Bipoéducation ou Psychoéducation

 

 

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Bipoéducation ou Psychoéducation

1/01/2009

Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Avis des cyclothymiques

Que faut-il savoir du trouble bipolaire pour bien soigner ce même trouble ?
Ce post est rédigé par Marie (http://www.bipolaire-info.org/) et Elie Hantouche (CTAH)

Des mots pour apprendre et comprendre la bipolarité

Marie : J’ai découvert le mot "Psychoéducation" sur un forum pour patients bipolaires, en 2004. Dans le contexte, son sens était clair : éducation à la maladie c’est-à-dire apprentissage de ses mécanismes et des moyens de la traiter, des outils pour s’observer et repérer ses propres variations d’humeur, afin être actif dans la gestion au quotidien et avec son médecin de sa bipolarité.
N’empêche que le mot choisi pour qualifier tout ça me paraissait à la fois bien ronflant et très inadapté. Psychoéducation ! Qu’y avait-il donc de psycho là-dedans ?
Je l’ai employé, mais en ronchonnant.

Quand je suis devenue la patiente du docteur Elie Hantouche, je lui ai parlé du forum en question, sur lequel je m’étais mise à intervenir beaucoup. Il fut fort intéressé, ayant le goût de partager ses connaissances. Déçu par des années de conférences en direction des psychiatres, qui en général regardaient les mouches voler, une information des patients sembla le motiver grandement.
Un jour où je lui demandais s’il organiserait des groupes de psychoéducation à son cabinet, il me regardé avec son petit sourire un peu narquois et me dit, de sa voix chaude à l’accent rocailleux :
"Psychoéducation ? C’est quoi, psychoéducation ? Education des psychiatres ?". Je ris avec lui.
Depuis, j’ai ouvert, avec l’aide précieuse de Spiritism, mon propre forum où les internautes trouvent, je l’espère, toute la psychoéducation nécessaire. Grâce aussi à Elie, qui a accepté de devenir notre conseiller scientifique.
Mais j’appelle ça la bipo-éducation. Et c’est drôle, j’ai testé ce mot et il est adopté immédiatement par mes interlocuteurs.
On pourrait dire que c’est réducteur parce que ça ne peut s’appliquer qu’à notre maladie. Mais qu’est-ce qui empêcherait de le décliner. "Schizoéducation", par exemple, ça sonne tout aussi bien. Si on voulait par exemple singulariser la cyclothymie, on pourrait dire "cyclo-éducation" et tout à lʼavenant. Et là, ça a enfin du sens.

Quelques constats "fâcheux"

  • la priorité pour les patients est l’obtention d’un diagnostic le plus précoce et correct, donc besoin d’une amélioration des outils de dépistage et d’information sur la maladie (sur ce point, il y a du boulot à réaliser vu que la majorité des psychiatres n’utilisent pas les questionnaires de dépistage)
  • les médecins représentent la source la plus pauvre en information ; la majorité des psychiatres écoutent mais parlent peu ? et quand ils parlent c’est pour juger la personne ou analyser le symptôme ou le trouble en termes obscurs (et analytiques)
  • heureusement, il y a l’Internet, les sites et les forums d’informations, les livres et le bouche-à-oreille
  • les praticiens mettent en priorité le progrès des traitements des manies et des dépressions bipolaires, donc priorité au développement de nouveaux médicaments ? avoir plus de médicaments, c’est renforcer leur pouvoir d’agir sur la maladie
  • qui dit nouveau "médicament" dit industrie pharmaceutique, dit marketing qui se charge de former les médecins sur les indications et l’usage des médicaments. L’information des médecins sur les médicaments vient donc de l’industrie ? ce qui explique probablement l’oubli du lithium par les psychiatres depuis plus de 20 ans au dépens des nouvelles molécules développées dans le traitement de la manie (à commencer par le divalproate (Dépakote) puis l’olanzapine (Zyprexa) et la suite des anti-psychotiques atypiques et des anti-convulsivants)
Ainsi toute information sur la maladie bipolaire est suspecte, car on pense qu’un laboratoire est derrière. Mais qu’on le veuille ou pas, on doit parler de la maladie bipolaire. Parler de la maladie, faciliter son dépistage, enlever ou réduire ses stigmas, informer sur ses aspects cliniques et ses risques, aider l’entourage à mieux la comprendre et surtout soutenir le patient bipolaire  Tout cela fait partie de "parler de la maladie bipolaire". Il y aura certainement des déchets et des erreurs  Mais le fait est là : la maladie bipolaire ne doit plus être un tabou ; on a le droit d’en parler. Certains vont trop en parler, d’autres peu (ou jamais) et d’autres bien. Chacun aura sa dose d’information.

Que faut-il apprendre de la bipolarité ?

Qui dit psychoéducation évoque un genre d’apprentissage. Mais pour apprendre quoi ? La nature des symptômes, la qualité du vécu du trouble par le sujet ou sa famille, les causes et les mécanismes, les moyens disponibles de traiter.

Qui dit psychoéducation signifie que cette approche est censée apporter plus de bénéfices en termes de dépistage précoce des troubles, une meilleure adhésion aux traitements, une implication active du patient dans le projet de soins, de chances de bien réagir au traitement et sur le long terme ainsi qu’une meilleure évolution (moins de rechutes, qualité de fonctionnement améliorée ).

L’idée de base est une aide à l’autogestion de soi et de sa maladie, comme devenir un connaisseur de sa maladie.

Le vrai progrès est de partager

Un bon savoir est fait pour être partagé, qu’il soit détenu par les "experts", "universitaires" ou "médecins", ou par les patients (non médecins).
Longtemps, j’ai accepté de partager mon savoir sur les TOCs et collaborer activement (et de manière entièrement bénévole) avec l’AFTOC.

Actuellement, je le fais avec mes patients (en individuel ou en groupe), mes psychologues, mes livres, mes conférences et avec le forum d’information (bipolaire-info)
On ne peut pas courir tout le temps derrière les nouveautés, qui d’ailleurs se font rares de nos jours. On a l’impression que tout va vite (ou doit aller vite). Personne ne peut suivre à elle toute seule la mouvance des idées et de la recherche. Il faut une collaboration et des réseaux de partenariat.

Chacun possédant une certaine dose de savoir doit la faire partager avec les autres. D’où l’importance de créer des espaces d’information et de soutien en profitant des moyens de communication, l’Internet.

"Bipo-éducation" pourquoi ?

Le mot "éducation" ne signifie pas connaissance ou information. "Bipolaire-Info" me paraît plus adapté que "Bipolaire-Edu" ; alors qu’en anglais "Education" signifie plus apprentissage, savoir  suffit de regarder les adresses internet des professeurs d’universités aux USA (toutes les adresses finissent par "edu").

Cela dit, "Psychoéducation" est acceptée dans le monde médical psychiatrique comme une méthode à part, une approche en plus  comme si la modernité et l’évolution des moeurs en psychiatrie avec la carence de vraies communications entre médecins et malades, a nécessité une telle spécification de la psychoéducation. Elle devrait normalement, naturellement et théoriquement faire partie de la Médecine. Mais la réalité montre que la majorité des malades bipolaires n’a pas actuellement accès au diagnostic, donc forcément pas d’accès à l’information relative à la bipolarité et spécifique à la cyclothymie.

Avec Marie, on a opté pour "Bipo-Education" :
  • Elle est plus spécifique et orientée sur les troubles bipolaires que le terme "Psychoéducation".
  • La bipolarité est un trouble assez riche, complexe et varié qui nécessite une approche pédagogique à lui tout seul ; contrairement à l’anxiété ou la dépression, qui sont des syndromes assez flous et vagues
  • Elle s’adresse autant aux patients qu’aux médecins ; elle doit comporter des informations à partager entre les deux ; il ne doit pas y avoir des info pour médecins et d’autres pour les patients
  • Les médecins doivent être formés pour informer ; ce qui n’est pas le cas aujourd’hui

Psychoéducation spécifique pour la Cyclothymie ?

L’enquête française EPIDEP a montré que plus de 60% des dépressifs majeurs sont en réalité des bipolaires. La fréquence de la forme BP II1/2 (ou cyclothymie avec dépression majeure)  est estimée à plus de 30% de la totalité des dépressifs. Malgré sa fréquence élevée, la cyclothymie reste ignorée et totalement négligée dans les travaux de recherche fondamentale ou appliquée, même dans les recherches en psychologie.

La majorité des experts insiste sur l’importance pour le sujet bipolaire de découvrir le plus tôt possible les symptômes bipolaires, leurs mécanismes et surtout leurs conséquences. Les protocoles disponibles de psychoéducation concernent essentiellement le trouble BP-I (avant la sortie de l’hôpital psychiatrique) et accessoirement le trouble BP-II. Mais pour la cyclothymie, peu de choses sont faites !

Cette constatation demandait l’élaboration d’un protocole de psychoéducation spécifiquement adapté à la cyclothymie et cela pour de multiples raisons :
1. Trouble largement méconnu et négligé des experts
2. Majorité des thérapies focalisée sur les formes typiques de bipolarité (BP-I et BP-II)
3. Cyclothymie : une forme distincte de bipolarité
4. Patients cyclothymiques ne se reconnaissent pas dans les groupes de patients BP-I
5. Patients cyclothymiques ne partagent pas le même vécu que les autres avec BP-I
6. Nécessité d’une expertise dans le domaine de la bipolarité atténuée
7. Besoin d’un modèle de psychoéducation approprié qui tient compte des particularités de la cyclothymie (clinique, évolution, vécu, failles psychologiques, complications )

Comme il s’agit de patients vus en ambulatoire, c’est-à-dire non hospitalisé, le défi était de pouvoir les rassembler en groupe et de les faire adhérer à cette démarche. Celle-ci est tellement plus facile chez des patients admis en psychiatrie pour des épisodes sévères !

La cyclothymie est une maladie sérieuse car elle atteint le cerveau et le corps à tous les niveaux : émotionnel, mental, physique et comportemental. Elle peut altérer toutes les facettes de la vie, s’immisçant dans toutes les activités y compris celles relatives â la routine, dont certaines conséquences non négligeables pour l’avenir (échecs, isolement et altération de la vie relationnelle  familiale et amicale).

Non traitée, la cyclothymie peut mettre en danger la vie du sujet. Un des symptômes princeps de la cyclothymie est la dépression, c’est ce qui amène la personne à demander des soins. La majorité des cliniciens se cantonne généralement à cet aspect dépressif ou privilégie les troubles de personnalité, négligeant ainsi les hypomanies, les variations cycliques de l’humeur et de l’énergie ainsi que les antécédents familiaux de bipolarité.

Mais pour quelles raisons la cyclothymie est-elle plus difficile à dépister que les formes classiques de bipolarité ?
1.  Forme clinique encore peu connue des médecins
2.  Tableau clinique plus complexe que les troubles BP-I et BP-II
3.  Longs délais pour aboutir au (bon) diagnostic correct de bipolarité
4.  âge de début très jeune
5.  Chevauchement des manifestations avec les traits de personnalité
6.  Influence négative sur le développement psychique dès l’enfance
7.  Majoration de nombreuses "failles" psychologiques
8.  Absence de "vrais" épisodes de manie ou hypomanie au début du trouble
9.  Forte co-morbidité (présence de plusieurs troubles associés, notamment des troubles anxieux, impulsifs et addictifs)
10.  Interférence avec la relation patient - médecin
11.  Absence de consensus sur les protocoles de soins
12.  Exposition fréquente aux antidépresseurs (ce qui contribue à aggraver le tableau clinique et le cours évolutif de la cyclothymie)

Points Clés de la psychoéducation des sujets cyclothymiques

La meilleure façon de s’éduquer et de comprendre sa cyclothymie est de permettre aux patients d’accéder aux informations utiles livrées par des experts de ce trouble et surtout de partager leurs vécus. C’est donc de pouvoir participer à un groupe de psychoéducation et d’entraide. Une approche a été élaborée entre 2005 et 2006 par l’équipe du CTAH dirigée par Elie Hantouche.
L’objectif est de s’informer sur l’existence de la pathologie en participant à un groupe qui se réunira 7 fois pour aborder les points suivants :
- Connaître la cyclothymie
- Apprendre l’autoévaluation de la dépression et de l’hypomanie
- Repérer les signaux d’alarme des rechutes
- Comprendre son propre vécu
- Se familiariser avec les failles psychologiques (et savoir lutter contre)
- Gérer les émotions en détectant les pensées automatiques
- Faire face aux conflits engendrés par la cyclothymie
- Partager des renseignements, des ressources et des mécanismes d’ajustement pour préserver sa propre santé mentale
- Connaître les aspects "positifs" de la cyclothymie et ses rapports avec la créativité

De l’utilité de la psychoéducation, de la limite des médicaments

De nombreux chercheurs anglophones ont constaté une forte rechute dans les troubles bipolaires malgré les traitements psychotropes à long terme. Si les médicaments donnent une bonne assise aux patients, le maintien de leurs pensées et leurs comportements récurrents les empêchent de gérer la vie quotidienne de façon adaptée : ils ne font pas assez attention à leur rythme de sommeil, boivent de l’alcool pour se mettre en hypomanie, gèrent mal les conflits.

Donc il est important d’ajouter quelques règles d’hygiène de vie et de nouvelles façons de penser en plus des médicaments. D’où la nécessité d’une psychoéducation pour apprendre aux patients à respecter des règles d’hygiène de vie, à voir les situations compliquées sous un autre angle, leur permettre de penser différemment.

Néanmoins, la psychoéducation est-elle nécessaire à tous les patients ? Ce que l’on constate dans la pratique, c’est qu’au-delà du bien-être, la cyclothymie agit fortement et en profondeur sur la personnalité. Après des années de variations/changements d’humeur, de conflits, de ruptures, d’abandons réels et de dépressions, le cyclothymique a une vision du monde et des autres très marquée et dont les racines ont poussé dans tout son être. Ajuster cette vision, remettre à sa place ce qui est adapté et ce qui est bipolaire, ce n’est pas dans les pouvoirs d’un médicament. D’ailleurs, c’est enfoncer une porte ouverte que d’affirmer qu’un médicament ne règle pas les problèmes relationnels et les croyances d’une personne. Son humeur, oui, mais pas ce qui est lié à la reconnaissance, l’amour et le rejet.

Principes

Comme la maladie mentale suscite encore des débats sur sa définition, ses critères, ses mécanismes et ses causes, l’information qui en découle est obligatoirement matière à débattre et à discuter.
Qui décide de ce qu’il faut informer et dire sur la Maladie Bipolaire ?
A-t-on besoin d’un comité de "sages" pour cela ?
Doit-on laisser les malades se défendre et agir avec leurs propres moyens et de manière indépendante ? Faut-il des conseillers ?
Faut-il fixer des limites et prévenir les dérives ?
Comment ne pas tomber dans les excès de prolifération des sites et des sources d’information ?
Comment faire la sélection du "bon" et du mauvais ?
Comment faire collaborer les experts, les conseillers et les patients ?

L’info doit se faire dans certaines conditions :
- Sans casser le "pouvoir" du médecin ou thérapeute (beaucoup de patients ont besoin de cette influence de leur médecin)
- Sans réduire la confiance
- Sans altérer la relation entre médecin et malade
- Sans tomber dans les excès (l’info est à consommer toujours avec modération)
- Avec le respect mutuel des connaissances et du savoir de chacun
- Avec des séquences à adapter en fonction des phases de la maladie bipolaire (manie aiguë, dépression grave ou loin des épisodes )
- Avec souplesse qui permet l’adaptation avec les données progressives des la science ; rappelons que la recherche sur la cyclothymie et les formes non classiques de la bipolarité est assez pauvre. Aussi faut-il s’attendre à pas mal de progrès et de nouvelles données dans les années à venir

En conclusion

  • Oui en faveur de la "Psycho-Education", pour les médecins (c’est eux qui ont besoin d’être formés pour informer et expliquer) - et là, il y a du boulot important à réaliser en France
  • Oui en faveur de la "Bipo-Education" pour les patients qui en souffrent qui ont besoin de connaître leur maladie.

Pour savoir plus

Deux ouvrages du CTAH :
- " Soigner sa cyclothymie", Odile Jacob, 2009
- " Jʼapprends à gérer ma cyclothymie", Josette Lyon, 2010


30/04/2013
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