Guy Levrier : De l’expérience imaginaire EPR à la synchronicité
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Guy Levrier : De l’expérience imaginaire EPR à la synchronicité
http://sergecar.club.fr/TPE/synchronicite/experience%20EPR_synchronicite.htm
En 1935, Einstein et deux autres physiciens, Boris Podolsky et Rosen, analysèrent aux Etats-Unis une expérience imaginaire (EPR : Einstein, Podolsky, Rosen) afin de mesurer la position et le moment d’une paire de systèmes de protons. En ayant recours à la théorie quantique conventionnelle, ils obtinrent des résultats extrêmement surprenants, qui les amenèrent à conclure que cette théorie ne donnait pas une description complète de la réalité physique. Ces résultats, véritablement paradoxaux, sont basés sur un raisonnement impeccable, mais leur conclusion selon laquelle la théorie est incomplète n’en est pas pour autant justifiée.
La mesure effectuée sur le proton 1 donne un état déterminé pour le proton 2, en fonction de la direction de la mesure choisie, bien que les deux particules puissent être à des millions de kilomètres l’une de l’autre, et n’interagissent pas entre elles à l’instant considéré. Einstein et ses deux collaborateurs estimèrent que cette conclusion était si manifestement fausse que la théorie de la physique quantique sur laquelle elle était basée ne pouvait être qu’incomplète. Ils en conclurent qu’une théorie juste devrait comporter certaines variables cachées qui permettraient de retrouver le déterminisme de la physique classique.
La différence fondamentale entre les deux théories est qu’en physique classique, le système étudié est sensé comporter d’avance la valeur objet de la mesure. La mesure ne perturbe pas le système, elle se limite à révéler l’état préexistant. On peut observer que, si une particule devait véritablement présenter les composantes de moment angulaire considérées, préalablement à la mesure, ces valeurs constitueraient bien des variables cachées. En physique quantique, la mesure perturbe le système.
La nature se comporte-t-elle conformément aux prédictions de la théorie quantique ? L’interprétation des résultats se base sur un théorème important élaboré par le physicien Britannique John Stewart Bell. Des expériences ont été effectuées dans plusieurs laboratoires avec des photons au lieu de protons (l’analyse est identique), et les résultats indiquent de manière assez probante la validité du théorème de Bell. C’est-à-dire que les résultats observés confirment ceux de la théorie quantique, et ne peuvent être expliqués par une théorie à variables cachées (déterministe), basée sur le concept de localité. On est ainsi amené à conclure que les deux protons sont en corrélation entre eux et qu’une mesure effectuée sur l’un affecte l’autre, quelle que soit la distance qui les sépare. Ceci peut paraître très étonnant, mais telle semble bien être la nature : la réalité ne peut être que non-locale.
Alain Aspect et ses collaborateurs, à Paris, ont démontré la pertinence de cette conclusion en 1982, grâce à une expérience ingénieuse dans laquelle la corrélation entre les deux moments angulaires était mesurée, dans un intervalle de temps extrêmement court, par un système de commutation à haute fréquence. Cet intervalle était plus court que le temps nécessaire pour que le signal lumineux ait parcouru la distance séparant les positions de mesure respectives de chaque particule. Selon la théorie de la relativité spéciale d’Einstein, aucun message ne peut être transmis plus vite que la lumière. Il est par conséquent impossible qu’une information concernant la direction de la mesure sur le premier proton atteigne le second proton avant que cette mesure soit effectuée.1
L’expérience d’Alain Aspect a ainsi démontré que les systèmes quantiques comportent entre eux des relations qui ne peuvent s’expliquer par la physique classique. Par conséquent, l’expérience imaginaire EPR a démontré de façon approfondie que Bohr a eu raison contre Einstein : la théorie de la physique quantique est valide, elle implique " un tout indivisible, au sein duquel l’instrument d’observation est inséparable de ce qui est observé 2 ".
" Un univers interconnecté "
" Le Tout quantique de Bohr, le potentiel quantique de Bohm et l’idée de non-localité que l’on peut déduire du théorème de Bell sont toutes de nouvelles manières de considérer l’univers. Elles suggèrent, du moins au niveau atomique, un univers remarquablement interconnecté. Mais est-il véritablement justifiable de projeter cette interconnection quantique ininterrompue sur la totalité de l’univers ? Certains penseurs estiment que c’est possible. En effet, la nature a été généralement perçue ainsi unifiée jusqu'à ce qu’une science plus mécaniste apparaisse, au cours du dix-septième siècle 3 ".
" David Bohm a introduit les concepts d’ordre entrelacé et d’ordre développé. Ce dernier se rapporte à la surface des choses, au sein d’un monde mécanique de poussées et de tractions. Inversement, le premier implique une réalité repliée sur elle-même. L’ordre entrelacé se situe hors des catégories d’espace et de temps, et représente, selon Bohm, une manière plus appropriée d’ordonner la théorie quantique. Dans un certain sens, tandis que la physique de Newton décrit le monde développé, la théorie quantique est la première tentative de la science à aborder l’ordre entrelacé. C’est à ce dernier niveau qu’il convient de répondre à la question d’Einstein sur la réalité ... "
" ... même si le scientifique courant continue à penser de manière traditionnelle, il semblerait que certains commenceraient à explorer de nouvelles voies de compréhension de l’univers. En effet, le grand public a toujours eu intuitivement le sens de son interconnexion avec la nature. L’Américain de souche ressent la skanagoah, c’est-à-dire une profonde paix lorsqu’il est seul dans les bois, une conscience intense de son unité avec la nature dans son ensemble. Des sentiments du même ordre sont ressentis par les artistes et les mystiques de toutes cultures. En fait, il semble plus naturel de percevoir l’univers comme interconnecté et immanent, que comme mécanique et dissocié. Le philosophe Edmond Husserl soutient que la crise à laquelle l’homme et la femme modernes sont confrontés est due à l’insignifiance du monde qui les entoure. Il en trouve l’origine dans le désir Cartésien-Newtonien d’objectiver la nature. Mais, lorsque la nature devient objet, les valeurs et relations humaines sont sacrifiées. Le résultat est une univers vide, dénué de sens 4 ".
Je suis précisément un de ces artistes qui perçoit son inspiration comme provenant de sa relation avec la nature, telle que les physiciens quantiques la décrivent, tout en subissant le martyre au sein d’une humanité déshumanisée et obsédée d’objectivation de la nature par un matérialisme délirant, objet de telles critiques des philosophes. Pour nous, artistes, cette interconnexion avec la nature nous parvient sous la forme de signes, pour nous indiquer le chemin, si nous acceptons de nous sensibiliser à leurs messages, et si nous avons le sens d’un but dans la vie ...
Pour le grand public et les scientifiques, ces signes n’étaient jusqu’à récemment rien de plus que de simples coïncidences. Carl Jung, psychanalyste mondialement connu, après avoir hésité pendant des années, fut l’un des tout premiers à faire une recherche en profondeur sur ce phénomène, qu’il a appelé " la synchronicité ". Il écrit :
" Si j’ai désormais dominé mon hésitation et pris à bras-le-corps ce sujet, c’est essentiellement parce que mes expériences comportant des phénomènes de synchronicité se sont multipliées au cours des décennies 5 ". Et il définit la synchronicité comme " la coïncidence dans le temps d’au minimum deux événements, sans relation de causalité entre eux, et ayant la même signification. " Sur ce sujet, certains scientifiques semblent avoir totalement reconsidéré leur position, dont, en particulier John Wheeler, qui écrit :
" Nous avions cette idée, très ancienne, qu’il existait, là-bas, un univers, et voici l’homme, l’observateur, sagement protégé de cet univers par une glace blindée de 15 centimètres d’épaisseur. Aujourd’hui nous apprenons, dans le monde quantique, que, même pour observer un objet aussi minuscule qu’un électron, nous devons casser cette glace et parvenir jusqu'à lui ... Ainsi le terme ancien d’observateur doit être rayé de notre vocabulaire et nous devons le remplacer par celui de participant. C’est de cette manière que nous avons abouti à l’idée que l’univers était participatif 6 ".
En tant qu’artistes, nous devons avoir tant la volonté que les moyens d’interpréter les signes, lorsque nous les reconnaissons en tant que tels, et de les appliquer à la cause au profit de laquelle ils obtiendront les meilleurs résultats. En matière de volonté, c’est à nous qu’il appartient d’en faire l’effort - un véritable effort. Quant aux moyens, c’est par la reconnaissance des caractéristiques essentielles, fréquemment très fugaces, des événements de synchronicité, que nous les obtiendrons. Dans ce domaine, Carl Jung donne en exemple le cas d’une de ses patientes, une jeune femme qui s’était révélée psychologiquement inaccessible, du fait de son rationalisme Cartésien le plus extrême, selon lequel elle s’estimait savoir tout mieux que personne. Jung écrit :
" Après plusieurs tentatives infructueuses de tempérer son rationalisme par une compréhension plus humaine, je n’ai plus eu d’autre ressource qu’à espérer, en désespoir de cause, que quelque chose d’inattendu et d’irrationnel se produirait, quelque événement qui ferait éclater le sarcophage intellectuel dans lequel elle s’était hermétiquement enfermée ... Elle avait fait un rêve impressionnant la nuit précédente, dans lequel quelqu’un lui avait offert un scarabée d’or - un bijou de prix. Tandis qu’elle me conte son rêve, j’entends derrière moi quelques coups légers frappés à la fenêtre. Je me retourne et vois un assez gros insecte se heurtant à la vitre de l’extérieur, et s’efforçant manifestement de pénétrer dans la pièce assombrie. Ceci me parut très étrange. J’ouvre immédiatement la fenêtre et attrape l’insecte en plein vol. C’était un scarabée commun " Cetonia aurata ", dont la couleur, d’un vert doré, ressemble le mieux à celle d’un scarabée d’or. Je tends l’insecte à ma patiente en lui disant : " Voici votre scarabée. " C’est cet événement qui a véritablement percé la cuirasse de son rationalisme et fait fondre la glace de sa résistance intellectuelle. Le traitement pouvait alors se poursuivre avec des résultats satisfaisants 7 ".
Nous voyons donc apparaître ici clairement les caractéristiques principales d’un événement de synchronicité : il faut pouvoir établir une corrélation signifiante entre l’événement extérieur objectif et l’état psychologique interne de la personne, la corrélation devant être acausale.
" La seconde caractéristique essentielle est l’absence de corrélation entre l’événement externe, et l’état interne subjectif ... Dans ce sens, ni l’événement externe (le scarabée) n’est la cause de l’événement interne (le rêve), ni l’inverse n’est vrai. Au contraire, ces événements sont reliés de façon acausale, par leur signification, et pas simplement par le hasard d’une coïncidence entre événements externes et dispositions psychologiques internes 8 ".
Pour reconnaître les signes, les interpréter correctement et en tirer le meilleur profit, l’artiste doit être pur, car la pureté est la meilleure manière d’éliminer le bruit de fond qui empêche de recevoir un message clair.
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1 Encyclopaedia Britannica (Traduction de l’auteur).
2 David Bohm, Wholeness and the implicate order ( London and New York, Routledge 1980, p. 134) (Traduction de l’auteur).
3 F. David Peat Einstein’s moon : Bell’s theorem and the curious quest for quantum reality (Chicago, Contemporary Books, 1990, p. 156) (Traduction de l’auteur).
4 [3] p.157-158 (Traduction de l’auteur).
5 C . J. Jung, The Structure and Dynamics of the Psyche, Collected Works, Volume 8 (Princeton, NJ : Princeton University Press, 1978), p. 419. (Traduction de l’auteur).
6 Cité par F. David Peat, in Synchronicity : The Bridge Between Matter and Mind (New York, Bantam Books, 1987 p. 4) (Traduction de l’auteur).
7 [5] " On synchronicity " p. 525-26 (Traduction de l’auteur).
8 Victor Mansfield, Synchronicity, Science, and Soul-Making (Chicago, Open Court, 1995 p. 24) (Traduction de l’auteur).
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