Comment vivre avec ses culpabilités ?

 

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Comment vivre avec ses culpabilités ?

Si la culpabilité peut être un frein à nos désirs et à nos plaisirs, elle est aussi un garde-fou salutaire. S’en libérer totalement nous priverait de notre conscience morale. Mais lui laisser libre court fait de nos vies un enfer. Dès lors, comment distinguer une culpabilité saine d’une culpabilité dévastatrice ? Peut-on éviter à nos enfants d’en porter le fardeau ? Quelques pistes à explorer pour vivre en bonne intelligence avec elle.

Jean-Louis Servan-Schreiber

Dans l’un des meilleurs dessins du “New Yorker” publié par “Psychologies magazine”, on voyait un détenu dire à l’autre : « D’accord, tu es coupable, mais ce n’est pas une raison pour culpabiliser. » Depuis une génération, on nous incite tellement à nous libérer de notre tendance atavique à assumer les fautes, que nous en sommes arrivés à culpabiliser… de nous sentir coupables.

Pour peu que nous y prenions goût, chaque journée peut nous offrir sa gamme complète de culpabilités. Dix minutes de paresse au lit ; notre fille qui fond en larmes : « Je suis fatiguée, je ne veux pas aller à l’école » ; la ceinture qui serre un peu trop devant la glace ; la note promise pour la veille que l’on n’a pas encore commencé à rédiger ; l’amie qui appelle : « Où es-tu passée, depuis le temps que tu ne m’as pas téléphoné ? »

Combien de fois, incapables de nous dire, selon les cas, « Je n’y suis pour rien » ou « Ce n’est pas vraiment grave », encaissons-nous le stress qui en résulte comme une juste punition ?

Les clefs d’une bonne déculpabilisation

La cause semble entendue : toute démarche d’épanouissement de soi, quel que soit l’âge, devrait commencer par une bonne déculpabilisation. Mais le réalisme nous suggère, à défaut de nous débarrasser de toutes nos culpabilités, d’apprendre à mieux vivre avec celles qui restent. Il y a de solides raisons pour commencer un bon ménage, seul ou aidé.

• Nos culpabilités sont presque toujours disproportionnées. Enfants, n’avons-nous pas tendance, à nous reprocher jusqu’au divorce (éventuel) de nos parents ? Devenus parents à notre tour, nous ne manquerons pas de nous impu-ter les difficultés scolaires de nos enfants. Ne sommes-nous pas là, à la limite d’un fantasme de toute-puissance, celle du bébé qui croit que le monde tourne autour de lui ? Un peu de modestie peut atténuer ces culpabilités orgueilleuses.

• Se sentir coupable reste l’antidote le plus efficace contre l’aptitude à goûter la saveur des jours. Prendre du temps pour s’occuper de soi, plutôt que des autres, n’a pas été légitimé dans notre éducation. Au point, quand nous le faisons, de ne pas nous autoriser à en profiter pleinement.

• Penser aux autres plutôt qu’à soi est un réflexe assez sympathique que l’on aimerait voir plus répandu dans l’espèce humaine. Cependant, le faire par culpabilité tourne vite à l’altruisme dévoyé. Nous voyons alors les autres comme un poids, un souci, et bien plus comme un devoir qu’une prolongation naturelle de nous-mêmes.

• Une charge trop forte de culpabilité ne favorise pas les bons sentiments. Les culpabilisés deviendront souvent, consciemment ou non, des culpabilisateurs, qui vont déverser leur trop-plein de fautes sur la tête de ceux qui sont à leur portée : leurs proches. Reconnaître sereinement les raisons qui nous empêchent de nous libérer de nos culpabilités nous permet, en revanche, d’aménager avec ces dernières une meilleure cohabitation.

• Notre culpabilité n’est pas que subjective. Nous sommes forcément coupables de nos insuffisances, innombrables, et de nos petites paresses et lâchetés quotidiennes. Le standard implicite de nos valeurs judéo-chrétiennes, c’est la perfection et la sainteté : un idéal invivable.

• Toute société, toute éducation, repose sur des règles, c’est-à-dire des limites contraignantes. Nous ne pouvons qu’être tentés de les transgresser. Certains croient s’être guéris de leurs scrupules de ne pas payer leurs PV, mais l’arrivée d’une lettre recommandée réveille en eux, au niveau du plexus, la peur du gendarme.

• On le voit dans tant de procès : les grands criminels sont souvent ceux que la culpabilité n’effleure pas. Pourrions-nous accorder toute notre confiance à celui ou celle qui s’en déclarerait totalement immune ?

• Et même si nous le voulions très fort, s’affranchir de toute notion de faute est impossible. Le même qui tue et viole sans regrets apparents pourra, en même temps, être bourrelé de remords à l’idée qu’il a causé de la peine à sa mère.

Oui, il y a de bonnes et de mauvaises culpabilités.

La délicatesse est que leur catalogue varie selon les caractéristiques de chacun de nous. Le travail inlassable de mieux se connaître, pour bénéficier de plus de réalisme dans notre vie ordinaire, ne devrait-il pas comporter un solide chapitre sur l’idée que nous nous faisons de nos responsabilités, de nos faiblesses, et sur ce qui nous paraît (ou non) acceptable ?

Réduire l’intensité de nos culpabilités les plus absurdes et, pour le reste, apprendre (au moins) à nous considérer avec autant d’indulgence que les autres nous considèrent ne paraît pas tout à fait hors de portée. C’est indispensable pour réduire en nous de sourdes tensions, dont nous ne parvenons pas toujours facilement à identifier l’origine, qui remonte… au péché originel.

Savoir pardonner

Vivre dans l’autoflagellation peut être, paradoxalement, plus confortable que se pardonner : je paye, puisque je souffre. Mais cet immobilisme peut avoir des effets pervers. Ne pas se pardonner revient à se vivre comme entièrement mauvais et interdit alors toute possibilité de réparation envers sa victime dont on reste l’éternel débiteur. Or, comme l’écrivait le philosophe Vladimir Jankélévitch dans “Le Pardon” (Aubier, 1967), « le pardon brise la clôture du remords, car il est en lui-même un acte libérateur ». Libéré du poids de sa faute, on s’autorise à vivre libre, à nouveau.

(Flavia Accorsi)



05/06/2013
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