"L'école est devenue aussi stressante que l'entreprise"

 

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Gisèle George : "L'école est devenue aussi stressante que l'entreprise"
Gisèle George est pédopsychiatre. Confrontée chaque semaine dans ses thérapies de groupes à des enfants anxieux, elle a mis récemment en lumière une pathologie bien connue des adultes mais dont on ignore tout chez l'enfant : le stress. L'auteur du livre "Ces enfants malades du stress" (Ed. Anne Carrière) a répondu aux questions du Journal (octobre 2003)

Quel est le plus gros facteur de stress pour un enfant ? Ses parents ?
Gisèle George
Non, je dirais que ce sont avant tout les autres enfants... Le plus gros facteur de stress, c'est la réflexion des autres, c'est d'être intégré, de ne pas dire de bêtises devant les autres, de ne pas se faire agresser etc... Les autres sont stressants, agresseurs, agressants, moqueurs, comparateurs, compétitifs... C'est une entreprise quoi !

Et les parents dans tout ça ?
Les parents, dans l'ensemble, sont plutôt sympas. Ils mettent un peu la pression sur la scolarité, c'est sûr. Mais ce n'est pas le plus gros stress en général.

Mais le stress des parents est contagieux non ?
Il est certain que la grande majorité des parents d'enfants que je traite pour stress sont des stressés... C'est contagieux, en effet.

La notion de stress chez les enfants est-elle récente ?
Je ne sais pas si elle est récente. Ce qui est certain, c'est que nous "psys", nous osons mettre le mot "stress" sur des comportements enfantins seulement depuis une période récente. Alors que c'est un phénomène que l'on observe dans les entreprises depuis bien longtemps

Les enfants et adultes combattent-ils donc le stress de la même façon ?
Si les enfants le pouvaient, ils le feraient ! Comment les adultes combattent le stress ? Par un petit café par exemple. Et pourquoi donc les enfants aiment-ils tant le coca selon vous ? Ensuite, les adultes fument. L'augmentation impressionnante du tabac et surtout du joint au collège ne sont donc pas étonnant pour moi. Et puis, les adultes vont grignoter du chocolat par exemple, qui est un très bon anti-stress. L'obésité des adultes est en augmentation, celle des enfants aussi. Pourquoi ? A cause du stress, j'en suis convaincue.

De quelles façons se manifeste le stress des enfants ? Quels sont les signes à surveiller ?
Il y a deux types de signes. D'abord, ce sont des enfants irritables, jamais contents, toujours ronchons et tendus. Tout doit être organisé, il faut faire les choses vite, on sent la cocotte-minute qui va exploser. Ils investissent beaucoup dans la vie scolaire, sont perturbés par les résultats : tout doit être parfait. Ce sont aussi des enfants qui ont des troubles somatiques : ils dorment mal, mangent mal, dès qu'il y a un virus qui traîne, c'est pour eux, etc... Quand la situation se complique, on a affaire à des enfants qui se dévalorisent, qui disent 'je suis nul', 'je m'en sortirai jamais'.

A partir de quand doit-on consulter ?
Quand ces manifestations deviennent visibles, et rapidement si l'on a un enfant qui commence à se dévaloriser trop souvent.

Vous parlez aussi de "drop-out". Qu'est-ce que c'est ?
C'est quand on a affaire à des enfants qui ont tout à fait les capacités requises à l'école, qui ont de bonnes notes et qui tout à coup vont arrêter l'école. Ce sont des stressés qui en ont marre d'être au top tout le temps et qui pètent un plomb !

Comment vos confrères ont-ils accueilli la sortie de votre livre ?
Très bien, même si au départ j'avais peur de leur réaction ! En fait, ils m'ont dit que j'avais osé dire ce qu'ils pensaient tous tout bas...

Les pédopsychiatres sont donc d'accord sur cette notion de stress ?
Nous sommes tous d'accord à la base sur l'existence de cette pathologie. Nous sommes aussi d'accord sur les facteurs du stress, sur le fait que l'école est devenue aussi stressante que l'entreprise. Sur les origines de ce stress et pourquoi cela touche plus tel enfant que tel autre, il peut y avoir des divergences.

Vous comparez l'école et l'entreprise...
Oui, parce que l'entreprise a compris, depuis tout juste dix ans que le mot stress en entreprise est évoqué, qu'il faut une salle de gym, des séminaires de rencontres, au moins une heure voire une heure trente de pause déjeuner, etc... A l'école, qu'est-ce qui se passe ? Le gamin, il y va à 8 heures pour son cours de français. A 10 heures, il a soi disant une pause de dix minutes pendant laquelle il a tout juste le temps d'aller faire pipi et de changer de salle. Il enchaîne une interro, a une heure pour déjeuner et reprend les cours de plus belle. Et on leur demande une concentration et une attention sans bouger pendant sept ou huit heures d'affilée !
Aujourd'hui qu'est-ce qui se passe ? L'école a changé, les enjeux et les demandes ont changé... Résultat : on voit des enfants qui vivent stressés comme les adultes en entreprise. Moi, quand je lis le stress au travail et que je compare avec les déclarations des enfants de primaire qui sont dans mon cabinet, je peux vous dire que c'est pareil ! Dans les deux cas, on parle de rythme de travail, de patronat, de pression, d'enjeu, etc...

Justement, quel jugement portez-vous sur l'école en général et sur la crise de l'éducation nationale ?
Les profs aussi sont stressés ! Parce que les gamins, avec les journées qu'ils ont, ce sont des lions en cage ! Je pense d'abord que les enseignants sont mal formés : on leur apprend à quelle heure l'enfant apprend le mieux, que le ballon est un objet volant qui se déplace dans l'espace et qui sert à travailler la psychomotricité. Mais ils n'ont aucune formation pour gérer le concret de la vie quotidienne. En plus, ce sont les jeunes enseignants que l'on envoie dans les ZEP, pas ceux qui ont de la bouteille. Ils sortent à peine de leur formation, n'ont pas encore fait leur preuve, manquent de confiance, et on les envoie dans la cage aux fauves ! Les gamins sont devenus de plus en plus difficiles... On comprend que les profs craquent eux aussi !

Et concernant les rythmes scolaires en France ?
Ils sont inadmissibles... Cela n'existe nul part ailleurs. Aux États-Unis, à 15 h, c'est terminé : les gamins ils vont se détendre, faire des activités, courir partout ! Il faut qu'ils lâchent leur énergie et libèrent tout le stress accumulé, c'est primordial. Car s'ils ne lâchent pas ce stress, non seulement ils le conservent mais ils l'augmentent... Et que se passe-t-il ? Tout finit par exploser à un moment ou un autre, avec des conséquences plus ou moins graves. Ce n'est pas normal que les enfants sortent à 18 h de cours, qu'ils aient tout juste le temps de se doucher, de se faire engueuler par les parents car ils n'ont pas fait ou mal fait leurs devoirs et qu'ils aillent se coucher vite et sans bruit parce que le lendemain c'est une nouvelle journée qui commence... C'est un rythme de fou !

Quels conseils donneriez-vous aux parents pour minimiser les facteurs stressants ?
Il faut d'abord prendre conscience que son enfant aussi peut être stressé. Voilà ce que je préconise aux parents le soir après une journée fatigante et stressante : on se pose tous sur un canapé ! On oublie qu'il y a des devoirs, de la cuisine, la douche etc... On arrête tout, on se prend un petit verre et on raconte sa journée : les événements marquants, les problèmes, les satisfactions, enfants comme parents ! Vous, parents, pouvez très bien expliquer à vos enfants que vous vous êtes fâchés avec un collègue à cause de telle ou telle chose...

A quoi cela sert-il ?
Le but de cette petite séance, c'est de lâcher le stress : parler de sa journée permet de faire le point et de passer à autre chose. On peut très bien continuer les petites conversations en préparant le dîner. Ensuite, les devoirs vont se faire dans la sérénité, cela prendra moins de temps car il y aura moins d'énervement. Et si votre enfant se couche 30 minutes plus tard que d'habitude car vous avez pris le temps, il trouvera néanmoins le sommeil plus facilement s'il est détendu. Le stress on le laisse sous le paillasson en rentrant, c'est la première chose !
Ensuite, il est fondamental de trouver une activité sportive à son enfant pour qu'il se libère : il faut qu'il rentre épuisé, sale, mais épanoui ! Et surtout pas lui demander de faire de compétition, il faut qu'il s'éclate quelque soit l'activité.
Enfin, les enfants ont besoin de périodes où ils ne font rien. Ils dessinent, jouent aux playmobil, à la poupée, à la maîtresse etc... Et regardent éventuellement la télé à condition de choisir des programme adaptés.

Peut-on chiffrer cette pathologie en France ? Y a-t-il eu des études menées à ce sujet ?
Non, car cette pathologie n'existe pas dans les livres. Les psys ont des références de termes de pathologie et la forme de stress chronique à laquelle nous sommes confrontés actuellement n'existe dans aucune nomenclature. Donc il n'y a pas d'études faites à ce sujet, donc pas de chiffres. J'aimerais que mon livre donne des idées aux scientifiques, pour qu'ils aillent mesurer le stress dans les écoles comme on l'a fait dans les entreprises...

Quelles sont les tranches d'âges les plus touchées ?
Auparavant, c'étaient les ados de seconde, 15 à 16 ans qui commençaient à être stresser par la fin de la scolarité, les choix d'études pour l'avenir etc... Maintenant, ça touche de plus en plus le collège et ça commence à toucher le primaire. C'est là que j'en ai eu assez et que j'ai écrit mon livre : voir des parents stressés par l'avenir de leur enfant qui est en maternelle ça suffit !

Vous animez des groupes de thérapie d'affirmation de soi : de quoi s'agit-il et à qui cela s'adresse-t-il ?
Au départ, les enfants qui viennent sont des enfants souffrant de troubles anxieux et des stressés. Je réalise des groupes triés par âge selon qu'ils sont au primaire, au collège ou au lycée. Le but de ces séances est de mettre en "jeu de rôle" leur vie quotidienne. Par exemple, apprendre à se faire des nouveaux amis, à faire connaissance, à répondre à une insulte ou une moquerie. On parle aussi de l'agressivité, du racket... Et je leur apprends aussi à exprimer leurs émotions. Généralement une thérapie dure une douzaine de séances. En fait, à chaque séance, ils ont un exercice à faire pour la séance suivante, et ils racontent ensuite comment cela s'est passé. Ce sera par exemple, d'aller vers quelqu'un que l'on ne connaît pas et faire connaissance, faire un compliment, venir à l'école avec un trait rouge sur la figure et se rendre compte que peu de gens le remarquent donc que l'apparence ne doit pas jouer un rôle si important etc...

Voit-on apparaître de nouvelles pathologies, de nouvelles formes de stress chez les enfants ?
Non. Enfin, moi j'ai étudié ce stress en le comparant au stress des adultes, que l'on connaît. Peut-être que l'on va découvrir d'autres choses, des dérivés du stress. Moi, je pense que l'une des causes de certaines obésités, c'est le stress. Le grignotage et les troubles alimentaires, c'est certainement le stress...


EN SAVOIR PLUS
Ces enfants malades du stress
de Gisèle George
Anne Carrière, 183 pages, 15 €
Consulter les libraires
 SUR LE WEB
Editions Anne Carrière

 

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Ces enfants malades du stress
de Gisèle George
Anne Carrière, 183 pages, 15 €
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 SUR LE WEB
Editions Anne Carrière
Propos recueillis par Diane Mottez



31/05/2013
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