Troubles bipolaires chez les artistes et créativité

 

 

Troubles bipolaires chez les artistes et créativité
 

Maniaque, maniaco-dépressif, cyclothymique, bipolaire, ce sont des termes utilisés dans le langage courant avec un rapport parfois lointain avec la réalité clinique de ces troubles. Le cinéma présente souvent des personnages excentriques, qui traversent le film soumis aux aléas de leurs humeurs, donnant ainsi de multiples rebonds, voire de suspens à l’histoire.

L’ombre du fou rire Yue Minjun
L’ombre du fou rire Yue Minjun

 

Des artistes bipolaires

 

Dans la vraie vie, certaines personnalités ont parlé de leur affection. Il y a quelques mois Catherine Zeta-Jones dévoilait à la presse qu’elle était atteinte d’un syndrome maniaco-dépressif nommé également trouble bipolaire. Kim Novak, l’héroïne de Vertigo a évoqué également au Los Angeles Times, lors du Festival du Cinéma classique qu’elle luttait contre la dépression depuis de nombreuses années, « je suis bipolaire » confiait-t-elle à la presse américaine.

D’autres artistes d’après The Hollywood Reporter seraient atteints de ces troubles, Ben Stiller, Russel Brand, Mel Gibson, Britney Spears, Jim Carrey, mais les sautes humeurs ne font pas d’un individu une maniaco-dépressif pour autant. Le comédien Benoît Poelvoerde dit à ce sujet : « Je ne suis pas malade. Je suis bipolaire comme pas mal de monde » [1].

Si cette affection est souvent reconnue tardivement, inversement on parle également trop facilement de bipolarité chez des personnes qui ne le sont pas ; le diagnostic reste du domaine du spécialiste et doit répondre à des critères précis. Il n’existe pas d’outil d’évaluation paraclinique pour établir le diagnostic des troubles bipolaires, et l’évaluation est liée à l’expertise du clinicien ; cette évaluation peut être longue et complexe (en moyenne il s’écoule 8 ans avant de confirmer ce diagnostic). La prévalence dans la population générale de ce trouble est de 1%.

 

Qu’est ce qu’un trouble bipolaire

 

« Il s’agit d’un trouble récurrent de l’humeur alternant des phases d’expansion de l’humeur avec une augmentation de l’énergie et des activités (manie ou hypomanie), et des baisses de l’humeur (dépression), avec des intervalles libres plus ou moins longs. Dénommé par le passé psychose maniaco-dépressive, le trouble bipolaire recouvre une définition plus large de troubles de l’humeur qui sont parfois accompagnés ou non par des symptômes psychotiques. » [2]

Au seuil de l’Eternité Vincent van Gogh
Au seuil de l’Eternité Vincent van Gogh

D’après le HAS, Les épisodes des troubles bipolaires peuvent être :

- Hypomaniaques.
- Maniaques sans symptômes psychotiques.
- Maniaques avec symptômes psychotiques.
- Dépressifs légers ou modérés.
- Dépressifs sévères sans symptômes psychotiques.
- Dépressifs sévères avec symptômes psychotiques.
- Mixtes sans symptômes psychotiques.
- Mixtes avec symptômes psychotiques.

 

Il y a plusieurs types de troubles bipolaires. « Selon le DSM-IV, les troubles bipolaires sont catégorisés en trouble bipolaire de type I, trouble bipolaire de type II et trouble bipolaire non spécifié. Les troubles bipolaires de type I sont caractérisés par la présence d’au moins un épisode maniaque ou mixte. Les troubles bipolaires de type II sont caractérisés par la survenue d’un ou plusieurs épisodes dépressifs majeurs et d’au moins un épisode d’hypomanie.

 

Dès le premier épisode, le trouble bipolaire doit être considéré comme une maladie potentiellement récurrente. Le trouble bipolaire entraîne pour le patient une vulnérabilité chronique en raison des oscillations de l’humeur plus ou moins permanentes, et nécessite une prise en charge à vie. Plus de 90 % des patients qui ont présenté un épisode maniaque, présenteront d’autres épisodes thymiques. » [2]

 

Le cycle des rémissions et des rechutes est très variable bien que les périodes de rémission tendent à devenir de plus en plus courtes lorsque les troubles ne sont pas traités.

 

Génie artistique et trouble bipolaire

 

Dans l’histoire de la pathobiographie, on cite le plus souvent Nietzche, Napoléon, Winston Churchill, Lincoln, Goethe, Virgina Woof, Hemingway, Robert Schumann et Van Gogh comme des bipolaires, mais vu les difficultés de diagnostic il n’est pas possible d’être affirmatif, du moins pour nombre de ces personnalités. Mais on peut simplement affirmer qu’ils avaient à des degrés divers des signes cliniques appartenant à cette affection, ce qui n’en fait pas systématiquement des bipolaires pour autant, en dehors des artistes qui ont fait l’objet d’études sérieuses et argumentées sur ce point.

 

 

 

On a souvent associé « le génie artistique » notamment, mais aussi les personnalités exceptionnelles dans de nombreux domaines, et les troubles de l’humeur, parfois plus largement les troubles psychiatriques. De nombreuses études ont été faites sur ce sujet et un terrain familial a été souvent noté : la jeune sœur de Schumann, Emilie qui s’est suicidée précocement, Eugène Hugo frère de Victor qui va sombrer dans la démence et décédera précocement. Les chercheurs de l’Institut Karolinska avaient établi après une étude des pathologies familiales que les artistes et les scientifiques étaient plus nombreux dans les familles touchées par les troubles bipolaires et psychiatriques comparés à la population générale. [3]

 

En prolongeant ces travaux, la même équipe met l’accent sur cette corrélation, mais en élargissant celle-ci à un ensemble de désordres psychiatriques comme la dépression, l’alcoolisme, la toxicomanie, l’autisme, le TDAH (trouble déficit de l’attention hyperactivité), l’anorexie et le suicide. Cette étude recouvrait un suivi de 40 ans et une population de 1,2 millions de patients [3]

 

Une autre idée est souvent formulée à ce sujet, l’exacerbation du processus créatif dans le cadre de cette maladie. La dynamique créatrice est sur le plan psychologique particulièrement complexe, rarement étudiée sur le plan scientifique. Le fait que l’on retrouverait plus d’artistes dans les familles qui comptent plus de sujets ayant des troubles psychiatriques ne dit rien sur cette dynamique et n’indique pas par ailleurs que l’inverse est vrai, c’est-à-dire qu’il y aurait plus de troubles psychiatriques chez les artistes !

 

Joseph Hirsch Lunch Hour (1942)
Joseph Hirsch Lunch Hour (1942)

 

L’expérience que médecine des arts® a sur ce sujet nous amène à penser que dans cette dynamique créatrice, le plaisir et la souffrance jouent un rôle comme dans toutes les activités où le sujet est particulièrement investi. Le plaisir et la souffrance restent compatibles avec la création dans la mesure où ils sont eux-mêmes dans une dynamique, comme peut l’être la force d’un funiculaire où la descente d’un wagon est générateur de l’ascension de l’autre, ainsi indéfiniment. Mais cette force créatrice, lorsque l’ensemble du système se situe dans un espace dédié qui assure la sécurité, l’équilibre dynamique. Au-delà, c’est le désordre, les troubles apparaissent ; au-delà de la souffrance, la douleur est là qui annihile tout, y compris la créativité. C‘est l’espace dans lequel se trouvait Van Gogh dans sa dernière période, où la créativité était annihilée par les troubles et la douleur mentale. Cela est encore plus vrai pour Schumann, envahi par le délire et dans l’incapacité de créer. Lors d’épisodes dépressifs ou maniaques, la créativité est tantôt paralysée, tantôt de mauvaise qualité. « En effet, le ralentissement psychique et l’anesthésie affective de la dépression empêchent l’artiste de créer et stérilisent sa pensée. Dans les états maniaques, les productions sont facilement débridées, incohérentes, inabouties, superficielles » [4].

 

La sensibilité exacerbée, l’hyperactivité émotionnelle en dehors des phases maniaques ou dépressives pourraient permettre un fonctionnement psychique propice à des points de vue originaux, sensibles, mais sur ce point il n’y a pas d’études qui peuvent le confirmer. La mélancolie a été souvent un état qui a favorisé la création des musiciens, artistes, écrivains, un des thèmes de certaines œuvres. Mais cet état de l’humeur vécu ou qui émerge de certaines œuvres n’indique pas que l’auteur de ces œuvres est bipolaire. Cet état flottant de l’humeur est si commun, que les œuvres où elle transparaît touchent profondément le lecteur, le spectateur ou l’auditeur. La mélancolie dans ces cas ouvre la conscience sur la souffrance et la misère de la nature humaine, qui émerge de l’œuvre et qui touche une certaine universalité. La mélancolie comme Gérard de Nerval l’écrivait « est une maladie qui consiste à voir les choses comme elles sont ». « Cette compréhension des choses est considérée à la fois comme la cause et la conséquence de la dépression » [5]

 

Garouste, plasticien, parle de sa maladie dans un livre qui décrit son parcours et ses troubles [5]. « Cela m’agace toujours un peu qu’on lie la foile à l’art. « Moi, ma maladie m’a empêché de créer autant que j’aurais voulu. Et ce que j’ai peint pendant mes périodes de délire, je l’ai souvent détruit après, car je n’en étais pas satisfait. Heureusement, avec les nouveaux traitements, la psychiatrie, j’ai pu avoir de longs intervalles stables pour travailler. Je suis sûr que si Van Gogh avait eu cette chance, son œuvre serait plus riche… » [1]

 

Ainsi le public, mais aussi de nombreux thérapeutes confondent trop souvent la dynamique créatrice contenue dans un registre dynamique et productif du plaisir et de la souffrance, et la douleur extrême de certaines affections physiques mais aussi mentales dans lesquelles la créativité est abolie ou insuffisamment structurée. La prise en charge des artistes dans le cadre des maladies mentales est une nécessité comme chez tout sujets. Les traitements doivent évidemment prendre en compte leur capacité artistique. La pédagogie, l’alliance thérapeutique sont une nécessité pour conduire les stratégies thérapeutiques qui visent à protéger l’artiste, mais aussi le sujet lui-même dans ce qu’il a de plus essentiel, son intégrité.

 

Les troubles bipolaires selon le DSM IV

 

Le DSM IV (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders)) est le manuel de référence qui classifie et catégorise des critères diagnostics. Concernant les troubles bipolaires, les critères sont les suivants :

Le trouble bipolaire I
est essentiellement caractérisé par la survenue d’un ou de plusieurs épisodes maniaques ou épisodes mixtes. Les sujets ont souvent également présenté un ou plusieurs épisodes dépressifs majeurs.
Le trouble bipolaire I est considéré comme récurrent soit car il existe une inversion de la polarité de l’épisode soit par un intervalle d’au moins deux mois sans symptômes maniaques entre les épisodes. Une inversion de la polarité est définie par l’évolution d’un épisode dépressif majeur vers un épisode maniaque ou l’évolution d’un épisode maniaque vers un épisode dépressif majeur.
Trouble bipolaire non spécifié
S’il existe une alternance très rapide (sur quelques jours) de symptômes maniaques et dépressifs, qui ne répondent pas aux critères de durée d’un épisode maniaque ou d’un épisode dépressif majeur, le diagnostic est celui d’un trouble bipolaire non spécifié.
Le trouble bipolaire II :
est essentiellement caractérisé par la survenue d’un ou de plusieurs épisodes dépressifs majeurs accompagnés d’au moins un épisode hypomaniaque.
L’existence d’un épisode maniaque ou mixte exclut le trouble bipolaire de type II. Les sujets présentant un trouble bipolaire de type II peuvent ne pas ressentir les épisodes hypomaniaques comme pathologiques. Les informations provenant d’autres informateurs (proches, famille) sont souvent très importantes pour établir un diagnostic.
Un épisode maniaque est défini comme une période nettement délimitée d’élévation de l’humeur ou d’humeur expansive ou irritable. Cette période doit durer au moins une semaine ou moins si une hospitalisation est nécessaire. Au moins 3 des symptômes suivants doivent être présents (4 symptômes si l’humeur est seulement irritable).
- Augmentation de l’estime de soi ou idées de grandeur.
- Réduction du besoin de sommeil.
- Plus grande communicabilité que d’habitude ou le désir de parler constamment.
- Fuite des idées ou sensations subjectives que les pensées défilent.
- Distractibilité (l’attention est trop facilement attirée par des stimuli extérieurs sans importance ou insignifiants).
- Augmentation de l’activité orientée vers un but (social, professionnel, scolaire ou sexuel) ou agitation psychomotrice.
- Engagement excessif dans les activités agréables mais à potentiel élevé de conséquences dommageables (par exemple la personne se lance sans retenue dans des achats inconsidérés, des conduites sexuelles inconséquentes ou des investissements commerciaux déraisonnables).
- Les symptômes ne répondent pas aux critères d’un épisode mixte.
La perturbation de l’humeur est suffisamment sévère pour entraîner une altération marquée du fonctionnement professionnel, des activités sociales, ou des relations interpersonnelles, ou pour nécessiter l’hospitalisation afin de prévenir les conséquences dommageables pour le sujet ou pour autrui ou bien, s’il existe des caractéristiques psychotiques.
Les symptômes ne sont pas dus aux effets physiologiques directs d’une substance (donnant lieu à un abus, médicament) ou d’une affection médicale généralisée (hyperthyroïdie).
Critères d’un épisode dépressif majeur
A. Au moins cinq des symptômes suivants doivent avoir été présents pendant une même période d’une durée de 2 semaines et avoir représenté un changement par rapport au fonctionnement antérieur ; au moins un des symptômes est soit une humeur dépressive, soit une perte d’intérêt ou de plaisir.

- 1) Humeur dépressive présente pratiquement toute la journée, presque tous les jours, signalée par le sujet (p. ex. pleure). NB. Éventuellement irritabilité chez l’enfant et l’adolescent.
- 2) Diminution marquée de l’intérêt et du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités pratiquement toute la journée, presque tous les jours (signalée par le sujet ou observée par les autres).
- 3) Perte ou gain de poids significatif en l’absence de régime (p. ex. modification du poids corporel en 1 mois excédant 5 %), ou diminution ou augmentation de l’appétit presque tous les jours. NB. Chez l’enfant, prendre en compte l’absence de l’augmentation de poids attendue.
- 4) Insomnie ou hypersomnie presque tous les jours.
- 5) Agitation ou ralentissement psychomoteur presque tous les jours (constatés par les autres, non limités à un sentiment subjectif de fébrilité ou de ralentissement intérieur).
- 6) Fatigue ou perte d’énergie presque tous les jours.
- 7) Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée (qui peut être délirante) presque tous les jours (pas seulement se faire grief ou se sentir coupable d’être malade).
- 8) Diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer ou indécision presque tous les jours (signalée par le sujet ou observée par les autres).
- 9) Pensées de mort récurrentes (pas seulement une peur de mourir), idées suicidaires récurrentes sans plan précis ou tentative de suicide ou plan précis pour se suicider.
B. Les symptômes ne répondent pas aux critères d’épisode mixte.
C. Les symptômes traduisent une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel, ou dans d’autres domaines importants.
D. Les symptômes ne sont pas imputables aux effets physiologiques directs d’une substance (p. ex. une substance donnant lieu à abus, un médicament), ou d’une affection médicale générale (p. ex. hypothyroïdie).
E. Les symptômes ne sont pas expliqués par un deuil, c’est-à-dire qu’après la mort d’un être cher, les symptômes persistent pendant plus de 2 mois ou s’accompagnent d’une altération marquée du fonctionnement, de préoccupations morbides, de dévalorisation, d’idées suicidaires, de symptômes psychotiques ou d’un ralentissement psychomoteur.
Critères d’un épisode mixte
Les critères sont réunis à la fois pour un épisode maniaque et pour un épisode dépressif majeur (à l’exception de la durée) et cela presque tous les jours pour une semaine.
La perturbation de l’humeur est suffisamment sévère pour entraîner une altération marquée du fonctionnement professionnel, des activités sociales ou des relations interpersonnelles ou pour nécessiter l’hospitalisation afin de prévenir les conséquences dommageables pour le sujet ou pour autrui, ou s’il existe des caractéristiques psychotiques.
Les symptômes ne sont pas dus aux effets physiologiques directs d’une substance donnant lieu à abus, médicament) ou d’une affection médicale générale (hyperthyroïdie).

Docteur Arcier André, président fondateur de Médecine des arts®
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[1] Le Nouvel Observateur, 7 au 13 février 2013

[2] HAS, Service des bonnes pratiques professionnelles, Troubles bipolaires, 2009

[3] Kyaga S et al. Mental illness, suicide and creativity : 40-year prospective total population study. J. Psychiatr Res 2013 Jan ;47(1):83-90. doi : 10.1016/j.jpsychires.2012.09.010. Epub 2012 Oct 9.

[4] Bernard Granger, La dépression, 2004, Cavalier Bleu Eds

[5] L’intranquille. Autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou avec J. Perrignon, Ed. Iconoclaste, 2009



15/05/2013
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