Interview : L'hospitalisation psychiatrique est malade
Interview : L'hospitalisation psychiatrique est malade
Les grands malades psychiatriques sont de plus en plus mal pris en charge en France, faute de structures adaptées. La situation se dégrade selon le Dr Patrick Lemoine (Centre Hospitalier Spécialisé du Vinatier à Bron - 69).
- e-sante : La prise en charge des patients psychiatriques semble se dégrader en France, faute de lits spécialisés. Confirmez-vous ce constat ?
- e-sante : Aux Etats-Unis la situation semble pire. Quelles sont les conséquences pour les patients ?
- e-sante : Quelles pourraient être quelques pistes d'amélioration ?
e-sante : La prise en charge des patients psychiatriques semble se dégrader en France, faute de lits spécialisés. Confirmez-vous ce constat ?
Dr Patrick Lemoine : Le dossier de l'hospitalisation psychiatrique en France a été géré selon une logique comptable, du même type que celle qui a prévalu dans celui du sang contaminé. Il s'agissait, pour des raisons budgétaires, de parvenir à un nombre de lits dit en " flux tendu ", selon un modèle de raisonnement industriel. L'objectif a été atteint au-delà de toute espérance. Pour ce faire, il a été procédé à une réduction des capacités d'hospitalisation en fonction des décisions des services des tutelles qui, de fait, ne sont apparemment pas tout le temps sur le terrain. L'alibi a été de les remplacer " à moyens constants " par des structures alternatives à l'hospitalisation reprenant le vieux rêve antipsychiatrique : " la maladie n'est que le symptôme d'une société malade... soignons la société, rendons-la tolérante aux fous et leur nombre chutera ". Cela témoigne d'une méconnaissance complète de la réalité de la maladie mentale et de son cortège de souffrance. Résultat : un patient a moins d'une chance sur deux d'atterrir dans son secteur naturel en cas d'hospitalisation. Par exemple, récemment, un patient de Valence nécessitait d'être placé en chambre d'isolement. Il était en Hospitalisation d'Office. Faute de lits en Rhône-Alpes, il a dû être transféré à Dijon ! Et l'on pourrait multiplier les exemples. Chaque week-end est devenu un casse-tête pour les services d'urgence, mais nos directeurs peuvent se prévaloir d'un coefficient de remplissage avoisinant les 90%, ce qui est bon pour l'image des établissements et (accessoirement) pour leur carrière.
e-sante : Aux Etats-Unis la situation semble pire. Quelles sont les conséquences pour les patients ?
Dr Patrick Lemoine : Les Américains, comme toujours, nous devancent. Même dans ce domaine ! Les malades sont dans la rue et en prison. Certains sont condamnés et exécutés. La morbi-mortalité est effroyable. Les quelques lits d'hospitalisation sont assez souvent consternants : grands dortoirs, vétusté, etc.
e-sante : Quelles pourraient être quelques pistes d'amélioration ?
Dr Patrick Lemoine : Il serait bon que les autorités comprennent que la psychiatrie a des spécificités, que l'urgence légale ne se planifie pas facilement et que revenir à un certain volant de sécurité au niveau des capacités d'accueil devient nécessaire.Réouvrir des lits, les spécialiser en fonction des pathologies soignées (psychose, toxicomanie, névroses... ) et/ou des techniques utilisées (thérapies familiales, analytiques, biologiques... ), sortir le secteur de l'hôpital et le réserver... aux patients concernés. La plupart des lits intra-muros devraient être asectoriels ou intersectoriels sauf pour ce qui concerne les patients hospitalisés sans leur consentement qui doivent rester sectorisés, mais dans des conditions correctes.Cependant, recréer des lits ne sert à rien si personne ne s'en occupe. Or, des centaines de postes de Praticiens hospitaliers sont vacants, faute de candidats. Non attractivité des carrières hospitalières, insuffisance du nombre d'étudiants en médecine, d'internes de spécialité ? Nous allons droit dans le mur... " Gouverner c'est prévoir ", encore un adage qui fout le camp ! Il serait bon aussi que l'enseignement de la psychiatrie évolue, sorte enfin du " tout idéologique ", qu'il soit psychanalytique, biologique ou comportemental et revienne à une vue plus équilibrée de la question. La psychopharmacologie devrait faire l'objet de beaucoup plus d'heures d'enseignement et surtout, les techniques relationnelles notamment en ce qui concerne la prescription devraient faire l'objet d'un enseignement spécial.