Claude Lévi-Strauss

Claude Lévi-Strauss

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Claude Lévi-Strauss est un anthropologue, ethnologue et philosophe français né à Bruxelles[1] le 28 novembre 1908.

Il est l'un des fondateurs de la pensée structuraliste.

Sommaire

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Biographie [modifier]

Jeunesse [modifier]

Il fait ses études secondaires à Paris (Lycée Condorcet), puis des études supérieures à la faculté de droit de Paris (licence) et à la Sorbonne (second à l'agrégation de philosophie en 1931, doctorat ès lettres en 1948).

L'aube de sa carrière [modifier]

Après deux ans d'enseignement de la philosophie au lycée Victor Duruy de Mont-de-Marsan et au lycée de Laon, il est nommé membre de la mission universitaire au Brésil, professeur à l'Université de São Paulo (1935-1938). De 1935 à 1939, il organise et dirige plusieurs missions ethnographiques dans le Mato Grosso et en Amazonie.

De retour en France à la veille de la guerre, il est mobilisé en 1939-1940 sur la ligne Maginot comme agent de liaison, puis affecté au lycée de Montpellier, après sa révocation en raison des lois raciales. Il quitte la France après l'armistice pour les États-Unis où il enseigne à la New School for Social Research de New York. Il est engagé volontaire dans les Forces françaises libres, et affecté à la mission scientifique française aux États-Unis. Il fonde avec Henri Focillon, Jacques Maritain, J. Perrin et d'autres l'École libre des hautes études de New York, dont il devient le secrétaire général.

L'apogée scientifique [modifier]

Rappelé en France, en 1944, par le ministère des Affaires étrangères, il retourne aux États-Unis en 1945 pour y occuper les fonctions de conseiller culturel auprès de l'ambassade. Il démissionne en 1948 pour se consacrer à son travail scientifique, devient sous-directeur du musée de l'Homme en 1949, puis directeur d'études à l'École pratique des hautes études, chaire des religions comparées des peuples sans écriture. Il est nommé professeur au Collège de France, chaire d'anthropologie sociale, qu'il occupe de 1959 à sa mise à la retraite en 1982. Il fonde en 1961 avec Emile Benveniste et Pierre Gourou la revue L'Homme qui s'ouvre aux multiples courants de la discipline et à l'approche interdisciplinaire.

Crépuscule de sa vie [modifier]

À l'approche de son centenaire, Claude Lévi-Strauss se distancie de manière croissante de ses contemporains. Au début de l'année 2005, il déclare lors d'une de ses rares apparitions à la télévision française : « Ce que je constate : ce sont les ravages actuels ; c'est la disparition effrayante des espèces vivantes, qu'elles soient végétales ou animales ; et le fait que du fait même de sa densité actuelle, l'espèce humaine vit sous une sorte de régime d'empoisonnement interne - si je puis dire - et je pense au présent et au monde dans lequel je suis en train de finir mon existence. Ce n'est pas un monde que j'aime. » (source : France 2 - jeudi 17 février 2005 - Campus-la-centième - rédacteur en chef : Laurent Lemire)

Notons qu'il avait déjà évoqué ce sentiment, en des termes très proches, le 26 juillet 1972 (entretien avec JeanJosé Marchand) et le 4 mai 1984 (entretien avec Bernard Pivot).

Ses travaux [modifier]

La rébellion contre la sociologie durkheimienne [modifier]

L’école française de sociologie s’est fondée sur la définition du social comme « ordre objectif de choses », dont l’étude relèverait d’une explication scientifique spécifique. Cette thèse occupe une place centrale dans l’œuvre de Durkheim, selon lequel le social constituerait un tout irréductible à la somme des parties qui le composent. Cette proposition théorique implique notamment que l’union des individus produit une totalité supérieure qui agit sur les consciences individuelles à la manière d’une cause extérieure aux volontés personnelles, telle une réalité surplombant les individus. En outre, cette conception suppose une distanciation méthodologique par rapport à l’objet étudié.

Parce qu’il affirme que la démarche anthropologique est une démarche qui amène l’anthropologue à maintenir une position d’extériorité par rapport à l’objet de recherche, ou, selon ses mots, à avoir un « regard éloigné » sur la culture étudiée, Claude Lévi-Strauss peut être considéré comme celui qui, après Marcel Mauss, prolongea l’épistémologie durkheimienne, en étendant aux domaines d’étude traditionnellement réservés à l’anthropologie, l’impératif de distanciation de l’ethnologue par rapport à son objet d’étude. Claude Lévi-Strauss apparaît dans sa conception du social comme un continuateur de l’école française de sociologie. Cependant, il réfute en « héritier critique » la chosification du social chère à Emile Durkheim, lui reprochant notamment son substantialisme sous-jacent.

Ainsi, Claude Lévi-Strauss bien qu’il accepte de l’œuvre durkheimienne l’idée d’un ordre social structuré, réfute le substantialisme présent dans la conception choséiste d’Emile Durkheim. En effet, que les faits puissent, selon la première des « Règles de la méthode sociologique », être définis comme des « choses » implique, d’une part, que la société se présente comme un « tout » supérieur à l’ensemble de ses parties, et, d’autre part, que ce « tout » constitue une totalité unifiée supérieure aux unités qui la composent. Cette affirmation signifie que, dans l’ensemble des relations sociales entre les hommes, il y a un point où celles-ci apparaissent comme « unifiées ». En ce sens, la vision durkheimienne du monde social est une vision potentiellement organiciste, en ce qu’elle postule que la société est organisée comme un corps composé de sous-parties interdépendantes et indispensables à la survie du « tout ».

Toutefois, il serait faux de conclure à partir de cette seule critique que l’ordre social constituerait pour Emile Durkheim le prolongement des tendances biologiques humaines : l’auteur des « Règles de la méthode sociologique » affirme au contraire qu’entre le vital et le social s’ajoute un élément radicalement nouveau qui est précisément la représentation du tout, de sorte que l’étude du social serait aussi et surtout une analyse du mental, et la sociologie une psychologie de la conscience de groupe capable d’éclairer la causalité des phénomènes collectifs.

L’originalité de cette conception du social apparaît, par exemple, dans l’usage théorique que fait Durkheim de ce que les anthropologues appelaient alors les « sociétés primitives ». Durkheim ne considère pas ces sociétés comme « a-sociales », au sens où celles-ci seraient régies par les seules tendances biologiques que l’on croyait inhérentes à l’homme, mais au contraire comme les groupes sociaux les plus simples qui soient, ceux où les choses sociales se donnent à voir le plus clairement. En effet, pour Durkheim, le dépassement de l’état de nature se manifeste en elles par le fait que ces sociétés premières réunissent et solidarisent un petit nombre d’individus entre eux par ce qu’il nomme la « solidarité mécanique », principe qui fonde son efficacité sur l’interchangeabilité des individus entre eux. Ainsi, ces sociétés sont-elles, pour Durkheim, celles qui se séparent de l’ordre biologique originel par l’existence d’une conscience de groupe et par la solidarité consciente existante entre leurs éléments.

C’est pourquoi, les sociétés primitives ne sont pas pour Durkheim des sociétés premières au sens historique du terme, mais au sens logique, car cet état premier des choses qui les caractérise marque le point de départ de toute communauté humaine « formant société ». Ce passage de l’état de « horde humaine » à l’état de « société primitive » s’expliquerait, selon Durkheim, par une « socialisation de l’affectivité », qui constituerait le point départ où le social s’exprimerait avant toute représentation. Reprise et développée par Lévy-Bruhl, cette thèse tentera d’expliquer la transformation des groupes humains en sociétés humaines suivant l’hypothèse selon laquelle le dépassement de la mentalité primitive signifie l’aboutissement à un stade supérieur de la logique de l’affectivité.

Claude Lévi-Strauss s’oppose nettement à cette thèse et trouve chez Marcel Mauss les outils pour lutter contre une telle conception. En effet, les sociétés primitives ne se caractérisent pas selon Marcel Mauss par leur affectivité, mais par leur intelligence dans l’établissement de formes de classification. Marcel Mauss montre en effet que, si simple soit-elle, toute société humaine est divisée en clans antagonistes et cherche à résoudre cet antagonisme en se représentant symboliquement l’unité du clan. En conclusion, ce qui selon Marcel Mauss est logiquement premier n’est, ni l’affectivité, ni même l’expérience du monde vécue, mais le conflit et les impératifs sociopolitiques de sa résolution.

Ainsi, dans son Essai sur le don, Marcel Mauss voit dans l’échange des biens un moyen efficace de résoudre cet antagonisme fondamental, par l’établissement de lien de réciprocité entre les clans qui donnent et ceux qui reçoivent. Toutefois, Claude Lévi-Strauss ne rejoint que partiellement la critique de Mauss aux thèses de Lévy-Bruhl sur l’origine logique des sociétés humaines, car il fait à Mauss le même reproche qu’à Durkheim : celui de concevoir le social de manière trop substantialiste, comme un ordre de choses. Claude Lévi-Strauss reproche donc à l’école durkheimienne de vouloir étudier les faits sociaux en prenant comme point de départ du travail sociologique l’étude de la genèse du social. C’est pourquoi, au schéma durkheimien qui voit une continuité entre le vital, le mental et le social, conçues comme des totalités centrées successives, Claude Lévi-Strauss voit quant à lui une série de décrochage et de décentrements entre les niveaux de structures, mais ne trouve dans la sociologie durkheimienne aucune piste ou indication lui permettant d’en énoncer les principes d’agencement.

L’influence de l’anthropologie culturaliste [modifier]

Fuyant la France de Vichy, Claude Lévi-Strauss débarque en 1941 à New York. Il y subira l’influence de l’anthropologie culturelle alors dominante aux États-unis, incarnée par l’anthropologue d’origine allemande Franz Boas. Claude Lévi-Strauss s’inspirera des propositions théoriques de cette école pour définir la culture. Influencée par la philosophie allemande, l’école culturaliste américaine conçoit la culture comme l’ensemble d’éléments, arts, loisirs, croyances, liens de parentés, etc., unissant une société et régulant son harmonie. Cette conception, cependant, se heurte au problème suivant : qu’est-ce qui, dans l’ensemble des traits culturels concevables, amène une société à prendre telle forme plutôt que telle autre ? L’anthropologue culturaliste Ruth Benedict, par exemple, soutient que ce choix se fait suivant des critères purement esthétiques. Selon cette conception, chaque société serait dotée d’une certaine liberté de choix, et incarnerait une unité close sur elle-même, difficilement capable d’interagir avec les sociétés qui l’avoisinent. Malgré des manquements patents, cette thèse a néanmoins le mérite de fonder théoriquement le relativisme culturel par lequel il faut entendre non seulement l’exigence méthodologique d’étudier une société sans projeter sur elle des critères d’appréciation venus d’une autre société, mais également une thèse ontologique et morale sur l’irréductibilité effective des sociétés les unes aux autres, ainsi que la nécessité de respecter chaque culture dans son « choix individuel ».

Telle n’est cependant pas la position de Franz Boas, pour qui le véritable problème théorique posé par l’existence de cultures différenciées consiste, d’une part, à éclairer les raisons qui amènent un ensemble de cultures différenciées, dont on suppose qu’elles fonctionnent selon des principes identiques, à adopter des traits culturels distincts, et, d’autre part, à définir les principes explicatifs de cette différenciation sans recourir ni à l’explication raciale, ni à l’explication ethnocentriste, ni encore à faire de ces différences une question de choix consciemment opérés par chaque culture. Sensible aux découvertes de la linguistique, Boas privilégiera l’explication de cette différenciation historique par le langage qui répond selon lui à toutes les exigences épistémologiques défendues par l’anthropologie culturaliste.

En effet, alors que le langage produit, dans une aire linguistique donnée, des langues différentes composées de mots différents, on peut facilement repérer des formes d’expression communes aux différentes langues de cette aire. Franz Boas affirme que ces différences sont entièrement d’origine culturelle, car la diversité des langues interdit de ramener la différenciation des langues à une fonction biologique homogène. Or, rajoute-t-il, ces différences ne sont pas conscientes, car le propre d’une langue est qu’on peut la parler sans en connaître l’ensemble des règles. Le langage apparaît donc le lieu par excellence par lequel peut s’analyser la communication culturelle, car lui seul est à même de produire les différences qui singularisent les cultures tout en les reliant à l’ensemble de l’humanité : en effet, toute langue provient d’emprunts faits à d’autres langues et est inconsciemment en échange avec d’autres langues avec lesquelles elle partage des tournures, des mots, des sonorités, etc.

L’introduction de la linguistique structurale en anthropologie [modifier]

Claude Lévi-Strauss s’intéressera de près à l’œuvre de Boas, sans pour autant adhérer à la conception du langage défendue par l’anthropologue allemand, à laquelle il reproche son adhésion au projet scientifique associé au formalisme philosophique dont la prétention était de découvrir les formes et les principes originaires du langage par la réduction des différences empiriquement observables à certains préceptes linguistiques universels.

Lévi-Strauss préférera à cette approche une conception plus relativiste du langage dont il trouvera les bases dans le structuralisme linguistique professé par Roman Jakobson dont il fait la rencontre à New-York en 1941. Le scientifique russe se distingue en effet de l’approche formaliste en ce qu’il ne cherche pas les formes communes à un ensemble de phénomènes linguistiques, mais, au contraire, concentre son attention sur l’ensemble des invariants inscrits dans un champ de différences donné, c'est-à-dire sur les règles qui régissent la répartition de ces différences linguistiques.

La linguistique structurale, telle qu’elle est alors définie par Roman Jakobson, prend son point de départ dans la réflexion saussurienne sur l’unité constitutive du langage qu’est le signe. Selon Ferdinand de Saussure, le langage n’est pas constitué de mots, conçus comme des entités primordiales qui seraient ensuite combinées en phrase, mais de signes, entités doubles qui unissent un phénomène physique (le son, ou signifiant) et un phénomène mental (le sens, ou signifié). Le signe n’a donc en lui-même aucun sens et demeure intrinsèquement variable. La seule chose capable de fixer le signe et de lui donner une signification, semble alors être le rapport entre le son et le sens, ou entre le signifiant et le signifié. Le signe ne renvoie donc à rien (il n’est pas une représentation), et n’est qu’un rapport entre un son et une idée.

Par conséquent, ce qui doit être étudié dans le langage, c’est bien l’ensemble des rapports à l’intérieur du signe et entre les signes eux-mêmes. C’est pourquoi Saussure définit le signe comme une entité oppositive, relative et négative : négative parce qu’un signe n’a en lui-même aucun sens, relatif parce que le sens d’un signe ne se produit qu’à travers le rapport entre le signifiant et le signifié, et oppositif parce que les signes sont entre eux dans des rapports d’opposition et de distinction.

Cette définition du signe implique une définition de la langue comme système. En effet, si le signe ne peut pas être étudié par rapport au phénomène qu’il énonce, mais seulement par rapport aux liens qui l’unissent à la langue, alors la langue doit elle-même être approchée dans l’ensemble des rapports qui la constituent, c’est-à-dire en tant que réalité systémique. Selon Saussure, une langue est donc un système d’écart différentiel entre des signes, et c’est seulement à partir de la totalité des rapports constitutifs d’une langue que le sens d’un signe peut être établi.

Selon Ferdinand de Saussure, cette étude de la langue peut se faire, soit selon une optique synchronique observant l’ensemble des rapports constituant la langue à un moment donné de son histoire, soit selon une approche diachronique attentive aux transformations des rapports entre les signes, et notamment aux désordres induits par l’instabilité inhérente du signe que Saussure explique par le caractère intrinsèquement arbitraire unissant le signifiant au signifié. En ce sens, la linguistique est définie par Ferdinand de Saussure comme l’étude de la langue conçue comme un ensemble de signes érigé en système, et non comme étude de la parole et de la performance linguistique effectuée par les locuteurs.

Le cadre théorique saussurien influença de manière décisive les travaux de Roman Jakobson et de Nikolaï Troubetskoï. Cependant, les deux linguistiques en critiquèrent le caractère abstrait et reprochèrent à Saussure d’avoir défendu un modèle théorique insuffisamment opératif. Ainsi, afin de constituer la linguistique en science autonome, dotée d’un objet d’étude distinct de celui des autres disciplines, et notamment de la philosophie, les deux linguistes entreprirent d’étendre les postulats de Saussure à un nouveau domaine des sciences du langage : la phonologie, ou science des phonèmes. Le phonème est alors défini comme opposition phonétique distinctive d’une langue dont les combinaisons avec d’autres oppositions phonétiques produisent l’ensemble des sons signifiants. La distinction ainsi opérée entre le phonème entendu comme unité sonore, et la phonologie comme science des rapports combinatoires entre ces sons devenus signifiants par le fait même d’être combinés, constitue le point de départ de la linguistique structuraliste développée par Roman Jakobson.

Le développement des postulats structuralistes en linguistique encourage à remplacer le signe saussurien dans son rôle de concept théorique central par le phonème, unité de son et de sens. Roman Jakobson repère ainsi deux grands axes à partir desquels s’opèrent les combinaisons entre son et sens : d’une part, l’axe qu’il nomme syntagmatique qui est celui de la succession de sons proches, mais dont le sens est différent (par exemple, Billard et Pillard), et, d’autre part, l’axe paradigmatique qui est celui du remplacement entre sons substituables dont le sens est le même (par exemple, Pillard et Brigand).

Afin de repérer ces axes, Roman Jakobson s’appuie sur deux sources différentes : d’une part, l’analyse des fonctions poétiques (métonymie pour l’axe syntagmatique et métaphorique pour l’axe paradigmatique) et, d’autre part, l’analyse des dysfonctionnements du langage (par exemple, le cas de l’aphasie montre, selon lui, que l’on peut perdre la connaissance de la signification des mots sans pour autant perdre la capacité de les associer en énoncés grammaticalement corrects). « Seule unité linguistique sans contenu conceptuel, le phonème, dépourvu de signification propre, est un outil servant à distinguer les significations ».

Ainsi, l’œuvre théorique de Roman Jakobson dépasse-t-elle le mode d’analyse saussurien des rapports entre les signes étudiés comme chaîne linéaire de signifiants ou comme ensemble des relations de contiguïté entre les signes. En effet, Roman Jakobson élargit considérablement l’étude du langage à la poésie qui a su selon lui utiliser toutes les ressources de la langue.

Lévi-Strauss s’appropriera les postulats développés par Jakobson, et transposera les principes fondamentaux de l’analyse structuralistes du langage à celle des représentations sociales, selon l’hypothèse que les représentations sociales, parce qu’elles s’expriment au travers du langage, sont également structurées par des relations d’opposition différentielles (chaud/froid, sec/humide, jour/nuit, etc.).

Dialogue et rivalité avec la psychanalyse freudienne [modifier]

L’enseignement de Jakobson amène Lévi-Strauss à préciser l’intuition de Boas selon laquelle l’anthropologie doit impérativement faire l’étude de l’inconscient linguistique animant toute société humaine. La formulation des postulats théoriques de l’anthropologie structuraliste en terme d’inconscient oblige Lévi-Strauss à confronter ses thèses avec les conceptions psychanalytiques freudiennes. Ainsi, l’anthropologue adresse-t-il deux critiques aux principes constitutifs de l’analyse freudienne de l’inconscient individuel. D’une part, Lévi-Strauss écarte l’idée formulée par Freud selon laquelle l’explication des formes de l’inconscient pourrait être ramenée à une explication historique. D’autre, part, il refuse de réduire les formes d’expression de l’inconscient à celles de telle ou telle fonction biologique primitive de l’homme (désir, reproduction, instinct de survie, etc.), tel que le conçoit la psychanalyse.

Dans son ouvrage intitulé Totem et Tabou, Freud analysait une pathologie comme la névrose obsessionnelle à la lumière des récits ethnographiques décrivant les interdits rattachés aux objets totémiques, institués dans certaines sociétés primitives. Il déclarait alors que ces interdits liés aux totems pouvaient certainement s’expliquer par la signification que la société leur attribuait. Sigmund Freud pensait alors donner sens à ces interdits constitutifs des sociétés humaines primitives, par la définition d’un concept universel permettant d’appréhender la structure comportementale des individus : le complexe d’œdipe.

Celui-ci est défini comme une matrice régissant la pulsion sexuelle, fondée sur le désir refoulé d’ego d’union avec la mère et de meurtre du père. Ainsi, pour Freud, la présence du totem et des interdits l’affectant prendrait sens au travers de la figure mythique du père originel de la tribu. En effet, Freud imagine que celui-ci a été l’objet d’un assassinat orchestré par la tribu au cours d’une cérémonie marquant le commencement de l’histoire. Suivant cette hypothèse, le maintien du totem symbolisant la figure du père pourrait donc s’expliquer par les remords ressentis et exprimés par les frères après le meurtre, qui, par conséquent, décidèrent la construction d’un totem servant à rappeler le meurtre du père originel et l’interdiction de renouveler un tel acte.

Cette explication, bien qu’elle ait le mérite de dépasser les explications formulées par la psychologie classique par l’interprétation rationnelle qu’elle propose de phénomènes que les psychologues considéraient auparavant comme profondément irrationnels, présente cependant l’inconvénient de n’interpréter cette structure comportementale qu’au travers d’un seul et unique mode d’explication : la pulsion sexuelle, à laquelle Freud attribue un rôle certainement démesuré dans la réalisation de faits historiques et sociaux centraux pour la compréhension du fonctionnement des sociétés humaines, primitives comme modernes. À ce propos, Lévi-Strauss dira que « le pouvoir traumatisant d’un événement ou d’une situation quelconque ne saurait résulter de leurs caractères intrinsèques, mais de l’aptitude de certains évènements surgissant dans un contexte psychologique, historique et social approprié, à induire une cristallisation affective qui se fait dans le moule d’une structure préexistante ».

Lévi-Strauss reproche donc a Freud de réduire la problématique de l’œdipe au seul désir d’ego d’union avec la mère, et, par là même, d’écarter l’ensemble des ressources, sociologiques, astronomiques, culinaires et environnementales, mobilisées par l’individu socialisé et qui sont, selon Claude Lévi-Strauss, constitutives des représentations symboliques du monde social. Claude Lévi-Strauss oppose à l’approche freudienne, une compréhension de l’inconscient animée par les découvertes de la linguistique, et dont le principal objectif théorique est de comprendre comment les cultures répondent chacune à leur façon à la question suivante : « Comment le « même » naît-il du « même » ou du différent ».

Cette question peut, de par sa formulation, sembler abstraite, mais elle anime pourtant l’essentiel des représentations symboliques du monde social, de la conception du temps historique (linéaire ou circulaire), et inclut également des dimensions symboliques aussi vastes que celles qui structurent les pratiques sexuelles, les représentations du corps, les sentiments, les croyances religieuses, etc.

Le mérite que Lévi-Strauss reconnaît cependant à la psychanalyse est d’avoir su déborder le cadre disciplinaire de la psychologie classique grâce à la formulation d’hypothèses explicatives des comportements individuels soulignant le lien entre inconscient individuel, d’une part, et phénomène culturel et collectif, d’autre part.

Néanmoins, l’enfermement de la psychanalyse à la pratique clinique limite par définition la diversité de son matériau empirique à la seule parole individuelle et au seul récit biographique, et réduit automatiquement la diversité de ses sources. Circonscrite au recueil de la parole et à l’étude, parfois approximative, des mythes fondateurs, la psychanalyse commet, selon Claude Lévi-Strauss, une erreur lorsqu’elle propose un modèle de lecture des phénomènes historique basé sur la pulsion sexuelle et sur les modalités sociales de son refoulement et de sa répression, phénomènes auxquelles la psychanalyse attribue, selon l’anthropologue, un rôle surdimensionné. En outre, cet écueil amène la psychanalyse à écarter implicitement d’autres dimensions considérées par Lévi-Strauss comme tout aussi importantes que la sexualité.

Lévi-Strauss critique enfin les fondements épistémologiques qui animent l’œuvre entière du médecin viennois, et lui reproche son implication dans le vaste projet scientifique entrepris à partir du XXème siècle qui a longtemps animé la science occidentale, et dont la prétention consistait à chercher, dans l’organisation des « sociétés primitives », dans les souvenirs que les adultes conservent de leur enfance, ainsi que dans les traits comportementaux des individus souffrant de psychopathologies, un état originaire de l’humanité.

Fidèle à la définition des faits sociaux défendue par Durkheim, Lévi-Strauss ne peut que réfuter en bloc de pareilles hypothèses. Dans son ouvrage intitulé Le totémisme aujourd’hui, il défend que « les contraintes sociales, positives et négatives, ne s’expliquent, ni quant à leur origine, ni quant à leur persistance, [ni] par l’effet de pulsion ou d’émotions qui réapparaîtraient avec les mêmes caractères, au cours des siècles et des millénaires, chez des individus différents. […] Les hommes n’agissent pas, en tant que membre du groupe, conformément à ce que chacun ressent comme individu ; chaque homme ressent en fonction de la manière dont il lui est permis ou proscrit de se conduire ».

En effet, pour l’anthropologie structurale, l’inceste ne représenterait qu’une possibilité structurale, elle-même créée par un jeu de contraintes sociales. Dès lors, si une société donnée célèbre ou répugne l’inceste, ce n’est non pas pour des raisons d’histoire personnelle, comme le pensait la psychanalyse, mais pour la simple raison que toute société met en scène, au travers de fêtes et de cérémonies, le désordre qu’elle a su dépasser à un moment donné de son histoire. « Les fêtes jouent la vie sociale à l’envers, non pas parce qu’elle a jadis été telle, mais parce qu’elle n’a jamais été, et ne sera jamais autrement », affirme Claude Lévi-Strauss dans son ouvrage théorique central, Les structures élémentaires de la parenté.

La thèse défendue dans cet ouvrage fondateur de l’anthropologie structurale, est, d’une part, que l’inconscient individuel est structuré par un ensemble d’oppositions symboliques binaires, et, d’autre part, que celui-ci se constitue par rapport à la possibilité d’un éventuel désordre social (de chaos ou d’enfer, peu importe le nom qu’on lui attribue, car les représentations du désordre sont très diversifiées) propre à chaque culture.

Définie comme ensemble de signifiants symboliques structurés, la conception lévi-straussienne de l’inconscient positionne très nettement son auteur comme partisan d’une approche relativiste des significations symboliques. En effet, là où un théoricien de formation psychanalytique comme Jung inscrirait davantage son analyse autour de préceptes issus de la philosophie des formes symboliques, Lévi-Strauss reprend le schéma développé en linguistique par Jakobson pour comprendre, non pas la signification des symboles, mais les rapports qui les unissent.

Ces deux orientations théoriques, réaliste pour Jung et relativiste pour Lévi-Strauss, impliquent des divergences théoriques fondamentales, notamment pour tout ce qui touche à l’interprétation du contenu symbolique des signes, c’est-à-dire au sens que l’on peut attribuer aux symboles, ainsi qu’aux récits mythologiques recueillis par l’anthropologue par voie d’observation.

Ainsi, alors que Jung cherchera prioritairement à approcher la signification universelle et absolue propre à chaque symbole, Lévi-Strauss, quant à lui, proposera de relativiser la signification de chaque symbole pris isolément, afin de comprendre le fonctionnement des relations unissant les symboles, et d’en saisir l’unité de sens.

Le projet scientifique que Lévi-Strauss propose à l’Anthropologie s’appuie donc très nettement sur la linguistique structurale, et tout particulièrement sur la notion de phénomène zéro. Il récuse le substantialisme qui anime les thèses de Jung, et lui oppose une approche relativiste, qui soutient que la signification de chaque symbole dépend, d’une part, du contexte social, d’autre part, de la teneur et du sens qu’il entretient avec les autres symboles, et, enfin, de l’interprétation souvent approximative que les individus en ont, et de la multiplicité des utilisations sociales qui peut, par conséquent, en être faite.

De cette constatation, Lévi-Strauss conclut de manière abstraite et certainement spéculative, affirmant que les structures inconscientes qui agissent sur les individus tiennent leurs origines d’un ensemble de décalages entre le signifiant et le signifié. En effet, pour Lévi-Strauss, la capacité intrinsèquement humaine à attribuer presque indéfiniment du sens aux objets, aux signes, aux choses mortes et aux choses vivantes, provoque une situation dans laquelle l’environnement qui entoure l’homme est complètement saturé de sens. Or, cette situation universellement expérimentée par les sociétés humaines serait, selon Lévi-Strauss, capable d’engendrer les décalages entre signifiant et signifié qui sont à l’origine des structures de l’inconscient.

En conclusion, à la thèse de Freud qui prétendait expliquer l’émergence de l’inconscient par le meurtre originel du père, Lévi-Strauss oppose un mode d’explication inspirée des découvertes de la linguistique structurale, qui explique l’apparition de la « fonction symbolique » par l’excès du signifiant sur le signifié.

L’anthropologie structurale et le renouvellement du regard porté sur les sciences humaines [modifier]

Le programme scientifique établi par le structuralisme bouleverse par conséquent le regard que l’on peut porter sur le champ de sciences sociales et sur les rapports unissant les différentes disciplines qui le composent. En effet, si l’on reconnaît la validité épistémologique des hypothèses de travail constitutives du paradigme structuraliste, il devient alors inadéquat de parler de l’anthropologie comme « science de l’homme », de la linguistique comme la science du langage, ou encore de la sociologie comme science des « faits sociaux », et de confiner chacune des disciplines à un objet d’étude exclusif.

L’objet qui intéresse l’anthropologie n’est donc pas une hypothétique origine des espèces qui donnerait lieu à une « classification des races », tel que le formulait l’anthropologie du XIXème, ni même la recherche d’une genèse des rapports sociaux auquel la sociologie avait pu accorder toute son attention lorsqu’elle étudiait les sociétés primitives afin de comprendre les stades qu’elle supposait plus complexes et plus évolués de la vie sociale. L’anthropologie doit, selon Lévi-Strauss, se consacrer à la recherche des rapports unissant l’homme au monde qui l’entoure.

Afin d’y parvenir, l’anthropologue doit donc, dans un premier temps, s’immerger dans la culture étudiée et décrire la manière dont l’homme parle, rêve, agit, produit, afin d’entrevoir comment se structurent localement les rapports observés entre les mythes, les techniques, les représentations de la parenté, et, dans un second temps, comment ceux-ci peuvent amener l’anthropologie, grâce à l’isolement de certains invariants structuraux universellement observables, à formuler des propriétés générales de la vie sociale.

La notion de structure [modifier]

On comprend donc la centralité que Lévi-Strauss accorde au concept de structure, mais également les raisons qui en ont fait, tout au long du siècle dernier, l’un des concepts les plus discutés en sciences sociales. En effet, le terme de structure est, depuis son apparition, l’objet de multiples interprétations et d’utilisations très diverses. L’abondance des discussions menées autour de ce terme s’explique par le fait que son émergence au sein des sciences sociales est antérieure à l’anthropologie structurale, et qu’il véhicule un ensemble de représentations théoriques diverses allant de la dichotomie marxiste opposant infrastructure et superstructure, à la définition durkheimienne du social comme « ordre de choses ».

De cette somme de débats, la sociologie conservera, par exemple, l’idée que la société s’organise en rapports structurés. Pour l’anthropologie « pré-structuraliste », il désigne essentiellement un type de configuration culturelle. Enfin, pour la linguistique, il sert à définir le langage comme ensemble d’écarts différentiels entre les signes.

Un tel inventaire des usages faits de la notion de structure pourrait également se poursuivre en direction des sciences de la nature qui utilisent ce terme pour décrire l’organisation des organismes vivants. Néanmoins, les structures étudiées en sciences humaines se distinguent de celles qui intéressent les sciences naturelles par le fait qu’elles ne font l’objet d’aucune mesure, et qu’elles ne sauraient donner lieu à de quelconques prédictions. En conséquence, l’analyse des structures sociales ne peut prétendre fournir une grille de lecture infaillible des faits sociaux, et entend seulement mettre à jour certaines propriétés différentielles d’objets. Cette limitation épistémologique entièrement assumée par Lévi-Strauss l’amène à distinguer de la réalité empirique, le modèle théorique construit à partir de la notion de structure. « Le principe fondamental est que la notion de structure ne se rapporte pas à la réalité empirique, mais aux modèles construits d’après celle-ci ».

L’anthropologie structurale et l’Histoire [modifier]

En conclusion, il nous faut revenir aux raisons qui ont conduit à opposer de manière parfois excessive, l’anthropologie structurale à l’Histoire. Traditionnellement, l’opposition entre les deux disciplines a été conçue comme relevant d’une différence d’objet, la première s’intéressant aux sociétés étrangères dans l’espace, la seconde étudiant, quant à elle, les sociétés lointaines dans le temps. Cette distinction apparaît néanmoins peu pertinente au regard des enseignements professés par l’anthropologie structurale. En effet, bien que l’opposition spatiale et géographique des sociétés puisse constituer un critère de distinction fondamental, le structuralisme, parce qu’il reconnaît une évolution des sociétés dans le temps, entend dépasser ce clivage.

Pour Lévi-Strauss, la seule distinction pertinente entre les deux disciplines réside alors dans le mode d’extraction du matériau empirique. En effet, alors que l’Histoire travaille essentiellement sur des documents produits par des acteurs conscients des changements historiques, dont ils sont les témoins et même parfois les acteurs, l’anthropologie choisira d’écarter cette forme de récit des actions conscientes qui participe au façonnement du discours de l’historien, et privilégiera, quant à elle, une étude des structures inconscientes agissant les sociétés, qu’elle mène à partir de l’observation empirique des mythes, des techniques et des représentations présentes dans le discours. Afin d’atteindre un tel objectif, elle s’appuiera notamment sur l’analyse de l’organisation sociale et linguistique inconsciemment reproduite par la société prise comme objet d’étude. Frédéric Keck dira à ce propos que l’anthropologie «  ne relie pas toutes ses données à l’ordre linéaire de l’événement, mais cherche à établir un inventaire des oppositions inconscientes à travers lesquelles les hommes font l’histoire sans savoir comment ils la font ».

Ainsi, l’anthropologie structurale se propose-t-elle d’écrire l’histoire en fonction des possibilités logiques de changement présentes en suspens dans les structures inconscientes de toute société, sans pour autant sous-estimer le caractère imprévisible de l’événement historique. A l’inverse, l’Histoire produit, par rapport à l’anthropologie, un discours en décrochage, puisqu’elle traite l’histoire dans « sa face consciente ». En conclusion, on peut donc penser que l’idée qui faisait du structuralisme lévi-straussien un paradigme résolument anti-historiciste est fondamentalement réductrice, car les approches constitutives de chacune des deux disciplines situent l’histoire et l’anthropologie dans une situation qui s’apparente plus à celle d’un vis-à-vis, permettant le dialogue et l’échange, qu’à celle d’un d’affrontement.

Étude des relations de parenté [modifier]

À l'aide de la méthode structuraliste, Lévi-Strauss a donné un nouveau souffle aux études de la parenté. Il est le premier à insister sur l'importance de l'alliance au sein des structures de parenté, et mettra en évidence la nécessité de l'échange et de la réciprocité découlant de la prohibition de l'inceste. Dans cette optique, il ira jusqu'à avancer l'idée que toute société humaine est fondée sur une unité minimale de parenté : l'atome de parenté. Cette théorie globale est connue plus communément sous le nom de théorie de l'alliance.

Distinctions [modifier]

Décorations françaises et étrangères [modifier]

Prix et Médailles [modifier]

Docteur honoris causa [modifier]

(par ordre alphabétique)

  • Université libre de Bruxelles,
  • Université de Chicago,
  • Université de Columbia
  • Université d'Harvard,
  • Université Johns-Hopkins,
  • Université Laval à Québec,
  • //

    11/08/2007
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