ressources naturelles pour entretenir notre mode de fonctionnement.

Beaucoup considèrent que l’innovation technologique et un comportement adaptatif sont des moyens de contrôler l’écosystème mondial. En effet, c’est bien le progrès technologique qui a permis d’augmenter la capacité de charge au cours du temps. À travers les siècles, nous avons appris comment produire plus de nourriture, d’énergie et comment accéder à plus d’eau. Mais le potentiel des nouvelles technologies sera-t-il suffisant quand une crise comme celle décrite dans ce scénario se présentera ?

Le brusque changement climatique est susceptible de pousser la capacité de charge bien au-delà de ses limites déjà périlleuses. La capacité de charge a une tendance naturelle ou un besoin de se réajuster. Alors qu’un changement brusque du climat fait baisser la capacité de charge mondiale, des guerres offensives seront menées pour l’accès à la nourriture, l’eau et l’énergie. Les pertes humaines dues autant à la guerre qu’à la famine et la maladie diminueront la taille de la population, ce qui, avec le temps, rééquilibrera la capacité de charge. Si vous observez la capacité de charge au niveau d’une région ou d’un État, il est évident que les nations disposant d’une capacité de charge élevée, comme les États-Unis et l’Europe de l’ouest, sont susceptibles de s’adapter plus efficacement aux brusques changements climatiques, car par rapport à la taille de leur population, elles ont plus de ressources à solliciter. Cela peut provoquer une aggravation aiguë des tensions entre ceux qui possèdent et ceux qui sont démunis et causer du ressentiment envers les nations dont la capacité de charge est plus élevée. Comme les nations les plus riches ont tendance à employer plus d’énergie et à émettre dans l’atmosphère plus de gaz à effet de serre comme le CO2, cela peut conduire à les montrer du doigt et à les blâmer. Moins important que les preuves, scientifiquement établies, qu’il existe une relation entre les émissions de CO2 et le changement climatique, est la perception des pays touchés et les actions qu’ils entreprennent.

LE LIEN ENTRE LA CAPACITÉ DE CHARGE ET LA GUERRE
Steven LeBlanc, archéologue de Harvard et auteur d’un nouveau livre intitulé La capacité de charge, décrit le rapport entre celle-ci et la guerre. Se basant sur d’abondantes données archéologiques et ethnologiques, LeBlanc argue du fait qu’historiquement les humains ont organisé et mené des guerres pour des raisons variées, y compris pour les ressources et l’environnement. Les humains combattent quand ils dépassent la capacité de charge de leur environnement naturel. Chaque fois qu’il y a un choix entre mourir de faim et piller, les humains pillent. Depuis la chasse et la cueillette, au sein des tribus agricoles, dans les territoires sous l’autorité d’un chef jusqu’aux premières sociétés complexes, 25% de la population masculine adulte meure quand une guerre éclate.

La paix s’instaure lorsque la capacité de charge augmente, comme cela a été le cas avec l’invention de l’agriculture, une bureaucratie efficace, l’ouverture du commerce à l’exportation et les percées technologiques. Des pertes humaines à grande échelle, comme celles dues à la peste, installent aussi des temps de paix - comme en Europe après les grandes pestes et en Amérique du Nord chez les populations indigènes après que les maladies européennes les eurent décimées (c’est la différence entre l’échec de la colonie de Jamestown et le succès de Plymouth Rock). Mais de telles périodes d’apaisement sont de courte durée car la population augmente rapidement, se heurtant à nouveau à la capacité de charge, et la guerre reprend. En effet, au cours des millénaires la plupart des sociétés se sont définies elles-mêmes selon leur aptitude à faire la guerre et la culture guerrière s’est profondément enracinée. Les sociétés les plus combatives sont celles qui ont survécu.

Toutefois, au cours des trois derniers siècles, LeBlanc précise que les États développés ont fait baisser le nombre de victimes de façon constante, même si chaque guerre et génocide a augmenté en proportion. Au lieu d’abattre tous leurs ennemis comme le veut la tradition, les États en tuent par exemple juste assez pour obtenir la victoire, puis ils mettent au travail les survivants, au profit de la nouvelle expansion de leur économie. Les États utilisent également leurs propres bureaucraties, technologies de pointe et les règles de conduite internationales pour accroître leur capacité de charge et entretenir avec elle un rapport plus attentif.

L’ensemble de ce comportement progressif pourrait s’effondrer si, de toutes parts, les capacités de charge baissaient soudainement de façon dramatique en raison d’un brusque changement de climat. L’humanité retournerait à son lot de luttes constantes pour l’accès à des ressources en baisse, ressources que ces mêmes batailles réduiraient plus encore que les effets climatiques eux-mêmes. De nouveau, la guerre régirait la vie humaine.

SCENARII DE CONFLITS DUS AU CHANGEMENT DE CLIMAT

Europe Asie États-Unis
2010-2020 2012 : Une grave sécheresse et le froid poussent les populations scandinaves vers le sud, l’Europe les repousse

2015 : Des conflits au sein de l’Europe pour l’approvisionnement en nourriture et en eau provoquent des accrochages et tendent les relations diplomatiques

2018 : La Russie adhère à l’Europe, fournissant ses ressources énergétiques

2020 : Migrations depuis les pays nordiques tels que la Hollande et l’Allemagne vers l’Espagne et l’Italie.
2010 : Incidents aux frontières et conflits au Bangladesh, en Inde, et en Chine, alors que des migrations massives ont lieu vers la Birmanie

2012 : L’instabilité régionale conduit le Japon à développer des capacités d’intervention militaire

2015 : Accord stratégique entre le Japon et la Russie pour les ressources énergétiques de la Sibérie et de Sakhaline

2018 : La Chine intervient au Kazakhstan pour protéger les oléoducs régulièrement endommagés par des rebelles et des criminels

2010 : Des désaccords à propos de l’eau entre le Canada et le Mexique augmentent la tension

2012 : Une vague de réfugiés envahit le sud-est des USA et le Mexique en provenance des îles Caraïbes

2015 : Migration européenne vers les États-Unis (majoritairement des populations aisées)

2016 : Conflits avec les pays européens sur les droits de pêche.

2018 : Pour assurer la sécurité de toute l’Amérique du Nord, les USA forment une alliance de sécurité avec le Canada et le Mexique

2020 : Le Ministère de la Défense contrôle les frontières et les réfugiés venant des Caraïbes et de l’Europe.

 

2020-2030 2020 : Augmentation des accrochages à propos de l’eau et de l’immigration

2022 : Incident entre la France et l’Allemagne pour l’accès commercial au Rhin

2025 : L’Europe au bord de l’effondrement

2027 : Migrations croissantes vers les pays méditerranéens tels que l’Algérie, le Maroc, l’Égypte et Israël

2030 : Près de 10% de la population européenne migre vers un pays différent.
2020 : Conflits persistants dans le sud-est asiatique : en Birmanie, au Laos, au Vietnam, en Inde, en Chine

2025 : Les conditions intérieures en Chine se détériorent dramatiquement et mènent à la guerre civile et à des guerres aux frontières

2030 : Tension croissante entre la Chine et le Japon à propos de l’énergie russe.
2020 : Augmentation du prix du pétrole, la sécurité de l’approvisionnement étant menacé par des conflits dans le Golfe Persique et en mer Caspienne

2025 : Lutte interne en Arabie Saoudite qui amène les forces navales chinoises et américaines à une confrontation directe dans le Golfe

Le tableau ci-dessus récapitule quelques-unes des conséquences militaires potentielles suite à un changement climatique.



 

Les deux réactions les plus probables, face à une baisse soudaine de la capacité de charge due à un changement climatique, sont défensives et offensives.

Les États-Unis et l’Australie vont probablement faire de leurs pays des forteresses défensives, car ils disposent de ressources et de réserves pour assurer leur autosuffisance. Grâce à la diversité de leurs sols et leurs climats, à leur richesse, leurs technologies et leurs ressources abondantes, les États-Unis pourraient sans doute survivre sans pertes catastrophiques à des cycles de culture agricole réduits ainsi qu’à des conditions climatiques difficiles. Les frontières seront renforcées autour du pays pour maintenir au-dehors les immigrants affamés indésirables en provenance des Caraïbes (un problème particulièrement grave), du Mexique et de l’Amérique du Sud. L’approvisionnement énergétique sera garanti grâce à des alternatives coûteuses (économiquement, politiquement et moralement) comme le nucléaire, les énergies renouvelables, l’hydrogène et de nouveaux contrats passés avec le Moyen-Orient. Des conflits usants à propos des droits de pêche, des subventions à l’agriculture et des aides aux dégâts des catastrophes deviendront monnaie courante. La tension entre l’Amérique et le Mexique monte lorsque les États-Unis dénoncent le traité de 1944 qui garantit l’écoulement de l’eau venant du fleuve Colorado. Des professionnels de l’assistance humanitaire seront recrutés pour assurer les secours face aux inondations le long de la partie sud de la côte est et pour faire face à des conditions beaucoup plus sèches à l’intérieur des terres. Cependant, même dans cet état d’urgence permanent, les États-Unis seront en bien meilleure posture que d’autres. Le problème insurmontable auquel sera confronté la nation sera d’apaiser la tension militaire internationale croissante.

Lorsque la famine, les maladies, les catastrophes liées à la météo frappent, provoqués par le brusque changement climatique, les besoins de beaucoup de pays excéderont leurs capacités de subsistance. Cela créera un sentiment de désespoir, susceptible de mener à de violentes agressions visant à restaurer l’équilibre. Imaginez les pays d’Europe de l’est, luttant pour nourrir leurs populations et dont l’approvisionnement en nourriture, en eau et en énergie est en chute libre, lorgnant sur la Russie, dont la population est déjà en baisse, pour accéder à ses ressources céréalières, son minerai et son énergie. Ou figurez-vous le Japon, souffrant d’inondations le long de ses villes côtières et de la contamination de ses provisions d’eau douce, convoitant les réserves de pétrole et de gaz de l’île russe de Sakhaline, afin d’alimenter en énergie ses usines de dessalement et ses productions agricoles très consommatrices d’énergie. Envisagez le Pakistan, l’Inde et la Chine - tous équipés d’armes nucléaires - se déchirant à leurs frontières à propos des réfugiés, de l’accès à des rivières communes et des terres arables. Les pêcheurs espagnols et portugais pourraient s’opposer à propos des droits de pêche, ce qui conduit à des affrontements en mer. Et des pays incluant les États-Unis vont probablement renforcer la sécurité de leurs frontières. Avec plus de 200 bassins fluviaux communs à de multiples nations, il faut s’attendre à des conflits pour l’accès à l’eau potable, pour l’irrigation et le transport fluvial. Le Danube touche douze nations, le Nil en concerne neuf et l’Amazone sept.

Dans ce scénario, nous pouvons nous attendre à des alliances de circonstance. Les États-Unis et le Canada pourraient devenir un seul et même pays, simplifiant le contrôle des frontières. Ou bien le Canada pourrait garder pour lui sa puissance hydroélectrique et poser des problèmes énergétiques aux États-Unis. Les deux Corées pourraient s’unir pour créer une entité au savoir-faire technologique et disposant de l’arme nucléaire. L’Europe pourrait agir en tant que bloc unifié pour limiter les problèmes d’immigration entre les nations européennes et organiser sa protection contre des agresseurs. La Russie, avec ses abondantes ressources en minerais, pétrole et gaz naturel pourrait se joindre à l’Europe.

Dans ce monde d’États belligérants, la prolifération d’armes nucléaires est inévitable. Les réserves existantes d’hydrocarbure s’amenuisent alors que le refroidissement du climat fait grimper la demande. Avec la pénurie des sources d’énergie et le besoin croissant d’y accéder, le nucléaire deviendra une source d’énergie essentielle, ce qui accélèrera la prolifération nucléaire, les pays développant leur capacité à l’enrichissement et au retraitement [des matières radioactives] pour garantir leur sécurité nationale. La Chine, l’Inde, le Pakistan, le Japon, la Corée du Sud, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne auront tous l’arme nucléaire, de même qu’Israël, l’Iran, l’Égypte et la Corée du Nord

Contrôler les tensions militaires et politiques, les incidents occasionnels et la menace de guerre, ce sera le défi. Les pays tels que le Japon, qui ont un niveau élevé de cohésion sociale (où le gouvernement peut engager avec efficacité la population à changer de comportement), sont les plus à même d’y parvenir. Les pays dont la diversité produit déjà des conflits, tels que l’Inde, l’Afrique du Sud et l’Indonésie, auront du mal à maintenir l’ordre. L’adaptabilité et l’accès aux ressources seront déterminants. Le défi le plus frustrant que posera le brusque changement de climat tiendra peut-être en ce que nous ne saurons jamais jusqu’à quel point du scénario de changement climatique nous sommes parvenus et combien d’années, 10, 100, 1000... seront encore nécessaires avant un certain retour à des conditions plus chaudes avec un redémarrage de la circulation thermohaline. Quand la capacité de charge chute soudainement, la civilisation est confrontée à de nouveaux défis qui paraissent aujourd’hui inimaginables.

Ceci pourrait-il vraiment arriver ?

Les scientifiques spécialistes des océans, de la terre et de l’atmosphère, appartenant aux organisations internationales les plus prestigieuses, ont révélé de nouveaux indices au cours de la décennie passée, qui suggèrent que la probabilité d’un important et rapide changement climatique est plus élevée que ce que la majeure partie de la communauté scientifique et peut-être toute la communauté politique ne sont prêts à envisager. S’il se produit, ce phénomène rompra la tendance actuelle de réchauffement général, ajoutant à la complexité et au manque de prévisibilité du climat. Et une preuve paléoclimatique suggère qu’un changement aussi brusque du climat pourrait commencer dans un proche avenir.

L’Institut Océanographique de Woods Hole rapporte que les mers entourant l’Atlantique Nord sont devenues moins salées au cours des quarante dernières années, ce qui a pour effet de rafraîchir le fond de l’océan dans l’Atlantique Nord. Cette tendance pourrait préparer le terrain à un effondrement ou un ralentissement du courant océanique et à un brusque changement climatique.

Le graphique ci-dessus met en évidence l’imminence possible d’un effondrement de la circulation thermohaline, l’Atlantique Nord étant de plus en plus rafraîchi par les mers qui l’entourent, devenues moins salées au cours des quarante dernières années. (Adaptés par I. Yashayaev, de l’Institut Océanographique de Bedford, à partir de "Abrupt Climate Change, Inevitable Surprises ", National Research Council)

Les deux titres ci-dessus ont été publiés dans le magazine Nature, respectivement en 2001 et 2002. Ils évoquent la possibilité d’une baisse du niveau de salinité de l’Atlantique Nord, augmentant la probabilité d’un effondrement de la circulation thermohaline.

Avec au moins huit brusques changements climatiques répertoriés dans les relevés géologiques, il semble qu’il vaille mieux s’interroger sur quand cela se passera, quelles en seront les répercussions et comment nous pouvons nous y préparer au mieux, plutôt que de savoir si cela va vraiment avoir lieu.

Sommes-nous préparés à ce que l’Histoire se répète à nouveau ?

Tous les journaux de la planète participent aujourd’hui au débat sur l’impact de l’activité humaine sur le changement du climat. Puisque la prospérité économique est liée à l’utilisation de l’énergie et aux émissions de gaz à effet de serre, on impute souvent au progrès économique d’être à l’origine d’un changement du climat. D’autres signes suggèrent que le changement de climat peut se produire indépendamment de l’activité humaine, comme l’attestent les événements climatiques survenus avant l’avènement de la société moderne.

Il est important de comprendre les impacts humains sur l’environnement, autant ce qui est susceptible d’accélérer que de ralentir, voire même d’inverser la tendance en matière de changement climatique. Les carburants alternatifs, le contrôle des émissions de gaz à effet de serre et les mesures de préservation sont des efforts qui valent la peine. De plus, nous devrions nous préparer aux effets inévitables d’un brusque changement du climat, qui surviendra probablement indépendamment de l’activité humaine.

Voici quelques recommandations préliminaires pour préparer les États-Unis à un brusque changement de climat :

1. Améliorer les modèles de prévision climatique. Davantage de recherches devraient être conduites pour que les prévisions portant sur le changement du climat soient plus fiables. Il faut approfondir la compréhension du rapport entre le comportement des océans et le changement de climat. Ces recherches devraient se concentrer sur les forces actuelles, passées et à venir, dans le but d’accroître notre compréhension d’un brusque changement de climat, comment il peut intervenir et comment nous saurons qu’il se produit.

2. Assembler des modèles prévisionnels complets des répercussions du changement climatique. Des recherches conséquentes devraient être menées sur les possibles conséquences écologiques, économiques, sociales et politiques du brusque changement climatique. Des modèles et des scénarios sophistiqués devraient être développés pour prévoir les situations qui se produiront localement. Un système devrait être conçu pour identifier comment le changement de climat peut affecter la répartition et gestion globale du pouvoir social, économique et politique. Ces analyses peuvent être employées pour atténuer les causes potentielles de conflits avant qu’ils ne se produisent.

3. Créer une échelle de mesure de la vulnérabilité. Des critères devraient être recensés pour appréhender la vulnérabilité d’un pays aux répercussions du changement de climat. Ces critères peuvent inclure l’impact climatique sur les ressources agricoles, aquifères et minérales, le savoir-faire technique, la cohésion sociale et l’adaptabilité.

4. Identifier des stratégies "sans regrets ni remords". Des stratégies sûres devraient être identifiées et mises en application pour garantir un accès fiable aux approvisionnements alimentaires et à l’eau et pour assurer la sécurité nationale.

5. Préparer des réponses adaptatives. Un ensemble de mesures adaptatives devrait être mis en place pour répondre et se préparer aux événements inévitables engendrés par le climat, telles que les migrations massives, les maladies et les épidémies, les carences d’approvisionnement en nourriture et en eau.

6. Étudier les implications locales. Les premiers effets du changement de climat sont locaux. Tandis que nous pouvons anticiper des changements de la fréquence, de la résistance et de la nuisance des parasites, ainsi que les changements de la productivité agricole, il convient de regarder de prés où et dans quelles conditions spécifiques cela arrive pour savoir de quels parasites il s’agit, quelles récoltes et quelles régions sont vulnérables, et à quel point les répercussions seront graves. De telles études devraient être entreprises en particulier dans les régions d’importance stratégique pour la production de nourriture.

7. Explorer des options géo-technologiques de contrôle du climat. Aujourd’hui, il est plus facile de chauffer que de refroidir le climat, ainsi il pourrait être possible d’ajouter divers gaz à l’atmosphère, tels que des carbones hydrofluorés, pour compenser les effets du refroidissement. De telles actions devraient être évidemment étudiées avec soin, car elles risquent d’aggraver les conflits entre les nations.


CONCLUSION

Il est tout à fait plausible que d’ici à une décennie un changement brusque et imminent du climat devienne une évidence claire et sûre. Il est également possible que nos modèles nous permettent de mieux en prévoir les conséquences. Dans cette perspective, les États-Unis devront prendre des mesures d’urgence pour empêcher et atténuer certains des impacts les plus importants. L’action diplomatique sera nécessaire pour réduire au minimum la probabilité de conflit dans les zones les plus touchées, les Caraïbes et l’Asie tout particulièrement. Cependant, dans ce scénario, des mouvements de population massifs sont inévitables. Apprendre à contrôler ces populations, les tensions qui surgissent aux frontières et les réfugiés qui en résultent, deviendra primordial. De nouvelles formes d’accords de sécurité, portant spécifiquement sur l’énergie, la nourriture et l’eau, seront également nécessaires. En bref, alors que les États-Unis eux-mêmes s’en sortiront mieux et ont une meilleure capacité adaptative, ils se retrouveront dans un monde où l’Europe luttera intérieurement, confrontée à des flots de réfugiés se déversant sur ses rivages, et où l’Asie traversera une grave crise par rapport à l’eau et à la nourriture. Bouleversements et conflits seront les caractéristiques endémiques de la vie.




Titre original :
An Abrupt Climate Change Scenario and Its Implications for United States National,by Peter Schwartz and Doug Randall
A report commissioned by the U.S. Defense Department
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Ce rapport a été traduit par le rezo de l’association "Les Humains Associés" (Traducteurs bénévoles : PR, KT, E., RI, NQS). Une suggestion à nous faire pour améliorer cette traduction ? Contacter les webmestresses. Vous souhaitez vous aussi participer au travail de traduction?

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Le scénario d’un brusque changement de climat - 1.4 Mo
Le scénario d’un brusque changement de climat

Le scénario d’un brusque changement de climat et ses implications pour la sécurité nationale des États-Unis, par Peter Schwartz et Doug Randall

Octobre 2003 Un rapport commandé parle Ministère de la Défense des États-Unis (Traduction française des Humains Associés)

 

Dossier : [Spécial] changement climatique, le "rapport du Pentagone"
-  "Le rapport du Pentagone" - Le scénario d’un brusque changement de climat et ses implications pour la sécurité nationale des États-Unis, par Peter Schwartz et Doug Randall
-  Maintenant le Pentagone avertit Bush : le changement climatique nous détruira, The Observer
-  L’effondrement du climat, par David Stipp (Fortune)
-  Un rapport commandé par le Pentagone provoque un tohu-bohu en Europe, par Keay Davidson (San Francisco Chronicle)
-  Si la Terre était un village...

A lire aussi :
Fil d’info : Changement climatique - Catastrophe planétaire
Revue de presse internationale.

Autour de l’écologie :
-  Manifeste Planétaire, texte fondateur de l’association Les Humains Associés - 1984
-  Si la Terre était un village... de 100 personnes.


posté par Les Humains Associés



30/05/2008
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