Principe de précaution - Partie 1

 

Principe de précaution

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Le principe de précaution est d'abord un principe philosophique, officiellement entériné en 1992 dans la convention de Rio.

Bien qu'il n'y ait pas de définition universellement admise du principe de précaution, on peut s'appuyer sur l'énoncé de la loi française de 1995 :

l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles […] à un coût économiquement acceptable

On peut rapprocher ce raisonnement d'un paralogisme de « la pente glissante » doublé d'un « appel à l'ignorance » (argumentum ad ignorantum) socialement accepté.

Ce principe philosophique existait à différents degrés dans les chartes et les conventions internationales comme dans des lois nationales. Ce sont les domaines de la santé et de l'environnement (par exemple la question du réchauffement climatique) qui fournissent l'essentiel des sujets d'inquiétudes « graves » et « irréversibles », et donc de la matière d'application de ce principe.

Sommaire

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Prévention et précaution [modifier]

Deux notions indispensables :

  • la prévention vise les risques avérés, ceux dont l'existence est démontrée ou connue empiriquement (parfois même assez connu pour qu'on puisse en estimer la fréquence d'occurrence). Exemples : le risque nucléaire, l'utilisation de produits tels que l'amiante par exemple. L'incertitude ne porte pas sur le risque, mais sur sa réalisation.
  • la précaution vise les risques hypothétiques, non encore confirmés scientifiquement, mais dont la possibilité peut être identifiée à partir de connaissances empiriques et scientifiques. Exemples : le développement des organismes génétiquement modifiés, les émissions des téléphones portables, etc[1].

Evolutions [modifier]

L’émergence du principe de précaution dans le champ de l’environnement [modifier]

Historique européen et mondial [modifier]

Dès 1972, la Conférence mondiale sur l'environnement de Stockholm organisée dans le cadre des Nations unies a posé les premiers droits et devoirs dans le domaine de la préservation de l’environnement. Ainsi, le principe 9 de la déclaration de Stockholm énonce : « L'homme a un droit fondamental à la liberté, à l'égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être. Il a le devoir solennel de protéger et d'améliorer l'environnement pour les générations présentes et futures ».

Les prémices modernes du principe de précaution viennent d’Allemagne, dans le courant des années 1970 : Vorsorgeprinzip (« principe de prévoyance »). Afin d’inciter les entreprises à utiliser les meilleurs techniques disponibles, sans mettre en péril l’activité économique, ce principe incite à prendre des mesures contre les pollutions avant d’avoir des certitudes scientifiques sur les dommages causés à l’environnement. Dès les années 1984[2], 1987[3] et suivantes, des textes officiels internationaux en font mention dans les pays d’Europe du Nord.

Mais c’est au cours du Sommet de la Terre réuni à Rio de Janeiro en juin 1992 que ce principe bénéficie d’une reconnaissance planétaire (point 8 du préambule de la convention de Rio sur la diversité biologique).

Dans l’histoire de la construction européenne, le principe de précaution est introduit avec le Traité de Maastricht (art. 130R devenu 174 avec le Traité d’Amsterdam) :

« La politique de la Communauté […] vise un niveau de protection élevé […]. Elle est fondée sur le principe de précaution et d’action préventive, sur le principe de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et sur le principe du pollueur - payeur. »

Le principe de précaution évolue ainsi d’une conception philosophique vers une norme juridique.

La Commission européenne, dans sa communication du 2 février 2000, sur le recours au principe de précaution, définit ainsi des lignes directrices :

  • Le principe de précaution ne peut être invoqué que dans l'hypothèse d'un risque potentiel, il ne peut en aucun cas justifier une prise de décision arbitraire. Le recours au principe de précaution n'est donc justifié que lorsque trois conditions préalables sont remplies :
    • l'identification des effets potentiellement négatifs,
    • l'évaluation des données scientifiques disponibles,
    • l'étendue de l'incertitude scientifique.
  • Les mesures résultant du recours au principe de précaution peuvent prendre la forme d'une décision d'agir ou de ne pas agir. Lorsque agir sans attendre plus d'informations scientifiques semble la réponse appropriée, cette action peut prendre diverses formes : adoption d'actes juridiques susceptibles d'un contrôle juridictionnel, financement d'un programme de recherche, information du public quant aux effets négatifs d'un produit ou d'un procédé, etc.
  • Trois principes spécifiques devraient guider le recours au principe de précaution :
    • la mise en œuvre du principe devrait être fondée sur une évaluation scientifique aussi complète que possible. Cette évaluation devrait, dans la mesure du possible, déterminer à chaque étape le degré d'incertitude scientifique ;
    • toute décision d'agir ou de ne pas agir en vertu du principe de précaution devrait être précédée par une évaluation du risque et des conséquences potentielles de l'absence d'action ;
    • dès que les résultats de l'évaluation scientifique ou de l'évaluation du risque sont disponibles, toutes les parties intéressées devraient avoir la possibilité de participer à l'étude des diverses actions envisageables.
  • Outre ces principes spécifiques, les principes généraux d'une bonne gestion des risques restent applicables lorsque le principe de précaution est invoqué. Il s'agit des cinq principes suivants :
    • la proportionnalité entre les mesures prises et le niveau de protection recherché ;
    • la non-discrimination dans l'application des mesures ;
    • la cohérence des mesures avec celles déjà prises dans des situations similaires ;
    • l'examen des avantages et des charges résultant de l'action ou de l'absence d'action ;
    • le réexamen des mesures à la lumière de l'évolution scientifique.

En France [modifier]

La loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature affirme ainsi dans son article premier que « la protection des espaces naturels et des paysages, la préservation des espèces animales et végétales, le maintien des équilibres biologiques auxquels ils participent et la protection des ressources naturelles contre toutes les causes de dégradation qui les menacent sont d'intérêt général ».

C’est la loi Barnier 95-101[4] de renforcement de la protection de l’environnement qui a inscrit le principe de précaution dans le droit interne. Il s’agit du principe « selon lequel l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement, à un coût économiquement acceptable[5] ».

En février 2005, le Parlement français a inscrit dans la Constitution la Charte de l'environnement, installant par là même le principe de précaution au niveau le plus élevé de la hiérarchie des normes juridiques :

« Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veilleront, par application du principe de précaution, et dans leurs domaines d'attribution, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage » (article 5).

Le Comité de la prévention et de la précaution (CPP) (institué par l’arrêté ministériel du 30 juillet 1999) a 3 missions principales[6]

  • contribue à mieux fonder les politiques du Ministère chargé de l’environnement sur les principes de prévention et de précaution ;
  • exerce une fonction de veille, d’alerte et d’expertise pour les problèmes de santé liés aux perturbations de l’environnement ;
  • fait le lien entre, d’une part, les actions de recherche et la connaissance scientifique et, d’autre part, l’action réglementaire.

Extension à la santé publique et à l'alimentation [modifier]

Les récentes crises (sang contaminé, recherche croissante de la pénalisation des fautes des responsables économiques, politiques et administratifs, la vache folle, etc.) ont profondément fait évoluer le champ d’application de ce concept.

L’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes dans l’affaire de la vache folle en 1998 illustre cette évolution. Celle-ci a en effet débouté le gouvernement britannique qui contestait l’embargo pris en mars 1996 sur les motifs « qu’il doit être admis que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, les institutions peuvent prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. » Ce principe a été repris en septembre 2001 dans un « projet de règlement européen » visant la législation alimentaire et qui reconnaissait en substance le principe de précaution dans son article 7.

Par ailleurs, l'accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires conclu dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) autorise un État membre à prendre des mesures à titre de précaution s'il considère qu'il n'existe pas de preuves scientifiques suffisantes permettant de prendre une décision définitive au sujet de l'innocuité d'un produit ou de la sécurité d'un procédé. En contrepartie, L'État doit engager des recherches scientifiques afin de lever l'incertitude qui motive ses précautions dans un délai raisonnable :

« Dans le cas où les preuves scientifiques pertinentes seront insuffisantes, un membre pourra provisoirement adopter des mesures sanitaires ou phytosanitaires sur la base des renseignements pertinents disponibles, y compris ceux qui émanent des organisations internationales compétentes ainsi que ceux qui découlent des mesures sanitaires ou phytosanitaires appliquées par d'autres membres. Dans de telles circonstances, les membres s'efforceront d'obtenir des renseignements additionnels nécessaires pour procéder à une évaluation plus objective du risque et examineront en conséquence la mesure sanitaire ou phytosanitaire dans un délai raisonnable. »

Ce principe s’est alors durci en France. La précaution est alors devenue « maximale » ou « absolue », tendant vers un « risque absolument minimum »… Certains ont pu en tirer la conclusion que le principe était une règle d’abstention : il fallait tout faire pour éviter le moindre risque. Et même si on peut avoir des réserves justifiées sur les approches catastrophistes, il faut reconnaître que l’homme a le devenir du monde entre ses mains. Penser cette nouveauté et y trouver une inspiration effective pour la décision politique et économique est une exigence actuelle. La précaution n’est pas une simple technique de prévention des risques.

Enfin, la popularité actuelle du principe de précaution a conduit à une certaine confusion, dans la mesure où

  • les autorités ont fréquemment invoqué le « principe de précaution » à propos d'actions de « prévention » ordinaire comme on en applique depuis des decennies voire des siècles (telle qu'une quarantaine ou qu'une désinfection).
  • elles ont également invoqué ce principe à propos d'actions à finalité purement médiatique, dans le but de rassurer la population (par exemple des destructions d'aliments ou l'abattage d'animaux dont on sait qu'ils sont sains, mais que la rumeur médiatique a associé à un risque).

Mais ces applications débridées qui sont faites du principe de précaution en contexte de crise, comme celles qui sont refusées lorsqu’il serait vraiment opportun de la faire, montrent que l’usage de ce principe est encore immature.

Les approches dites « catastrophistes » [modifier]

C’est la conception d’Hans Jonas selon laquelle les hommes doivent se faire les gardiens de l’humanité et doivent exiger le risque zéro de conduire à l’apocalypse.

Compte tenu de l’incertitude structurelle sur les conséquences lointaines de nos actions, la seule possibilité d’une fin apocalyptique doit suffire pour mettre à l’écart une action soupçonnée : aucune considération de probabilité ou de plausibilité ne doit intervenir ici. Cette règle est reprise dans certaines positions selon lesquelles « un décideur ne se lance dans une action que s’il est certain qu’elle ne comporte aucun risque environnemental ou sanitaire » par exemple.

Les détracteurs du principe de précaution le présentent comme une règle d’abstention, estimant par exemple que dans un univers complexe, il reviendrait à approcher le plus possible le dommage zéro, avec un biais parfois mathématiquement illustré par le paradoxe d’Ellsberg (dans un cadre de référence focalisé sur les dommages, la prise en compte précoce d’un risque déplace mécaniquement le centre de gravité de ces dommages vers une aggravation). Dans le cadre posé, les dommages qui captent l’attention ne sont pas nécessairement les plus importants, quel que soit le moment de la prise en compte du risque. En revanche, les scénarios possibles se multiplient avec la précocité de cette prise en compte. Le scénario des possibles ne peut alors s’ouvrir que du côté de l’aggravation des dommages).

Dans la prise en compte du pire scénario, cet effet serait net. Ce serait la précocité de la prise en compte du risque qui provoquerait par elle-même une aggravation du risque perçu et demanderait une plus grande sévérité des mesures de précaution. Et par conséquent, au voisinage de l’ignorance, tout serait possible, dont les pires catastrophes et il faudrait systématiquement s’abstenir de tout faire. Ainsi, à l'extrême, toute innovation, considérée de façon précoce, devrait être écartée. Ce serait une attitude conservatrice, tendant au maintien du statu quo et typique de la résistance au changement et de l'aversion à l'incertitude, qui à la limite engendrerait ses propres risques par non adaptation aux évolutions.

La conclusion s’impose aux détracteurs du principe de précaution : il n’est pas plus raisonnable d’exiger des certitudes sur l’absence d’un dommage avant d’autoriser une activité ou une technique qu’il ne le serait d’exiger des certitudes sur l’existence d’un dommage pour commencer à prendre des mesures de prévention. La précaution doit s’inventer dans l’entre deux borné par ces deux extrêmes.

Le prospectiviste Jean-Jacques Salomon note que la quarantaine a été le premier moyen efficace de bloquer les épidémies, et qu'elle a précédé la compréhension de la nature du phénomène de contagion. il propose que le principe de précaution soit une sorte de quarantaine à certaines innovations ou à certaines activités, en prenant en compte l'irréversibilité de leurs effets non prévisibles, ce qui est renouer avec la prudence antique, dont Aristote disait qu'elle fait de celui qui la pratique non pas un peureux, mais au contraire « un valeureux ».



29/05/2008
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