L’infatigable popularité du sport.

 

L’infatigable popularité du sport.

                          Par Robert Redeker

L’unanimisme autour de la Coupe du Monde de football et autour du sport est un phénomène tellement étonnant et inquiétant qu’il doit être interrogé. Un discours unique, comme dans les sociétés totalitaires de naguère, enveloppe la société : le discours sportif. Il occupe de plus en plus de place, étant devenu envahissant. Le sport n’est plus un divertissement, un simple spectacle, il n’est plus un une activité annexe dans l’humanité, il s’est installé à la place centrale du monde contemporain. Pour beaucoup de nos contemporains, il est la chose la plus importante de la vie.

Le sport rend visible partout et à chaque instant, l’âme du monde moderne : la passion de l’illimité, du toujours plus. Quelle est la loi de ce monde, dont une célèbre formule de Descartes - " nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature " - a donné le coup d’envoi ? La voici : le refus de la limite, de la finitude, la poursuite du " toujours plus ". Le monde moderne est sous l’emprise du quantitatif, du chiffre.

Le sport est analogue au capital : il doit toujours se dépasser lui-même, n’existant que pour l’auto-dépassement. Non seulement il exige chaque jour des performances dépassant celles de la veille, mais aussi il réclame toujours plus de spectateurs, toujours plus d’audimat, toujours plus d’argent, toujours plus d’événements. Il est une machine à alimenter le vertige du quantitatif. Le sport ne supporte pas la limite – cette haine de la limite signalant le trait saillant distinguant la civilisation moderne occidentale de toutes les autres. Dans la modernité l’existence humaine épouse les contours du capital – il est exigé d’elle de faire toujours plus, de courir toujours plus vite, de vivre plus longtemps, de travailler plus intensément, de gagner toujours plus d’argent, d’améliorer ses performances, de rester jeune le plus longtemps possible, de plus en plus longtemps au fur et à mesure que passent les générations. Le sport est une propagande massive en faveur de ces exigences.

L’homme moderne voit dans la limite l’ennemie qu’il importe de vaincre, et qui pourtant résiste. Il se bat contre la limite comme l’ascète de jadis contre la tentation. Il la voit comme le Diable l’empêchant d’être un homme. Elle est l’ennemie de chaque instant – dont il sait bien pourtant que, sous la forme de la mort, elle finira par avoir le dernier mot. Le sport illustre, en flux continu, cette bataille de chaque instant. L’infatigable popularité du sport s’explique par là : il est l’imagier de la préoccupation constante de l’être humain contemporain, tout attaché à repousser les limites de ses forces, de l’âge, du vieillissement, de la mort.

Catholique, chacun le sait, veut dire universel avec une ambition planétaire : dans la foulée de l’Empire Romain, qui lui donna sa matrice, apparut, à la place de Rome même, l’Eglise catholique, qui s’affirme assemblée universelle. Le sport prend, à sa façon, le relais de l’Empire romain et de l’Eglise catholique. Il cherche à conjoindre l’idée de l’Empire et l’idée de l’Eglise, conjoints dans l'universalité et le gouvernement des âmes. La Coupe du monde est bien cette assemblée universelle (toute l’humanité concentrée autour du calice, cette coupe Jules Rimet que les vainqueurs, tels le prêtre pendant l’office, élèvent fièrement vers le ciel le jour de leur victoire) – mais, aucun message spirituel ou intellectuel ne s’en dégage, aucun espoir pour l’humanité, aucune promesse pour la condition humaine, ne sortent de cette cérémonie, on n’y célèbre que le culte des marques, de l’argent fou, et de la loi du plus fort. Le sport est la parodie mercantile et vide, pitoyable et dérisoire, faite de toc et de truquages, de l’idéal catholique : la réunion dans une Eglise universelle, la communion autour d’un calice, la liturgie autour de personnages hissées à la sacralité des prêtres. Les sportifs sont une caste sacerdotale, la liturgie en toc des événements sportifs le suggère ; mais c’est une caste sacerdotale au rabais, qui n’a rien à transmettre. La Coupe du Monde exprime l’effrayante catholicité de la marchandise ; le sport étant le catholicisme du vide.

Le sport est le pouvoir spirituel de notre époque – celui qui, à la faveur d’événements médiatisés à l’excès répand sans retenue les impératifs (compétitivité, performance, culte de l’argent, fanatisme des marques, de la consommation) propres à la mondialisation marchande. Insidieusement, il dicte à chacun comment il doit se comporter, comment il doit être. Omniprésent, le discours sportif transbahute un contenu social et politique - la Coupe du Monde est avant tout une propagande démesurée pour l’ultra-libéralisme. Le fanatisme des marques, des logos publicitaires et de l’argent en témoigne. Le sport édifie jour après jour un totalitarisme de type nouveau, auquel nul ne peut échapper : sans Etat, sans politique, un totalitarisme mercantile et consumériste.



18/05/2008
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