La communication entre parents et enfants dans la société arabe
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Témoignage j'une jeune boeur
La communication entre parents et enfants dans la société arabe
Il est normal que les parents veulent le bonheur de leurs enfants, même ils ne savent peut être pas exactement ce que contient ce petit mot. Pour beaucoup de parents le bonheur des enfants passe avant tout par de bons résultats scolaires dans le but de pouvoir décrocher une place assez importante dans la vie active, et aussi par un bon comportement que les enfants se doivent d'exercer. Enfants qui, fautes d'explications de la part de leur parents, se posent fréquemment la question pourquoi on doit se comporter comme ça et non pas autrement ?
La réponse est très simple : dans la société arabe il existe un certain manque de communication dans la relation entre parents et adolescents. Ceci est en grande partie du à l'existence de sujets tabous comme la sexualité que les parents ont peur d'aborder par crainte du pire, ou tout simplement parce qu'ils n'ont pas eux-mêmes communiqué avec leurs parents et ne jugent donc pas forcément nécessaire de le faire avec leurs enfants.
Les parents se basent évidemment sur leurs propres connaissances pour bien orienter leurs filles et fils, mais bien souvent ils oublient qu'en réalité il faut pénétrer dans l'âme de l'individu pour savoir l'orienter et se comporter de la manière adéquate avec. Avoir un jugement critique sur soi et son entourage permet de découvrir la réalité des choses telle qu'elle est.
Pour les enfants arabes, leurs parents sont souvent la couronne qui les honore et la lumière qui éclaire leur sentier. Ils gardent toujours dans leurs esprits une place pour ces derniers, et souhaitent que la grâce divine leur soit consentie. Toutefois, ces mêmes enfants souhaiteraient aussi que leurs parents leur parlent, les comprennent et les mettent à l'aise afin de leur permettre de mieux s'en sortir. Car le partage et la compréhension sont les clefs de la réussite
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Cette intervention de H. Bendahman est reproduite dans son intégralité, elle a été réalisée dans le cadre du colloque régional de l'AMATRAMI (Association Meusienne d'Accueil des Travailleurs Migrant) le 16 et 17 mai 2008. Le thème était " Ces immigrés qui vieillissent en Lorraine ". H.Bendahman est aussi intervenu dans le cadre du festival des migrations et des cultures de Luxembourg ville.
H.Bendahman est docteur en psychologie clinique et pathologique, directeur de l'équipe de recherche pluridisciplinaire et psychologie interculturelle.
Si cette page vous intéresse, vous pouvez lire aussi les pages des liens suivants :
Comprendre la culture arabo-musulmane du Maghreb
L’interculturalité comme remède à l’humiliation des migrants
Intervention de M. Hossaïn BENDAHMAN
Organiser une rencontre autour des immigrés c’est leur reconnaître enfin leur place dans la société et dans la dynamique psychique de leurs enfants et petits-enfants. C’est leur rendre la parole pour qu’ils jouent leur rôle dans l’instauration ou la restauration du lien transgénérationnel et la médiation entre générations ce dont souffre la société actuelle, quelle qu’elle soit, de part et d’autre de la Méditerranée.
Mes centres d'intérêt, pour la transmission transgénérationnelle, ont cheminé avec l'immigration et ont accompagné l'évolution du processus migratoire : d'abord, en 1973, je me suis intéressé aux regroupements communautaires et à la résistance au changement que j'ai abordés du point de vue psychosociologique. Je me suis intéressé ensuite aux répercussions de l'absence du père avant la période oedipienne sur le développement du garçon. Je m'intéressais alors au devenir des jeunes enfants restés dans le pays d'origine et dont le père était en France.
Puis je me suis préoccupé de l'accès au bilinguisme des enfants d'ouvriers maghrébins immigrés en France venus rejoindre leur père, avant d'en venir à des questions plus cliniques autour de la transmission transgénérationnelle, de la fonction paternelle au Maghreb et de la filiation à l'épreuve de la transplantation. Les différentes étapes de cette recherche et de cette quête, à travers l’entre-deux et la plongée dans l'altérité où chacun de nous peut se sentir concerné, témoignent dans leur différence d'une unité : celle de cerner les effets, en ces périodes de bouleversements sociaux, légaux et familiaux, de cette mutation culturelle sur le sujet.
J’aborde, chevillé à la clinique, ce mal être contemporain avec le souci de l'alléger à travers l'intérêt que je porte aux retombées cliniques de mon travail. Travail qui sensibilise à l'émergence de dimensions nouvelles et plus complexes de l'altérité. Il s'agit ici d'une psychologie clinique qui, à l'aune de la parole, tente de faire sa place à la subjectivité. Elle cherche les moyens pratiques d’alléger et de soulager les difficultés et les problèmes psychologiques posés par le passage d’une culture à une autre.
Ma préoccupation première, face aux malaises identitaires et aux difficultés de l’inscription dans les liens transgénérationnels, est d’aider ces enfants de l’entre-deux, dont je partage la culture, à s’inscrire au niveau identitaire et à retrouver un certain équilibre psychique. Je me suis aperçu, chemin faisant, qu'il n’était pas possible de les aider sans commencer d’abord par les inscrire dans leur filiation et dans leur structure de parenté en élaborant un travail de médiation avec les générations précédentes. Mais surtout c’est bien le maintien d’une identification non coupable ni honteuse avec les ascendants qui s’avère fondamentale. La pire étrangeté, la pire des inquiétantes étrangetés est d’être étranger dans sa propre filiation.
Comme l’a montré admirablement Tawhidi au Xe siècle. Abou-Hayane Al-Tawhidi (Tawhidi) était invité à donner son opinion sur ce qu'est l’étranger. Dans son ouvrage " Al-Ichârât Al-Ilâhiya " (Les Signes ou la Symbolique du divin), il répondait par un magnifique texte intitulé " Ghorbatou-al-Gharib" (L’étrangeté de l’étranger) qu’il conclut - après une progression en profondeur - allant du reconnu social des divers statuts de l’étranger et de son étrangeté jusqu’au plus profond vécu de l’étrangeté chez l’étranger- en exposant le summum du vécu d’étrangeté chez l’étranger qui finit par se vivre étranger au niveau de sa propre filiation. " C’est, dit-il, lorsqu’il finit par se vivre étranger dans son propre espace, étranger dans sa propre demeure, étranger auprès de sa famille et des siens ". C’est hélas ce à quoi sont confrontés bon nombre d’immigrés âgés.
Mais, la question de la personne âgée, qu’elle soit immigrée ou non, est prise dans une sorte de malaise civilisationnel. Tout le monde a à l’esprit la catastrophe de l’été 2003 qui a révélé le traitement et la place indigne réservée à bon nombre de personnes âgées. La différence avec les personnes âgées venues d’ailleurs, en pleine force de l’âge et les autres, c’est qu’elles sont venues avec des représentations et des fantasmes bien particuliers. Elles sont venues avec un fantasme « oedipien » qui est celui de venir ici et d’y rester provisoirement le temps d’acquérir un certain pouvoir économique pour retourner ensuite dans leur pays. Elles n’ont jamais pensé que la vieillesse les rattraperait ici. Lors d’un colloque européen en 1990 en Allemagne, la plupart des participants et des intervenants reconnaissaient qu'ils n’avaient pas pensé et prévu au début que les immigrés allaient rester et vieillir ici et réclamer par la suite des « carrés musulmans» dans les cimetières pour pouvoir être enterrés ici.
Quant aux immigrés eux-mêmes ils avaient dans leur pays d’origine une image idéalisée de la vieillesse. Le vieillard représentait la connaissance, la sagesse et l’expérience. Ce qui n’est pas le cas au pays d’accueil. La notion même de maison de retraite pour la prise en charge de la vieillesse était inconnue jusqu’à il y a peu de temps dans les structures psychiques de l’autre côté de la Méditerranée. La prise en charge de la vieillesse échoit à la famille. Dans une enquête réalisée auprès de plus de 100 000 jeunes tunisiens et tunisiennes de 15 à 29 ans, 98.7% de ces jeunes considèrent que " la prise en charge des parents durant leur vieillesse ", " relève d’abord du ressort des jeunes ". Ils considèrent que c’est leur rôle, que c’est à eux de s’en occuper. L’éducation familiale et le conditionnement culturel entretiennent et renforcent ces représentations et ces comportements, ciment de la solidarité inter âges pour compenser les carences des structures sociales et étatiques.
Les travaux des historiens et des sociologues concernant le statut de la vieillesse, montrent bien l’évolution de ce statut en France car il n’en a pas toujours ainsi : " Le vieillard (c’est à dire l’homme de 40 ans) de l’antiquité classique était le sage, l’homme qui avait l’expérience. (…) Il n’en était plus ainsi dans les réalités médiévales et au début de l’Âge moderne. (…) "C’était un être assez pitoyable et assez misérable que le vieillard jusqu’à la fin du XVIIe siècle" écrit Philippe ARIES. Ce passage par notre propre histoire est indispensable pour pouvoir mieux se repérer dans cette problématique qui nous réunit aujourd’hui et assurer une meilleure prise en charge des immigrés âgés. Car celui qui ne sait comment s’est fait le noeud, ne peut le dénouer.
Avant de poursuivre, revenons sur la place du père dans l’éducation. J’ai entendu hier comme aujourd’hui cette plainte et remarque des professionnels: " il n’y a pas de père, il n’y a pas d’hommes, on ne les voit pas ! ". On entend fréquemment dans les "groupes de parole" ou "d’analyse de la pratique" avec des enseignants des critiques ou des insatisfactions adressées aux familles : "elle (la famille) ne vient jamais ! ", etc. et à la séance d’après on entend : " Tiens, c’est surprenant, la famille Un-tel, ou le parent d'Un-tel élève est venu ! ". Comme s’il y avait eu un effet magique entre les deux séances. Or une fois que les empêchements à penser sont levés et que l’autre est restitué pleinement dans sa dimension de sujet, dans ce lieu de parole, le modifiable s’opère.
Lors d‘une conférence-débat que j’ai animée à Farébersviller à la demande de l’A.T.M.F.,pendant le débat, une institutrice, qui avait dans sa classe beaucoup d’élèves d’origine marocaine disait sa déception de ne pas voir les parents de ces enfants participer aux activités auxquelles elle les conviait ou venir s’enquérir du déroulement de la scolarité de leurs enfants. Il se trouve qu’une bonne partie de ces parents était dans la salle grâce aux organisateurs. Un de leurs représentants, surpris par ce malentendu, s’est adressé à cette institutrice : " Madame, de là où je viens ( le Sud du Maroc) c’est indécent de demander ou d’interpeller l’enseignant. Ce serait le suspecter ou lui manquer de respect. Dans mon esprit, moi, je m’occupe de mes enfants dans ma sphère familiale, pour ce qui concerne l’école je vous les confie et je vous fais confiance ".
L’A.T.M.F. a bien joué son rôle de médiateur pour lever ce malentendu école-famille immigrée et a réussi à lever les freins à la communication. S’il n’y a pas de lieu de rencontre et de communication où l’on peut rencontrer l’autre y compris dans ce qu'il a de radicalement différent, cet autre est disqualifié et devient encore plus étranger et objet de nos représentations négatives. D’autre part, j’ai beaucoup entendu parler aussi depuis hier de la question " de la demande ", car semble-t-il " ces personnes n’ont pas de demande ", … J’ai l’impression qu’à ce sujet on plaque le modèle freudien de la cure-type des névrosés à tout va, et au tout venant. C’est là me semble-t-il un des effets de nos formations théoriques. La demande se travaille. Comment quelqu'un qui manque de repères, ou dont les repères spatio temporels et culturels sont perturbés, pourrait-il formuler clairement et d’emblée une demande ?
Comment un immigré, arrivé ici à l’âge adulte, venant d’une culture qui ne connaît pas le droit à la plainte, où l’individu est enserré de toutes parts plus par ses devoirs que par ses droits, pourrait-il repérer tout seul qu’il est désormais dans la civilisation du droit à la plainte ? Comment ce droit à la plainte peut il se manifester s’il n’y a pas d’accompagnement, une réassurance et un apprivoisement de ses craintes ? Nos parents et nos anciens ont été habitués voire dressés à serrer les dents quand ils avaient froid et à serrer la ceinture quand ils avaient faim. La seule solidarité qu'ils connaissent c’est la solidarité intrafamiliale. Ajoutons à cela la notion de pudeur si importante dans ce milieu où la délimitation entre l’espace intérieur et l’espace extérieur, entre le dedans et le dehors est si étanche.
Il faut des lieux pour la parole et une place pour l’autre. L’examen de notre vocabulaire et de nos attitudes professionnels montrent que bien souvent on ne ménage pas de place aux pères, tout en leur reprochant de ne pas être présents ! Au lieu de projeter le problème ailleurs, il faut s’habituer à parler ici et pas là-bas, se poser la question : qu'est-ce qui, dans mes attitudes, fait que cette personne n’est pas en mesure de formuler une demande ? Qu'est-ce qui fait que, dans mon attitude professionnelle, je ne peux pas entendre certaines choses.
Un tour rapide du sujet montre qu'il y a beaucoup d’évitements " phobiques " dans ce qui est dit, que des demandes continuent à être, pour beaucoup, non entendables notamment celles qui concernent la dimension religieuse qui s’impose avec la vieillesse. On en a peu parlé, à part notre collègue allemande. Cela fait très longtemps qu’en Allemagne cette question est abordée à travers, entre autres, les consultations multiculturelles et l’aménagement des espaces ménagés au niveau des cultes : il y a des espaces d’ablutions par exemple, etc.
Peu importe que je sois laïque, athée ou autre, l’éthique républicaine est là pour me contenir en m’interdisant de faire du prosélytisme. Ce qui est important, c’est à la place professionnelle que j’occupe, d’entendre et de reconnaître la demande de l’autre et de le reconnaître comme sujet avec ce qu’il est. Mais ce que je ne suis pas habitué à entendre dans ma pratique professionnelle devient très souvent inquiétant et rejeté. Et la personne qui est en face de moi, ayant affaire à un sourd, devient muette. Si on est sourd à sa demande et à son manque, il est normal qu’elle finisse par ne plus formuler de demande, Elle n’est pas folle ! Autre dimension importante, la parole, comme véhicule pour atteindre l’autre, et la langue. La langue est la première clé d’une culture qu’on acquiert ; une fois qu’on l’a acquise, elle ouvre au reste de la culture.
Quand on proposait par exemple à certains parents immigrés, dans les années 1970, d’apprendre le français ils s’offusquaient presque à l’époque. C’était vécu comme une trahison à leur langue d’origine, à leur culture, persuadés qu'ils étaient de repartir un jour. Maintenant beaucoup de personnes immigrées âgées manifestent le souhait d’apprendre le français. Certains expliquent leur souhait, au niveau manifeste, par le désir d’aider leurs petits-enfants dans leurs devoirs.
Malheureusement, au niveau latent, cette demande témoigne du drame de la coupure générationnelle concernant la communication avec leurs enfants et surtout avec leurs petits-enfants. Eux, continuent à parler leur langue, ils maîtrisent rarement le français, voire pas du tout, alors que leurs petits-enfants ne parlent qu’en français et maîtrisent rarement la langue de leurs grands-parents.
Mais cette demande montre aussi que ces personnes âgées ont énormément cheminé pour faire leur deuil des rêves qui les ont poussées hors de chez elles : au départ, elles construisaient là-bas, elles préparaient même leur tombe, etc. mais au fur et à mesure que leurs enfants et petits-enfants s’enracinent ici, elles font un travail de deuil et finissent par accepter l’idée d’être enterrées ici, pour peu qu’il y ait un carré musulman qui les accueille.
Dans le travail de médiation transgénérationnelle que font nos associations les jeunes ne sont pas oubliés. La plupart des activités visent à rassembler toutes les générations (enfants, parents, grands-parents). On a pris énormément de temps pour obtenir des gens qu'ils s’expriment, parce qu'ils ne parlaient pas facilement, il a donc fallu faire un travail de très longue haleine pour vaincre les résistances et les obstacles à " se dire ", à parler de soi. Le film documentaire "Parole retrouvée" réalisé par la CBFBL montre bien le travail fait par nos associations à ce niveau. On y voit comment ces personnes qui n’avaient jamais parlé de leur parcours et de leur arrivée en France, ni de la façon dont ils étaient "parqués" à l’époque au niveau de l’habitat , etc., retrouvent le plaisir d’évoquer ces souvenirs et de les transmettre pour peu qu’on les écoute.
Mais ces témoignages et récits de vie montrent aussi aux enfants et aux petits-enfants la vie que leurs parents et grands-parents avaient avant de ramener leur épouse et leurs enfants ici. Ils montrent les difficultés qu’ils ont endurées mais aussi leur mode de vie, les cafés ou bars qu'ils fréquentaient et leur rapport aux prescriptions religieuses : certains buvaient de la bière, d’autres ne faisaient pas le ramadan … Ceci modifie la représentation qu'ils ont de leurs parents et les aide à s’inscrire dans leur histoire familiale et la continuité générationnelle.
Ces pères qui étaient très souvent vus et perçus comme des hommes cassés, brisés… prenant confiance dans leurs paroles (c’est quelque chose qui a été travaillé avec eux), ont pris conscience aussi de leur devoir de transmettre. Parce qu’on leur a fait comprendre par un long travail que ne pas parler de leur culture, de leur itinéraire, de leur famille et ne pas transmettre leur mémoire, c’est priver leurs enfants de cette continuité psychique indispensable à notre « sentiment continu d’exister » et à notre sécurité psychique.
Ne pas transmettre cette mémoire, c’est soumettre leurs enfants à une violence symbolique, c’est les laisser seuls face à des interrogations internes. Petit à petit certains parents ont sorti leurs médailles de guerre et, du regard photo, figé, que leurs enfants avaient d’eux, on passe au regard caméra, vivant. Quand les enfants découvrent que bon nombre de leurs parents ou grands-parents ont défendu les couleurs de la France lors des grands conflits, les pères brisés, humiliés se muent en héros ordinaires qui donnent toute sa légitimité à leur présence ici et fait échec à la certains cherchent sournoisement à leur imposer. Ce qui permet à bon nombre de jeunes de se réapproprier une mémoire à la lumière d’une lecture critique de leur histoire et de celle de leurs parents. Cela change radicalement le rapport de ces Jeunes à la France. Cela donne une légitimité à leur présence ici.
C’est grâce à leurs pères et grands-pères, par leur sacrifice, par leur sang versé pour la libération de la France ou par la sueur versée pour la reconstruction de la France qu’ils sont ici. Ainsi, ces enfants arrivent à retrouver par ce travail de réconciliation avec leurs racines le moyen de mieux préparer leur avenir. Parce qu’on ne peut pas s’insérer pleinement si on ne s’est pas inscrit dans ses liens transgénérationnel sans honte ni culpabilité.
C’est en découvrant sa culture et en l’intériorisant qu’on peut la dépasser. Ce que l’on n’a pas découvert reste au niveau de la nostalgie, presque comme un cri d’appel qu’on dépasse rarement. On devient très fragile au niveau des repères symboliques, on est souvent à la recherche d’une identité imaginaire, ségrégative ou virtuelle. Par contre, redécouvrir pour ces jeunes, leurs parents dans une parole vraie, une parole vivante, leur permet de se réconcilier avec une part d’eux-mêmes, de ré-interroger autrement leur vie, parce qu'ils découvrent dans ce projet migratoire de leurs parents, une pulsion de vie très importante.
Il y a plusieurs portes d’entrée pour aborder cette question de la transmission transgénérationnelle. J’ai choisi celle de l’approche clinique à partir de quelques invariants universels clés. Et dans le cadre de ces journées, le plus important pour moi est le concept de la différence. Il me semble, au travers de mon travail clinique au quotidien, que pour grandir et s’adapter à minima dans la société où on évolue, il faut se repérer dans trois différences fondamentales.
La 1ère différence, c’est la différence anatomique des sexes : garçon et fille. Quelle que soit la culture dans laquelle on évolue, quelle que soit l’époque dans laquelle on grandit, il y a des garçons et des filles. Qu’est-ce que cela veut dire pratiquement ? Cela veut dire que chaque culture travaille cette question différemment, y compris dans les sociétés comme la France où on porte l’égalité des sexes au plus haut niveau. Il suffit de se promener dans les grands magasins au moment des fêtes pour constater que très souvent les jouets sont marqués en fonction du genre et que les parents, notamment, tiennent compte de ce marquage sexué en fonction du sexe de l’enfant auquel ils destinent le jouet. Or on sait à quel point le jeu et l’activité ludique influent sur le développement de la personnalité. Il y a un traitement inconscient de la différence des sexes en lien avec notre identification à nos parents et à l’intériorisation des imagos parentales.
Par ailleurs on entend souvent de la part de différents professionnels " Les hommes on ne les voit pas, les femmes ceci, les filles réussissent mieux que les garçons, etc.". Ce qui est attribué ou projeté sur le Jeune issu de l’immigration maghrébine, par exemple, (même s’il est né en France et que ses ancêtres y sont arrivés en 1870) comparé à ce qui est projeté sur les filles de même origine et condition, met en exergue ce rapport à la différence des sexes. La façon dont on a géré et intégré la mixité conditionne notre rapport à l’altérité et au différent. La gestion de la mixité, garçon fille, dans la famille, dans la classe ou dans le quartier ne va pas de soi. Cela nécessite un tiers, un médiateur qui pourvoit à la régulation des mouvements pulsionnels, à l’émergence desquels présidait la relation fusionnelle à la mère. Un des premiers médiateurs est le père ou celui qui occupe cette place. La fonction paternelle n’existe pas en tant que telle : est père celui que la mère désigne comme tel. "Est père, celui qui tient debout".
La 2ème différence,c’est la différence moi/autre. C’est la différenciation entre le moi et l’autre. L'espace de l'autre n'est pensable qu'avec la catégorie des frontières ou seuils (dedans/dehors, ouvert/clos …). La catégorie frontière est aussi la catégorie de limite, car c'est toujours à l'intérieur de certaines limites que la rencontre est possible, ni trop près ni trop loin. La notion de frontière ou de limite, introduit par voie de conséquence un mouvement de rupture, de discontinuité continuité, et c'est là, à mon avis, que la rencontre peut être problématique, d'où nécessité d'une topique de la différence, comme métaphore d'un passage, ou modalité « sas » pour la mise en latence des inconciliables culturels le temps de leur mise en question et de leur métabolisation.
Ainsi, là où je dis, moi le père berbère maghrébin d'origine rurale, à mes enfants: " va ouvrir (ou fermer) la porte de dehors ", leur mère, française, leur dit: " va ouvrir (ou fermer) la porte d'entrée ". Les premières fois les enfants ont relevé et parlé cette différence en souriant, mais cela n'a nullement affecté leur compréhension du message de leur père ou de leur mère. Cela ne change pas l'état de la porte : elle sera fermée ou ouverte, le sexe des parents n'influe pas sur l'état de la porte. Par contre ce qui change c'est que cela introduit un troisième temps, celui de la relation : selon la première formulation (il y en a des centaines) ou la seconde, ils intègrent qu'ils sont en relation avec les références culturelles différentes de leur père ou de leur mère portées par la langue.
Donc ce temps de relation, ce temps autre, est aussi une intériorisation de l'altérité, ce qui les introduit à leur historisation… et les inscrit dans leur généalogie. Poser la question de l’altérité, c'est aborder la relation de l'homme à son entourage, à son désir. L'autre, l'altérité, est au moi ce que l'ombre est à la personne. Sans ombre la personne n'a pas de reflet, elle est pure inexistence (adam), elle est fantôme. Seuls les fantômes ou les Djinns n'ont pas de reflet. La non différenciation moi/autre peut avoir de nombreux effets au niveau clinique. L’absence de culpabilité à l’égard de la souffrance occasionnée à l’autre. L’absence de prise de conscience du mal infligé à l’autre comme dans la maltraitance ou les abus sexuels.
La 3ème différenceest la différence des générations: grands-parents, parents et enfants. Mon labeur quotidien auprès d’enfants et d’adultes de différentes cultures montre que ce sont les sujets qui se repèrent le mieux dans leur structure de parenté, dans leur filiation et dans leur langue qui réussissent le mieux leur intégration, intégration que l’on repère déjà dans l’institution scolaire. Habiter sa place générationnelle est fondamentale dans la construction de l’identité.
Or c’est surtout là qu’on observe des écueils aussi bien au niveau de l’immigration qu’au niveau du monde moderne. Au niveau de l’immigration il s’agit de perturbation des relations interindividuelles et plus encore intergénérationnelles. Le parent immigré est confronté à un changement anthropologique fondamental qu’est le renversement de la triangulation : il passe d’une société patriarcale où le père était au sommet du triangle avec à la base d’un côté la mère et de l’autre l’enfant, à une société de plus en plus pédocentrique ; c’est-à-dire centré sur l’enfant.
Au sommet du triangle, en effet il y a l’enfant, en bas d’un coté, il y a l'Etat, avec tous ses représentants (éducateurs, assistants sociaux, psychologues, juges pour enfants, etc.) et de l’autre coté il y a la famille, les parents. Cette inversion du sommet de la hiérarchie modifie tous les rapports. On est passé effectivement d’une société patriarcale, ou bien de droit paternel, à une société de plus en plus pédocentrique avec tout ce que cela suppose. Et c’est important dans les plaintes de certains parents et notamment les parents d’origine étrangère, qui ne comprennent pas ce passage et disent « ce n’est pas de notre faute, vous nous envoyez des demandes paradoxales ; vous dites que nous sommes démissionnaires, mais si on bouge, si on lève la main sur nos enfants, on est menacé de prison ».
Nos enfants nous disent : " tu me touches je le signale à l’assistante sociale, etc. ". Et les enfants, qui sont de plus en plus intelligents, de plus en plus malins, s’engouffrent dans cette brèche d’incompréhension, laissée par l’incommunicabilité entre les parents et les institutions. Au niveau du monde moderne où l’enfant est précieux, on assiste de plus en plus à la montée de " l’autorité de l’infantile, l’enfant chef de famille ", " les parents-copains ", le culte de la jeunesse et la peur de vieillir avec ses effets discriminatoires liés à l’âge.
En effet, dans les différentes enquêtes sur les discriminations au travail, la discrimination liée à l’âge arrive dans le peloton de tête avec les discriminations ethniques des personnes d’origine maghrébine. Le regard de l’enfant fait autorité sur l’adulte, en sachant que dans autorité il y a autorisation. Bien souvent, et notamment en situation mono-parentale, le parent se confie à l’enfant et cherche son approbation y compris par rapport à sa vie sentimentale et affective.
Les limites protectrices et contenantes auxquelles l’enfant a droit de la part des parents sont infiltrées et traversées par les angoisses et les difficultés de ceux-ci à habiter cette place. Si bien que l’enfant finit par intérioriser que le monde des adultes n’est pas si attrayant que cela. Grandir, « vieillir », sortir de l’adolescence devient source d’angoisse. Or, les enfants ou les jeunes en général, ont besoin de quelqu'un en face d’eux qui tient debout. Nos enfants grandissent contre nous, ils ont besoin, qu’en tant que parents on tienne face à eux pour qu'ils puissent se redresser.
Mais notre tendance au « jeunisme » ou à fuir cette angoisse du vieillissement, ne les aide pas. On ne fait que les contaminer par nos angoisses quand nos pratiques éducatives alternent entre " bouffées " d’autoritarisme et " laisser-aller " ou " laisser-faire " ahurissants. Et c’est ce que découvrent petit à petit les personnes âgées venues d’ailleurs, à savoir, qu’au lieu d’une représentation de la vieillesse qu’elles sublimaient dans leur culture d’origine (où le vieillard représente la sagesse, l’expérience et la connaissance donc le respect et la valorisation) elles passent dans le monde de l’autorité de l’infantile et du culte du « jeunisme ».
D’ailleurs la plupart de nos étudiants qui se lancent dans la recherche ne veulent pas entendre parler de la vieillesse, elle leur fait peur. Ils évitent la vieillesse alors qu’ils décortiquent l’adolescence sous tous ses aspects et ses marges : toxicomanie, délinquance, … Je vais conclure en disant que sur le plan psychique les choses se jouent au moins sur trois générations.
Ainsi, par exemple, le surmoi si indispensable à la vie en société et à l’intégration de la culture et des règles sociales introduit le problème des transmissions psychiques transgénérationnelles, puisque le surmoi que tout enfant qui se socialise intègre est, pour une grande part, celui de ses parents tel qu'ils le tenaient eux-mêmes de leurs propres parents comme l’a montré Freud. Il écrit par ailleurs que "L'individu est un groupe intériorisé (…). L'intrapsychique est une mise à l'intérieur du réseau des relations familiales les plus primitives" (Freud S., 1921).
On circule dans la société comme on a appris à circuler dans sa langue et dans ses structures de parenté. Comment peut on apprendre correctement le masculin/féminin et à conjuguer le verbe être ou avoir au passé-présent-futur quand notre mémoire transgénérationnelle est trouée, reste muette et ne retient rien ?
BENDAHMAN Hossaïn
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