Le CMP, dispositif central de la psychiatrie de secteur

 

 

Le CMP, dispositif central de la psychiatrie de secteur

Les centres médico-psychologiques ont pour mission d’accueillir gratuitement toutes les personnes en souffrance psychique, mais comme le déplore le psychiatre Jean Furtos dans son interview, il faut souvent attendre de longs mois pour obtenir un rendez-vous. Trop de patients, pas assez de personnels soignants. Néanmoins, de Bondy en région parisienne à Toulouse où des patients atteints de troubles psychiques sont partis deux semaines en Inde, les équipes s’organisent et font face. Analyse et reportages.

Entretien avec Jean Furtos, psychiatre, chef de service au Centre hospitalier le Vinatier, à Bron

Quelle population les centres médico-psychologiques accueillent-ils ?
Le service de pédopsychiatrie accueille les enfants de 0 à 16 ans (parfois jusqu’à 25 ans) : des enfants autistes ou souffrant de troubles psychotiques, des enfants présentant des troubles cognitifs, affectifs ou du comportement, souvent adressés au CMP par l’école ou la famille.
Le secteur de psychiatrie adulte reçoit plusieurs catégories de personnes à partir de 16 ans : les personnes souffrant de troubles psychiques catégorisées (psychose, schizophrénie, dépression, demande de conseil, etc.) Après un premier contact, certaines personnes commencent un soin ou sont inscrites sur la liste d’attente pour bénéficier de consultations, de psychothérapies, de thérapies familiales…, d’autres sont orientées vers le secteur privé ou – si nécessaire – vers une hospitalisation. Enfin, les personnes souffrant de troubles psychiques sont orientées vers l’hôpital de jour ou le centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) du secteur où elles pourront bénéficier d’une thérapie, pratiquer des activités médiatisées (activités artistiques, psychodrame, groupes de parole sur des thèmes précis…). Antidote de l’hospitalocentrisme 1 , le CMP a pour mission d’accueillir un large public même si certaines structures pratiquent seulement des suivis d’hospitalisation, réduisant ainsi leur champ d’action. Les soins y sont gratuits. La conception traditionnelle en psychiatrie adulte consiste à soigner en priorité les personnes les plus gravement atteintes et les plus pauvres, mais lorsqu’une structure a les moyens de bien fonctionner, elle accueille plus largement les demandes. L’inégalité des moyens et des objectifs sur le territoire conditionne en partie l’ambition des équipes : il faut savoir qu’il existe environ 900 postes de psychiatre hospitalier non pourvus en France ; ceux qui exercent dans le service public privilégient habituellement les grandes villes universitaires. Les moyens décroissent selon la situation géographique. Très bien outillées à Paris, les structures le sont un peu moins en région parisienne périphérique et encore moins dans les villes de province. Les petites villes et le milieu rural sont carrément sinistrés. Les effectifs à Paris sont deux à trois fois plus importants que dans une grande ville de province. Les ambitions sont forcément limitées lorsque quatre postes de médecin sur cinq restent vacants… Cette inégalité de répartition constitue un échec patent du rôle de l’État.

Les équipes pluridisciplinaires – psychiatres, psychologues, assistantes sociales, orthophonistes, psychomotriciens, éducateurs spécialisés, infirmiers en psychiatrie… — ont-elles vocation à travailler en réseau avec d’autres partenaires ?
Les CMP ont la vocation de travailler en réseau, c’est une condition essentielle pour éviter la création de nouveaux asiles contre lesquels la psychiatrie s’est tant battue. Le secteur de pédopsychiatrie travaille en lien étroit avec les écoles, les psychologues privés, les institutions spécialisées… Celui de psychiatrie adulte établit des partenariats avec les maisons de retraite, la gérontologie, les généralistes, les médecins du travail, les centres communaux d’action sociale (CCAS), les travailleurs sociaux, les élus, les associations spécialisées dans le soutien aux étrangers… Depuis une dizaine d’années, les bailleurs sociaux sont devenus les alliés incontournables des CMP, avec la nécessité de mettre en place des actions pour favoriser l’insertion dans la cité de personnes souffrant de troubles psychiques ou d’addictions.

La famille est-elle considérée comme un partenaire ?
Le plus souvent, elle fait partie de l’environnement immédiat du patient, accompagne le parent pour une prise de contact, demande à rencontrer les soignants… L’équipe ne rejette pas la famille sans pour autant travailler systématiquement avec elle, les adultes ayant le droit de se soigner sans leur entourage. Certains CMP travaillent en lien avec les associations de familles et d’usagers (Unafam, Fnap-Psy…) d’autres pas, cela dépend des moyens de l’équipe et des orientations qu’elle se donne. Enfin, il y a des indications de thérapie familiale ou au moins d’approche familiale.

Les listes d’attente en CMP sont très longues, pour quelles raisons ?
La file active augmente chaque année pour plusieurs raisons. D’une part, la population a moins peur des psys et vient plus facilement consulter. D’autre part, dans une société prônant la réalisation individuelle, de nombreuses personnes souffrantes cherchent à aller mieux, les patients psychotiques ne sont pas les seuls bénéficiaires du soin. La demande ne cesse donc de croître, contrairement aux moyens… Aussi, les équipes établissent-elles des listes d’attente qui varient entre trois et six mois. Cela signifie qu’elles voient souvent le patient moins longtemps et tentent parfois d’orienter les demandes vers le privé… Cependant, de nombreux CMP se débrouillent pour garder des plages d’accueil en urgence, jugeant inacceptable de faire attendre six mois une personne qui va mal.

Quelles conséquences cette attente a-t-elle pour les patients ?
Ils la vivent plus ou moins bien. Certains se dirigent vers le privé, d’autres acceptent l’inscription sur la liste d’attente, gardent le contact avec l’équipe, téléphonent ou passent régulièrement s’assurer qu’une place leur est bien réservée. Quand un patient souffre d’une pathologie depuis plusieurs années, il peut souvent attendre quelques mois. D’autres personnes en revanche ne viennent pas au premier rendez-vous et nous ne savons pas ce qu’elles ont fait entre temps. Dans certains pays, comme la Grande-Bretagne la situation est encore plus cruelle, hors urgence l’attente se compte en mois ou en années.

Quelles conséquences cette situation a-t-elle pour les équipes ?
Elles en souffrent parce qu’elles souhaitent offrir le meilleur aux patients. Les restrictions budgétaires les obligent à agir avec moins de moyens, à se réorganiser, créant du malaise. Malgré tout, elles essaient de tenir le coup, donnent la priorité aux personnes les plus en difficulté, conscientes de laisser de côté des situations qui peuvent se dégrader. Une équipe qui n’a pas les moyens d’accueillir une mère en difficulté par exemple, risque de retrouver plus tard les enfants dans son service. Les soignants souffrent donc d’un stress de plus en plus important. La bureaucratisation, avec infiltration de systèmes procéduriers, leur rend la vie très dure. Ils doivent relever une gageure : rester vivants dans un système attaqué de toutes parts : de l’extérieur par les baisses budgétaires, de l’intérieur par une bureaucratisation gestionnaire galopante. Des soignants “démissionnent” pour échapper à cette pieuvre. Pourtant, la majorité du personnel de psychiatrie aime son travail et le poursuit avec passion, particulièrement en CMP. La psychiatrie de secteur est extraordinaire car basée sur la rencontre et le partage. On y constate des capacités d’évolution insoupçonnées de la psyché humaine. On obtient aussi diverses gratifications : la situation des personnes s’améliore, les demandeurs d’asile nous instruisent sur la marche du monde, les personnes en précarité sur la situation sociale en France, les échanges avec les différents partenaires nous éclairent sur le fait que seuls, nous ne pouvons rien.

Comment anticiper le manque de psychiatres dans les années à venir ?
Globalement, nous avons l’impression que l’Institution attend que la psychiatrie se casse la figure. Précarisée, elle vit avec des incertitudes majeures sur son avenir et doit être forte pour garder ses valeurs. L’État ne propose aucune politique par rapport aux lacunes de postes en psychiatrie publique, ses réactions oscillent entre le déni et l’hypocrisie. Cela inquiète les équipes alors qu’elles se démènent pour créer des réseaux, travailler avec les élus, éviter les hospitalisations sous contrainte… Au moment où des choses passionnantes sont mises en place, la profession semble s’éteindre doucement, sans vision claire pour l’avenir. Nous avons appris à fonctionner avec les partenaires mais aurons-nous les moyens de tenir nos engagements ? À la limite, nous serions “rassurés” d’entendre : « Il y aura trois fois moins de psychiatres mais trois fois plus de psychologues cliniciens… » Au moins saurions-nous vers quoi nous allons. Pour l’instant, certains secteurs recrutent des médecins généralistes faisant office de psychiatres et se formant pour le devenir. Nous faisons également appel à des professionnels étrangers, notamment d’Europe de l’Est et du Maghreb, qui se plaignent du statut qui leur est attribué.

Existe-t-il des centres médico-psychologiques spécialisés ?
Très peu. Quelques-uns sont spécialisés dans la thérapie systémique ou l’accueil des migrants et des demandeurs d’asile, comme le centre Minkowska à Paris. À Lyon, nous tentons de préparer pour l’avenir une consultation interculturelle. Nous pensons que les CMP doivent proposer un accueil général et un accueil spécialisé. Cependant nos “gestionnaires” favorisent plutôt pour seul objectif la réduction des coûts sans prise en compte des résultats.

Que proposent les CMP aux personnes qui cumulent souffrances psychiques et précarité ?
Actuellement, la tendance politique de chaque département consiste à mettre en place des équipes mobiles constituées d’infirmiers, de psychiatres, de psychologues et de travailleurs sociaux jouant un rôle d’interface entre les personnes en grande précarité et les structures de soins. Par nature, les personnes en errance vivront un moment sur un secteur et quelques mois plus tard sur un autre ; elles fréquentent rarement un CMP sur le long terme, même si certaines structures créent des liens privilégiés avec elles et les suivent au long cours. Les CMP reçoivent également des personnes résidant dans des structures d’hébergement social qu’ils doivent éviter de considérer comme des “cas sociaux”. Par ailleurs, les équipes se rendent au domicile des personnes en grande souffrance et en précarité. Il faut trouver le moyen d’aller vers la population en grande exclusion. Pour “aller vers”, les soignants doivent accepter de quitter leur bureau. Même si ce n’est pas la règle partout, cette démarche existe dans de nombreuses villes.

 

Propos recueillis par Katia Rouff



27/04/2013
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