La psychothérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux

 

 

La psychothérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux

(PTIRS)

 

 

 

 

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Article

Holly A. Swartz, Ellen Frank et Debra Frankel

Santé mentale au Québec, vol. 33, n° 2, 2008, p. 151-184.

Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :

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http://id.erudit.org/iderudit/019673ar 


 

DOI: 10.7202/019673ar

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« Psychothérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux (PTIRS) dans le trouble bipolaire II :

structure du traitement et exemples cliniques »

Psychothérapie interpersonnelle et des

rythmes sociaux (PTIRS) dans le trouble

bipolaire II : structure du traitement

et exemples cliniques

Holly A. Swartz*

Ellen Frank**

Debra Frankel***

Le trouble bipolaire II (BP II) est une pathologie psychiatrique fréquente, récurrente et débilitante.

Pourtant, peu d’études ont évalué quelles étaient les meilleures approches pour le traitement

de cette maladie. La psychothérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux (PTIRS)

[Interpersonal and Social Rythm Therapy] a démontré une utilité dans le traitement du trouble

bipolaire I, en association avec la médication. Contrairement au trouble BP I, le trouble BP II

est caractérisé par des épisodes atténués, non psychotiques, de manie (hypomanie), de sorte

qu’il ne semble pas y avoir de contre-indications à l’emploi de la PTIRS en monothérapie. Cette

approche combine une approche comportementale visant à augmenter la régularité des routines

quotidiennes, avec une psychothérapie interpersonnelle qui aide les patients à mieux gérer les

multiples problèmes psychosociaux associés à cette pathologie chronique. Une description est

faite des conceptions théoriques sous-tendant l’utilisation de la PTIRS dans le trouble bipolaire.

Une brève description du trouble BP II est faite. Plusieurs modifications sont apparues nécessaires,

dans notre expérience, pour adapter la PTIRS au traitement du trouble BP II (en comparaison

avec le trouble BP I), en raison des caractéristiques cliniques particulières de cette

population, notamment l’instabilité du tableau clinique, la difficulté à repérer le type d’épisode

en cours parce que les symptômes sont souvent mixtes (intrication entre symptômes d’activation

et de dépression), et également en raison du chevauchement symptomatique ou de la

comorbidité avec le trouble de personnalité borderline. Il existe également une comorbidité

fréquente avec le trouble d’abus ou de dépendance aux substances psychoactives. Des vignettes

tirées de notre expérience clinique tentent d’illustrer diverses problématiques courantes

rencontrées dans la thérapie de cette population, et qui sont reliées aux caractéristiques ci-haut

mentionnées du trouble BP II. La PTIRS apparaît être un ajout important et intéressant aux

approches de traitement du trouble BP II parce qu’elle tient compte des divers aspects de cette

pathologie ; cette approche nous est apparue efficace dans cette étude préliminaire et nous

sommes d’avis que des études systématiques ultérieures sont requises et permettront d’évaluer

de façon plus formelle son efficacité dans le traitement du trouble bipolaire II.

Santé mentale au Québec, 2008, XXXIII, 2, 151-184

 

151 


 

* M.D., Department of Psychiatry, Western Psychiatric Institute and Clinic, University of

Pittsburgh, Pittsburgh, Pennsylvania.

** Ph.D., Department of Psychiatry, University of Pittsburgh.

*** L.C.S.W., Department of Psychiatry, University of Pittsburgh.

Remerciements

Ce travail a reçu des subventions du National Institute of Mental Health 64518 and 30915

et du NARSAD Young Investigator Award (D

 

r Swartz). 

Traduit de l’anglais par J. Leblanc, m.d. et U. Streit, Ph.D., Montréal, Québec.

L

 

 

e trouble bipolaire II (BP II) est une pathologie psychiatrique 

courante, récurrente et débilitante. Les individus qui en souffrent

forment une partie importante de la clientèle des services externes de

psychiatrie, mais des approches thérapeutiques pertinentes et efficaces

sont encore peu développées. La psychothérapie représente une option

potentiellement importante pour ces sujets mais elle n’a pas encore fait

l’objet d’études adéquates. Le trouble BP II est caractérisé par des

épisodes atténués et non psychotiques d’accélération maniaque (épisodes

hypomaniaques

 

 

), et il n’y a pas de contre-indication nette à 

l’utilisation de psychothérapie en monothérapie dans ce syndrome (alors

que le traitement de l’épisode maniaque franc du trouble BP I implique

d’office une médication). La psychothérapie a l’avantage sur la pharmacothérapie

d’aider les patients à mieux gérer les fréquentes problématiques

psychosociales associées à cette maladie chronique. Une psychothérapie

efficace du trouble BP II représenterait une option intéressante

pour les patients, notamment ceux qui hésitent à utiliser une médication

associée à des risques potentiels ou à des effets secondaires gênants. Il

n’existe cependant pas, dans la littérature scientifique, de données probantes

pour appuyer l’utilisation d’une psychothérapie dans le trouble

BP II.

La psychothérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux

(PTIRS) combine une approche comportementale visant à augmenter la

régularité des routines quotidiennes, avec une psychothérapie interpersonnelle

(PTI) ; ce traitement s’est avéré efficace comme psychothérapie

du trouble BP I en association avec une médication (Frank, 2005). Son

efficacité a également été démontrée dans le traitement de l’épisode de

dépression bipolaire du trouble BP I ou II en association avec une

pharmacothérapie (Miklowitz et al., 2007). Elle n’a pas, cependant, été

testée à date comme traitement du trouble BP II en l’absence de

pharmacothérapie. Cet article décrit brièvement le trouble bipolaire II et

la PTIRS, de même que le processus d’adaptation de la PTIRS pour le

traitement de cette pathologie. Il présente ensuite une série de vignettes

cliniques choisies à partir de notre expérience avec la PTIRS utilisée en

monothérapie dans le traitement de l’épisode de dépression chez le

bipolaire II.

La PTIRS possède une nette validité comme traitement de cette

population et nos expériences avec cette approche ont été à ce jour,

positives. Nous estimons toutefois, que la PTIRS requiert d’autres

études systématiques afin d’évaluer de façon plus formelle son efficacité

comme traitement du trouble bipolaire II.

152

 

Santé mentale au Québec 


 

Description du trouble bipolaire II

Le trouble bipolaire II a d’abord été décrit comme entité clinique

distincte dans les années 1970 (Dunner et al., 1976) et a été inclus dans

la nomenclature officielle du DSM dans la version de 1994. Le DSM-IV

définit le trouble BP II comme un sous-type du trouble bipolaire, caractérisé

par la présence actuelle ou passée d’au moins un épisode de

dépression majeure et d’un épisode hypomaniaque (American Psychiatric

Association, 1994). La présentation la plus typique est l’existence

de plusieurs épisodes de dépression majeure, et des hypomanies

en moins grand nombre, avec présence d’au moins certains symptômes

environ 50 % du temps (Judd et al., 2003). Les premières descriptions

suggéraient que le trouble BP II était une forme plus bénigne du trouble

BP I parce que, par définition, les individus qui en souffraient ne

présentaient pas de manie franche. Avec le temps, cependant, il appert

que le trouble BP II, caractérisé par la présence d’épisodes multiples et

prolongés de dépression, est au moins autant, sinon plus, débilitant que

le trouble BP I.

Le trouble BP II est fréquent. La prévalence à vie se situe entre

0,5 % (Regier et al., 1993) et 5,3 % (Angst, 1998) ou même 11 % (Angst

et al., 2003). Si l’on assume que la prévalence réelle se situe quelque part

vers le milieu de ces estimés, on peut en conclure que le trouble bipolaire

II affecte de 2 à 3 fois plus d’individus que le trouble bipolaire I.

L’expérience cumulative est à l’effet que le trouble BP II, tout

comme le trouble BP I, est une maladie chronique et que des symptômes

persistent longtemps au delà de la « rémission » des épisodes syndromiques.

Judd et ses collègues (2003) ont comparé l’évolution sur dix ans

de 206 sujets rencontrant les critères RDC (Research Diagnostic

Criteria) du trouble BP I (n = 135) ou du trouble BP II (n = 71) dans le

cadre de la

 

NIMH Collaborative Depression Study. À l’entrée dans 

l’étude les sujets BP I étaient plus sévèrement atteints (risque plus grand

d’hospitalisation, scores plus faibles à l’échelle GAS d’évaluation

globale, et prévalence accrue de symptômes psychotiques) mais les

sujets BP II ont présenté une évolution longitudinale plus chronique, ils

étaient moins susceptibles de retrouver leur niveau de fonctionnement

prémorbide entre les épisodes et les périodes d’euthymie étaient plus

courtes. Les auteurs ont évalué cette même population sur une période

de suivi de 20 ans, et ils ont décrit que les symptômes dépressifs

prévalaient sur les symptômes hypomaniaques/maniaques chez les

sujets BP I et chez les BP II, mais le rapport était 10 fois plus grand chez

les sujets BP II : ratio de 3:1 pour les BP I, et 37 : 1 pour les BP II (Judd

et al., 2003). Les sujets BP II sont plus susceptibles de présenter une

Psychothérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux (PTIRS)…

 

 

153 

cyclicité rapide que les BP I (Akiskal et al., 2000) et de présenter un

pattern saisonnier de fluctuations de l’humeur (Vieta et al., 1997). Les

diagnostics de BP I et de BP II apparaissent stables dans le temps

(Coryell et al., 1995 ; Coryell et al., 1989), ce qui tend à confirmer l’évidence

croissante à l’effet que ces deux phénotypes (BP I et BP II), malgré

des chevauchements symptomatologiques, ont des caractéristiques

spécifiques au niveau de leur évolution, de leurs répercussions, de leurs

histoires familiales et peut-être de leur étayage génétique.

Les états mixtes sont très fréquents dans le trouble BP II et ils ont

des répercussions cliniques énormes. Benazzi et ses collègues ont défini

les états dépressifs mixtes (DMX) comme des « traits d’hypomanie dans

un contexte d’épisode de dépression majeure (EDM) » (Benazzi, 2001a ;

Benazzi, 2001b ; Benazzi, 2001d). Ces épisodes peuvent différer de la

définition du DSM-IV pour les états mixtes en ce qu’il n’est pas

nécessaire de retrouver chez un individu

 

tous les critères d’un épisode 

hypomaniaque lors d’un épisode de dépression majeure. Ces auteurs

définissent comme DMX3 un épisode de dépression majeure durant

lequel au moins trois symptômes ou signes d’hypomanie sont présents à

l’intérieur de l’épisode. Dans un échantillon de 97 patients porteurs de

dépression BP II n’ayant pas reçu de médication, la DMX3 se retrouvait

chez 42 % de l’échantillon (73 % avaient au moins 2 symptômes

d’hypomanie). Ces caractéristiques étaient présentes avec une fréquence

significativement plus grande chez les individus porteurs de dépression

BP II que chez les déprimés unipolaires (p < 0,05) (Benazzi, 2001c).

Chez les sujets avec dépression BP II, les symptômes hypomaniaques

concomitants les plus fréquents étaient l’irritabilité, la distractibilité, la

tachypsychie, et la volubilité. Ces données illustrent que plusieurs

individus avec un trouble BP II présentent des symptômes d’hypomanie

atténués même quand ils sont déprimés. De fait, Benazzi et al. ont

proposé que la présence de symptômes dépressifs atypiques, et la

cooccurrence de DMX3 peuvent être un bon marqueur transversal

permettant de distinguer la dépression BP II de la dépression unipolaire

(puissance de prédiction = 0,75) (Benazzi, 2001b). Vus sous l’angle de

la clinique, les états mixtes sont vécus comme des périodes de dysphorie,

d’inconfort et de survoltage, qu’un patient avait décrit comme

être

 

épuisé et « sur-les-nerfs ». La complexité de ce regroupement 

symptomatique rend difficile l’observation de variations de l’humeur.

Dans le cas du trouble BP II, la conceptualisation classique de cette

maladie comme étant caractérisée par des épisodes successifs avec des

polarités distinctes et opposées n’est pas exacte, et porte même à

confusion pour les patients et pour leurs thérapeutes.

154

 

Santé mentale au Québec 


 

Description de la PTIRS

La psychothérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux

(PTIRS) est une forme de traitement combinant une approche comportementale

visant à augmenter la régularité des routines quotidiennes,

et une psychothérapie interpersonnelle (PTI) adaptée aux besoins des

patients porteurs d’un trouble PB I ; elle a été développée comme

psychothérapie associée à la médication (Frank et al., 2000). Le cadre

conceptuel de la PTIRS repose sur trois hypothèses inter reliées : 1) le

«modèle d’instabilité » du trouble bipolaire mis de l’avant par Goodwin

et Jamison (1990), 2) les théories sur l’impact des stimuli environnementaux

et sociaux dans la facilitation et/ou le dérèglement de l’intégrité

du rythme circadien (Ehlers et al., 1988 ; Ehlers et al., 1993), 3) les

principes de la PTI dans le traitement de la dépression unipolaire. La

PTIRS intègre des stratégies psychoéducationnelles, interpersonnelles

et comportementales dans le but de réduire les symptômes, d’améliorer

le fonctionnement global et de prévenir la récurrence d’épisodes.

Dans leur modèle d’instabilité, Goodwin et Jamison décrivent trois

voies interreliées vers la récurrence d’un épisode BP I : des événements

de vie éprouvants, la non observance à la médication, et la disruption des

rythmes circadiens (Goodwin et Jamison, 1990). Chacune des voies

conduisent un individu bipolaire stable vers un épisode de dépression ou

de manie. Leur modèle suggère que les individus porteurs d’un trouble

bipolaire sont fondamentalement (biologiquement) vulnérables aux disruptions

des rythmes circadiens. Les stresseurs psychosociaux interagissent

avec la vulnérabilité biologique dans la production de symptômes.

À titre d’exemple, un événement de vie stressant comme la

naissance d’un enfant modifie les rythmes sociaux, ce qui entraîne une

perturbation de l’intégrité circadienne, qui peut provoquer une récurrence.

De même, des relations interpersonnelles problématiques, ou des

cédules irrégulières de travail, peuvent modifier les signaux régulateurs

sociaux quotidiens et engendrer ainsi une instabilité des rythmes sociaux.

Une conséquence directe de ce modèle se retrouve dans l’hypothèse

que l’apprentissage par les patients d’une vie plus ordonnée et de

la résolution plus efficace de leurs problèmes interpersonnels devrait

entraîner une intégrité circadienne et ainsi diminuer le risque de

récurrence.

Les recherches sur les rythmes circadiens ont permis d’identifier

des relations réciproques entre les rythmes circadiens, les cycles veillesommeil

et l’humeur. On a bien documenté le lien entre une réduction

du sommeil et la survenue de manie chez les sujets bipolaires

(Leibenluft et al., 1996 ; Wehr et al., 1987). De plus, la privation de

Psychothérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux (PTIRS)…

 

 

155 

sommeil a des effets antidépresseurs significatifs (bien que transitoires)

chez les sujets unipolaires et bipolaires (Barbini et al., 1998 ; Leibenluft

et al., 1993 ; Leibenluft et Suppes, 1999). Ehlers et al. (1988) ont tenté

de relier les modèles biologiques et psychosociaux de la dépression, et

formulé l’hypothèse que des signaux sociaux spécifiques mobilisent les

rythmes circadiens (

 

Zeitgeber) et d’autres vont plutôt les perturber 

(

 

Zeitstörer). On peut définir les Zeitgeber comme des relations 

personnelles, des demandes sociales ou des tâches qui mobilisent les

rythmes biologiques (par exemple, se lever à 7 h chaque matin pour

conduire les enfants à l’école). Dans cette perspective, la perte d’un

Zeitgeber

 

 

social (par exemple, les vacances d’été qui ne requièrent plus 

une telle régularité de lever pour préparer l’enfant pour l’école) pourrait

déclencher un épisode en raison de la dysrégulation de rythmes

biologiques (Ehlers et al., 1993). Un travail régulier est un autre exemple

de

 

Zeitgeber social. La perte d’un travail qui déterminait les horaires du 

lever et du coucher, des périodes de repos et l’heure des repas, est un

Zeitgeber

 

 

perdu. Chez un individu avec une prédisposition génétique à 

la dépression, les perturbations physiologiques et chronobiologiques

engendrées par la perte de signaux régulateurs de l’heure des repas et du

sommeil pourraient être aussi importantes dans la genèse d’un épisode

que la détresse psychologique générée par l’événement.

Par contraste avec les

 

Zeitgeber, les Zeitstörer sont définis comme 

des événements d’origine physique, chimique ou psychosociale, qui

perturbent l’horloge biologique. Par exemple, voyager à travers des

fuseaux horaires représente un prototype de

 

Zeitstörer. Les changements 

abrupts dans les cédules d’exposition à la lumière, des temps de

repos et du sommeil, peuvent produire une gamme de symptômes allant

du simple inconfort lié au décalage horaire à un épisode affectif net chez

un individu prédisposé. D’autres exemples de

 

Zeitstörer potentiels 

incluent la naissance d’un bébé, les séparations de couple, le travail sur

appel chez les médecins, les dates de tombée pour un travail (qui

peuvent amener à travailler tard la nuit et sauter repas et heures de

sommeil), et le travail posté. Chaque perturbation peut altérer les

rythmes circadiens et les cycles veille-sommeil, et éventuellement

déclencher un épisode affectif. La PTISR est fondée sur la prémisse

qu’aider les patients à régulariser les rythmes sociaux (moduler les

Zeitgeber et les Zeitstörer) peut aider à réduire, chez les sujets

prédisposés, les risques de développement de symptômes dépressifs et

(hypo) maniaques.

La PTISR est formée de trois composantes : la psychoéducation,

les interventions sur les rythmes sociaux et les interventions

156

 

Santé mentale au Québec 


 

interpersonnelles. Dans la pratique clinique, ces stratégies sont

appliquées de façon fluide et flexible, sans frontières distinctes entre les

diverses modalités. Au cours d’une séance, le thérapeute va d’une

technique à l’autre en fonction des besoins des patients. Voici un aperçu

de ces diverses composantes.

La

 

psychoéducation met l’accent sur a) la maladie et ses 

conséquences, b) les options de traitement et les effets secondaires qui

en découlent (y compris la médication), et c) la détection de symptômes

prodromiques ou de signes précoces de rechute. Les thérapeutes

recueillent des informations auprès des patients sur leurs symptômes et

l’évolution de leur trouble bipolaire, l’impact de la maladie sur leur

fonctionnement social et professionnel, et sur les médications qu’ils ont

utilisées (le cas échéant) pour traiter leur maladie. Les thérapeutes

donnent un nom à la pathologie, amorçant ainsi le processus de

psychoéducation. Au cours du déroulement de la PTISR, les patients

sont invités à devenir des « experts » du trouble bipolaire de façon à

pouvoir collaborer plus efficacement dans la prise en charge de leur

maladie. Dans le but de faciliter l’identification précoce de symptômes

prodromiques, le thérapeute passe en revue avec le patient les épisodes

antérieurs de dépression et de manie. Ensemble ils identifient les

comportements ou symptômes caractéristiques du début d’un épisode et

ils s’entendent pour être à l’affût d’une façon routinière de ces signes

avant-coureurs, chez le patient, d’une exacerbation possible.

La

 

thérapie des rythmes sociaux (TRS) est fondée sur la théorie 

que les rythmes quotidiens stables engendrent une plus grande stabilité

de l’humeur. Cette composante du traitement vise le développement de

stratégies pour établir des Zeitgeber sociaux réguliers et stabilisateurs

des rythmes biologiques, et la protection contre l’impact négatif des

zeitstörer déstabilisants. Les patients remplissent chaque semaine un

instrument appelé Mesure des rythmes sociaux (MRS — en anglais, le

Social Rhythm Metric, ou SRM) qui aide à optimiser la stabilité de leurs

rythmes quotidiens. Les premières 3 ou 4 semaines de MRS servent à

définir la ligne de base de leurs rythmes sociaux. Patients et thérapeutes

revoient ensemble les MRS et identifient les portions de stabilité et

d’instabilité de ces rythmes. Par exemple, si l’heure du coucher est

adéquate durant la semaine, l’est-elle également au cours du week-end ?

L’humeur du patient plonge-t-elle les jours où il saute des repas ou n’a

pas de contacts avec d’autres personnes ? L’examen des feuillets aide à

identifier des comportements qui ont un impact négatif sur la stabilité

des rythmes. Lorsque la ligne de base est documentée et que les patterns

de régularité/irrégularité sont identifiés, thérapeutes et patients axent

Psychothérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux (PTIRS)…

 

 

157 

leurs efforts vers la stabilité des rythmes par des étapes de changements

graduels de styles de vie, à travers des objectifs à court, moyen et long

terme, de façon à réduire les fluctuations de ces rythmes. À titre

d’exemple, un objectif court terme pourrait être de se mettre au lit à

heure fixe pendant une semaine. Pour atteindre cet objectif, le patient

peut devoir changer certains comportements sociaux (par exemple,

réduire les soirées sociales de fin de journée), ou activités sportives (par

exemple, effectuer les exercices physiques le matin plutôt que le soir).

Le thérapeute peut aider le patient à trouver un temps de lever plus

adéquat le matin, en modifiant progressivement l’heure actuelle du

lever. Des buts intermédiaires pourraient être d’arriver à dormir 8 heures

par nuit et ne pas faire de sieste le jour, ou adopter une activité quotidienne

régulière, comme un travail à temps partiel ou des activités de

bénévolat. Pour atteindre ces objectifs, les patients viseront des gains à

court terme mais pourront aussi aménager leurs activités (par exemple,

s’inscrire à des cours en après-midi pour réduire le besoin de sieste). Les

thérapeutes insistent sur l’importance d’une cédule de vie régulière,

même si cette cédule doit être décalée pour mieux rencontrer les

tendances de vie du patient. Par exemple, des patients bipolaires vont

parfois préférer se faire une routine de vie qui comporte un coucher

tardif (par exemple, à 2 h de la nuit) et un lever également tardif (par

exemple, à 10 h). Le thérapeute aide le patient à réaliser que toute cédule

régulière est acceptable dans la mesure où elle permet au patient de

rencontrer ses obligations sociales, et de pouvoir obtenir des périodes de

sommeil de durée continue adéquate (en général de 7 à 9 heures). Les

objectifs à long terme pourraient être d’encourager les patients à

dénicher des emplois qui permettent d’adhérer à de telles cédules (par

exemple, un travail dans une librairie qui ne commencerait qu’à midi).

La

 

psychothérapie interpersonnelle est une composante importante 

de la PTIRS. Comme la PTI, la PTIRS se déroule en trois phases

(initiale, intermédiaire et phase de terminaison). Dans la même logique

que le modèle d’origine, la psychoéducation et l’attribution du rôle de

malade permettent au patient de reconnaître l’importance de leur

maladie (ici, le trouble BP II) dans la genèse et le maintien de leurs

problèmes interpersonnels. Tout comme dans le modèle original, le

thérapeute doit mettre l’accent et identifier une aire problématique

interpersonnelle. Par ailleurs la PTIRS se distingue de la PTI sous divers

aspects. En premier lieu, la PTI met l’accent sur les liens entre les

événements de vie et l’humeur, alors que dans la PTIRS les événements

de vie sont considérés à la fois comme des sources de dysrégulation de

l’humeur et comme des disrupteurs potentiels des rythmes sociaux. La

PTIRS aborde donc les problèmes interpersonnels avec les stratégies

158

 

Santé mentale au Québec 


 

habituelles de la PTI, et aussi avec des stratégies comportementales

visant à régulariser les perturbations des rythmes sociaux associés aux

problèmes interpersonnels. La PTIRS a, de plus, ajouté un cinquième

focus (ou aire problématique), le deuil de l’intégrité du soi (grieving for

the lost healthy self) ; l’accent mis sur ce focus permet aux patients de

faire le deuil de l’image qu’ils se font de la personne qu’ils auraient pu

être, n’eut été de la maladie bipolaire, et d’accepter les limites que la

maladie apporte à leur style de vie et à leur fonctionnement optimal.

Adaptation de la PTIRS pour le traitement du trouble BP II

Au point de départ, nous avions émis l’hypothèse que la PTIRS,

même utilisée en monothérapie, représentait un traitement prometteur

du trouble BP II parce que : a) la composante PTI (psychothérapie

interpersonnelle) de la PTIRS est un outil efficace pour le traitement des

symptômes dépressifs, et les phases dépressives prédominent dans le

trouble BP II ; b) la composante TRS (thérapie des rythmes sociaux) de

la PTIRS permet de contrer l’hypomanie et la composante hypomaniaque

des symptômes mixtes souvent présent dans la dépression BP II ;

c) la PTIRS permet un « dosage » flexible des composantes PTI et TRS

en fonction de la présentation clinique — très variable dans le trouble

BP II ; d) la PTIRS possède un ensemble significatif de stratégies pouvant

aider le patient à faire face aux déficits fonctionnels chroniques

résultant de cette maladie. Par ailleurs, les besoins thérapeutiques des

patients souffrant de dépression BP II diffèrent de ceux des patients avec

trouble BP I ; nous avons donc apporté une série d’ajustements et

d’adaptation de façon à rendre cette approche plus appropriée pour cette

population. Nous décrivons ci-après les problématiques spécifiques

apparues au cours du traitement des patients souffrant de trouble BP II

par la PTIRS et les stratégies utilisées pour y remédier.

Explication de l’importance de la régularité des rythmes sociaux

Pour atteindre une régularité des rythmes sociaux, tel que proposé

dans la PTIRS, les patients doivent apporter des changements

importants dans leurs cédules quotidiennes, ce à quoi ils sont souvent

réticents. Avec les patients BP I, les thérapeutes mettent régulièrement

de l’avant les aspects destructeurs des épisodes maniaques antérieurs, de

façon à les inciter à effectuer les changements nécessaires dans leurs

routines de vie. Avec les sujets avec un trouble BP II, il est moins évident

pour le patient, du moins au début, d’effectuer des changements en

apparence non nécessaires (par exemple, aller au lit à heures régulières

chaque nuit). L’explication à l’effet que ces changements vont aider à

prévenir une hypomanie ne convainc pas d’emblée plusieurs de ces

Psychothérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux (PTIRS)…

 

 

159 

individus. Au contraire, certains patients voient l’hypomanie comme un

soulagement à la suite de leurs dépressions récurrentes, et ne souhaitent

pas vraiment en prévenir la survenue. Le raisonnement appuyant la

nécessité de changements dans les rythmes sociaux, approprié avec les

sujets BP I, n’est donc pas nécessairement applicable avec les patients

BP II. De surcroit, les patients avec trouble BP II ont moins d’insight par

rapport à leur maladie que les patients avec trouble BP I (Pallanti et al.,

1999) et souvent ne reconnaissent même pas qu’ils ont présenté des

symptômes hypomaniaques — et, encore moins, que ces symptômes

compliquent le cours de leur maladie et contribuent à une évolution

défavorable. Dans notre expérience, l’argumentation la plus porteuse en

faveur de la régularité des rythmes sociaux, pour les patients avec

trouble BP II, est celle qui met de l’avant la probabilité qu’un épisode

dépressif fera suite à une hypomanie. Nous disons à nos patients à peu

près ceci : «Une cédule de vie plus régulière aide à stabiliser votre

humeur. Je sais que la dernière chose que vous souhaitez est de vous

défaire de vos épisodes de

 

high. Vous avez bien fait valoir que ces 

périodes vous sont très utiles dans votre vie professionnelle et dans votre

vie personnelle. Le problème vient cependant surtout du fait que de

pénibles dépressions font régulièrement suite à vos périodes d’accélération.

Nous sommes, vous et moi, d’accord que les dépressions sont

très débilitantes. Notre but ici est, en conséquence, de prévenir les

dépressions en amenant chez vous une plus grande stabilité de l’humeur.

On peut même arriver à ce que vous gardiez un peu des aspects positifs

de ces périodes de

 

high, mais il faut penser à réduire leur intensité pour 

pouvoir prévenir les dépressions subséquentes. »

Un sous-groupe de patients BP II identifie facilement les aspects

problématiques de leurs hypomanies, en particulier ceux qui présentent

de l’irritabilité, de l’agitation, une réactivité de l’humeur et une distractibilité

au cours de leurs périodes d’exaltation. Ces individus peuvent

souhaiter éviter l’hypomanie dès le début du traitement. Pour d’autres,

les aspects destructeurs de l’hypomanie (par exemple, impact négatif sur

les relations interpersonnelles, dépenses impulsives exagérées, jugement

déficitaire), ne deviennent apparents qu’en cours de traitement, et c’est

à ce moment que le thérapeute peut intervenir plus efficacement pour

prévenir l’hypomanie par une meilleure régularisation des rythmes. En

début de thérapie, cependant, le levier le plus utile au thérapeute est

l’argument que la prévention de l’hypomanie est susceptible de prévenir

une dépression subséquente.

Nous avons constaté que certains patients vont d’abord se conformer

à la consigne de changements des rythmes sociaux, mais avec une

160

 

Santé mentale au Québec 


 

bonne dose de scepticisme, c’est-à-dire, qu’ils n’adhérent pas au modèle

avec conviction. De façon paradoxale, ces sujets semblent tirer profit

d’une détérioration transitoire de leur humeur (en mode dépressif ou

hypomaniaque) suite à une période de stabilité, ce qui leur permet

d’identifier de façon prospective le lien entre la stabilité des rythmes et

l’humeur. Les patients capables d’observer leurs variations de l’humeur

lorsqu’ils s’écartent d’une routine régulière sont plus susceptibles de

maintenir dans le temps une stabilité des rythmes. Une psychothérapie

de durée suffisante pour permettre aux patients de « tester » l’hypothèse

des rythmes sociaux dans leur propre vie peut contribuer, à plus long

terme, à une meilleure adhésion au modèle.

Difficulté à régler le niveau de stimulation

Un des principes de la PTIRS est que les thérapeutes doivent aider

les patients à ajuster le niveau de stimulation dans leur vie quotidienne en

fonction de leur état affectif. Les thérapeutes incitent les patients à élever

le niveau de stimulation lorsque leur humeur s’abaisse ou durant les

périodes de l’année où ils sont régulièrement vulnérables à la dépression,

et à diminuer les stimulations ambiantes quand ils commencent à ressentir

un début de symptômes d’hypomanie, ou durant les périodes de

l’année où ils sont plus vulnérables à l’hypomanie ou à la manie. Les

sujets porteurs d’un trouble BP II semblent avoir du mal à moduler le

niveau de stimulation dans leur vie. Plusieurs semblent ne connaître que

deux vitesses : « en marche » ou « à l’arrêt ». Par exemple, un patient se

voit comme pouvant être ou bien un « légume » ou bien travailler à trois

endroits à la fois tout en suivant des cours du soir. Ceci peut découler

d’un pattern dans lequel les périodes d’hypomanie sont employées à

récupérer les déficits accumulés en période dépressive au niveau des

responsabilités personnelles, ou encore de la difficulté à tolérer les états

affectifs à tonalité négative. Ou encore, certains patients se fixent des

objectifs irréalistes quand ils sont en hypomanie et ils se retrouvent à être

incapables d’assumer ces tâches lorsque leur niveau d’élation s’estompe

et qu’ils retrouvent leur état antérieur d’euthymie. En pratique, cela

indique que les patients peuvent avoir à être aidés pour réaliser qu’il

existe des intermédiaires entre « en marche » et « à l’arrêt », c’est-à-dire

qu’un patient pourrait avoir un seul travail régulier plutôt que naviguer

entre l’inertie complète et le surinvestissement. Les patients peuvent

avoir besoin d’aide pour arriver à trouver le type d’activités reliées à un

niveau approprié de stimulation ; le thérapeute ne doit pas assumer que

les patients vont d’emblée pouvoir le découvrir par eux-mêmes.

Souvent des sujets porteurs d’un trouble BP II s’engagent dans des

activités hautement stimulantes lorsque leur humeur et leur niveau

Psychothérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux (PTIRS)…

 

 

161 

d’énergie s’abaissent. Cette stratégie correspond à une sorte de tentative

ultime pour se mettre à l’abri de la dysphorie associée à la dépression.

Cette approche peut certes être parfois utile, mais par contre la

recherche de stimulation conduit souvent à des mauvais choix : par

exemple, s’engager dans des liaisons extra-maritales, ridiculiser un

collègue pour ses habitudes au travail, ou se lancer dans des entreprises

ambitieuses qu’ils n’arriveront jamais à rendre à terme. Au début d’un

traitement, il est important d’identifier ces patterns inappropriés pour

ensuite, tel que discuté plus haut, permettre au patient de développer des

méthodes plus pertinentes de modulation de leurs états affectifs.

Cette régulation des stimulations devient également un objectif

thérapeutique quand les patients approchent de l’euthymie. L’expérience

nous a montré que les sujets avec un trouble BP II et chez qui l’humeur

a fluctué rapidement pendant des années ressentent un sentiment

d’ennui, de vide ou d’apathie quand leur humeur tend à se stabiliser.

L’état de « normalité » leur apparaît sans relief et ils se sentent inconfortable

dans cet état nouveau et non familier. Ce malaise tend donc à les

faire s’écarter de leur stabilité de rythmes récemment acquise en recherchant

des nouvelles stimulations. Tout comme lorsqu’ils devenaient

dépressifs, ils sont enclins à faire des choix qui, espèrent-ils (consciemment

ou inconsciemment), vont soulager la tiédeur de la stabilité de

l’humeur, sans réaliser qu’ils sont alors éminemment susceptibles de

mettre en branle une cascade d’événements qui risquent de les entraîner

dans un chaos interpersonnel. Ils peuvent, par exemple, reprendre

contact avec un ancien amoureux alors qu’ils sont à ce moment dans une

relation sentimentale stable et positive, ou encore accepter une tâche qui

comporte des échéanciers impossibles à rencontrer. Les thérapeutes sont

encouragés à mettre les patients en garde contre ce phénomène avant

que ceux-ci ne posent des gestes dans ce sens. Il est également utile

d’encourager les patients à identifier ces comportements dysfonctionnels

qu’ils ont utilisés dans le passé pour activer leur humeur, et de

les aider à réaliser que ces comportements ont contribué à déstabiliser

leur humeur et aussi leurs relations interpersonnelles. Par exemple, le

patient qui quitte impulsivement ses emplois quand il se sent apathique

ou dégoûté sera encouragé à réfléchir aux conséquences négatives d’un

tel comportement (par exemple, voir ses projets de carrière déçus) et à

développer des stratégies différentes, plus productives, pour relever leur

humeur (par exemple, augmenter le niveau d’activité physique ou

consacrer plus de temps à des activités de socialisation avec des amis).

Par ailleurs, les patients hypomaniaques peuvent se voir attirés par

des activités excitantes comme une conduite automobile excessive, ou la

162

 

Santé mentale au Québec 


 

prise de risques financiers. Ces activités les attirent parce qu’elles stimulent

leur humeur et leur énergie. Des patients ont comparé ces

expériences à l’addiction à une substance. Le thérapeute doit aider le

patient à reconnaître ce pattern et à éviter ce genre d’activités lorsque

son humeur tend à s’exalter.

Difficulté à identifier et catégoriser les états affectifs

Un des objectifs principaux de la PTIRS est d’assister les patients

à reconnaître les signes prémonitoires d’un nouvel épisode et d’arriver

à les prévenir. Comme le trouble BP II est cliniquement complexe, il

n’est pas facile pour les patients d’y arriver. Il peut être difficile pour

eux de détecter un début de phase dépressive s’ils se sentent en même

temps activés ou « intérieurement agités » (un état mixte), ou leurs

cycles peuvent être rapides au point qu’il leur devient difficile — sinon

impossible — de détecter le début ou la fin d’un épisode. Les thérapeutes

ayant une expérience clinique avec ce genre de population

sont plus habiles à aider les patients à reconnaître et à nommer correctement

ces changements d’humeur. Les thérapeutes plus novices

affinent leur habileté clinique face à cette pathologie complexe avec

une super-vision étroite de la part des thérapeutes plus expérimentés

dans le domaine.

En plus de l’expertise clinique, nous avons pu constater que les

précisions apportées par Kokopoulos sur les troubles bipolaires sont

éminemment utiles avec les patients BIP II. Kokopoulos et al. (2003) ont

décrit le trouble bipolaire comme étant d’abord un trouble de l’énergie

plutôt que de l’humeur. Parce que les sujets avec trouble BP II

présentent souvent une discordance entre leur humeur et leur niveau

d’énergie, le modèle de Kokopoulos les aide à mieux caractériser leur

expérience de la maladie. On demande aux sujets de détecter quotidiennement

la qualité de leur humeur et leur niveau énergétique de façon

à mieux identifier l’évolution de leur pathologie. Pour faciliter le processus,

nous avons ajouté un item « énergie » au MRS de façon à ce que

les deux composantes (énergie et humeur) puissent être cotées

séparément. Cette distinction permet aux patients de distinguer entre

une dépression anergique et les états dépressifs mixtes avec activation.

Malgré les aptitudes du thérapeute et les efforts du patient, les

subtilités de cette pathologie peuvent rendre difficile l’identification des

états affectifs — et encore plus les déclencheurs des variations de

l’humeur. Dans notre expérience ce processus se déroule par étapes où

patient et thérapeute apprennent d’abord à identifier les phases de la

maladie, ensuite à les anticiper, pour enfin réussir à les prévenir. Les

Psychothérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux (PTIRS)…

 

 

163 

phases initiales du traitement se concentrent donc beaucoup plus sur

l’identification des symptômes et la qualification des états affectifs que

ce n’est le cas dans le trouble BP I.

Problèmes interpersonnels reliés à la grandiosité et à la prétention

La grandiosité est un symptôme de manie/hypomanie, mais par

ailleurs plusieurs individus avec un trouble BP II semblent en posséder

à la base un haut niveau, indépendamment de leur état symptomatique.

Ce phénomène peut se traduire par des attitudes de prétention ou par une

indifférence narcissique pour l’impact de leurs comportements sur les

autres, quel que soit leur état symptomatique. Par exemple, ces patients

peuvent vouloir transgresser les normes sociales (p. ex. justifier un vol à

l’étalage, ou critiquer un style de gérance deux jours après le début d’un

emploi) ou formuler des demandes inappropriées à l’entourage (p. ex.

demander à un parent à la santé précaire de faire un long trajet pour une

rencontre sociale plutôt que d’offrir de lui rendre visite). Il est parfois

difficile de décider si ceci relève de la « personnalité » ou du trouble de

l’humeur, mais ces comportements ont un impact sur les relations interpersonnelles

et, conséquemment, d’importantes implications thérapeutiques.

Dans notre expérience, les patients sont en général réceptifs à

l’identification de ces comportements — mais seulement lorsqu’ils sont

faits de manière encourageante par un thérapeute qui a déjà établi une

alliance avec eux. Les patients avec un trouble BP II peuvent apparaître

au début, confiant et disposés à investir dans le processus thérapeutique,

mais cette attitude peut changer, compte tenu que leur narcissisme

essentiel les empêche de faire entièrement confiance au thérapeute. Il

faut donc parfois plusieurs mois de psychothérapie avant que la relation

thérapeutique soit suffisamment solide pour permettre au thérapeute

d’aborder ces questions de prétention dysfonctionnelles. Néanmoins,

quand leur humeur s’est stabilisée, les patients peuvent apprendre à

reconnaître et à modifier ces comportements, contribuant ainsi à améliorer

leur fonctionnement interpersonnel.

Ces problèmes de prétention et de suffisance font aussi souvent

surface au sein de la relation thérapeutique (par exemple, se présenter en

retard aux séances, demander des heures de rendez-vous inhabituelles,

être critique du thérapeute). Ces contestations de la relation thérapeutique

se voient notamment en début de traitement ou lors d’exacerbation

des symptômes, ce qui, à son tour, exacerbe la grandiosité toujours présente

du patient. Le thérapeute doit apprendre à tolérer et éventuellement

à gérer ces défis dans le contexte thérapeutique. Même si la

164

 

Santé mentale au Québec 


 

PTIRS n’est pas un traitement centré sur le transfert, la détection de

changements dans la relation thérapeutique peut être utile au thérapeute,

pour pouvoir ensuite aider le patient à identifier chez lui ces comportements

mésadaptés qui peuvent perturber les relations interpersonnelles.

Nous encourageons les thérapeutes à adopter, du moins au

début, une tolérance vis-à-vis les cédules de rendez-vous et les

interactions des patients, dans le but de bâtir une alliance. Plus tard dans

le traitement, le thérapeute visera plutôt à éveiller le patient à ces

caractéristiques comportementales reliées à la maladie, et à l’aider à

mieux gérer ses relations (thérapeutiques ou autres).

Problèmes liés à la régulation de l’affect

Les sujets porteurs d’un trouble BP II rencontrent souvent des

difficultés à moduler leurs états affectifs. Il n’y a pas lieu de s’en surprendre,

compte tenu que l’expérience de cyclicité rapide des états

affectifs diminue effectivement chez le patient son « lieu de contrôle »

interne de régulation de l’affect. De plus, plusieurs patients BP II

ressentent de façon plus intense leurs émotions (positives et négatives).

En conséquence, les patients ne savent pas toujours comment moduler

ces vécus, même lorsqu’ils ne sont pas spécifiquement reliés à un épisode

affectif. La première étape pour aider les patients à exercer un meilleur

contrôle sur leurs émotions consiste à les renseigner sur le fait que leur

maladie les a empêchés d’apprendre plusieurs des stratégies que les

individus utilisent habituellement pour gérer leurs sentiments. Nous leur

enseignons ensuite des stratégies concrètes de gestion des affects.

Certaines techniques, même si elles ne sont pas un focus spécifique de

traitement, peuvent être proposées aux patients : techniques de relaxation

(par exemple, techniques de respiration profonde), de distraction (par

exemple, l’écoute de musique), d’auto-apaisement (par exemple, allumer

des bougies), de gestion de la colère (stratégies de temps mort), ou

d’activation de leur réseau social de soutien (par exemple, rencontrer un

ami au café). Les stratégies de base de la PTI aident également les

patients à moduler leur humeur, à mesure qu’ils commencent à saisir le

lien entre humeur et événements de vie et à développer de meilleurs

outils pour gérer leur principal domaine problématique. Quand les

patients traversent une période soutenue d’euthymie, ils arrivent à mieux

s’« approprier » leurs humeurs et ainsi à réaliser qu’une gestion attentive

des relations interpersonnelles, associée aux stratégies décrites ci-haut,

leur permet une meilleure régulation de leurs affects.

Des approches similaires ont été proposées pour la gestion d’une

dysrégulation affective dans le contexte d’un trouble de personnalité

Psychothérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux (PTIRS)…

 

 

165 

borderline (Linehan, 1993). En fait, des auteurs sont d’avis que le

trouble bipolaire et le trouble de personnalité borderline forment un

continuum dont les parties, en raison d’un chevauchement des symptômes,

ne peuvent être distinguées (Akiskal, 2002). D’un point de vue

clinique, nous sommes plutôt d’avis que, pour les patients BP II (ou

chez ces individus dont le tableau clinique est davantage bipolaire que

borderline), patients et thérapeutes doivent tenir compte de l’état affectif

présent avant d’amorcer l’une ou l’autre de ces stratégies. De façon

générale, nous encourageons les patients à choisir une activité stimulante

lorsque leur humeur et leur énergie sont basses, et à éviter ce type

d’activités quand leur humeur et leur niveau d’énergie sont élevés. La

psychoéducation demeure une partie importante de ce processus, pour

aider les patients à faire la distinction (dans la mesure où la chose est

possible) entre une variation de l’humeur reliée à la polarité d’un

épisode émergent, et une dysrégulation affective reliée à des événements

interpersonnels vécus comme offensants, etc.

Taux élevé de comorbidité avec les abus de substance

Beaucoup d’individus souffrent à la fois de trouble BP II et de

trouble d’abus de substances. Angst et al. (2006) sont d’avis que le

trouble BP II explique la plus grande partie de la comorbidité entre le

trouble d’abus d’alcool et la dépression majeure. Ils ont aussi noté que

le début des symptômes de bipolarité précède en général de 5 ans le

début de l’abus d’alcool. Les individus porteurs de trouble BP II peuvent

tenter, par la consommation de ces substances, de réduire l’inconfort

associé à la dépression, aux états mixtes et à l’anxiété. De plus, la désinhibition

et les troubles du jugement associés à l’hypomanie peuvent

conduire à des comportements impulsifs, y compris la prise excessive de

substances psychoactives.

À cause des limitations connues dans l’efficacité des thérapies de

type PTI pour les abus de substances (Weissman et al., 2000), nous

excluons de nos études cliniques les sujets qui rencontrent les critères

d’un abus ou d’une dépendance actuelles à une substance. Nous mentionnons

explicitement à ces candidats que nous ne recommandons pas

la PTIRS dans le traitement des addictions et nous proposons plutôt que

ces sujets porteurs d’un double diagnostic prennent contact avec les

ressources spécialisées dans ce domaine. Nous avons malgré tout

constaté que des patients BP II désireux de participer à nos études

camouflent leur abus de substance pour être acceptés dans nos groupes,

ce qui nous amène à être, dans les faits, l’équipe soignante de ces

patients avec double diagnostic. Par ailleurs, plusieurs patients, en plus

166

 

Santé mentale au Québec 


 

de ces raisons personnelles de cacher leur abus de substance pour

pouvoir entrer dans les études, évaluent mal l’ampleur de leur problème

de consommation et ils camouflent cette réalité non seulement au

thérapeute mais aussi à eux-mêmes. En conséquence, il est important de

s’informer à ce sujet à chaque visite et d’apprendre au patient à évaluer

l’impact de ces substances sur l’humeur. Nous demandons des

précisions au sujet des drogues licites et illicites, de façon à bien

indiquer au patient que notre intérêt porte sur l’impact des substances

psychoactives sur leur humeur et leur fonctionnement plutôt que d’en

faire une enquête disciplinaire. Ainsi suggérons-nous de poser des

questions aussi bien sur la consommation de caféine et de nicotine que

sur l’alcool, la marijuana ou autres substances. Un questionnaire ainsi

répété sur l’usage de ces substances permet aux thérapeutes d’aider les

patients à mieux réaliser l’association entre variations mésadaptées de

l’humeur et consommation de substances, de façon à ce que ces derniers

puissent arriver à réduire leur consommation.

Fréquemment négligée par les cliniciens, la caféine demeure une

des substances les plus fréquemment consommée de façon abusive en

pratique clinique. Chez les BP II elle est utilisée pour exalter leur

énergie durant leurs périodes de creux, et pour amplifier leur humeur

durant les hypomanies. Malheureusement la caféine contribue aussi à

perturber le sommeil et à exacerber l’anxiété. Une attention régulière

portée à cet usage de caféine, et une invitation au patient à reconnaître

le lien entre son utilisation et l’instabilité conséquente de l’humeur et du

sommeil peut aider le patient à gérer de façon plus adéquate cette

consommation.

Il n’est pas sans intérêt de mentionner que l’intérêt objectif et

dénué de préjugés que portent les thérapeutes sur la consommation de

substances, et sur la relation entre l’humeur et l’emploi de ces substances,

amène parfois les patients à être plus précis dans la description

de leur consommation réelle. Dans le cas de la marijuana, ces admissions

viennent souvent plus tardivement dans le traitement. Certains

patients croient fermement que la marijuana les aide à supporter la

dysphorie et l’anxiété associées à la dépression ; d’autres maintiennent

que cette substance les aide à ralentir leurs pensées, diminuer leur

irritabilité et réduire la distractibilité associées à l’hypomanie ou aux

états mixtes. Plusieurs ne reconnaissent aucun mauvais effet à la

marijuana et ne voient pas pourquoi ils cesseraient leur consommation.

L’assistance du thérapeute à percevoir les connexions négatives entre

l’humeur et des substances apparemment inoffensives (par exemple, la

caféine) peut cependant, à la longue, amener un doute chez le patient sur

Psychothérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux (PTIRS)…

 

 

167 

la valeur adaptative de la marijuana pour lui, et il peut en venir à en

parler plus ouvertement. Nous ne recommandons pas la PTIRS comme

traitement des addictions, cependant l’emploi judicieux de techniques

de « limitation des dommages » (par exemple, moins est mieux que plus)

peut aider les patients à diminuer leur abus de substances, même quand

ils ne veulent pas participer à des approches plus conventionnelles (et

plus efficaces) comme le programme des 12 étapes ; nous persisterions

cependant à recommander ces approches additionnelles si une

consommation active de substance persistait.

Problèmes cliniques communs et histoires de cas

La partie suivante décrit des situations cliniques fréquemment

rencontrées avec cette population de patients et illustre les approches

PTIRS permettant de traiter cette problématique. (Dans les histoires de

cas ci-dessous toute information permettant l’identification des patients

a été modifiée afin de protéger leur identité)

Le patient n’accepte pas ou ne reconnaît pas la sévérité des épisodes

hypomaniaques.

Tanguy, un homme célibataire de 23 ans, décrivit un épisode

d’hypomanie antérieure comme une période dans laquelle il avait eu un

besoin diminué de sommeil, « un peu d’énergie supplémentaire », et

pendant laquelle il avait conduit “un peu trop vite”. Il nia l’importance

de cet épisode et fit croire au thérapeute qu’il ne s’agissait pas d’une

période ayant une signification clinique importante. Plus tard, il admit

que, pendant cette période, il avait conduit à 225 km/h, avait été

poursuivi par la police, et avait forcé un barrage policier. Il fut arrêté,

mais ne fut pas accusé grâce aux relations de sa famille avec la police.

La non-reconnaissance de la sévérité d’un épisode hypomaniaque

est un signe distinctif de patients souffrant de trouble BP II.

(Mentionnons que chez les patients BP II, la tendance à sous-estimer

— ou à ne pas rapporter — des symptômes hypomaniaques mène au

problème fréquent d’un diagnostic erroné de dépression unipolaire

plutôt que bipolaire.) Dans l’approche PTIRS, le thérapeute peut utiliser

deux stratégies, par exemple, la

 

psychoéducation et « second regard ». 

La psychoéducation aide le patient à mieux comprendre les symptômes

de l’hypomanie ainsi que la tendance habituelle à minimiser leur signification.

Le thérapeute décrit les symptômes de l’hypomanie et explique

au patient que les personnes souffrant de trouble BP II sont souvent

incapables de reconnaître les épisodes vécus avant la thérapie car, en

surface, ces épisodes peuvent paraître « normaux » ou « bons » (tout

168

 

Santé mentale au Québec 


 

particulièrement en comparaison avec les épisodes dépressifs débilitants).

Il est également utile de reconnaître que les hypomanies

peuvent comporter des aspects positifs, tels une productivité accrue, une

libido plus importante, et une plus grande créativité. La reconnaissance

des aspects positifs de l’hypomanie peut faciliter ensuite une reconnaissance

des aspects négatifs de ces épisodes de la part des patients,

sans avoir l’impression que le thérapeute les oblige à répudier les côtés

positifs de l’hypomanie valorisés par eux.

 

« Second regard » consiste à 

revenir sur des hypomanies précédentes dans une phase ultérieure de la

thérapie, lorsque le patient a acquis une meilleure compréhension de la

maladie et de son traitement.

La reconnaissance de la nature destructrice d’hypomanies antérieures

se manifesta au cours de la douzième séance de PTIRS lorsque

Tanguy eut développé une meilleure compréhension de sa maladie. À

cette phase du traitement, Tanguy commençait à ressentir quelques

symptômes hypomaniaques et le thérapeute l’invita à revenir sur des

épisodes d’hypomanie antérieures ; une comparaison entre le vécu

actuel et antérieur fut alors possible. Lorsque Tanguy « revisita » l’épisode

hypomaniaque précédent, il se rendit compte qu’il avait minimisé

dans le passé la nature dangereuse et impulsive de son comportement.

Il fut capable de distinguer l’hypomanie antérieure de l’état symptomatique

actuel, d’un degré beaucoup plus faible. Il admit également

qu’il avait apprécié cette période de sa vie, i.e. le fait qu’il se sentait très

habile socialement (ce qui n’était pas le cas dans son état habituel) et il

avait le sentiment d’être attirant pour les femmes (un autre domaine de

sa vie où il éprouvait des difficultés). Avec l’aide du thérapeute, il fut

également capable de reconnaître les côtés “bons et mauvais” des

épisodes antérieurs et de se rendre compte qu’il avait mis en péril sa

propre sécurité et celle des autres par son imprudence. Il réalisa aussi

que l’épisode actuel se distinguait en intensité de l’épisode antérieur et

n’était pas relié à un comportement à risque. Il fut capable de relier la

sévérité amoindrie de ses symptômes actuels de l’humeur à l’amélioration

de la régularité de son rythme social, qui était totalement hors

contrôle lorsqu’il fut arrêté. Cette compréhension encouragea Tanguy à

poursuivre le travail visant l’amélioration de la régularité de ses

rythmes sociaux, un processus vis-à-vis lequel il éprouvait de l’aversion

au début du traitement.

Lorsqu’un patient éprouve des symptômes hypomaniaques au

cours du traitement, comme dans le cas de Tanguy (que ce soit dans le

contexte d’un état mixte ou d’hypomanie pure), le thérapeute devrait en

profiter pour les comparer avec ceux d’hypomanies antérieures et en

Psychothérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux (PTIRS)…

 

 

169 

décrire les différences. Ce processus itératif aide le patient à mieux

comprendre la nature des hypomanies et à évaluer de façon plus précise

l’impact des épisodes sur sa vie interpersonnelle

Le patient éprouve des symptômes mixtes et a des difficultés à

identifier des épisodes distincts de maladie, et encore davantage, à

déterminer les déclencheurs de ces épisodes.

Lorsque les thérapeutes en PTIRS élaborent l’histoire de cas, la

première phase du traitement requiert le recueil et l’établissement, avec

le patient, d’un graphique de l’histoire longitudinale de la maladie qui

permet d’identifier de façon précise des épisodes symptomatiques

antérieurs et leurs déclencheurs. Cependant, les patients souffrant de

trouble BP II éprouvent souvent des difficultés à identifier des épisodes

distincts, tout particulièrement lorsque leurs épisodes sont caractérisés

par un mélange de symptômes dépressifs et hypomaniaques. Parfois il

est possible de distinguer les épisodes mais parfois patient et thérapeute

doivent conclure que l’amalgame des symptômes est impossible à

désintriquer. Néanmoins, il vaut toujours la peine de parcourir avec soin

les épisodes antérieurs, en accordant une attention particulière à des

déclencheurs potentiels de symptômes de l’humeur ou d’exacerbation

de l’humeur.

Chantal, une femme célibataire de 43 ans, avait présenté une

période de dépression dans la vingtaine qui eut pour conséquence

l’abandon de ses cours universitaires, un épisode d’hypomanie dans la

trentaine qui l’amena à quitter son emploi de secrétaire et à informer sa

famille de son intention de déménager au Costa Rica pour y tenir une

ferme biologique, et un épisode de dépression qui découla de la prise de

conscience que le projet d’une ferme biologique n’était pas réaliste, et

qu’elle se retrouvait sans emploi et en rupture avec les membres de sa

famille. Cependant, lors de la description d’épisodes récents, elle

répondit : « je me sens très mal, je me suis sentie ainsi au cours des

derniers cinq ans ». Elle décrivit des sensations d’agitation chronique

accompagnées de pleurs, de sentiments de désespoir et d’accélération

des pensées. Le contenu de ses idées accélérées était centré sur des

peurs quasi-paranoïdes concernant ses voisins qu’elle croyait en colère

contre elle parce qu’elle les avait accusés de consommer trop d’énergie

et de ne pas avoir adhéré aux politiques de recyclage de la région.

Chantal s’affichait comme « protectrice de l’environnement » ayant la

conviction que la conservation commence chez soi. Elle avait pris

l’habitude de faire des sondages sur les habitudes de conservation dans

son voisinage (sans y être invitée) et de recommander des stratégies

170

 

Santé mentale au Québec 


 

visant à améliorer la conservation de l’énergie domestique et à diminuer

les déchets non recyclables. Elle eut l’impression que plusieurs de

ses voisins la provoquaient en jetant des déchets dans sa cour et en

volant son courrier afin de la forcer à déménager. Elle était incapable

de voir un lien entre les interactions avec ses voisins et son état émotionnel

; elle se sentait constamment en état d’alerte, et reconnut que cet

état pouvait être justifié ou non. Afin de clarifier ses variations

d’humeur, le thérapeute introduisit la MRS et demanda à Chantal de la

remplir au cours de la semaine à venir. Elle expliqua à Chantal qu’elle

devait évaluer le niveau d’énergie et celui de l’humeur séparément. La

semaine suivante, il fut évident pour Chantal et pour le thérapeute que

le niveau de l’humeur avait été stable à -2 (modérément déprimé), mais

que le niveau d’énergie avait varié de bas (-1 à -3) pour la première

partie de la semaine à élevé (+ 2) au cours de la deuxième partie de la

semaine. Chantal décrivit un sentiment de mal-être global pire dans la

deuxième partie de la semaine, car elle avait ressenti de la «mauvaise

énergie et non pas de la bonne énergie » (par exemple, inquiétudes,

agitation, insomnie). Le thérapeute constata sur la MRS que l’augmentation

de l’agitation (état « énergisé ») s’était manifestée lorsque

son heure de réveil avait changé de 7 heures à 10 heures. Chantal

expliqua qu’elle avait été absente de la maison pendant la première

partie de la semaine, travaillant dans une coopérative d’aliments

biologiques. Dans la deuxième partie de la semaine, Chantal n’avait

pas eu d’engagements particuliers, et elle avait été occupée à surveiller

ses voisins afin de découvrir des indices de leurs comportements malveillants.

Le thérapeute fut alors en mesure de suggérer que rester à la

maison toute la journée avait contribué à l’augmentation de l’agitation

et à une détérioration générale de son humeur. De plus, Chantal devint

capable de percevoir une variation notable de son humeur, qu’elle

croyait constante. Même si cette variation ne constituait pas des épisodes

distincts, elle fournit au thérapeute et à Chantal un outil de départ

pour examiner la relation entre humeur, énergie, rythmes sociaux et

contacts sociaux.

De cette façon, le thérapeute met à la fois en relief le fait que, pour

le patient, son humeur ne semble pas varier au cours des épisodes

symptomatiques, mais que par ailleurs il est possible de voir, même dans

les états mixtes, des variations d’intensité et de qualité dans la symptomatologie

qui sont reliées à des circonstances extérieures. Le MRS

fournit un moyen pour suivre de façon systématique humeur, énergie et

rythmes sociaux quotidiens, ce qui permet au patient et au thérapeute de

découvrir des modèles de fluctuations. Ceci donne alors au thérapeute

des arguments pour inviter le patient à effectuer des changements dans

Psychothérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux (PTIRS)…

 

 

171 

ses rythmes sociaux et ainsi améliorer la stabilité de son énergie et de

son humeur

Les patterns détectés avec l’aide de la MRS permirent au thérapeute

de constater que Chantal était moins agitée les jours où elle

travaillait à la coop de nourriture et demeurait loin de son voisinage.

Parce que Chantal était fermement convaincue que ses interactions avec

ses voisins étaient appropriées, le thérapeute se centra initialement sur

une réduction du temps passé à la maison au lieu de travailler le conflit

avec les voisins. Le but identifié fut la participation de la patiente à au

moins une activité quotidienne à l’extérieur du voisinage. Le thérapeute

expliqua que ce changement visait à l’aider à atténuer l’agitation dysphorique

associée au fait de rester à la maison, et, éventuellement, à

améliorer son humeur.

Le patient est émotionnellement instable et changeant. Il est difficile

de déterminer si le patient réagit fortement à cause de son état

affectif sous-jacent ou si cet état affectif dysphorique est provoqué

par sa réactivité émotionnelle.

Dans un premier temps, le thérapeute aide le patient à reconnaître

que les variations de son humeur sont caractéristiques du trouble bipolaire,

et qu’il est particulièrement vulnérable aux expériences interpersonnelles

qui peuvent provoquer une augmentation ou une diminution

marquée de son état affectif. Le patient est encouragé à discuter et à

identifier de telles expériences, passées ou actuelles. Le thérapeute et le

patient commencent alors à explorer des stratégies alternatives pour

gérer ces expériences tout en évitant que l’humeur du patient s’emballe

dans une direction ou une autre. Le thérapeute peut suggérer différentes

stratégies, comme des activités distrayantes (par exemple, regarder la

télévision), ou apaisantes (par exemple, prendre un bain), une activation

comportementale (par exemple, aller marcher), ou rechercher du soutien

(par exemple, appeler un ami). Bien que des approches similaires aient

été proposées pour le traitement du trouble de personnalité borderline,

dans le cas d’un trouble BP II il importe que patient et thérapeute

tiennent compte de l’humeur du patient avant d’initier quelque stratégie

que ce soit. En d’autres mots, nous ne recommandons pas d’utiliser le

recueillement ou la méditation (qui ralentit la pensée et l’énergie)

lorsque le patient est déprimé et manque d’énergie. En général,

l’approche consiste à encourager les patients à sélectionner des activités

stimulantes lorsque leur énergie est basse, et à éviter de telles activités

lors d’une inflation de l’humeur et/ou d’une élévation du niveau

d’énergie.

172

 

Santé mentale au Québec 


 

Jean-François, un homme célibataire de 24 ans, sans emploi, fut

récemment délaissé par Angie, sa copine depuis 2 ans. Jean-François

nota que son humeur avait varié d’extrêmement basse à très élevée au

cours d’une même journée. Le thérapeute explora le contexte de ces

changements et apprit que l‘humeur de Jean-François s’était affaissée

d’un coup, lorsqu’un ami lui envoya une messagerie texte lui apprenant

qu’Angie avait une nouvelle relation amoureuse avec un ami commun.

Jean-François ressentit d’abord de la colère et frappa les murs de son

appartement. Ensuite il s’effondra sur son lit, abattu, et il dormit

presque toute la journée. Par la suite, il se laissa convaincre de se

joindre à des amis pour aller jouer au poker. Il but plusieurs bières afin

de « se détendre suffisamment » pour pouvoir quitter la maison. Quand

il gagna 135 $ au jeu de poker, son humeur s’éleva et il passa le reste

de la nuit avec des amis. Jean-François et le thérapeute identifièrent

ensemble qu’il s’agissait là d’un cercle vicieux de comportements et

d’humeur entraînant à la fois consommation d’alcool et perturbation

des horaires de sommeil. Le thérapeute s’informa auprès de Jean-

François de ce qui, en rétrospective, aurait pu l’aider à moduler sa

réaction à la nouvelle concernant son ex-copine. Il mentionna que s’il

avait écouté de la musique forte et ensuite était allé courir, il aurait pu

éviter ses comportements négatifs (frapper le mur) et atténuer son état

de dysphorie. Il reconnut aussi que s’il n’était pas resté au lit toute la

journée, son sommeil n’aurait pas été perturbé et il aurait probablement

ressenti un besoin moindre de boire avant de quitter la maison. Il fut

aussi du même avis que le thérapeute que le jeu de poker ne fut

probablement pas un bon choix d’activité, étant donné ses fluctuations

d’humeur récentes. Des expériences passées lui avaient montré que le

poker tendait à le surstimuler, et qu’il courait le risque de provoquer une

nouvelle exacerbation de son humeur en participant à un jeu de poker,

tout particulièrement après avoir bu quelques bières. Le thérapeute

suggéra de faire une liste d’activités non stimulantes à entreprendre

dans l’avenir s’il devait se sentir agité ou en colère, convenant qu’il

pourrait perdre contrôle sur son humeur ou son comportement lors

d’une surstimulation. Ils identifièrent aussi une liste d’activités stimulantes

et constructives (aller courir, au lieu de jouer au poker) à

utiliser s’il lui arrivait de se sentir triste et sans énergie.

Le patient est grandiose, se surestime, et peut engendrer de la colère

chez les gens de l’entourage, pouvant mener à des ruptures dans les

relations interpersonnelles et à des difficultés au travail.

Beaucoup de patients souffrant de trouble BP II sont très performants

et ont réussi, malgré leur maladie (ou à cause de leur maladie) à

Psychothérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux (PTIRS)…

 

 

173 

atteindre des niveaux élevés de succès (Gartner, 2005). Parfois,

cependant, l’attitude brusque et exigeante qui est garante de succès dans

les salles de réunion cause des fossés interpersonnels et détruit des

relations. Alors que l’hypomanie peut être acceptable au travail, les

patients peuvent devoir atténuer leur attitude arrogante ou ne pas

l’utiliser dans d’autres environnements. Le thérapeute aide le patient en

identifiant ces comportements, en expliquant qu’ils font partie du

trouble BP II, et en aidant le patient à adopter des stratégies qui lui

permettent de moduler ses réactions aux autres.

Arthur est un homme marié de 64 ans, un directeur d’entreprise

connu autant pour sa philanthropie flamboyante que pour ses tirades

inappropriées lors de réunions d’affaires. La plupart du temps, ses

collègues ignoraient ses éclats et un groupe de collègues loyaux avaient

établi des stratégies pour « limiter les dégâts » suite aux diatribes

d’Arthur. Durant de longues années, Arthur ne fut ni conscient ni

dérangé par son comportement. Cependant, un an avant le début de son

traitement, la compagnie d’Arthur fut vendue à une autre institution, et

l’exécutif de la nouvelle compagnie fut moins tolérant aux idiosyncrasies

d’Arthur. Il reçut plusieurs avertissements concernant son

comportement et fut sur le point d’être congédié. La réaction du nouvel

exécutif rendit Arthur perplexe. Il était conscient que ses connaissances

et ses habiletés étaient un atout pour la compagnie, et il croyait que

l’exécutif devrait l’apprécier et le récompenser plutôt que le réprimander.

Il envisagea d’écrire une lettre au directeur général pour le lui

dire, mais décida de l’apporter d’abord à son thérapeute pour en

discuter. Son thérapeute invita Arthur à envisager la lettre du point de

vue du directeur. Il mentionna que le directeur pourrait considérer la

lettre comme une forme d’insubordination et comme une attaque

personnelle. Arthur fut capable de reconnaître intellectuellement la

possibilité d’un tel résultat. Par ailleurs, il se sentait grandement sousestimé

et traité de façon tout à fait injuste. Le thérapeute expliqua que

de tels sentiments pouvaient être liés à ses symptômes affectifs, l’amenant

à avoir une confiance excessive en lui, dans des circonstances où

d’autres seraient moins sûrs d’eux-mêmes. Ils discutèrent du fait que la

constellation de ces symptômes et de son style personnel avaient pu être

adéquate dans le passé, mais qu’elle l’était probablement moins dans le

contexte de travail actuel. Le thérapeute utilisa des techniques PTI pour

aider le patient à comprendre cette nouvelle situation comme une

transition de rôles et pour l’aider à s’adapter au nouvel environnement.

Après une série de jeux de rôles avec le thérapeute, visant à aider

Arthur à comprendre de quelle manière ses réactions pourraient menacer

ou mettre en colère des collègues, le thérapeute suggéra qu’Arthur

174

 

Santé mentale au Québec 


 

compte simplement jusqu’à dix avant de dire quoi que ce soit dans des

réunions importantes afin de s’accorder du temps pour « penser » avant

de parler. Le thérapeute ne remit pas en question de façon directe l’idée

de grande compétence et d’importance d’Arthur, mais il proposa plutôt

une approche pragmatique permettant de trouver de nouvelles façons de

communiquer qui seraient mieux adaptées au nouvel environnement de

travail que ses anciennes stratégies.

Les patients ne sont pas capables de se souvenir de la dépression

lorsqu’ils sont euthymiques ou hypomaniaques et vice versa.

Certaines personnes avec trouble BP II éprouvent une sorte

« d’amnésie » pour l’humeur opposée lorsque leur polarité symptomatique

change. Il est courant que les patients déprimés n’arrivent pas à

se souvenir des périodes d’euthymie ou à penser qu’ils ne retrouveront

jamais cet état de bien-être ; à l’inverse, les patients BP I se rappellent

habituellement leur état maniaque même lorsqu’ils sont déprimés. La

plupart des patients avec trouble BP II, par contre, peuvent être

incapables de se souvenir des hypomanies jusqu’à ce qu’ils se sentent

mieux ; ceci pourrait être dû au fait que ces épisodes ne sont pas aussi

spectaculaires que les épisodes maniaques des BP I. Parfois, même des

patients euthymiques vont éviter de discuter des périodes hypomaniaques,

soit parce qu’ils ne reconnaissent pas ces périodes comme

pathologiques, soit qu’ils ne se souviennent réellement pas de ces

événements.

Encore plus étrange est le fait que certains patients avec trouble BP

II « oublient » la dépression lorsqu’ils se sentent bien. Ils disqualifient

cette période de leur vie comme ne leur ressemblant pas et se décrivent

plutôt comme des personnes dynamiques. Bien que cette attitude puisse

être aidante d’une certaine façon (par exemple, permettre aux patients de

retrouver rapidement des niveaux de fonctionnement antérieurs sans

s’attarder sur le passé récent), elle peut être défavorable à d’autres

égards, car les patients peuvent perdre la motivation à continuer des

activités aidantes lorsqu’ils ont l’impression que le danger de la

dépression est écarté. Le thérapeute joue le rôle d’aide-mémoire pour les

patients, leur rappelant des événements passés et les humeurs qui y

étaient reliées. Il peut être avantageux pour certains patients de tenir un

journal afin de se rappeler les expériences de dépression, même quand

ces dernières sont terminées. Pour d’autres, l’utilisation d’exercices

d’induction de l’humeur pendant la séance peut être préférable, ceci

impliquant que le patient « reconstruit » les événements et les émotions

présents lors d’un épisode dépressif récent afin d’intégrer ces expériences

disparates.

Psychothérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux (PTIRS)…

 

 

175 


 

Sophia, une femme mariée de 38 ans, fut traitée pour un épisode

prolongé de dépression, mais par la suite, elle annonça au thérapeute

qu’elle n’avait plus besoin de traitement car elle ne pensait pas avoir un

trouble bipolaire. Elle affirma que ses épisodes d’humeur avaient été

« situationnels » et que le problème étant résolu, elle ne courait plus de

risque d’avoir une dépression. Elle se sentait en pleine forme et projetait

de mettre sur pied une nouvelle entreprise ; elle craignait que la

thérapie ne puisse nuire à sa capacité de se centrer sur ce nouveau

projet. Le thérapeute ne manifesta pas immédiatement son désaccord

avec Sophia, mais explora avec tact la compréhension qu’avait Sophia

de la maladie bipolaire ainsi que ses idées justifiant que ce diagnostic

ne s’appliquait pas à elle. Au cours de la discussion, le thérapeute utilisa

l’humour et posa des questions additionnelles afin d’attirer l’attention

sur les faiblesses dans l’argumentation de Sophia. Le thérapeute lui

rappela qu’elle avait manqué des journées de travail à cause de la

dépression, et que sa famille avait craint un éventuel geste suicidaire de

sa part. Sophia commença à admettre qu’il lui était trop pénible de penser

aux dépressions passées, et qu’elle avait toujours eu comme consigne

d’aller de l’avant et de ne pas revenir sur le passé. Le thérapeute

reconnut que cette stratégie l’avait aidée dans le passé, la rendant

capable de faire face à une enfance traumatique et à tolérer une série

de déceptions interpersonnelles au cours des ans. Par la suite, le

thérapeute suggéra que Sophia avait atteint une étape de sa vie dans

laquelle il pourrait être avantageux de réconcilier ces deux aspects de

ses expériences de vie, afin de maintenir, lorsqu’elle se sent bien, les

changements faits lors de périodes dépressives et ainsi se prémunir

contre des épisodes dépressifs subséquents. Le thérapeute suggéra aussi

à Sophia de considérer l’impact potentiel de trop s’investir dans un

nouveau projet d’affaire. Le thérapeute rappela aussi à Sophia que des

circonstances similaires avaient précédé son épisode de dépression le

plus récent (Sophia était devenue déprimée dans le contexte d’avoir à se

débattre pour concilier les demandes suivantes : la prise en charge d’un

enfant ayant des problèmes comportementaux, prendre soin de son père

malade en phase terminale, et aider son mari dans son entreprise

d’aménagement paysager). Peu à peu Sophia reconnut qu’en effet, elle

courait le risque de développer une autre dépression et qu’il valait la

peine de poursuivre la thérapie pour l’aider à identifier et à appliquer

des stratégies l’aidant à maintenir son état de bien-être.

176

 

Santé mentale au Québec 


 

Des patients tentent de régulariser leurs humeurs par l’abus de

drogues, y compris alcool et marijuana.

Le trouble bipolaire et les troubles d’abus de substances apparaissent

souvent de façon concurrente. Tel que mentionné plus haut, les

symptômes affectifs précèdent l’abus de drogues (Angst et al., 2006), ce

qui suggère que les patients utilisent l’alcool et les drogues pour

s’« auto-traiter ». Il est utile d’expliquer ce phénomène aux patients et de

suggérer que d’autres méthodes peuvent être utilisées (psychothérapie et

prise de médicaments d’ordonnance) pour les aider à contrôler leurs

humeurs.

Alain, un homme célibataire de 29 ans, travaillait dans la construction.

Son emploi l’obligeait à commencer le travail à 6 heures. Son

cycle de sommeil, tout comme celui de beaucoup de personnes avec un

trouble bipolaire, présentait un délai de phase : en d’autres mots, il était

naturellement un oiseau de nuit qui se couche à 2 heures du matin et se

réveille à 10 heures. Il était très difficile pour lui de se réveiller à

5 heures afin d’être au travail à l’heure, mais il disait avoir besoin du

revenu de ce travail. Pour pouvoir se mettre au travail, il avalait plusieurs

tasses de café entre 5 et 10 heures. Il remarqua qu’il devenait très

irritable plus tard dans la journée, et souvent il fumait « un joint ou

deux » le soir quand il arrivait à la maison afin de « se calmer ». La

marijuana était agréable sur le coup, mais contribuait à une « sensation

d’être à plat » qui exacerbait la fatigue matinale. Lors de sa journée de

congé, il dormait jusqu’à 11 heures et évitait la caféine. Par contre, les

soirs, avant de se coucher, il ressentait toujours le besoin de marijuana.

Le thérapeute d’Alain fit mention d’une « déconnexion » entre sa cédule

de vie et ses rythmes biologiques. À titre d’illustration, il parla de tenter

d’insérer une cheville carrée dans un trou rond. Alain affirma ne pas

avoir d’autres possibilités de travail et demanda, irrité : « qu’attendezvous

donc de moi ? ». Le thérapeute énonça l’importance de la régularité

des rythmes de vie avec Alain et lui suggéra de se lever à 5 heures

tous les jours, y compris les jours de congé, afin de maintenir son

organisme enligné sur les mêmes cycles circadiens tous les jours de la

semaine. Cette stratégie devrait, de l’avis du thérapeute, permettre à

Alain de se sentir moins abattu le matin, et de lui permettre de fonctionner

sans l’aide d’une aussi grande quantité de café. Alain protesta

au début, disant qu’il avait hâte aux weekends pour enfin pouvoir

dormir tard. Alain et le thérapeute se mirent d’accord sur un compromis,

à savoir un lever à 7 heures (non pas 5 heures) les jours de

congé et une réévaluation de la situation lors de la séance de la semaine

suivante. Alain admit qu’après avoir fait ce changement, il avait été plus

Psychothérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux (PTIRS)…

 

 

177 


 

facile pour lui de se lever pour se rendre au travail. Bien qu’il n’eût pas

encore réduit sa consommation de caféine, il pensait pouvoir réduire

graduellement sa dose de café au cours des semaines suivantes. Alain se

rendit éventuellement compte que son irritabilité diminuait avec la

réduction de la consommation de caféine.

Lorsque l’abus de drogues est moins sévère, une stabilisation de

l’humeur permet souvent une diminution ou un arrêt de l’abus. Par

contre, si l’abus de substance du patient est important et représente un

diagnostic supplémentaire, le thérapeute peut suggérer que le patient

suive un programme d’aide adapté aux doubles diagnostics, qui offre

une aide spécifique pour l’abus de substance, aide distincte de celle pour

les troubles de l’humeur.

Alain réduisit éventuellement la consommation de caféine, mais

continua à fumer chaque soir de la marijuana. Il ne semblait pas particulièrement

intéressé à diminuer son habitude de fumer car il considérait

que la marijuana était la seule chose qui l’aidait à se sentir bien à la fin

de la journée. Il avait aussi l’impression que cette consommation l’aidait

à dormir. Le thérapeute suggéra à Alain de rencontrer un psychiatre pour

discuter avec lui d’alternatives à la prise de marijuana pour l’aider à

dormir. Alain suivit partiellement la recommandation, mais continua de

fumer de la marijuana malgré une prescription d’un faible dose de

lorazepam. Le thérapeute utilisa une stratégie visant à « limiter les

dégâts » en suggérant au patient de réduire — et non pas arrêter — sa

consommation afin d’explorer s’il pouvait y avoir un lien entre la

quantité fumée et son humeur. De nouveau, le patient refusa de réduire

sa consommation. Après plusieurs mois de PTIRS, le thérapeute référa le

patient à une clinique pour doubles diagnostics, faisant part au patient

de ses doutes concernant la possibilité d’atteindre une stabilité complète

de son humeur sans l’arrêt de la consommation de la marijuana, mais

reconnaissant que le PTIRS ne semblait pas pouvoir lui apporter l’aide

nécessaire pour la composante « dépendance » de sa maladie.

Conclusion

Nos expériences suggèrent que la PTIRS est un traitement

prometteur pour des personnes souffrant de trouble BP II. Cependant,

parce que cette forme de maladie bipolaire est différente du trouble BP I,

une attention spéciale doit être apportée aux aspects cliniques suivants :

• explication de l’importance de la régularité des rythmes sociaux

• régulation des stimulations

• difficultés dans l’identification et la description des états

affectifs

178

 

Santé mentale au Québec 


 

• problèmes interpersonnels liés à la grandiosité et à la prétention

• problèmes avec la régulation de l’affect

• prévalence importante d’une comorbidité avec les abus de

substance

Comme dans tous les traitements basés sur la PTI, dans l’approche

PTIRS patient et thérapeute doivent devenir les experts de la maladie qui

représente le focus du traitement. Ceci pourrait être un aspect

particulièrement important du PTIRS dans le travail avec des patients

souffrants de trouble BP II vu les manifestations complexes et changeantes

de ce trouble. Les thérapeutes PTIRS jouent un rôle majeur en

aidant les patients à développer la capacité d’identifier et de nommer les

symptômes de l’humeur, ce qui, à son tour, donne aux patients un

sentiment de contrôle, alors qu’auparavant, ils avaient l’impression que

rien ne pouvait expliquer ce qui leur arrivait. Les patients (de même que

les thérapeutes plus novices) trouveront profit à la lecture de livres

portant sur les troubles bipolaires « atténués », afin de les aider à mieux

identifier cette maladie (par exemple, Fieve, 2006 ; Phelps, 2006).

En résumé, PTIRS est un traitement prometteur pour le trouble BP

II, et on peut raisonnablement penser à l’utiliser en monothérapie pour

les patients opposés à la pharmacothérapie, ce qui n’est pas le cas avec

le trouble BP I, Dans la poursuite de l’évaluation de la PTIRS pour le

traitement du trouble BP II, l’un des défis consistera à identifier quels

patients pourront tirer profit de la PTIRS seule et lesquels auront besoin

de l’ajout d’une pharmacothérapie afin d’atteindre une stabilité d’humeur

optimale.

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ABSTRACT

IPSRT for Bipolar II Disorder: Treatment development and case

examples

Bipolar II (BP II) disorder is a common, recurrent, and disabling

psychiatric illness. Individuals suffering from this disorder comprise a

large segment of the outpatient mental health treatment population, and

yet little is known about how best to manage it. Psychotherapy, although

untested in this population, represents a potentially important treatment

modality for individuals suffering from this disorder. Because BP II

disorder is characterized by subsyndromal, non-psychotic, episodes of

mania (hypomania), there are no clear contraindications to the use of

psychotherapy as monotherapy in BP II disorder (in contrast to BP I

disorder where the risk of mania makes medication the sine qua non of

treatment). In addition, unlike medication, psychotherapy has the

potential to help patients address the multiple psychosocial problems

associated with this chronic illness. Thus, an effective psychotherapy for

BP II disorder may provide an appealing alternative for patients,

especially for those who prefer to avoid the risks and discomfort

associated with current pharmacotherapeutic options. Interpersonal and

social rhythm therapy (IPSRT), a treatment combining a behavioral

approach to increasing the regularity of daily routines with interpersonal

psychotherapy (IPT), has demonstrated efficacy BP I disorder when in

combination with medication. The current report gives brief overviews of

BP II disorder and IPSRT, describes the process of adapting IPSRT for the

treatment of BP II disorder, and then presents a series of vignettes based

182

 

Santé mentale au Québec 


 

on our experience using IPSRT as monotherapy for the acute treatment of

BP II depression.We argue that IPSRT warrants further systematic study

to formally assess its efficacy as a treatment for BP II disorder.

RESUMEN

Psicoterapia interpersonal y de ritmos sociales (PTIRS) en el

trastorno bipolar II: Estructura del tratamiento y ejemplos

clínicos

El trastorno bipolar II (BPII) es una patología psiquiátrica frecuente,

recurrente y debilitante. Sin embargo, pocos estudios han evaluado cuáles

son los mejores enfoques para el tratamiento de esta enfermedad. La

psicoterapia interpersonal y de ritmos sociales (PTIRS) ha demostrado ser

útil en el tratamiento del trastorno bipolar I, en asociación con la medicación.

Contrariamente al trastorno BP I, el trastorno BP II se caracteriza por

episodios atenuados, no psicóticos, de manía (hipomanía), de manera que

no parece haber contraindicaciones para el empleo de la PTIRS en

monoterapia. Este enfoque combina un enfoque comportamental que

busca aumentar la regularidad de las rutinas cotidianas, con una psicoterapia

interpersonal que ayuda a los pacientes a gestionar mejor los

múltiples problemas psicosociales asociados a esta patología crónica. Se

realiza una descripción de las concepciones teóricas subyacentes a la

utilización de la PTIRS en el trastorno bipolar y una breve descripción del

trastorno BP II. Varias modificaciones parecen necesarias, en nuestra

investigación, para adaptar la PTIRS al tratamiento del trastorno BP II (en

comparación con el trastorno BP I), en razón de las características clínicas

particulares de esta población, específicamente la inestabilidad del cuadro

clínico, la dificultad de localizar el tipo de episodio en curso porque los

síntomas son con frecuencia mixtos (intrincación entre síntomas de activación

y de depresión), e igualmente la razón de la superposición sintomática

o de la comorbilidad con el trastorno de personalidad límite. Existe

también una comorbilidad frecuente con el trastorno de abuso o dependencia

a sustancias psicoactivas. Las viñetas tomadas de nuestra experiencia

clínica intentan ilustrar diversas problemáticas comunes encontradas

en la terapia de esta población y que están relacionadas con las características

del trastorno BP II mencionadas anteriormente. La PTIRS parece

ser una adición importante e interesante a los enfoques de tratamiento del

trastorno BP II porque toma en cuenta los diversos aspectos de esta

patología. Este enfoque nos parece eficaz en este estudio preliminar y

somos de la opinión que se requieren estudios sistemáticos posteriores que

permitirán evaluar de manera más formal su eficacia en el tratamiento del

trastorno bipolar II.

Psychothérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux (PTIRS)…

 

 

183 


 

RESUMO

Psicoterapia interpessoal e de ritmos sociais (TIPRS) no

transtorno bipolar II: Estrutura do tratamento e exemplos clínicos

O transtorno bipolar II (BP II) é uma patologia psiquiátrica

freqüente, recorrente e debilitante. Entretanto, poucos estudos avaliaram

quais eram as melhores abordagens para o tratamento desta doença. A

psicoterapia interpessoal e de ritmos sociais (TIPRS) demonstrou uma

utilidade no tratamento do transtorno bipolar I, associado à medicação.

Ao contrário do transtorno BP I, o transtorno BP II é caracterizado por

períodos atenuados, não psicóticos, de mania (hipomania), de maneira

que não parece ter contra-indicações no emprego da TIPRS em monoterapia.

Esta abordagem associa uma abordagem comportamental

visando a aumentar a regularidade das rotinas cotidianas, com uma psicoterapia

interpessoal que ajuda os pacientes a melhor gerir os múltiplos

problemas psicossociais associados a esta patologia crônica. É feita uma

descrição dos conceitos teóricos que subentende a utilização da TIPRS

no transtorno bipolar. Uma breve descrição do transtorno BP II é feita.

Várias modificações mostraram-se necessárias, em nossa experiência,

para adaptar a TIPRS ao tratamento do transtorno BP II (em comparação

com o transtorno BP I), por causa das características clínicas

particulares desta população, principalmente com respeito à instabilidade

do quadro clínico, à dificuldade de perceber o tipo de episódio

em curso porque os sintomas são freqüentemente mistos (combinação

entre sintomas de ativação e de depressão), e igualmente, por causa da

acumulação sintomática ou da comorbidade com o transtorno de

personalidade borderline. Existe também uma co-morbilidade freqüente

com o transtorno do abuso ou de dependência às substâncias psicoativas.

Os exemplos tirados de nossa experiência clínica tendem a ilustrar

diversas problemáticas correntes encontradas na terapia desta

população, e que são relacionadas às características acima mencionadas

do transtorno BP II. A TIPRS parece ser um acréscimo importante e

interessante às abordagens de tratamento do transtorno BP II porque ela

leva em consideração diversos aspectos desta patologia; esta abordagem

nos parece eficaz neste estudo preliminar, e nós acreditamos que estudos

sistemáticos futuros são necessários e permitirão avaliar de maneira

mais formal sua eficácia no tratamento do transtorno bipolar II.

184

 

Santé mentale au Québec 

 



09/04/2013
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