Garouste : délires et dépressions du peintre "fou"

 

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Garouste : délires et dépressions du peintre "fou"

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Depuis 40 ans, le peintre, diagnostiqué bipolaire, a appris à dompter ses troubles, et sa femme, Elizabeth, à jouer les garde-fous. Regards croisés.

Le peintre, illustrateur, décorateur et sculpteur Gérard Garouste. (BALTEL/SIPA)

Le peintre, illustrateur, décorateur et sculpteur Gérard Garouste. (BALTEL/SIPA)

Pendant longtemps, ils n'ont pas trouvé les mots. A la naissance de Guillaume, son fils aîné, au début des années 1970, le peintre Gérard Garouste fait sa première crise et est interné à l'hôpital psychiatrique de Villejuif. Elizabeth, sa femme, designer, se souvient :

Les médecins ne disaient rien, on ne savait pas ce qu'il avait."

Plus tard, les mots ont changé. De fou, Garouste est diagnostiqué "maniaco-dépressif", puis bipolaire. Il cachera longtemps ses tempêtes : "C'était honteux. Un fou. Difficile à assumer, surtout dans ma famille, alors que pour mon père, les apparences, c'était tout."

Interné à Sainte-Anne

Dans les années 1980, alors qu'il travaille aux décors du Palace, Garouste est à nouveau interné, à Sainte-Anne cette fois. Elizabeth :

C'est mon père qui allait superviser le chantier à sa place. On disait que Gérard avait une colite néphrétique."

Aujourd'hui, c'est avec sérénité que le couple parle "des délires" du peintre, et de ses plongées dépressives. Dans la famille, on rit même de ses épisodes maniaques, ils font partie de la légende de ce père picaresque : il y a la fois où Garouste, invité à l'Elysée, demande à Chirac de s'allonger par terre, pour mieux regarder les sculptures, ou encore, celle où, attendu par une journaliste qu'il doit récupérer à la gare de Dreux, le peintre n'arrivera jamais : il est parti à Chartres, se fait pourchasser par les policiers pour avoir troublé un mariage, brûle ses papiers d'identité...

Obsession de pureté

Garouste a raconté sa folie dans un livre, magnifique (1). "Depuis, j'ai reçu plein de lettres de psys, de malades, aussi." Ce livre, il l'a évidemment dédié à sa femme, Elizabeth. "Je ne sais pas comment elle a fait pour tenir toutes ces années." Réponse de l'intéressée : "Le quitter, comme certains me le conseillaient ? Pour moi, ça n'a jamais été envisageable."

Elizabeth se souvient pourtant de l'angoisse. Du délire mystique qui a saisi son mari après la naissance de leur premier enfant, Guillaume. "Il était dans une obsession de pureté. Il voulait que je ne l'habille qu'en blanc. Il avait tout vidé à la maison. Dessiné un grand cercle par terre."

Long tunnel de dépression

L'internement à l'hôpital sera suivi par un long tunnel de dépression de dix années, où il se traîne, dans un état végétatif, dort allongé par terre dans son atelier. Lui :

Cela m'agace toujours un peu qu'on lie la folie à l'art. Moi, ma maladie m'a empêché de créer autant que j'aurais voulu. Et ce que j'ai peint pendant mes périodes de délire, je l'ai souvent détruit après, car je n'en étais pas satisfait. Heureusement, avec les nouveaux traitements, la psychiatrie, j'ai pu avoir de longs intervalles stables pour travailler. Je suis sûr que si Van Gogh avait eu cette chance, son oeuvre serait encore plus riche... "

Avec le temps, Gérard et Elizabeth Garouste ont appris à dompter la maladie. A guetter l'arrivée des crises. Pour les arrêter, quand il en est encore temps. Lui :

Elizabeth est mon garde-fou au sens propre du terme. Elle repère les signaux d'alarme, l'excitation qui monte, la volubilité. Là, il faut me faire redescendre. C'est ingrat, car moi, je me sens tellement bien ! Mais même si je suis nostalgique de cet état de transe, le jeu n'en vaut pas la chandelle. La descente n'en est que pire."
Elle : "J'ai le mauvais rôle. Je dois le tirer vers la normalité. Lui, du coup, il devient agressif à mon égard, il m'en veut. Mais maintenant, les enfants sont grands, ils m'aident à gérer ces moments-là."

Elle-même a été parfois presque embarquée dans ces délires : "Il est comme un gourou, il envoûte son public dans ces instants. Moi, je suis partagée, entre la fascination et l'angoisse car je sais comment ça finit." Garouste qui filait, dans la forêt, dans les champs. S'enfuyait parfois sans donner signe de vie pendant plusieurs jours. "Je me souviens après une soirée d'avoir erré dans la neige à le chercher. Ou dans les bois. Il aime les arbres."

"Euphorie dangereuse"

Le peintre, lui, s'est apaisé. Il ne peut plus prendre ce lithium qui lui a rongé les reins et ingurgite à la place un "médicament qu'on prescrit aux nourrissons pour les crises d'épilepsie". Ça marche bien. Il évite aussi "les lectures trop exaltantes", qui pourraient le faire basculer dans une "euphorie dangereuse ". Evite Paris, pour se ressourcer au calme, à Marcilly-sur-Eure, où il est installé depuis trente ans. Se force à dormir.

Et se méfie des chiffres : "En général, quand je pars en délire, je me mets à compter, les carreaux, les brins d'herbe, les étoiles. Je vois des correspondances mystiques partout. Je peux suivre une plaque minéralogique en voiture pendant des kilomètres et y voir un signe secret..."

"Je voulais pratiquer la capoeira avec le psychiatre"

La dernière crise ? C'était il y a cinq ans, après la naissance de son premier petit-enfant. Elizabeth : "J'ai vu l'excitation monter, j'ai pensé qu'on pourrait gérer. On ne l'a pas hospitalisé assez tôt." Cette fois-ci, le peintre, qui déteste Sainte-Anne et ses bâtiments en verre, a été suivi à Garches, avec ses arbres et son parc. "Ils ont cru qu'ils ne pourraient pas me garder. Je voulais absolument pratiquer la capoeira avec le psychiatre."

Heureusement la descente dépressive n'a pas duré trop longtemps. Dix jours. "Trop déjà. Tous ces moments de dépression, ce sont des blancs dans ma vie. J'ai 66 ans, et je n'ai plus assez de temps devant moi pour le voir s'évanouir ainsi."

(1) "L'Intranquille. Autoportrait d'un fils, d'un peintre, d'un fou", avec Judith Perrignon, Editions de l'Iconoclaste, 2009.

 



22/05/2013
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