Français, les enfants d'immigrés des générations sacrifiées
Français, les enfants d'immigrés des générations sacrifiées
Jusque dans les années 1970, l'immigration est surtout économique et plutôt masculine. Le phénomène ne va pas durer, avec le regroupement familial elle se féminise et se diversifie aussi. L'origine des migrants est plus variée : initialement issue de l'Afrique subsaharienne et du Maghreb, elle s'ouvre vers la Chine, mais aussi l'Espagne, le Portugal, la Turquie. Les descendants d'immigrés évoqués dans cette étude - des personnes nées et résidant en France, ayant un ou deux parents immigrés - sont évalués à 6,7 millions, soit 11% de la population globale.
Français à part entière et pourtant...
Cette étude brise quelques idées reçues : neuf enfants d'immigrés sur dix se sentent Français. Ils ont presque tous la nationalité française (97 %). Ils revendiquent leur attachement à cette République. Ils sont plus diplômés et gagnent mieux leur vie que leur parents et pourtant ces enfants de la deuxième et troisième génération d'immigrés ne sont pas toujours considérés et perçus comme des Français à part entière. Ils réussissent moins bien que les Français ayant des parents nés en France, c'est ce que révèle cette étude de l'Insee.
On constate que leur parcours scolaire est difficile en France. Ils sont 14% - contre 4% pour le reste de la population - à estimer avoir été moins bien traités à l'école notamment en matière d'orientation. « En effet, ils sont davantage envoyés dans des filières technologiques et professionnelles », explique Sylvie Lagarde, directrice régionale Ile-de-France à l'Insee. Autre constat, 30% des enfants d'immigrés sortent du système scolaire sans diplômes ou au mieux avec le brevet des collèges. Il y a tout de même des exceptions encourageantes, les filles de l'immigration marocaine et tunisienne décrochent plus souvent le baccalauréat que les jeunes françaises
Plus instuits que les parents
Les enfants de migrants sont plus instruits que leurs parents. Leur niveau d'instruction s'élève et l'on sait que ceux qui migrent sont les plus diplômés. De fait, de nombreux étudiants suivent un cursus qui va jusqu'au doctorat. Mais il y a quand même un paradoxe, ils restent nombreux à n'avoir aucun diplôme : ils sont 38% des immigrés de 30 à 49 ans.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Ils montent à 29% pour les enfants d'immigrés africains contre 11% pour les Français dits « de souche ». Globalement, cette étude confirme que les descendants d'immigrés d'Afrique sont pénalisés sur le marché de l'emploi. Ceux qui sont les moins diplômés occupent des emplois précaires. Ce sont les ouvriers que l'on voit sur les chantiers les plus pénibles, les femmes sont « nounous » dans les quartiers chics de la capitale, elles font aussi le ménage ou gardent les personnes âgées.
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Difficultés et problèmes d’identité des enfants d’immigrés maghrébins en France
AuteurMoïse Benadiba du même auteur
L’image classique du travailleur nord-africain immigré – transplanté solitaire et temporaire déplacé d’une société rurale et archaïque vers une société industrialisée urbaine, à la recherche d’une amélioration de sa situation socio-économique avant de retourner dans son pays – est une représentation caduque. Aujourd’hui, émergent chez les populations immigrées maghrébines des aspirations inductrices d’une recherche d’affirmation d’identité, qui ne vont pas sans poser en termes nouveaux des problèmes chez leurs enfants nés en France ou ayant suivi leur père dans son exil économique. Contradictions et conflits à un niveau culturel, social ou psychologique jalonnent l’expression de la voie de leurs aspirations naissantes.
2 La clinique pédopsychiatrique, qui sert de base et de référence à mon étude, permet de repérer, à travers les béances des déchirements conflictuels exprimés par ces enfants de transplantés, certains aspects de leur problématique quant à leur identité.3 Quelques remarques initiales, susceptibles de contribuer à la compréhension des troubles décrits, me paraissent s’imposer ; elles concernent la notion d’identité.
4 Prenant appui sur la réflexion de certains auteurs (Cain, 1977 ; Erickson, 1978), je vais essayer de délimiter le sens de cette notion d’identité.
5 E.H. Erickson (1978) la définit comme le sens personnel de la centralité, de la totalité et de l’initiative, comme ce qui spécifie le sujet en tant qu’individualité constante et différenciée. Selon lui, dans l’élaboration de l’identité, interviennent l’entourage parental, la société, la culture et l’histoire ; autrement dit, des références affectives, culturelles, temporo-spatiales. Références qui, à travers plusieurs « phases critiques de l’identité », contribuent à développer, au-delà de l’enfance, la personnalité. J. Cain (1977), dans un essai visant à reformuler l’essentiel de ce que la notion d’identité véhiculait dans les travaux antérieurs, précisera que l’identité ne s’arrête pas au niveau du vécu mais que, bien au-delà, elle pose les questions fondamentales et par essence non résolues du sujet… C’est à travers l’identité que le nom et le sexe vont, au plus essentiel, exprimer la problématique du sujet, quels que soient ses symptômes (Cain, 1977).
6 Pour le sujet, en tant que « reflet de son organisation structurelle » (Cain, 1977), elle est ce qui vient maintenir le sentiment de sa permanence tout au long de son histoire, même si, à travers le temps, il peut apparaître comme changé. L’identité, dont les origines remontent aux premières identifications, se crée dans l’angoisse : angoisse de la découverte bouleversante de l’identité propre à partir de la constitution du « je » corrélative de l’assomption jubilatoire et dramatique de l’image du corps selon Lacan (1949) et de la constatation des différences et notamment des différences anatomiques entre les sexes. Participant ainsi à l’instauration de l’instance du sujet, elle apparaît étroitement liée à l’identification.
7 Ce qui, découvert à travers ce bref rappel, me paraît fondamental, c’est que pour le sujet, « ce qui compte peut-être, c’est moins l’identité que la lutte perpétuelle pour en garder le sens » (Cain, 1977), lutte qui est essentiellement un processus inconscient.
8 Qu’en est-il chez l’enfant d’immigrés maghrébins en France ?
9 Pour ces enfants, cette question se pose d’emblée : peut-il y avoir (une) identité sans que le sujet ait à surmonter des identités multiples, fractionnelles, voire à la limite « partielles » ? Je tendrais plutôt à croire que l’identité des enfants d’immigrés ne peut être que la résultante de cumuls d’identités.
10 Un pas de plus et on serait tenté d’admettre qu’il n’est peut-être d’identité (singulière) qu’illusoire, factice ou conflictuelle, qu’il n’est d’identité que de compromis, bâtie sur des confrontations, des clivages des dépassements de contradictions, aliénations et dépendances.
11 Autour de la notion d’identité, on ne peut distinguer l’identité (singulière) du sujet et celle(s) du groupe. Cette distinction ne me paraît pas d’emblée aller de soi. Au moins au départ, le processus en jeu, autant pour le sujet que pour le groupe, sorte de prédicat, est le même : on est ou plutôt on dit être quelqu’un (ou quelque chose) sans que d’aucune façon, on puisse rien apporter à l’appui de cette assertion ; puis on se reconnaît tel par rapport à un autre (individu ou groupe) à travers, par exemple, une filiation, un attribut, un nom, un attachement, des identifications ou reconnaissances. Ce n’est que dans un temps ultérieur, ce processus de départ dépassé, que l’identité (singulière) peut se façonner, se modeler et éventuellement se déterminer à l’intérieur, entre ou en dehors de groupes ; opérations qui toutes se déroulent aussi au niveau de l’imaginaire et de la langue essentiellement.
La décolonisation ne passe jamais inaperçue car elle porte sur l’être, elle modifie fondamentalement l’être, elle transforme des spectateurs écrasés d’inessentialité en acteurs privilégiés, saisis de façon quasi grandiose par le faisceau de l’Histoire. Elle introduit dans l’être un rythme propre, apporté par les nouveaux hommes, un nouveau langage, une nouvelle humanité. La décolonisation est véritablement création d’hommes nouveaux. Mais cette création ne reçoit sa légitimité d’aucune puissance surnaturelle : la « chose » colonisée devient homme dans le processus même par lequel elle se libère.
Frantz Fanon, Les Damnés de la terre
13 Ces premiers troubles de l’identité ne constituent pas, par eux-mêmes, des états morbides ; mais ils peuvent représenter des moments évolutifs en rapport avec une dépersonnalisation déstructurante.
14 Dans une perspective analytique, par rapport au fait que l’école est fréquemment l’occasion déclenchant les troubles de l’identité et la décompensation chez l’enfant transplanté maghrébin, prenant appui sur l’argumentation de G. Lévy, M. Hazera et R. Ebtinger (1977), l’interprétation suivante pourrait être proposée : l’école est le moment de la rupture affective réelle avec le monde maternel traditionnel, où se parle un langage chargé de sens affectif ; c’est aussi le moment où, sans médiation, ni transition, l’enfant maghrébin entre brutalement dans un lieu où la langue est différente, les contraintes présentes et parfois rigides. Les valeurs sont différentes, la « loi » intervient massivement et la compétition est exigée ; ce qui implique l’individualisation, si mal vécue traditionnellement. On peut évoquer ici tous les fantasmes de dépassement et de meurtre du père, négation imaginaire de la castration, décrits par M.-C. et E. Ortigues dans Œdipe africain (1966).
15 La scolarité est vécue comme lieu pathogène, comme situation traumatisante non « métabolisable » due à la rencontre avec l’incompréhensible. L’échec des processus d’individualisation, la rupture avec les références parentales et les repères culturels habituels, l’effacement autant que la confusion des modèles de « Loi » (dans l’affrontement des systèmes linguistiques et conceptuels) sont autant de facteurs dont la conjonction peut entraver le processus de structuration de l’identité. On retrouve d’ailleurs en clinique chez ces enfants la marque du lieu pathogène que constitue la scolarité jusque dans les épisodes délirants, où apparaît manifestement la thématique du dépassement du père et une tentative de négation imaginaire de la problématique de castration.
16 Les problèmes d’identité et certains comportements psychopathologiques corrélatifs observés en clinique pédopsychiatrique chez les enfants de maghrébins me paraissent en relation étroite avec leurs difficultés à se référer à des modèles d’identification structurants et avec l’angoisse, les problèmes, les comportements parentaux et les perturbations au niveau parental lui-même :
- la dévalorisation des images parentales peut s’originer du statut infligé par la transplantation et ses avatars aux immigrés maghrébins adultes : dévalorisation de l’image du père surtout, qui n’a plus valeur de référence. Pour le fils aîné, cela peut aller jusqu’au désir de remplacer, au sein de la dynamique familiale, le père défaillant, engoncé, en le dégradant dans un statut familial tout à fait subalterne. Il se produit comme une inversion des statuts et des rôles. Le père dévalorisé, dépossédé, laisse pour le moins une place inoccupée quand il n’est pas remplacé. Parodiant Moustapha Safouan, on peut dire que tel père manque d’être un modèle pour son fils et « de lui apparaître comme celui qui a surmonté la castration » (Safouan, 1974) ;
- en ce qui concerne la mère, la façon qu’elle a parfois de parler à son enfant me semble devoir être retenue. Sans analyser ce type de discours maternel, pointons qu’il s’agit souvent de déni et essentiellement de déni de la différence. À la place de mots lui permettant d’assumer sa différence et de structurer son expérience, si pénible soit-elle, la mère adresse à l’enfant un discours mystificateur gommant son corps réel. L’enfant devient l’objet du désaveu d’identité de sa mère ; ce qui contribue, comme le signalent très justement Cirba et Cornille (1979), à assigner l’identité de l’enfant en un « lieu de surfaces-accessoires », où la médiation dans une parole sensée de la mère, nécessaire pour qu’il puisse accepter sa propre image, fait défaut à l’enfant. Quelque chose de la fonction du leurre est introduit par les paroles mystificatrices maternelles ; par l’effet de non-sens créé, c’est la possibilité d’introduire une dimension imaginaire qui est, pour l’enfant, ainsi close ;
- du discours parental, à retenir encore ceci qui, avec fréquence, y apparaît : la projection dans un futur inaccessible de besoins présents insatisfaits, qui se traduit dans des formulations où prédominent des projets et intentions contradictoires. Se trouve ainsi véhiculé, dans l’ambivalence des propos parentaux, un double leurre : souhait d’intégration parfaitement réussie et entretien de l’espoir de retourner au pays. Cela crée, avec le désaveu d’identité amorcé par la mère, une situation proche de celle décrite sous les termes de « double lien », déstructurante et n’offrant parfois d’autre issue que celle du naufrage délirant. Du point de vue sémiologique, on peut constater dans ces circonstances chez l’enfant maghrébin une altération du sens de la réalité avec fantasmes (sans doute compensatoires) de toute-puissance et de surélévation narcissique, allant de pair avec l’accentuation et la délimitation des troubles du sentiment d’identité.
17 La problématique autour de la question fondamentale de son identité qui se manifeste chez l’enfant de transplantés tout d’abord avec acuité à l’école, se cristallise et s’accentue à l’adolescence, période de remise en question et de reconquête de l’identité. Plusieurs facteurs interviennent en ce sens : la prise de conscience à cet âge par le jeune immigré de son appartenance ethnique ou nationale, de son métissage culturel qui s’accompagne du sentiment d’être étranger en pays d’accueil, l’avènement de la sexualité, le bouleversement corporel, la réactivation de la situation œdipienne et surtout la remise en cause des identifications premières.
18 À l’adolescence, une apparente adaptation peut brutalement se briser, une socialisation apparemment bien construite, craquer. Sans reprendre la description des comportements psychopathologiques de l’adolescent maghrébin, étudiés ailleurs (Berthelier, 1977), je vais tenter, dans les développements qui suivent, de mettre en relief certains aspects de ces comportements caractéristiques, au moins par leur fréquence d’apparition.
19 Délibérément, mon interrogation privilégiera le pôle corporel et les avatars de la marginalisation, qui sont en étroit rapport avec les difficultés et les problèmes d’identité de l’adolescent maghrébin : en quête d’identité, il rencontre le désarroi et l’angoisse qui s’originent de la dévalorisation des images identificatoires parentales. À cela, il ne trouve de solution provisoire que dans la fuite dans des identifications substitutives, le refuge au sein de bandes organisées avec leurs risques de délinquance, les comportements de refus, marginaux ; comportements qui peuvent signifier tous le refus du milieu originel que représente ce « père-échec », à qui il ne veut pas ressembler plus tard. Dans ce contexte, la drogue est recherchée comme support d’une évasion temporaire.
20 Les agressions, les vols, les passages à l’acte délictueux sous les apparences d’une « revendication d’égalité » véhiculent tout autant une recherche et une demande d’assurance, reliquat d’une position infantile où les identifications chancelaient.
21 Les plaintes multiples concernant le corps peuvent aussi être entendues comme une demande de réassurance quant à son identité ; elles illustrent tout particulièrement combien problématiques sont les rapports de l’adolescent maghrébin à son corps, lieu d’identification, la discordance chez lui entre corps et image du corps. Les tableaux cliniques très diversifiés, allant des préoccupations hypochondriaques au véritable délire hypochondriaque, sont sous-tendus essentiellement par l’angoisse. L’interrogation retrouve constamment une culpabilité masturbatoire sous-jacente intense, rarement exprimée d’emblée, qui procède de l’angoisse de castration (Ebtinger et Bolzinger, 1978). Chez le jeune maghrébin, l’hypochondrie est par excellence le « symptôme charnière » (Ebtinger et Bolzinger, 1978), celui où l’angoisse et les mécanismes de défense mis en œuvre pour l’endiguer se focalisent dans une lutte contre la dépersonnalisation ; elle peut être comprise comme le dernier recours d’un sujet en détresse, recours qui peut aussi constituer l’ultime tentative pour circonscrire une angoisse de morcellement augurant un processus sévère de dépersonnalisation.
22 Dans ma pratique pédopsychiatrique, face à l’enfant d’immigrés maghrébins, je ne demande pas de tests psychologiques. Les instruments dont les psychologues disposent actuellement sont tout à fait inadaptés pour travailler avec des sujets de culture autre que la culture occidentale et, de ce fait, inutiles en ce domaine. Pour une démarche diagnostique complémentaire, je préfère utiliser les dessins libres et plus particulièrement le test du dessin de la famille, d’application facile, d’exécution rapide et qui ne demande comme matériel qu’une table, du papier et des crayons. Ce test fournit à l’observation clinique des indications précieuses sur les relations de l’enfant à son entourage, sur sa personnalité, ses difficultés et ses problèmes d’identité. « Il exprime la manière originale qu’a l’enfant de vivre ces relations et de se situer, se différencier ou se projeter dans l’espace physique et social constitué par le champ familial » (Crocq, 1975). Judicieusement appliqué et exploité, il constitue une véritable épreuve projective, « sollicitant l’expression de la personnalité jusqu’au niveau de l’inconscient et ne compromettant pas la liberté de cette expression par la rigidité d’un matériel trop structuré ou de normes de passation trop rigoureuses » (Crocq, 1975).
23 Chez l’enfant de maghrébins, le niveau des contenus dans le dessin de la famille met en évidence fréquemment la dévalorisation des images identificatoires et, là encore, notamment l’image du père : le père n’apparaît pas sur le dessin (« il n’y a pas de papa ») ou fait l’objet d’une forte censure (l’enfant « n’arrive pas à dessiner papa », se reprend à plusieurs reprises pour le représenter, déclarant ses premiers essais comme « faux », etc.). Quand l’image du père apparaît, elle est éloignée, non agrémentée de détails valorisants (« pas de ceinture, pas d’épée, pas de boutons ») ou virilisants (« pas de barbe, pas de moustache »), ou encore amputée, rapetissée, séparée du reste de la famille par des cloisons ou des meubles, reléguée dans un coin de page. Peuvent par ailleurs y être représentées les images identificatoires substitutives, en général il s’agit de personnes ne faisant pas partie de la famille, entre autres : « le directeur d’école », « le gendarme », « le pompier » et surtout « la maîtresse d’école en pantalon » et que l’enfant tient à la main. Dans les dessins libres, apparaissent les fleurs arrachées, les jardins incomplets, les herbes et les arbres replantés ailleurs, les maisons construites « autre part » ou, au contraire, l’illustration imagée d’un pays de rêve, sorte de terre promise avec du soleil, des arbres bien ancrés, de l’eau, le ciel bleu et un parterre garni de fleurs.
Aperçu des problèmes thérapeutiques
24 Il n’y a pas face aux enfants de maghrébins de « recettes » thérapeutiques particulières ni de solutions stéréotypées à leurs difficultés et à leurs problèmes d’identité. Les moyens dont on dispose sont les mêmes que ceux utilisés en psychiatrie infanto-juvénile chez l’enfant autochtone présentant des troubles analogues, à savoir, essentiellement la psychothérapie ; psychothérapie qui se caractérise par ses difficultés. Celui qui a la naïveté de croire aux victoires rapides connaît souvent des lendemains qui déchantent. À travers mon expérience et au-delà des difficultés rencontrées, mon but, ici, est de proposer un certain mode d’approche thérapeutique fondé sur une série de cas concrets.
25 Il s’agit de faire face à une situation nouvelle ; pour y répondre, nous avons à sortir de nos attitudes, réactions et carcans routiniers. La relation entre thérapeute occidental et enfant maghrébin apparaît ponctuée de malentendus et d’impossibilités. Du fait de la modicité des possibilités de reconnaissance et d’échange, cette relation risque de se réduire à un rapport de technicité stricte et rigidifiée, qu’il faut éviter. La barrière linguistique et l’ambiguïté culturelle qui l’accompagne constituent un obstacle supplémentaire à cette relation, menant à des impasses qu’il s’agit de dépasser. Dans ce contexte, si la connaissance de la langue et de la culture des enfants concernés constitue un atout important, cet atout n’est pas toujours suffisant : parfois, en effet, l’intervention de thérapeutes originaires du même pays que l’enfant ou ses parents ne résout pas non plus la problématique de la relation thérapeute-maghrébin ; certains de nos consultants, notamment des adolescents nés en France, n’acceptent pas d’être entendus par les « compatriotes des parents ». Comme si exposer leurs problèmes dans la langue maternelle provoquait ou accentuait une résurgence de conflits enfouis, dépassés ou mis de côté.
26 Nos techniques de psychothérapie individuelle, nécessitant l’établissement d’une relation avant tout symbolique, s’avèrent très souvent inapplicables. La réalité immédiate et actuelle est souvent, pour ces enfants, d’un poids trop grand pour qu’une telle relation puisse s’établir, ce qui limite considérablement la portée de nos interventions. Pourtant, c’est l’impact régressant de l’expérience qu’ils font de cette réalité qui donne à la référence psychanalytique une place fondamentale dans la compréhension des troubles psychopathologiques et dans le contrôle de leur évolution dans la relation psychothérapique quand elle s’engage. Car ce n’est pas au niveau de la réalité que des tentatives d’aménagement de la relation psychothérapique peuvent se faire ; le problème se situe sur le plan de l’écoute et du décodage du langage des symptômes « au niveau symbolique, fantasmatique et sémantique » (Valantin, 1977).
27 Face à l’enfant de transplantés, mon but n’est jamais de faire taire à tout prix la plainte, mais d’abord de comprendre et de l’écouter. En évitant de l’aborder au niveau de sa seule différence et de rapporter toute sa pathologie à son impossibilité à assumer cette différence, j’essaie de l’appréhender en tant que sujet, à la fois semblable et différent, et de resituer avec lui l’importance de la problématique d’appartenance culturelle dans la genèse et l’éclosion des symptômes qu’il présente.
28 On peut espérer, par ce biais, lui permettre de reprendre possession de son histoire et de celle des siens, de se reconnaître en elles et ainsi accepter d’investir cette réalité objectivement négative de sa condition d’étranger fils d’immigrés, à laquelle il ne se résume pas et en dehors de laquelle il existe en tant que sujet.
29 Dans bien des cas, de cette démarche peut découler l’abandon de la position défensive que constitue le symptôme. Tout cela présuppose évidemment la reconnaissance de l’enfant sur un mode qui ne soit pas celui de l’exclusion, un dépassement de nos propres attitudes défensives et un renoncement au désir d’affirmer notre pouvoir sur l’autre.
30 Précisons enfin avec R. Berthelier (1977), au terme de cette étude, que « tout effort sera vain, qui ne soignera pas aussi le milieu d’accueil : car, tant que subsisteront les réflexes racistes et tant que la loi du migrant sera d’exclusion, il sera vain de parler d’hygiène mentale à propos de l’immigré et ce, quel que soit son âge ».
31 Le mot de la fin, je le cède ici à Franz Kafka, qui témoigne magistralement dans son Journal (1954) de cette quête dramatique qu’est la quête d’identité : pour se confirmer qu’il est à même de produire, par l’écriture et le texte, l’œuvre donnant un sens à son existence et lui permettant le repérage dans son identité, il passe au préalable par le recensement de ce qui entrave sa démarche et l’aliène (vie professionnelle, famille, amitiés, amours, plaisirs, engagements… voire rêves). Recensement en vue de la désaliénation, pour advenir à ce qu’il nomme sa « vraie vie ». Et il nous révèle que cet avènement à la « vraie vie » implique l’angoisse, des renoncements déchirants, des contradictions, des affrontements, des tensions et d’incessantes déstructurations et restructurations d’identité.
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La France et les enfants d’immigrés : une crise du don | |
par Julien Rémy | |
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Crise du don et surendettement symbolique A l’échelle d’une société, il y a « crise du don » lorsqu’à la question de ce qui fait lien entre eux, les membres d’une société ne parviennent plus à donner une réponse satisfaisante, et lorsque, pour paraphraser le président américain J. F. Kennedy, ces membres préfèrent se demander ce qu’ils doivent recevoir d’elle plutôt que ce qu’ils peuvent faire pour elle, ce qu’ils peuvent lui donner [1]. En ce sens, la société française est en crise, particulièrement dans sa relation avec les enfants d’immigrés. Car, qu’on ne s’y trompe pas, lorsqu’on évoque les « quartiers sensibles », ou le « malaise des banlieues », c’est bien de la place des enfants d’immigrés en France qu’il s’agit. L’utilisation du terme « malaise » témoigne autant des difficultés réelles que connaissent les habitants des quartiers d’habitat social ou des autres quartiers en difficulté, que de l’embarras qu’éprouvent les observateurs à les décrire et à en saisir les problématiques. Quand au terme « banlieues », il invite à oublier que tous les quartiers en difficulté ne sont pas nécessairement situés extra-muros. « L’expression courante de “malaise des banlieues” recouvre une approche géographique inexacte et une conception sociologique passablement floue » [Vieillard-Baron, 1997]. De la même façon, le mot « sensible » dénote la fragilité des quartiers en même temps qu’il caractérise le regard de l’observateur. Le « sensible », c’est aussi ce qui est relatif à « la perception par les sens », qui, en cela, s’oppose au regard raisonné sur la réalité qu’on cherche à questionner. Enfin, l’emploi quasi systématique des guillemets finit de convaincre que ces mots sont utilisés comme un moyen détourné pour évoquer autre chose, qu’ils sont des euphémismes pour parler de ceux qui sont considérés comme les acteurs principaux de ce « malaise » : les « enfants d’immigrés ».
La France et les enfants d’immigrés Les personnes issues de l’immigration sont ici désignées par le terme d’« enfants d’immigrés ». Elles sont donc d’emblée définies par le lien filial qui les rattache à leur ascendance. Ce terme permet de suggérer que la situation des « enfants d’immigrés » est comparable à celle de leurs parents, et que, d’une certaine manière, ils ont hérité du regard dépréciatif que la société française a porté sur ces derniers. Mais il autorise en même temps la distinction, ce qui permettra de montrer qu’ils n’ont pas eu les possibilités de résistance symbolique dont ont disposé, pensons-nous, leurs parents. Par ailleurs, l’utilisation du mot « immigrés » conduit à définir les « enfants d’immigrés » au regard d’une société d’accueil, et dans leur relation avec elle. Autrement dit, s’ils peuvent être considérés comme un groupe social distinct, ce n’est pas parce qu’ils auraient des caractéristiques culturelles ou sociales qui les rendraient essentiellement - au sens philosophique du terme - différents des autres citoyens ; c’est plutôt parce que leur relation avec la société dans son ensemble est particulière. Enfin, l’autre terme de la relation - la France - est tout aussi problématique que le premier. Notons d’abord que parler de la France d’une part, et des enfants d’immigrés de l’autre, c’est se placer sur deux plans différents. La France est un État-nation ; c’est un territoire aux frontières et à la population définies, mais cela reste une entité abstraite. Le terme « enfants d’immigrés » désigne au contraire des personnes concrètes, qui font partie de la société française. Il s’agit donc de considérer la relation entre un « tout » et l’une de ses « parties ». Mais le terme « France », notamment lorsqu’il est mis en regard avec l’autre terme - les « enfants d’immigrés » - peut aussi recevoir une acception plus réduite : il peut s’agir de tous ceux qui ne sont pas « enfants d’immigrés ». Ce n’est pas alors la société française dans sa totalité qui est entendu, mais le « reste » de la population française, ou les autres catégories sociales. Les deux acceptions relevées ici, l’acception macrosociologique - la société considérée dans son ensemble - et l’acception intermédiaire (ou méso-sociologique) - les autres catégories sociales en tant qu’elles ont un regard singulier sur les « enfants d’immigrés », ou en tant qu’elles s’y opposent explicitement, dans les discours tout du moins. Ces précisions pourront paraître superflues. Elles sont une manière d’introduire la complexité du sujet, et d’affirmer qu’il convient d’éviter de concevoir ces deux groupes comme des monades, des « blocs », dont les définitions seraient indépendantes de leur relation. Il s’agit au contraire de mieux caractériser leur rapport, d’analyser le regard que l’une des entités porte sur l’autre, et ce, dans une perspective relationniste.
Une crise du don symbolique Cette relation peut être caractérisée par une « crise du don » jouant sur un plan symbolique et mettant en scène deux représentations opposées. Les représentations que les citoyens ont de la société dans laquelle ils vivent jouent sur leur propension à s’y engager. Pour des raisons liées à la désindustrialisation et au passage à une immigration de peuplement, les enfants d’immigrés ont perdu des possibilités d’apparaître comme donateurs dans le pays dans lequel ils sont grandis, comme dans celui de leurs parents. En situation de surendettement symbolique, face à une France qui - héritage postcolonial aidant - se présente comme une créancière absolue, les enfants d’immigrés répondent en renversant la dette : c’est au contraire la France qui est redevable. Dans ce contexte, où chacun pense avoir plus donné que reçu, le don, ciment social sur lequel est bâtie chaque société, n’apparaît plus possible. Ces deux représentations ne sont bien sûr pas les seules ; il existe des représentations concurrentes. Mais ce sont bien elles qui, en s’opposant « à distance », donc de façon non dialectique, constituent un problème social et freinent la construction des liens sociaux et politiques qui permettent de faire société. Julien Rémy Les trois textes de Julien Rémy publiés dans ce numéro ont été ré-élaborés sous formes d’articles à partir de sa thèse intitulée La France et les enfants d’immigrés : une crise du don, laquelle e été présentée cette année à l’Université de Nanterre, sous la direction d’Alain Caillé, professeur des Universités et animateur de la revue du MAUSS (Mouvement Anti-Utilitariste dans les Sciences Sociales). | |
[1] Phrase prononcée par le président américain John F. Kennedy lors de son discours d’investiture, le 20 janvier 1961 : « And so, my fellow Americans ask not what your country can do for you, ask what you can do for your country ». |
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Sociétés multiculturelles : pourquoi ce malaise entre les musulmans et les Français d’immigration plus lointaine ?
Mon pere, l'etranger : stereotypes et representations
des immigres Algeriens en France