La douleur de l'enfant artiste, au centre de la relation pédagogique et parentale ou le complexe de l’albatros par procuration
La douleur de l'enfant artiste, au centre de la relation pédagogique et parentale ou le complexe de l’albatros par procuration
Répandre l’idée simple et commune que la pratique d’un art serait toujours une expérience heureuse et bénéfique serait nier une évidence et passer sous silence les biographies, interviews d’artistes décrivant leurs souffrances lors de leur apprentissages artistique, leurs extrêmes difficultés lors de leur pratique.
Si, de manière générale, la pratique artistique est bénéfique, si les apprentissages artistiques sont à défendre comme des promoteurs de bien-être et de plaisir, nul doute que nous ne prêtons pas suffisamment attention aux enfants notamment qui rencontrent des difficultés lors de leurs apprentissages.
La douleur au centre du jeu
L’enfant prodige, film de Luc Dionne
Régulièrement dans nos consultations nous percevons derrière une douleur physique en relation avec la pratique chez l’enfant, la formulation indirecte d’une difficulté plus large vis-à-vis de la pratique. Les parents lors de la consultation montrent parfois leur espoir, leurs exigences, l’ambition qu’ils placent sur sa « tête » ; ils évoquent avec fatalisme ses douleurs qui l’empêchent de jouer.
Il ne faut pas négliger cette douleur, en rechercher les causes physiques, faire un examen complet. Il n’est pas rare qu’elle soit la seule possibilité pour l’enfant d’apporter une excuse acceptable à ses parents, à son professeur de son manque de réussite, parfois d’assiduité, éventuellement de goût. Nul doute qu’il souffre et cette souffrance-là résiste aux traitements classiques, se chronicise.
Parfois d’ailleurs, cette exigence parentale ou professorale ne se traduit pas par une quelconque dureté, mais par l’expression d’un désir profond, des affects puissants, un investissement que l’enfant ne veut pas décevoir de manière évidente, frontale. La douleur permet d’instaurer un dialogue avec les parents et le professeur, d’élargir la tolérance parentale à la non-réussite avec le risque que la douleur devienne le pivot de l’apprentissage artistique.
La difficulté, c’est qu’à l’inverse, sans le désir parental, sans un investissement précis sur les apprentissages de l’enfant, il y a rarement réussite. Mais en tout, il y a l’art et la manière, et dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, la manière a de l’importance ; développer les compétences d’un enfant demande des habiletés parentales et éducatives qui sont assez communes mais pas toujours présentes.
La souffrance psychique de l’enfant peut s’exprimer de différentes manières ; elle peut parfois se traduire par une véritable dépression souvent sous-diagnostiquée. Au-delà même des signes dépressifs avérés, des signes précurseurs peuvent être présents sous la forme d’une instabilité psychomotrice, une agitation, des accès colériques, plutôt qu’une tristesse, un abattement que l’on rencontrera plus volontiers chez l’adulte. Des changements psycho-moteurs, la difficulté de se concentrer, des résultats modifiés doivent faire rechercher ces signes de souffrances vis-à-vis de la pratique ou dans un autre secteur de la vie de l’enfant. Les enfants disent leur souffrance avec leur corps : insomnie, douleurs, troubles alimentaires, céphalées, douleur digestive.
La douleur est souvent mal étiquetée, les signes cliniques ne sont pas francs, les TMS retrouvés n’ont pas un caractère spécifique ; les douleurs ne sont pas de type inflammatoire.
Le complexe de l’Albatros
Le complexe de l’Albatros par procuration
On va retrouver parfois ce que certains nomment le complexe de l’Albatros, décrit chez les enfants surdoués. Empêtré dans ses ailes blanches disproportionnées lorsqu’il est au sol, et qui le gênent pour évoluer comme le commun des mortels, l’enfant n’a comme possibilité que celle de rogner ses ailes pour essayer de s’adapter aux systèmes organisationnels éducatifs qui ne sont pas faits pour lui. Dans la situation la plus banale, en dehors même de la notion d’enfant prodige, on retrouve un complexe d’Albatros par procuration ; ce sont les parents, les enseignants, par un surinvestissement qui ne correspond pas aux possibilités réelles de l’enfant ou tout simplement à son propre désir, qui le dotent d’ailes factices, trop grandes, pour quelqu’un qui n’a pas les capacités réelles de prendre son envol. L’enfant va rechercher des solutions acceptables pour avancer cahin-caha, la douleur venant apporter de manière tout aussi factice une réponse acceptable pour conserver l’amour parental au-delà de l’échec ou a minima de l’arrêt momentanée de la pratique.
La douleur fait de la résistance
Lorsque cette crise se prolonge, la douleur peut entrer dans un fonctionnement névrotique, lorsqu’elle prend pour but récurent et essentiel d’obtenir des « bénéfices » primaires ou secondaires. Bénéfices primaires lorsqu’elle permet à l’enfant de diminuer une anxiété plus grande encore, qui est celle de l’échec, de ne pas répondre aux désirs parentaux de réussite. Bénéfices secondaires lorsqu’elle permet de centrer l’attention de ses proches, être aimé malgré la non-réussite. Le symptôme non décrypté, entendu, discuté va acquérir un véritable statut pour le patient dans lequel il est difficile de trouver une issue rationnelle.
Dans ces consultations, nous percevons dans ces situations combien la douleur va résister tant que la tension interfamiliale au sujet de la réussite de l’enfant n’aura pas été renégociée, reformulée. Finalement tant que l’enfant ne se s’est pas réapproprié son avenir et que les parents n’ont pas acquis une vision réaliste de la problématique, la douleur acquiert une fonction utile.
La douleur parfois correspond bien à un problème physique ; la physiopathologie, les facteurs biomécaniques sont bien explicatifs du trouble. Mais parfois la douleur est enkystée dans les désirs divergents de l’enfant et des parents. Elle répond moins bien à la thérapeutique, mais répond bien aux problèmes du moment, différer un concours, se donner une année supplémentaire, s’investir dans un autre champ, découvrir de nouveaux espaces relationnels avec des amis. L’action thérapeutique sera bien la prise en charge rééducative du trouble, mais un accompagnement psychologique permettra de jouer un effet de levier pour trouver une issue adaptée et éviter la chronicisation.
La douleur, ne pas négliger l’approche clinique et la recherche d’un diagnostic précis
Face à ces douleurs sans subtratum anatomique, ou/et résistantes à la thérapeutique, ce serait une erreur magistrale de qualifier a priori la douleur comme psychogène. La première étape est toujours l’examen attentif des symptômes, un examen clinique précis, de mettre en place toutes les stratégies pour établir un diagnostic positif, en s’entourant de plusieurs avis, d’examens complémentaires si nécessaires. Le pire serait de négliger ce symptôme en y donnant un sens qu’il n’aurait pas. Une consultation pluridisciplinaire spécialisée qui associe des spécialistes « physiques » et qui prend en compte la dimension psychologique du sujet est certainement la démarche la plus efficace pour ne pas passer à côté d’une affection peu évidente à diagnostiquer mais bien réelle. Le travail autour de la performance artistique ne peut négliger les aspects psychologiques, car ces aspects se retrouvent à tous les niveaux de la performance : de la pédagogie, aux affections physiques liées à la performance, à la reprise de la pratique après un accident par exemple, à la gestion du geste, gestion de la scène, des échecs, de la réussite.
C’est un voie dans lequel Médecine des arts® va s’investir tout particulièrement ces prochains mois.
Les photos qui illustrent cet article sont extraites du film "L’enfant prodige", inspiré de la vie du pianiste prodige Pierre Mathieu (Un film distribué par Alliance Vivafilm de Luc Dionne avec Patrick Drolet, Marc Labrèche et Macha Grenon), enfant prodige, surdoué qui a connu un destin tragique. Ses parents se sont particulièrement investis dans l’apprentissage de leur enfant, puisque le père arrêtera sa carrière de musicien et directeur d’école de musique pour prendre en charge à temps plein l’éducation musicale de son fils. Pierre Mathieu fera son premier concert à l’âge de 4 ans. Il s’alcoolisera très précocement, et mourra d’une cirrhose à l’âge de 39 ans.
Docteur Arcier André, président fondateur de Médecine des arts®
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