MARQUEURS DU TROUBLE BIPOLAIRE EN IRM ANATOMIQUE ET FONCTIONNELLE
136 Pages à cette adresse :
http://doxa.u-pec.fr/theses/th0616220.pdf
UNIVERSITE PARIS EST CRETEIL
FACULTE DE MEDECINE DE CRETEIL
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ANNEE 2012
THESE N°
POUR LE DIPLOME D’ETAT
DE
DOCTEUR EN MEDECINE
Discipline
: PSYCHIATRIE
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Présentée et soutenue publiquement le 19 mars 2012
à CRETEIL (PARIS EST CRETEIL)
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Par
M. Soufiane CARDE
Né le 04/04/1982 au Chesnay (78)
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TITRE : MARQUEURS DU TROUBLE BIPOLAIRE EN IRM ANATOMIQUE ET FONCTIONNELLE
PRESIDENT DE THESE : LE CONSERVATEUR DE LA
Madame le Professeur Chantal Henry BIBIOTHEQUE UNIVERSITAIRE
DIRECTEUR DE THESE :
Docteur Josselin Houenou
Signature du Cachet de la bibliothèque
Président de thèse universitaire
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Remerciements
Je tiens d'abord à exprimer ma reconnaissance au Pr Leboyer qui m'a rapidement ouvert les bras au monde de la recherche et proposé un sujet dès que je suis venu la voir la première fois.
Je remercie infiniment le Dr Josselin Houenou, sans qui rien de ce que j'ai pu faire n'aurait été possible. Pour sa patience incroyable, son calme, son intelligence et son aptitude à se mettre à la portée d'un étudiant inexpérimenté et débordé par des technologies pointues. Pour sa bonne humeur, ses apprentissages et la confiance qu'il a pu me prodiguer. Enfin pour les connaissances qu'il m'a permis de faire, tant sur le plan humain (et notamment à Neurospin) que sur le plan intellectuel.
Je remercie le Pr Chantal Henry qui me fait l’honneur de présider cette thèse sur un trouble psychiatrique dont elle a une grande connaissance et les Pr Philippe Fossati et Pr Frank Schürhoff de faire partie de mon jury de thèse et d’apporter leur expertise.
Je salue le mérite des cliniciens qui ont consacré du temps pour que des patients puissent participer aux protocoles de recherche. Merci ainsi à Hadj Amrani, Noémie Drancourt, Audrey Laguerre, Aline Picard, Dina Roberts, Julien Katz, Noémie Arramon, Haïk Mouradian, Joachim Mullner, Valérie Van Rode, Raphaël Doukhan, Sunthavy Yeim, Chloé Benizri, Chloé Lemarié, Audrey Amar, Hannah Hatteea, Anaïs Vallerent.
Merci particulièrement à Nora Hamdani, investigatrice principale du projet, qui m'a entre autres appris à manier les échelles d'évaluation clinique.
Je ne pourrai assez remercier Claire Daban pour nos multiples échanges quotidiens et la rapidité d'organisation pour que les patients aient l'ensemble des évaluations du protocole.
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Je remercie Marc-Antoine D’Albis, pour son calme, son côté anxiolytique et son aptitude à venir faire passer les IRM à Neurospin au pied levé quand Josselin Houenou ou moi-même ne pouvions pas.
Merci à Emmanuelle Abadie pour avoir choyé nos patients et permis que les prises de sang puissent se faire.
Merci aux secrétaires Catherine Issaly et Marie-José Pereira pour avoir permis de mettre de l'huile dans les rouages sur Chenevier.
Je souhaite aussi remercier Gaël Varoquaux pour son aide dans le domaine des statistiques, pour les analyses en composantes indépendantes et la chance d'avoir pu voir un cerveau de mathématicien normalien en roue libre en direct.
Merci aux infirmières et manipulatrices radio de Neurospin sans qui nous n'aurions pu faire passer les IRM.
Ma gratitude va aux patients et témoins qui participent aux protocoles, souvent de manière désintéressée, afin de faire avancer les connaissances scientifiques.
Je tiens aussi à remercier le Professeur Michèle Wessa et son équipe en Allemagne, sans qui notre double méta-analyse n’aurait pu voir le jour, avec cette chance d’avoir pu travailler avec le même logiciel sur des populations comparables, et ainsi compléter notre travail structurel par leur travail fonctionnel et ainsi avoir une vision plus globale dans l’appréhension du trouble bipolaire.
Je remercie aussi mes parents et mes soeurs de m’avoir soutenu tout du long de ces années.
Je remercie évidemment Pauline pour sa patience et son écoute quand tant de choses semblaient impossibles au départ, pour son amour et les projets encore à réaliser.
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Table des matières
Abréviations……………………………………………………………………………………………………………………6
Biomarqueurs du trouble bipolaire………………………………………………………………………7
Introduction………………………………………………………………………………………………………7
Modèles neurobiologiques du traitement des émotions chez le sujet sain………………………………………………………………………………………………………………………13
Neuroimagerie : techniques et applications au trouble bipolaire…………26
Neuroimagerie structurelle…………………………………………………………………26
IRM avec étude de régions d’intérêt …………………………………………27
IRM avec VBM…………………………………………………………………………………29
Autres techniques d’analyse IRM T1 ou T2………………………………32
IRM par tenseur de diffusion……………………………………………………36
Neuroimagerie fonctionnelle………………………………………………………………43
TEP et TEMP…………………………………………………………………………………43
IRMf « classique »………………………………………………………………………45
IRMf de repos………………………………………………………………………………47
Modèles neurobiologiques du traitement des émotions dans le trouble bipolaire ………………………………………………………………………………………………………8
Méta-analyses des études en IRM dans le trouble bipolaire……………………52
Introduction………………………………………………………………………………………………52
Méthodes……………………………………………………………………………………………………58
Sources d’information………………………………………………………………………58
Sélection des études…………………………………………………………………………58
Extraction des données et analyses statistiques………………………66
Résultats………………………………………………………………………………………………………69
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Discussion……………………………………………………………………………………………………77
Conclusion ……………………………………………………………………………………………………8
Étude des réseaux fonctionnels de repos comme biomarqueur du trouble bipolaire………………………………………………………………………………………………………………89
Introduction……………………………………………………………………………………………….89
Matériel et méthodes………………………………………………………………………………4
Population d’étude………………………………………………………………………………4
Acquisition des images………………………………………………………………………4
Prétraitement des données……………………………………………………………5
Analyse en composantes indépendantes………………………………………7
Analyses statistiques………………………………………………………………………7
Travail effectué dans cette étude………………………………………………8
Résultats…………………………………………………………………………………………………99
Population d’étude…………………………………………………………………………9
Analyse en composantes indépendantes …………………………………9
Segmentation des ROI du DMN…………………………………………………01
Corrélation de l’activité entre ROI……………………………………………03
Discussion………………………………………………………………………………………………104
Conclusion………………………………………………………………………………………………113
Conclusion de la thèse…………………………………………………………………………………114
Bibliographie…………………………………………………………………………………………………116
Annexe : article de méta-analyse en anglais………………………………………………137
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Abréviations
ADC: apparent diffusion coefficient (coefficient de diffusion apparent)
BOLD: Blood oxygen level dependant
COF: cortex orbitofrontal
CPFDL: cortex préfrontal dorsolatéral
CPFDM : cortex préfrontal dorsomédial
CPFVL : cortex préfrontal ventrolatéral
CPFVM: cortex préfrontal ventromédial
DSM IV TR: Diagnostic and statistical manual of mental disorder, fourth edition text revision
DTI: Diffusion Tensor Imaging (imagerie par tenseur de diffusion)
FA: Fractional Anisotropy (anisotropie fractionelle)
GCA: gyrus cingulaire antérieur
HARS: Hamilton anxiety rating scale
IRM: imagerie par résonance magnétique
IRMf: IRM fonctionnelle
LCR: liquide céphalorachidien
MADRS: Montgomery and Asberg Depression Rating Scale
MNI: Montreal Neurological Institute
TBSS: Tract Based Spatial Statistics
TDM: tomodensitométrie
TEMP: tomographie par émission monophotonique
TEP: tomographie par émission de positons
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Biomarqueurs du trouble bipolaire
Introduction
Le trouble bipolaire est un problème de santé publique de par sa fréquence, sa gravité, ses comorbidités, et ses conséquences psychosociales (Hilty et al., 2006). Ainsi, selon les études, on retrouve une prévalence vie entière entre 1,5 et 6% lorsque l’on évoque le spectre du trouble bipolaire, avec 3,9% aux USA dans une étude de la National Comorbidity Survey (Kessler et al., 2005). Pour le trouble bipolaire de type I, il est retrouvé une prévalence de 1% (Belmaker, 2004). Des données plus récentes de l’OMS sur 61 392 adultes dans 11 pays en Amérique, Europe et en Asie, faisant passer la CIDI 3.0 (Composite International Diagnostic Interview) générant des diagnostics DSMIV, font état d’une prévalence vie entière de 0.4% pour le trouble bipolaire de type I, 0.6% pour le type II, 1.4% pour le trouble bipolaire infraliminaire et 2.4% pour le spectre bipolaire. La prévalence sur douze mois est de 0.4% pour le trouble bipolaire de type I, 0.3% pour le type II, 0.8% pour le trouble bipolaire infraliminaire et 1.5% pour le spectre bipolaire (Merikangas et al., 2011).
Cette dernière étude retrouve aussi que les trois quarts des patients souffrant de spectre bipolaire ont au moins une comorbidité avec une plus grande fréquence de troubles anxieux, notamment des attaques de paniques (Goes et al., 2011). Moins de la moitié des sujets atteints de spectre bipolaire avaient reçu un traitement de santé mentale, en particulier dans les pays plus pauvres, où seuls 25,2% rapportaient avoir eu un contact avec le système de santé mentale (Merikangas et al., 2011). Cette étude confirme aussi la morbidité du trouble bipolaire avec une personne sur quatre ayant fait au moins une tentative de suicide parmi les sujets souffrant de trouble bipolaire de type I, une sur cinq parmi ceux de type II et une sur dix parmi les patients bipolaires infraliminaires dans les douze derniers mois.
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Le trouble bipolaire est de diagnostic uniquement clinique à ce jour et consiste en une alternance de phases de dépressions et d’élévations de l’humeur (hypomanies dans le trouble bipolaire de type II, manies dans le trouble bipolaire de type I), pouvant ou non être séparées par des phases d’euthymie.
Les dépressions sont caractérisées par le DSMIV comme au moins 5 symptômes parmi neuf pendant au moins deux semaines avec une rupture par rapport à un état antérieur avec au moins l’un des critères 1 ou 2. Ces symptômes sont : 1/une humeur dépressive ; 2/une anhédonie ; 3/ une modification de poids ou d’appétit ; 4/un trouble du sommeil ; 5/une agitation ou un ralentissement psychomoteur ; 6/une asthénie ; 7/un sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ; 8/des troubles de concentration ; 9/des idées suicidaires (American psychiatric association, 1996).
Les épisodes maniaques sont caractérisés par une période d’au moins une semaine d’une humeur élevée de façon anormale et persistante, avec au moins 3 des symptômes suivants : 1/mégalomanie ; 2/réduction du besoin de sommeil ; 3/ communicabilité excessive ou logorrhée ; 4/fuite des idées ou tachypsychie ; 5/distractibilité ; 4/augmentation de l’activité orientée vers un but ou agitation psychomotrice ; 7/engagement excessif dans des activités agréables à potentiel élevé de conséquences dommageables (American psychiatric association, 1996).
Les épisodes mixtes réunissent des critères d’épisode maniaque et d’épisode dépressif. Les épisodes hypomaniaques correspondent aux symptômes de manie pendant au moins quatre jours, d’intensité plus modérée mais suffisamment manifeste pour l’entourage. La définition de l’hypomanie reste débattue et certains considèrent notamment qu’il faudrait étendre les critères diagnostiques, raccourcissant la durée d’observation des symptômes (Angst et al., 2003).
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Les périodes dites d’euthymie (humeur normale) sont maintenant appréhendées de manière plus précise et l’on constate qu’en intercritique, les patients sont encore souvent subsyndromiques et/ou souffrent des comorbidités associées au trouble bipolaire (en particulier les addictions et les troubles anxieux), qui altèrent le fonctionnement des sujets atteints de ce trouble.
Des cycles rapides (non décrits dans le DSM-IV) se retrouvent fréquemment dans l’évolution du trouble bipolaire, avec accélération progressive de l’alternance entre les phases, raccourcissant la durée des périodes euthymiques.
Du fait de la variabilité des symptômes au cours de la vie d’un patient, il est souvent difficile de faire un diagnostic précis de manière précoce, et le retard diagnostique est relativement la règle, avec une moyenne de 7,8 ans entre le premier épisode et le diagnostic posé dans une étude finnoise ayant recruté 1630 patients psychiatriques non schizophrènes (Mantere et al., 2004). Cette étude met aussi en valeur que 26 et 28% respectivement des patients bipolaires de type I et de type II n’ont jamais été hospitalisés avant ce diagnostic, malgré l’altération importante du fonctionnement. De plus, une période de phase prodromale est souvent décrite, pendant laquelle des symptômes a minima, n’ayant pas encore les caractéristiques de premier épisode et concerne les populations aussi bien pédiatriques qu’adultes, et dure 1,8 à 7,3 ans selon les études (Skjelstad et al., 2010). Une proportion de 32,5% des patients diagnostiqués bipolaires de cette étude présente des cycles rapides et 16,2% présente des symptômes psychotiques.
Ces difficultés diagnostiques sont en partie liées aux diagnostics différentiels. Ainsi, devant tout premier épisode thymique, il convient d’effectuer un bilan somatique comprenant une biologie standard, des sérologies virales (VIH, VHB, VHC), un dépistage de dysthyroïdie (TSHus), un
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électroencéphalogramme (EEG) et une imagerie cérébrale (de préférence une imagerie par résonnance magnétique ou IRM), afin d’éliminer d’éventuelles pathologies médicales à présentation psychiatrique. (ALD n°23, liste des actes et prestations sur les troubles bipolaires, actualisation novembre 2010)
De plus une première prise en charge pour épisode dépressif nécessite d’apprécier les antécédents pour argumenter en faveur d’une dépression uni ou bipolaire, sachant que quelques caractéristiques cliniques (antécédents familiaux de trouble bipolaire, récurrences de dépressions, âge de début précoce, hypersomnie, hyperphagie, anxiété retrouvées sur les échelles MADRS et HARS peuvent faire pencher la balance vers une suspicion de dépression bipolaire, tandis que d’autres items de la MADRS et l’HARS (tristesse de l’humeur, insomnie, somatisations musculaires, respiratoire, génito-urinaires, comportements dépressifs et troubles cognitifs) sont plus en faveur d’une dépression unipolaire (Perlis et al.). De même, un premier épisode délirant avec agitation psychomotrice (bouffée délirante aigue) pourra rentrer dans un contexte de trouble bipolaire, mais aussi être un épisode unique ou un épisode initiateur de schizophrénie. Une élévation importante de l’humeur, un délire mégalomaniaque, une dissociation modérée ou absente, nous inciteront à penser à un épisode maniaque mais la certitude ne peut résider aujourd’hui que dans l’évolution du trouble, par une entière récupération sur le plan du délire, pour attester du diagnostic de trouble bipolaire.
Dans ce contexte, la découverte de biomarqueurs fiables, permettant un diagnostic précoce et des thérapeutiques adaptées dès le début de la prise en charge, semble une priorité de recherche dans le trouble bipolaire.
Un biomarqueur peut être défini comme « une caractéristique objectivement mesurée et évaluée comme indicatrice de processus biologique normal, processus pathologique ou de réponse pharmacologique au traitement » (Atkinson et al.,
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2001). Les biomarqueurs peuvent être différenciés en des marqueurs « traits » et des marqueurs « état ». Dans le cadre du trouble bipolaire, un biomarqueur trait consiste en un marqueur de la maladie présent indépendamment de la phase thymique du sujet, qu’il soit en manie, dépression ou euthymie. Un marqueur état, quant à lui, aurait vocation à caractériser un type d’épisode thymique.
L’élaboration de biomarqueurs nécessite une première étape exploratoire dite « de groupe » ou un groupe de malades est comparé à un groupe de sujets sains, permettant une distinction entre ces deux types de populations. Pour que ce type de marqueur soit valide, les études doivent d’abord être répliquées sur des populations indépendantes avant de pouvoir ensuite évaluer sa validité sur le plan individuel, à visée d’évaluation de risque, de diagnostic, de pronostic, de probabilité de réponse à un traitement. Un biomarqueur sensible permettra alors de faire un diagnostic de dépistage en population tandis qu’un biomarqueur spécifique permettra de poser le diagnostic (Ritsner and Gottesman, 2009).
A l’heure actuelle, la recherche en psychiatrie ne dispose pas de biomarqueurs individuels et les potentiels biomarqueurs de groupe commencent à peine à émerger, dans le domaine de la génétique, de l’immunologie et de l’imagerie cérébrale. Celle-ci semble être un des biomarqueurs les plus prometteurs, les études se multipliant dans le domaine avec de plus en plus de résultats préfigurant des biomarqueurs de groupe (Singh and Rose, 2009).
Il s’agit d’un vaste domaine de recherche dont nous présenterons un échantillon dans ce travail de thèse, avec une première partie examinant les modèles neurobiologiques du traitement des émotions chez le sujet sain, les principales techniques d’imagerie cérébrale actuellement utilisées ainsi que les modèles neurobiologiques du trouble bipolaire ; une deuxième partie reprenant un travail réalisé préalablement à mon master 2 de recherche avec deux méta-analyses en IRM du trouble bipolaire, l’une structurale que j’ai réalisée et l’autre
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fonctionnelle ; une troisième partie reprenant mon travail de master 2 avec l’étude des réseaux fonctionnels de repos en IRM fonctionnelle comme biomarqueur potentiel du trouble bipolaire.
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Modèles neurobiologiques du traitement des émotions chez le sujet sain
Les premiers travaux étudiant les fonctions affectives sur le plan neurobiologique ont été effectués par Walter Cannon et Philipp Bard dans les années 20, montrant l'influence de l'hypothalamus sur les comportements de peur et d'agressivité chez l'animal.
Par la suite, des réseaux cérébraux sous-corticaux ou corticaux médiaux (Broca, Papez) impliqués dans l'expression émotionnelle ont été découverts. Les travaux de Panksepp (Panksepp, 2004) sur les circuits fonctionnels émotionnels ont conduit ensuite aux bases de certains modèles actuels selon lesquels les émotions dépendraient de modulateurs neuronaux spécifiques communs aux mammifères.
Cependant d'autres données plus récentes suggèrent plutôt que la plupart des régions impliquées dans les processus émotionnels participent à plusieurs catégories d'émotions (voir figure 1).
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Figure 1.
Principales structures cérébrales impliquées dans les processus affectifs (en rouge). Chacune de ces régions contribue par des aspects distincts à l’évaluation affective des signaux sensoriels ainsi qu’à la régulation émotionnelle. L’amygdale (AMG) reçoit des projections des aires corticales sensorielles (visuelles, auditives, etc.) de haut niveau et projette à son tour sur l’ensemble du lobe temporal et occipital (en bleu).
Ces projections contribuent à favoriser l’interaction entre les processus affectifs et perceptifs. COF : cortex orbitofrontal, CPFVM : cortex préfrontal ventromédial (non visible), INSa : insula antérieure, CCA : cortex cingulaire antérieur, PT : pôle temporal, STS : sulcus temporal supérieur, GF : gyrus fusiforme (non visible), V1 : aire visuelle V1. (tiré de Pichon et al., 2011)
Les approches expérimentales actuelles étudient le plus souvent la perception d'informations émotionnelles par l'intermédiaire de stimuli visuels (expressions faciales ou corporelles, scènes, films...) ou auditifs (voix, musique, sons). Dans d'autres cas, le chercheurs mettent en place des protocoles de conditionnement ou de renforcement comme ce qui peut être employé chez les animaux, avec manipulations de différents facteurs expérimentaux pour définir le type de traitement ou d'information. De ce fait, on peut changer le type de tâche (traitement implicite ou explicite), d'attention (focalisée ou détournée), le degré de traitement (conscient ou subliminal) ou le contenu émotionnel du stimulus (expression faciale ou corporelle, faible ou intense) (Vuilleumier et al.,
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Groupe Limbique Central
Groupe CPF Médial
Groupe Paralimbique Latéral
Groupe Cognitif
/Moteur
Groupe Postérieur Médial
Groupe Occipito-Temporal Latéral/Cortex Associatif Visuel
2005). D'autres études visitent l'expérience des émotions en corrélant l'activité cérébrale à des évaluations subjectives ou des tâches de régulation demandant l'amplification, l'inhibition ou la transformation de sentiments. Une dernière approche prend pour principe de corréler des caractéristiques individuelles (personnalité, traits génétiques, administration de psychotropes) avec les composantes émotionnelles précédemment citées (Pichon and Vuilleumier, 2011).
Une méta-analyse des études d'imagerie fonctionnelle étudiant les réseaux activés en réponse à des stimuli émotionnels a individualisé 21 zones regroupées en 6 clusters (cf. figure 2) après des études de connectivité, constituant des réseaux émotionnels solides (Kober et al., 2008).
Figure 2.
(A-F) les 6 groupes fonctionnels objectivés par analyse multivariée. Les régions de chaque groupe sont dans 1 couleur unique. (G) carte de connectivité directe de chaque région en 2 dimensions, les couleurs correspondant à celles des images A-F (Adapté de Kober et al 2008).
Ainsi, ils distinguent :
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un groupe occipito-temporal latéral/Cortex associatif visuel (figure 2A), comprenant des régions des cortex occipitaux latéraux droit et gauches (V4, V8) et le cervelet, étroitement lié à
un groupe postérieur médial (figure 2B) incluant le cortex visuel primaire (V1) et le cortex cingulaire postérieur, ayant pour rôle avec le groupe précédent le traitement de l'information visuelle et l'attention aux stimuli émotionnels
un groupe cognitif/moteur (figure 2C) incluant l'opercule frontal droit, les gyri frontaux inférieurs bilatéraux et l'aire motrice pré-supplémentaire/gyrus frontal moyen supérieur gauche, non spécifique aux émotions, impliqué dans l'attention aux stimuli pertinents par rapport au but, le contrôle cognitif et la régulation volontaire des émotions
un groupe paralimbique latéral (figure 2D) incluant le striatum ventral, l'insula ventrale et dorsale/cortex orbitofrontal (dont le gyrus orbital postérieur) et le pôle temporal, jouant un rôle important dans la motivation; l'orbitofrontal permet entre autre l'évaluation des stimuli et des récompenses; l'insula permet le rappel de l'émotion; l'hippocampe est impliqué dans la mémoire émotionnelle
un groupe cortical préfrontal médial (figure 2E) incluant la partie rostrale, dorsale et la sous-section prégénuale du cortex cingulaire antérieur ainsi que le cortex préfrontal dorsomédial, qui permettrait la génération, la régulation des émotions, mais aussi l'attribution d'états mentaux à d'autres personnes; Les parties dorsales sont associées à la capacité à contrôler, re-représenter ou re-décrire des entrées affectives, comme dans la génération cognitive des émotions et la régulation émotionnelle. Ce groupe est directement relié avec les groupes limbiques central et paralimbique latéral. Il est l'interface entre le noyau de l'affect et le contexte cognitif.
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un groupe limbique central (figure 2F) comprenant l'amygdale, l'hippocampe gauche, et le thalamus s'étendant à la substance grise périaqueducale, des aires additionnelles du striatum ventral et l'hypothalamus latéral. La substance grise périaqueducale participerait à la régulation des réponses du système nerveux autonome; le striatum serait impliqué dans les processus de récompense et l'amygdale aurait un rôle majeur, avec génération ou expérience de l'émotion et rôle général dans la signification émotionnelle, la mémoire émotionnelle ou pourrait marquer les stimuli à valeur prédictive inconnue pour augmenter l'attention.
Sur le plan temporel, il est important de distinguer trois étapes dans les processus émotionnels:
la détection, identification ou perception de l'émotion
la réponse ou réaction ou expression émotionnelle
la régulation émotionnelle
La perception de l'information émotionnelle, se fait de prime abord par une détection rapide et automatique, et plus intense que la perception d’évènements émotionnellement neutres, introduisant la notion d'amplification perceptive ou gain perceptif par l'émotion (Vuilleumier et al., 2001; Pessoa et al., 2002). Celle-ci n'est pas exclusive au cortex visuel primaire, car on la retrouve aussi au niveau des régions occipitales médiales, temporales et latérales. La localisation de ce gain perceptif est spécifique de la catégorie sémantique du stimulus. Ainsi, lors de la présentation de visages émotionnels l'évaluation se fait dans l'aire fusiforme des visages (Halgren et al., 2000); lors de la présentation de corps avec des postures émotionnelles elle se fait dans l'aire fusiforme des corps et s'il s'agit d'une scène complexe, le gain émotionnel se retrouvera dans
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le cortex occipital latéral, ce sans lien avec la valence de l'émotion (positive ou négative).
De nombreux arguments sont en faveur d’un rôle modulateur de l’amygdale dans ce gain perceptif, par l’intermédiaire d’une réquisition des ressources attentionnelles avec corrélation de l’activité de l’amygdale et du cortex visuel extrastrié lors du traitement d’informations émotionnelles (Pessoa et al., 2002). Ainsi, des études lésionnelles ont démontré l’absence d’amplification émotionnelle en l’absence d’amygdale (Vuilleumier et al., 2004).
D’autres éléments sont en faveur d’une activité de l’amygdale en l’absence de conscience perceptive. La présentation cachée d’expressions émotionnelles faciales module l’activité de l’amygdale sans connaissance explicite dans une procédure de présentation de stimuli émotionnels non perçus (subliminaux) puis présentation de stimuli neutres (Whalen et al., 1998).
Le paradigme de vision aveugle après lésions du cortex visuel extrastrié (de Gelder et al., 1999) et celui de présentation des stimuli visuels en rivalité binoculaire (Pasley et al., 2004), montrent tous deux une activation de l’amygdale de manière plus importante pour les stimuli émotionnels non perçus et non dans la voie corticale temporale inférieure argumentant pour une voie émotionnelle sous corticale. Celle-ci avait déjà été évoquée chez le rat avec une voie auditive responsable d’une activation amygdalienne sans activation corticale après un apprentissage social de la peur lié au son (LeDoux et al., 1990).
Un questionnement sur une voix visuelle analogue en a découlé avec meilleure activation amygdalienne lors de stimuli de visages basses fréquence laissant plus intact l’expression émotionnelle et associée à une activation du pulvinar et du colliculus supérieur, en comparaison aux stimuli haute fréquence stimulant plus le gyrus fusiforme responsable de la reconnaissance des visages (Vuilleumier et al., 2003).
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Un modèle de vagues multiples d’activation pour les flux de signaux visuels (voir figure 3) est maintenant proposé (Pessoa and Adolphs, 2010), avec :
1. Des vagues initiales d’activation comme par exemple celle entre le cortex visuel et le cortex préfrontal ventrolatéral sont moins sensibles aux manipulations de l’attention et de la conscience, et convoieraient une information relativement grossière du système magnocellulaire (Barrett and Bar, 2009).
2. les modèles computationnels qui supposent que le système visuel a une structure hiérarchique pure ne parviennent pas à expliquer les latences issues des données réelles (Capalbo et al., 2008).
Ces données sont en faveur de l’existence de connections bypass, de multiples routes parallèles pour l’information visuelle (voir figure 3), qui permettent à des régions de traitement de haut niveau de répondre à des latences étonnamment courtes (Bullier and Nowak, 1995). Chaque stade de traitement supplémentaire ajoute environ 10 ms de latence. Le traitement initial de l’info visuelle a lieu simultanément le long de voies parallèles, créant des vagues multiples d’activation le long du cortex visuel et plus tard (Rudrauf et al., 2008).
Ainsi le traitement précoce des stimuli visuels affectifs et motivants peut engager de multiples sites cérébraux, incluant l’amygdale, le cortex orbitofrontal, l’insula, le cortex cingulaire antérieur ; des structures qui peuvent diriger le traitement des informations vers ces stimuli pertinents. Un tel modèle montre qu’un traitement rapide de l’information émotionnelle est possible sans une voie sous corticale spécialisée.
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L'expression émotionnelle est caractérisée par trois composantes (Dolan, 2002):
On retrouve d'abord les composantes physiologiques par l'intermédiaire de l'activation du système nerveux autonome avec signature physiologique pour chaque émotion. Ainsi, lors d'une émotion comme la colère, il y a élévation de la fréquence cardiaque avec augmentation de la température corporelle, tandis que lors d'une émotion comme la peur, il y a certes élévation de la fréquence cardiaque, mais au contraire diminution de la température corporelle (Damasio et al., 2000).
Figure 3. Voies visuelles.
A : flux traditionnel du traitement des informations visuelles passant par la voie LGN-V1-V2-V4-TEO-TE, associée selon l’hypothèse standard à la voie sous corticale impliquant le colliculus supérieur et le noyau pulvinar du thalamus. B : Flux alternatifs des signaux visuels, avec chemins alternatifs, raccourcis. FEF : frontal eye field ; LGN : lateral geniculate nucleus ; MT medial temporal area ; OFC orbitofrontal cortex ; VLPFC ventrolateral prefrontal cortex ; TE inferior temporal area (Tiré de Pessoa et Adolphs, 2010). 21
La composante comportementale, quant à elle, va regrouper des éléments généraux comme la posture, les actions entreprises (posture de menace ou de soumission, d'approche, d'évitement par exemple), mais aussi des éléments plus fins comme les expressions faciales, par ailleurs très étudiées dans les recherches en neurosciences sur les émotions.
La composante cognitive qui correspond au ressenti, à l'expérience subjective de l'émotion. Il s'agit d'inférences faites à partir des composantes physiologiques, expressives et comportementales.
La régulation des émotions est un phénomène complexe théorisé en régulation automatique et régulation volontaire (Phillips et al., 2008).
Le contrôle comportemental automatique inclut l’extinction de comportements préalablement acquis et l’inhibition de la réponse au stress, impliquant les cortex orbitofrontaux et cingulaires antérieurs subgénuaux bilatéraux dont le rôle est a priori lié à la saillance de l’encodage émotionnel de par l’étroite relation avec l’amygdale (Gottfried and Dolan, 2004; Mayberg et al., 2005).
Le contrôle attentionnel automatique est étudié à l’aide de paradigmes qui dirigent implicitement l’attention vers un matériel émotionnel ou l’en éloigne. Le cortex orbitofrontal gauche est ainsi impliqué dans le désengagement automatique de l’attention d’un stimulus émotionnel (Pourtois et al., 2006). De même les performances au Stroop émotionnel sont associées à une activité du gyrus cingulaire antérieur rostral gauche ainsi qu’un réseau plus vaste composé du cortex préfrontal dorsolatéral, du cortex orbitofrontal bilatéral et du cortex préfrontal médiodorsal (Blair et al., 2007). Un autre paradigme implique la redirection de l’attention à distance d’une expression faciale en utilisant des indices spatiaux présentés concomitamment à des taches de performance.
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Beaucoup d’études se basent sur ce paradigme et retrouvent des activations du gyrus cingulaire antérieur, des modifications de l’activité de l’amygdale (contradictoires selon les études), mais suggérant pour certaines la présence d’une voie sous-corticale corrélée positivement jusqu’à l’amygdale, active lors de stimuli émotionnels couverts (inconscients), tandis qu’ils seraient conscients et associés négativement avec les réseaux corticaux et sous-corticaux à l’amygdale (Williams et al., 2006). Toutes ces données laissent à penser que le traitement de stimuli émotionnels saillants pourraient requérir un niveau de direction de l’attention automatique ou couvert, associé à une activation de l’amygdale tandis qu’une redirection de l’attention éloignée de stimuli émotionnels serait plus dépendante du gyrus cingulaire antérieur rostral.
Le changement cognitif automatique comprend l’évaluation, la réévaluation et la surveillance des comportements et des règles d’apprentissage arrivant sans conscience subjective et seraient médiées par un système septo-hippocampique incluant le gyrus parahippocampique, le gyrus cingulaire antérieur dorsal, le cortex orbitofrontal bilatéral et le cortex préfrontal médiodorsal (Milad et al., 2007).
Les sous-processus de régulation volontaire comportent le contrôle comportemental volontaire (ou suppression), le contrôle attentionnel volontaire et le changement cognitif volontaire (ou réévaluation), tandis que les sous-processus de régulation automatique se divisent en contrôle comportemental cognitif, contrôle attentionnel automatique et changement cognitif automatique.
Le contrôle comportemental volontaire est testé par des paradigmes de suppression émotionnelle et retrouvent le cortex préfrontal dorsolatéral et le cortex préfrontal ventrolatéral comme régions impliquées (Beauregard et al., 2001; Goldin et al., 2008).
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Le contrôle attentionnel volontaire inclut l’attention sélective par direction ou redirection de l’attention à travers des stimuli dirigés vers un but et l’inhibition à l’encontre de stimuli distractifs, avec notamment les paradigmes de Go/no Go affectifs en IRMf, impliquant le cortex préfrontal dorsolatéral, le gyrus cingulaire antérieur dorsal droit et le cortex pariétal droit, probablement modulées par les régions limbiques par l’intermédiaire du cortex orbitofrontal (Goldstein et al., 2007).
Le changement cognitif volontaire ou réévaluation des stimuli émotionnels pour réduire les affects négatifs est associé à une activité d’un réseau de régions préfrontales incluant les cortex préfrontal dorsolatéral, médiodorsal et le gyrus cingulaire antérieur dorsal bilatéraux (Ochsner and Gross, 2005).
Au total, les études de neuroimagerie chez l’homme indiquent le rôle de quelques régions corticales préfrontales impliquées dans la régulation volontaire des émotions, notamment les régions dorsales (cortex préfrontal dorsolatéral, médiodorsal, gyrus cingulaire antérieur dorsal). Le cortex préfrontal dorsolatéral est notamment lié au changement cognitif volontaire qu’est la réévaluation. Cette activité pourrait être médiée par les régions préfrontales ventromédiales comme le cortex orbitofrontal ayant des projections vers les régions sous-corticales qui sous-tendent plus l’identification des émotions et leur traitement initial.
Sur un autre versant, les études lésionnelles chez l’homme et les études chez l’animal ainsi que les études en neuroimagerie chez l’homme mettent en lumière le gyrus cingulaire antérieur subgénual, le cortex orbitofrontal, le gyrus cingulaire antérieur rostral gauche et le cortex préfrontal dorsomédial bilatéral, le gyrus cingulaire antérieur dorsal médian et font contribuer à l’hippocampe et au
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parahippocampe des rôles dans les processus de régulation émotionnelle automatique (voir figure 4).
Ainsi, on pourrait définir un système cortical préfrontal latéral (dorso et ventrolatéral) néocortical impliqué dans la régulation volontaire des émotions tandis qu’un système cortical préfrontal médial et plus ventral (cortex orbitofrontal, gyrus cingulaire antérieur subgénual, rostral et cortex préfrontal médiodorsal) impliqué dans la régulation automatique des émotions, tous deux activés lors de la régulations des émotions initialement générées ou perçues dans l’amygdale, le striatum ventral et le thalamus (Phillips et al., 2008).
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Amygdale
GCA dorsal
Thalamus
CPFDL
CPFVL
CPFDM
Striatum ventral
Hipp/parahip p
GCA rostral
Thalamus
Striatum ventral
CPFDL
GCA dorsal
GCA rostral
COF GCA subgénual
Amygdale
Hipp/parahip p
COF GCA subgénual
CPFDM
CPFVL
Figure 4.
Modèle neural de régulation des émotions illustrant les systèmes neuraux impliqués dans les sous processus volontaires et automatiques de la régulation émotionnelle (a) voie antérograde : système cortical médial incluant COF, GCA subgénual et rostral, hippocampe et prahippocampe et CPFMD. (b) voie rétrograde : système cortical latéral préfrontal, incluant le CPFDL et CPFVl. Les zones marquées en orange sont chargées de la génération des émotions. Les régions en rouge réalisent un contrôle automatique des émotions, celles en bleu effectuent un contrôle volontaire alors que celles en violet peuvent contribuer au contrôle automatique ou volontaire des émotions. La flèche orange symbolise la génération des émotions alors que les flèches bleues représentent le contrôle de celles-ci. CPFDL cortex préfrontal dorsolatéral ; CPFMD cortex préfrontal dorsomédial ; GCA gyrus cingulaire antérieur ; CPFVL cortex préfrontal ventrolatéral ; COF cortex orbitofrontal ; hipp/parahip région hippocampale et parahippocampique. (Adapté de Phillips et al 2008) 26
Neuroimagerie : techniques et applications au trouble bipolaire
Neuroimagerie structurelle
La première technique d’imagerie structurelle est la tomodensitométrie (TDM) ou scanner. Il permet un bon contraste entre os, liquide céphalorachidien et cerveau, a peu de contre-indications, est rapide et a un faible coût, avantages faisant qu’il est très utilisé en pratique clinique. Cependant, il est irradiant (rayons X) et possède une résolution et un contraste substance blanche/substance grise insuffisants en comparaison avec les performances de l’IRM. La TDM n’est pas actuellement utilisée pour recherches des biomarqueurs du trouble bipolaire. Nous n’en parlerons donc pas dans ce travail.
L’IRM permet quant à elle, grâce à ses nombreuses séquences, l’étude de différentes caractéristiques du tissu cérébral. Sa résolution est de l’ordre du mm (pour l’IRM anatomique) et elle possède un excellent contraste substance grise /substance blanche. Elle ne provoque pas d’irradiation, permettant de répéter facilement les examens (très utile pour le suivi longitudinal). Ses seules contre-indications sont la présence d’objet métallique dans le corps et la claustrophobie. On différenciera les séquences anatomiques classiques T1 (étude millimétrique précise de la morphologie cérébrale) et les autres techniques structurales (surfaces corticales, l’étude des hyperintensités de substance blanche en signal T2), l’imagerie par tenseur de diffusion (DTI), techniques que nous allons détailler dans cette partie.
De façon générale, on ne retrouve dans le trouble bipolaire pas de différences significatives de volume total de cerveau, ni volume total de substance grise ou de substance blanche. Cependant, il est retrouvé un élargissement des ventricules latéraux (Kempton et al., 2008). De même, cet
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élargissement ventriculaire semble corréler avec le nombre d’épisodes thymiques, occasionnant par conséquent chez les patients ayant eu de multiples épisodes aussi une diminution du volume intracérébral total (Strakowski, 2002).
Etudes en régions d’intérêt (ROI)
Le principe de cette technique est de segmenter des régions d’intérêt afin de mesurer leur volume. Dans le cadre du trouble bipolaire, les régions décrites précédemment comme impliquées dans le traitement émotionnel ont été particulièrement étudiées. Ces régions ont été retrouvées comme significativement différentes chez les patients bipolaires comparativement à des témoins, notamment le cortex préfrontal retrouvé plus petit dans plusieurs études (notamment Drevets et al., 1997), les structures temporales médiales, en particulier l’amygdale (notamment Altshuler et al., 2000 cf figure 5).
Le striatum (Aylward et al., 1994), l’hippocampe (Drevets et al., 1997), et le thalamus (Caetano et al., 2001), aussi étudiés par cette technique, n’ont quant à eux pas été généralement retrouvés différents dans des études qui auraient été répliquées.
Une méta-analyse sur 98 études structurelles, conclut que le trouble bipolaire est associé à un élargissement des ventricules latéraux, une augmentation des hyperintensités de substance blanche profonde mais pas des hyperintensités périventriculaires. L’augmentation de substance grise parmi les patients augmente lorsque la proportion de patients sous lithium augmente. De plus, les auteurs mettent en évidence que ces études inclues ont 34% de risques d’erreurs de type I, avec aussi une proportion d’erreurs de type II non négligeables (Kempton et al., 2008).
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Figure 5.
Exemples de dessin de ROI. (A) lobe temporal. (B) Hippocampe. (C) Amygdale (adapté de Altshuler et al., 2000). 29
Une autre méta-analyse étudiant les anomalies structurelles des patients bipolaires, en les comparant avec celles retrouvées dans la schizophrénie, met en évidence une réduction de volume cérébral total et du lobe préfrontal, ainsi qu’une augmentation du volume du globus pallidus et des ventricules latéraux. Comparativement à la schizophrénie, le volume des ventricules latéraux est plus petit et celui de l’amygdale plus important, chez les patients adultes (Arnone et al., 2009).
Etudes en Voxel Based Morphometry (VBM)
Les études en VBM (pour voxel based morphometry ou morphométrie basée sur les voxels en français) vont être beaucoup plus détaillées dans ce travail de thèse, en particulier dans la méta-analyse présentée partie 2 de cette thèse.
L’avantage de cette technique par rapport aux études en régions d’intérêt est de pouvoir étudier la concentration ou densité de substance grise et de substance blanche sur le cerveau entier, détectant ainsi des modifications de densité ou de volume de tissu permettant de faire des comparaison entre différents groupes de sujets.
Elle consiste à comparer voxel à voxel la concentration locale de substance grise ou blanche entre deux groupes de sujets, avec des images de hautes résolutions normalisées spatialement dans un espace stéréotaxique. Ensuite, la substance grise est segmentée dans les images normalisées puis elles sont lissées afin de pouvoir faire des tests statistiques selon la théorie des champs Gaussiens aléatoires (Good et al., 2001).
Globalement, dans une méta-analyse sélectionnant des études VBM de patients schizophrènes et bipolaires, il est retrouvé dans le trouble bipolaire une
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réduction de substance grise dans le cingulaire antérieur et l’insula bilatérale. La diminution de substance grise dans la schizophrénie est plus vaste et se retrouve dans les cortex frontaux, temporaux, cingulaires, insulaire et le thalamus avec une augmentation de substance grise dans les ganglions de la base (Ellison-Wright and Bullmore, 2010 cf figure 6).
Dans une autre méta-analyse de ces études en VBM, les diminutions de substance grise dans le cortex cingulaire antérieur rostral gauche et le cortex fronto-insulaire droit sont associées au trouble bipolaire, les secondes n’étant pas évidentes dans les phases précoces de la maladie. Chez les patients chroniques, une longue durée de la maladie était retrouvée associée à une augmentation de substance grise dans un cluster incluant les ganglions de la base, le cortex cingulaire antérieur subgénual et l’amygdale, expliqué par le fait que les patients chroniques ont eu une plus longue exposition aux thymorégulateurs et aux neuroleptiques, reportés comme augmentant les volumes cérébraux. Le traitement par lithium était associé à un élargissement du volume de substance grise du cortex cingulaire antérieur. Ainsi, les réductions de substance grise dans le trouble bipolaire seraient localisées dans les régions limbiques antérieures, liées aux anomalies du contrôle exécutif et du traitement émotionnel (Bora et al., 2010 cf figure 7).
Enfin, dans notre étude, il est retrouvé de manière significative une diminution de substance grise chez les patients bipolaires comparativement aux témoins dans le gyrus précentral droit, le cortex cingulaire antérieur droit et le gyrus frontal inférieur gauche, en lien avec une diminution d’activation dans notre méta-analyse fonctionnelle (Houenou et al., 2011).
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CCA
FIC
gauche
droite
Figure 6.
Régions de modifications de substance grise chez les sujets bipolaires et schizophrènes. Les régions de diminution de substance grise chez les patients bipolaires comparés aux témoins (jaune), de diminution de substance grise chez les schizophrènes comparés aux témoins (rouge) et de majoration de substance grise chez les schizophrènes comparés aux témoins (rose), sont montrés sur les masque du cerveau (adapté de Ellison Wright et Bullmore 2010).
Figure 7.
Sections coronales, axiales et sagittales des diminutions de substance grise dans le cortex cingulaire antérieur (CCA) (A-C) et cortex fronto-insulaire (CFI) (D-F) dans le trouble bipolaire (adapté de Bora et al., 2010). 32
Autres techniques d’analyse IRM T1 ou T2
Etude des hypersignaux de substance blanche en signal T2
Les études d’imagerie dans le trouble bipolaire retrouvent fréquemment des hypersignaux dans la substance blanche, en particulier dans la substance blanche profonde (voir figure 8). Certaines études de VBM comparent des patients à des sujets témoins et retrouvent des diminutions de substance blanche (Bruno et al., 2004; McDonald et al., 2004; McIntosh et al., 2004; Stanfield et al., 2009).
Les hyperintensités dans la substance blanche vues dans les études d’IRM pondérées en T2 ou FLAIR (Fluid Attenuated Inversion Recovery ; correspondant à un T2 avec atténuation du signal du LCR ) dans le trouble bipolaire comparativement à des témoins seraient d’abord expliquées sur le plan physiopathologique par des modifications telles que des dilatations des espaces périvasculaires, une démyélinisation périvasculaire, une gliose astrocyaire et une artériosclérose, dont les explications seraient des ischémies, oedèmes ou troubles circulatoires du LCR (Lyoo et al., 2006), bien qu’on ne sache pas précisément la correspondance neuropathologique de ces hypersignaux.
Elles seraient corrélées à une gravité des hospitalisations et une moindre réponse au traitement. Elles sont classiquement différenciées en hyperintensités de l’espace périventriculaire ou de la substance blanche profonde (frontale et préfrontale), celles-ci étant retrouvées plus fréquemment dans le trouble bipolaire, suggérant une dysconnection des faisceaux frontaux-corticaux avec les régions sous-corticales (Aylward et al., 1994; Lyoo et al., 2006; Mahon et al., 2010).
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Figure 8.
Diagramme de localisation des hyperintensités de substance blanche à partir d’un diagramme schématique de tous les sujets sur des coupes de Talairach. Chaque sujet est identifié par une lettre de A à W. Les bipolaires correspondent aux lettres M à W. Chaque groupe diagnostique est identifié par une couleur, les sujets contrôles en violet, les bipolaires en vert et les schizophrènes en orange. (Adapté de Pillai et al., 2002)
Cependant, ces anomalies de substance blanche ne sont pas présentes chez tous les sujets bipolaires et l’on retrouve ainsi une proportion plus importante chez les patients bipolaires de type I comparativement à ceux de type II, ainsi qu’une corrélation avec la gravité de la maladie (Pillai et al., 2002; Mahon et al., 2010). De même, ces anomalies dans la substance blanche ne pas spécifiques, car retrouvées aussi chez le sujet âgé normal et dans les pathologies vasculaires telles que les accidents vasculaires cérébraux ou des cardiopathies.
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Analyses basées sur la surface corticale
Une autre technique, analysant la surface corticale en mesurant l’épaisseur corticale sur les données 3-D d’IRM, via le logiciel Freesurfer de manière automatisée sur le cerveau entier, a permis de démontrer que les patients bipolaires avaient un cortex préfrontal plus fin (cortex frontal médial droit, cortex cingulaire gauche, cortex frontal médian gauche) en comparaison avec des sujets sains corroborant des données obtenues en VBM (Lyoo et al., 2006, cf figure 9).
Figure 9.
Hémisphère droit d’une surface cérébrale reconstruite après moyennage des surfaces corticales de sujets normaux (n=21) avec l’application Freesurfer. (A) vue latérale de la surface originale ; (B) vue médiale originale ; (C) vue latérale gonflée ; (D) vue médiale gonflée (vert = gyrus ; rouge = sillon) (adapté de Lyoo et al 2006). 35
Déplacement chimique en partie par million
IRM spectroscopique
La spectroscopie par résonance magnétique utilise le signal IRM pour étudier la répartition des fréquences provoquées par les différences chimiques. Avec des champs magnétiques élevés, il est possible d’obtenir des spectres de haute résolution d’une région définie. La spectroscopie par résonance magnétique mesure ainsi le pic de certains composants à l’aide de l’hydrogène, comme l’inositol, la choline , la créatine, le N-acteyl aspartate (Konarski et al., voir figure 10) ; à l’aide du phosphore, comme le phosphomonoesters, les phosphodiesters, la phosphocreatine. D’autres composants comme le lithium, le fluor, le carbone, le sodium, le magnésium et le potassium sont aussi utilisés.
Figure 10.
Spectre de spectroscopie par résonance magnétique de marqueurs neuronaux. Cho : Choline ; Cr Créatine ; NAA : N-acetyl aspartate (adapté de Konarski et al., 2006).
La majorité des études dans le trouble bipolaire ont utilisé l’hydrogène et le phosphore, montrant des modifications de niveau de choline avec les épisodes thymiques, probablement en lien avec des altérations des phospholipides membranaires interférant avec les fonctions mitochondriales. Le lithium aurait un effet de stabilisation de membrane mitochondriale en inhibant le transport membranaire de la choline (Moore et al., 2000; Strakowski et al., 2005; Dager et al., 2008).
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IRM par tenseur de diffusion (Diffusion Tensor Imaging ou DTI)
L’imagerie par tenseur de diffusion (Le Bihan et al., 2006) est basée sur la propriété qu’ont les molécules d’eau de diffuser de manière aléatoire dans toutes les directions quand elles ne sont pas restreintes, en accord avec un coefficient de diffusion exprimant la magnitude de ces mouvements (mouvement brownien des molécules). Dans un milieu homogène, non restreint, (par exemple le LCR), les molécules d’eau se déplacent de manière équivalente dans toutes les directions de l’espace. On parle dans ce cas de diffusion isotrope.
En IRM, le coefficient de diffusion influence la quantité de signal et il est de ce fait possible en appliquant un large gradient de champ magnétique dans au moins 6 directions différentes, d’utiliser la diffusion comme mécanisme de contraste des images, produisant un certain nombre de paramètres comme le coefficient de diffusion apparent et l’anisotropie fractionnelle.
Le coefficient de diffusion apparent (ADC en anglais) mesure la diffusivité moyenne ou magnitude de la diffusion des molécules d’eau dans les tissus cérébraux (une valeur basse indique que les faisceaux de substance blanche sont organisés, tandis qu’une valeur haute qu’ils sont désorganisés).
L’anisotropie fractionnelle (FA en anglais) pouvant aller de 0 (isotropie) à 1 (anisotropie totale) permet ensuite d’apprécier l’homogénéité et l’importance de l’anisotropie telle qu’attendue en regard des différents faisceaux. La perte de structure due à un processus pathologique entraînera une augmentation de la diffusivité moyenne et une diminution de l’anisotropie fractionnelle.
Dans les tissus cérébraux, la présence de certaines structures cellulaires restreint le mouvement des molécules. Par exemple, les axones sont entourés de gaines de myéline qui sont des lipides hydrophobes. Ces axones empêchent donc
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la diffusion des molécules d’eau perpendiculairement à elles. La diffusion des molécules d’eau sera alors principalement longitudinale aux axones. Le déplacement des molécules est plus rapide dans certaines directions et l’on parle alors de diffusion anisotrope (cf figure 11).
Figure 11.
(A) Diffusion isotropique des molécules d'eau au sein du LCR des ventricules cérébraux. (B) Diffusion anisotropique dans les axones d'un faisceau de substance blanche. (Adapté de Pfefferbaum et al., 2000).
Dans le cadre du trouble bipolaire, trois techniques existent à ce jour permettent d’explorer le cerveau avec la DTI : la technique des régions d’intérêt, les comparaisons sur cerveau entier et la tractographie (Mahon et al., 2010, voir figure 12).
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Figure 13.
Squelette de FA moyenne de 36 contrôles et 33 patients schizophrènes, avec seuillage en trois rang : vert = 0 à 0,2 ; rouge = 0,2 à 0,3 ; bleu = 0,3 à 1. Le tissu sous-jacent est segmenté en substance grise, blanche et LCR des segmentations moyennes antérieures de la population (tiré de Smith 2006).
Figure 12.
Principaux faisceaux de substance blanche. La localisation approximative des principaux faisceaux de substance blanche est représentée par le centre de chaque faisceau (squelette moyen d’anisotropie fractionnelle) [Jones et al., 2006]. Les faisceaux colorés ont été retrouvés altérés dans le trouble bipolaire, bien que non forcément loclisés comme représentés dans cette figure. (A) rouge = corps calleux: Frazier et al., 2007; Yurgelun-Todd et al., 2007; Wang et al., 2008b; Barnea-Goraly et al., 2009; Sussman et al., 2009; (B) magenta = faisceau fronto-occipital: Bruno et al., 2008; Chaddock et al., 2009; Zanetti et al.; (C) jaune = faisceau unciné: Houenou et al., 2007; McIntosh et al., 2008; Versace et al., 2008; Sussmann et al., 2009; Wang et al., 2009; Zanetti et al.; (D) orange = faisceau croisé pontin: Mahon et al., 2009; (E) vert = faisceau cingulaire: Barnea-Goraly et al., 2009; Frazier et al., 2007; Wang et al., 2008a; (F) marron = inferieur: Barnea-Goraly et al., 2009; Bruno et al., 2008; Chaddock et al., 2009; Zanetti et al.; (G) bleu = radiations thalamiques /faisceau corticospinal/corticopontin: Frazier et al., 2007; Mahon et al., 2009; Wessa et al., 2009; Zanetti et al.; (H) cyan = faisceau longitudinal superieur : Chaddock et al., 2009; Mahon et al., 2009; Zanetti et al.; (I) noir = fornix: Barnea- Goraly et al., 2009; blanc = faisceau miscellane/ non specifié (tiré de Mahon et al., 2010) 39
La technique des régions d’intérêt (ROI) nécessite une délimitation manuelle, opérateur dépendant, donc source de biais, avec besoin d’hypothèses préalables. La plupart des études en DTI dans le trouble bipolaire ont retrouvé des diminutions d’anisotropie dans la substance blanche profonde frontale, cingulaire, occipitale et dans les faisceaux majeurs de substance blanche comme le corps calleux, la corona radiata antérieure, la capsule interne et le faisceau fronto-occipital, interprétées comme une diminution de la connectivité anatomique entre ces régions.
Les études de DTI sur cerveau entier utilisent principalement la technique de VBM malgré le fait que les différentes transformations pour aligner les cerveaux dans un référentiel commun donnent un risque de modification de position anatomique des voxels. Une autre technique, la TBSS (Tract-Based Spatial Statistics) (Smith et al., 2006, cf figure 13 ; Versace et al., 2008, cf figure 14) résout en partie ces risques d’erreurs d’alignement par l’intermédiaire de la genèse d’un squelette issu de la partie centrales des faisceaux de substance blanche commun à l’ensemble des sujets.
Ces techniques ne permettent cependant pas d’étudier de faisceaux de substance blanche en entier. Les résultats principaux montrent une diminution de anisotropie fractionnelle du côté droit du cerveau, dans la substance blanche proche du gyrus parahippocampique droit (région traversée par les faisceaux longitudinal supérieur, longitudinal inférieur et fronto-occipital inférieur) et dans la substance blanche près du cortex cingulaire antérieur et subgénual droit chez les sujets bipolaires comparativement aux sujets témoins (Vederine et al., 2011, cf figure 15).
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Faisceau uncine gauche
Faisceau uncine gauche
Faisceau uncine droit
Figure 14.
Cartes d’anisotropie fractionnelle montrant de gauche à droite des vues coronales, axiales et sagittales. Les masques de cerveau avec TBSS sont ceux du MNI 152 et les squelettes de FA de substance blanche sont représentés en vert. Les voxels colorés représentent les régions dans lesquelles la FA diffère significativement chez les sujets bipolaires comparativement aux témoins. Le rouge-jaune indique une FA plus élevée chez les bipolaires, tandis que le bleu une diminution (adapté de Versace 2008). 41
Figure 15.
Faisceaux de substance blanche croisant le cluster (en vert) de diminution de la FA centré sur x=30, y=-60, z=8 (coordonnées Talairach) dans la substance blanche adjacente au gyrus parahippocampique droit : faisceau longitudinal inférieur (FLI) en orange, faisceau longitudinal supérieur (FLS) en violet, faisceau fronto-occipital inférieur (FOI) en jaune, radiations thalamiques postérieures en bleu. Les faisceaux de substance blanche sont extraits de DTI-query à partir des données d’un sujet normal, projeté sur la vue parasagittale droite d’une carte de FA (tiré de Véderine et al., 2011).
La tractographie (tracking), quant à elle, utilise les données de DTI (dont la FA moyenne le long des faisceaux) pour reconstruire les faisceaux à partir d’algorithmes. Le plus utilisé, déterministe, consiste à partir d’un voxel « graine » à reconstruire le faisceau en suivant pas à pas les voxels adjacents qui ont la direction de diffusion la plus similaire (voir figure 16), s’arrêtant quand un voxel a des caractéristiques trop peu compatibles (anisotropie trop basse ou courbure du faisceau trop importante).
Dans le trouble bipolaire, une étude a ainsi montré que les fibres de substance blanche reconstruites reliant le cortex cingulaire antérieur subgénual gauche au complexe amygdalo-hippocampique gauche étaient plus nombreuses,
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montrant une altération des voies de substance blanche ((Houenou et al., 2007, cf figure 17) .
Figure 16.
Une ligne continue est générée en connectant les voxels adjacents sur la base de la similarité de leur principale direction de diffusion. Ici, la direction principale de diffusion à chaque voxel est représentée par une flèche que l’on suppose alignée à la principale orientation axonale. La tractographie est initiée du voxel central (Adapté de Ciccarelli et al., 2008)
Figure 17.
Exemple illustratif de tractographie pour le cortex cingulaire subgénual (CCS) et la région amygdalo-hippocampique (RAH) chez un sujet, présenté sur un plan parasagittal en vue oblique. Rouge : fibres reconstruites connectant le CCS (vert) et la RAH (rose). Bleu : fibres reconstruites connectant la RAH au reste du cerveau (Adapté de Houenou et al., 2007) 43
Neuroimagerie fonctionnelle
La neuroimagerie fonctionnelle utilise différentes techniques avec différentes résolutions spatiales et temporelles.
Celles qui bénéficient d’une très bonne résolution temporelle, l’électroencéphalographie (EEG) et la magnétoencéphalographie (MEG) ne seront pas évoquées dans ce travail. Ces techniques ont en effet peu étudié le trouble bipolaire, en dehors d’une étude en MEG chez l’adulte, qui retrouve une majoration de la synchronisation des oscillations de fréquence lente (delta) et une diminution de la synchronisation des oscillations de fréquence rapide (béta), corrélant avec les erreurs au test de Wisconsin, impliquant un déficit des fonctions exécutives chez les patients bipolaires (Chen et al., 2008).
Les techniques de neuroimagerie fonctionnelle qui bénéficient d’une bonne résolution spatiale sont la tomographie par émission de positons (TEP), la tomographie d’émission monophotonique (TEMP ou SPECT en anglais), l’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle (IRMf), qui seront développées dans les paragraphes suivants.
TEP et TEMP
La TEP est basée sur la localisation d’une substance chimique radioactive injectée afin de produire des images du cerveau en 3 dimensions. Les ligands sont synthétisés à partir d’atomes radioactifs de Carbone
11C, Fluor 18F, Oxygène 15O ou l’azote 13N (Konarski et al.).
Les taux métaboliques et le flux sanguin cérébraux régionaux sont diminués dans les lobes frontaux dans la dépression unipolaire et bipolaire dans
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la plupart des études, bien que le contraire soit aussi retrouvé (Konarski et al.). Dans la manie, le métabolisme augmente dans le cortex cingulaire dorsal, les régions striatales et le nuccleus accumbens aussi bien que les régions limbiques des lobes temporaux, mais diminue dans le cortex préfrontal dorsolatéral, reflétant possiblement sa perte de contrôle modulant les structures limbiques.
Les radioligands spécifiquement utilisés dans les études de TEP sont utilisés pour investiguer les systèmes de neurotransmission. Les liaisons potentielles des récepteurs D1 sont réduites dans le cortex frontal, mais la densité des récepteurs D2 striataux est normale dans toutes les phases non psychotiques du trouble bipolaire. Les patients bipolaires psychotiques, quant à eux, montrent une densité de récepteurs D2 plus forte dans le noyau caudé, corrélant avec le degré de psychose mais pas les symptômes affectifs. Le récepteur de la sérotonine montre une densité augmentée dans le thalamus, le cortex cingulaire dorsal, le cortex préfrontal médial et l’insula chez les patients bipolaires déprimés. Dans le cortex cingulaire dorsal et l’insula, il corrèle avec l’anxiété, et dans le cingulaire avec les tentatives de suicide (Gonul et al., 2009).
La TEMP est une technique similaire à la TEP, donnant des informations sur le flux sanguin et la distribution des radioactives dans le cerveau. La différence tient aux noyaux radioactifs utilisés (Xenon-133, Technetium-99, Iode-123) qui ont demi-vie plus longue que ceux de la TEP et émettent un rayon gamma unique et non double. Les images sont moins sensibles et la résolution moins bonne mais cette technique est moins coûteuse car il n’y a pas besoin d’être proche d’un accélérateur de particules comme pour la TEP (Konarski et al.).
Aucune différence significative ou répliquée n’a été retrouvée sur le cerveau entier, les structures temporales ou les noyaux sous-corticaux dans le
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trouble bipolaire (Moore et al., 2000). Cependant, une étude récente utilisant le 99Tc-ECD chez des sujets bipolaires en manie, en dépression comparés à des sujets déprimés unipolaires et des contrôles sains a montré chez des patients maniaques une hypoperfusion des aires frontales gauches, du cingulaire antérieur gauche et du cortex pariétal associée à la sévérité des symptômes psychotiques, tandis que les sujets bipolaires en dépression avaient une diminution du flux sanguin cérébral dans les régions temporales antérieures bilatérales et les régions pariétales gauches (Bhardwaj et al., 2010).
IRMf « classique »
De nombreuses études d’IRMf, évaluant l’activité cérébrale au cours de tâches de registre différents ont été publiées ces dernières années dans le trouble bipolaire. Elles consistent à soustraire à une activité cérébrale lors d’une tâche celle d’une activité de base, dite au repos. Certaines étudient la régulation émotionnelle, d’autres les fonctions exécutives. Nous détaillerons ces études plus en détail dans la partie 2 de la thèse.
En effet, plusieurs méta-analyses regroupent les données de ces différentes études d’IRMf dans le trouble bipolaire (Houenou et al., 2011; Kupferschmidt and Zakzanis, 2011; Delvecchio et al., 2012).
Une méta-analyse mesurant la taille d’effet des activations cérébrales d’études d’IRMf et de TEP montre une hypoactivation des gyri frontaux supérieurs et moyens chez les sujets bipolaires et une hyperactivation du gyrus temporal supérieur et de l’amygdale lors de tâches diverses de repos, Stroop émotionnels, Go-NoGo, visages émotionnels et tests de mémoire verbaux (Kupferschmidt and Zakzanis, 2011). Il s’agit de la seule méta-analyse ayant
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intégré les données de TEP, ainsi que des études avec des paradigmes non émotionnels.
Notre méta-analyse, qui sera développée dans la deuxième partie, a montré, lors de tâches de nature émotionnelles, chez les patients bipolaires une diminution de l’activation dans un réseau cortico-cognitif (gyrus frontal inférieur, précunéus, gyrus frontal médian, thalamus, cervelet) associé à la régulation des émotions, avec une hyperactivation de régions ventrales limbiques (gyrus para-hippocampique, amygdale, noyau caudé, thalamus) médiant l’expérience des émotions et la génération des réponses émotionnelles (Houenou et al., 2011).
Une autre méta-analyse, comparant aussi les études d’IRMf à partir d’études de patients bipolaires et dépressifs unipolaires en comparaison à des sujets témoins, met en évidence des régions communes aux deux troubles thymiques, avec notamment une augmentation d’engagement des régions limbiques, mais aussi des différences spécifiques au diagnostic observées dans les régions corticales thalamiques et striatales. Ainsi, il est retrouvé une diminution d’engagement du cortex préfrontal ventrolatéral dans le trouble bipolaire tandis qu’il y a une hypoactivation des cortex sensorimoteurs dans la dépression unipolaire. Une augmentation des réponses du thalamus et des ganglions de la base était associée au trouble bipolaire. Ces résultats étaient modulés par la valence des stimuli (Delvecchio et al., 2012, cf figure 18).
47
BP>T
BP<T
DU<T
DU>T
BP>DU
BP<DU
Figure 18.
Cartes ALE représentant l’activité régionale associée au trouble bipolaire et à la dépression unipolaire. Les clusters d’hyperactivation ou désactivation relative sont montrés en rouge et bleu respectivement. Les nombres représentent les coordonnées axiales (z) de chaque coupe dans l’espace Talairach, avec un p < 0,05 FDR corrigé pour de multiples comparaisons. En haut : carte ALE avec clusters significatifs comparant des patients bipolaires (BP) à des témoins (T). Au milieu : carte ALE avec clusters comparant des patients dépressifs unipolaires (DU) à des témoins (T). En bas : comparaison entre bipolaires (BP) et unipolaires (DU) (adapté de Delvecchio et al., 2012).
IRMf de repos
L’IRM fonctionnelle de repos, à la différence de l’IRM fonctionnelle « classique », ne nécessite pas de tâche active. Seule l’acquisition d’une séquence d’IRM fonctionnelle les yeux fermés suffit. Les principes, détails et résultats dans le trouble bipolaire de cette technique seront vus dans la troisième partie de notre thèse.
48
Modèles neurobiologiques du trouble bipolaire
Une grande partie des modèles neurobiologiques du trouble bipolaire mettent en avant une dysrégulation émotionnelle aisément compréhensible lors des phases d’état (manies, hypomanies, dépressions, épisodes mixtes) mais qui resterait aussi présente lors de l’euthymie, avec une réactivité émotionnelle accrue (Henry et al., 2003, 2008).
Globalement, les études structurelles retrouvent de très nombreuses modifications de volume des différentes structures cérébrales, dont seules quelques-unes sont répliquées de manière stable. Celles-ci différencient des anomalies présentes aux stades précoces de la maladie et celles apparaissant avec la répétition des épisodes thymiques. Ainsi, au début de l’expression du trouble bipolaire chez l’adulte, il est surtout retrouvé une diminution du volume et de densité de substance grise du cortex préfrontal subgénual et une augmentation de volume de l’amygdale et du striatum, tandis qu’avec la répétition des épisodes, est mis en évidence un élargissement des ventricules latéraux, une diminution de la taille du vermis cérébelleux (Strakowski et al., 2005; Phillips et al., 2008). En parallèle, des diminutions de volume et de densité de substance blanche correspondant aux faisceaux de substance blanche sous-corticale connectant le cortex orbitofrontal, le thalamus et les régions striatales sont rapportées chez les sujets bipolaires (Strakowski et al., 2005).
Les études de neuroimagerie fonctionnelles, quant à elles, montrent une majoration de l’activité sous-corticale limbique (incluant amygdale, striatum ventral et hippocampe, voir figures 19 et 20) lors de traitement de stimuli émotionnels chez les sujets bipolaires comparativement aux témoins, indépendamment de l’état thymique (sujets euthymiques, en dépression et en manie). De plus, ces études mettent en évidence une diminution d’activation du
49
cortex préfrontal dorsomédial et dorsolatéral ainsi que du gyrus cingulaire antérieur (Phillips et al., 2008).
Les études examinant l’activité cérébrale pendant des tâches de contrôle cognitif non émotionnelles (paradigmes de contrôle attentionnel volontaire incluant les fonctions exécutives, l’attention soutenue ou l’inhibition de réponses) dénotent des performances intactes mais des activations réduites dans le cortex préfrontal dorsolatéral et cingulaire antérieur dorsal avec une plus grande activation corticale préfrontale médiale et latérale (voir figures 19 et 20). Les études utilisant des paradigmes de contrôle attentionnel automatique montrent une diminution de l’activité dans le cortex orbitofrontal et le cortex préfrontal dorsomédial.
Les résultats sur l’étude des structures dorsales et latérales préfrontales impliquées dans la régulation volontaire des émotions ne sont pas concluants dans le trouble bipolaire avec des diminutions et des augmentations de volumes, une plus grande ou une moins grande activité comparativement à des témoins, avec cependant plus d’études montrant une diminution de substance grise de ces régions, l’augmentation de l’activité parfois retrouvée pouvant être interprétée comme une inefficacité de leur utilisation.
Les résultats des études sur la régulation automatique des émotions sont plus probants, montrant une réduction de l’activité du cortex préfrontal ventromédial, corrélant avec des modifications structurelles du cortex orbitofrontal, des fibres de substance blanche reliant le cortex orbitofrontal aux régions sous-corticales limbiques. Les anomalies structurelles et fonctionnelles retrouvent une diminution d’activité et de volume de substance grise des régions ventromédiales préfrontales impliquées dans la régulation des émotions (Phillips, 2008, voir figure 19).
50
On peut résumer en disant qu’il existe dans le trouble bipolaire une dysfonction au sein des réseaux sous corticaux (striatum, thalamus) /préfrontaux et des régions modulatrices associées limbiques. Ces études suggèrent une diminution de la modulation préfrontale sur les structures sous corticales et temporales médiales du réseau antérieur limbique (amygdale, striatum, thalamus) qui serait responsable de la dysrégulation émotionnelle de la maladie (voir figures 19 et 20).
Figure 19.
Représentation schématique du modèle physiopathologique du trouble bipolaire selon
Phillips et al. (2008). Les zones marquées en orange sont chargées de la génération des émotions. Les régions en rouge réalisent un contrôle automatique des émotions, celles en bleu effectuent un contrôle volontaire alors que celles en violet peuvent contribuer au contrôle automatique ou volontaire des émotions. La flèche orange symbolise un excès dans la génération des émotions alors que les flèches violettes représentent un déficit du contrôle de celles- ci. Abréviations: CPFvl: cortex préfrontal ventrolatéral, CPFdl: cortex préfrontal dorsolatéral, CPFdm: cortex préfrontal dorsomédial, CCA: cortex cingulaire antérieur, COF: cortex orbitofrontal, hipp/parahipp: gyrus hippocampique/ parahippocampique (d'après Phillips et al. 2008).
51
CPFVL
CPFDL
CPFDM
GCA dorsal
COF
CPFVM
Gyrus cingulaire subgénual
Amygdale
Insula
Hippocampe
Thalamus
Striatum ventral
Noyaux de la base
Contrôle attentionnel pendant le traitement émotionnel
Régulation des émotions
Identification des émotions
Génération des affects
Contrôle exécutif
Traitement des émotions
CPFVL
CPFDL
CPFDM
GCA dorsal
COF
CPFVM
Gyrus cingulaire subgénual
Amygdale
Insula
Hippocampe
Thalamus
Striatum ventral
Noyaux de la base
Contrôle attentionnel pendant le traitement émotionnel
Régulation des émotions
Identification des émotions
Génération des affects
Contrôle exécutif
Traitement des émotions
Système neural des émotions
Système neural des émotions dans le trouble bipolaire
Figure 20.
Système neural des émotions chez le sujet sain et dans le trouble bipolaire (Adapté de Keener et Phillips, 2007). 52
Méta-analyses des études en IRM dans le trouble bipolaire
Ce chapitre reprend en grande partie un article auquel j’ai participé (Houenou et al., 2011, article en version originale placé en annexe), en version française et adaptée à cette thèse. Dans le cadre de ce travail, j’ai réalisé la méta-analyse anatomique (bibliographie, extraction des données, analyses statistiques, interprétation) et participé à la rédaction du manuscrit de l’article en anglais.
Introduction
Le trouble bipolaire est la 6
ème plus grande cause d’incapacité ajustée sur vie entière (Murray and Lopez, 1997) et sa prévalence dans le monde est d’au moins 1% (Merikangas et al., 2007). Cette prévalence élevée est associée à une reconnaissance faible (Hirschfeld et al., 2003) et un diagnostic tardif conduisant à des traitements inadéquats, un coût médical élevé et de fort taux de comorbidités (Keck et al., 2008). Comme conséquence, il y a un net besoin d’améliorer les outils diagnostiques et d’identifier des biomarqueurs objectifs. Des anomalies cérébrales spécifiques fonctionnelles et structurelles sous-tendant des anomalies cognitives et émotionnelles traits, présentes aussi bien pendant les phases aigues de la maladie que pendant les phases de rémission ont été proposées comme candidats prometteurs de biomarqueurs de trouble bipolaire (Phillips and Vieta, 2007; Singh and Rose, 2009).
L’une des anomalies caractéristique de trouble bipolaire est la labilité émotionnelle anormale se traduisant par des fluctuations extrêmes dans l’humeur et les émotions, ainsi qu’une hyperréactivité émotionnelle durant toutes les phases de la maladie (Henry et al., 2003, 2008). Les critères diagnostiques de trouble bipolaire, incluant l’euphorie, l’irritabilité et la dépression, suggèrent qu’il n’y a pas qu’une augmentation de la réactivité émotionnelle, mais aussi une
53
difficulté dans la capacité à réguler les états émotionnels chez ces patients. Sur un plan neurobiologique, la réactivité émotionnelle excessive et les difficultés dans la régulation des émotions ont été proposées comme résultant d’un déséquilibre entre un réseau ventro-limbique fonctionnellement hyperactif et un réseau cortico-cognitif fonctionnellement hypoactif (Blumberg et al., 2002; Phillips et al., 2003, 2008). (cf chapitre 1.4 de la thèse). Le réseau ventro-limbique comporte le cortex orbitofrontal, le cortex cingulaire subgenual, l’amygdale et l’hippocampe. Par contraste, le déficit de régulation émotionnelle serait médié par un réseau de régions cérébrales incluant le cortex préfrontal dorsolatéral, le cortex cingulaire antérieur dorsal, le cortex cingulaire postérieur et le precuneus (Cf figure 19).
Figure 19.
Représentation schématique du modèle physiopathologique du trouble bipolaire selon
Phillips et al. (2008). Les zones marquées en orange sont chargées de la génération des émotions. Les régions en rouge réalisent un contrôle automatique des émotions, celles en bleu effectuent un contrôle volontaire alors que celles en violet peuvent contribuer au contrôle automatique ou volontaire des émotions. La flèche orange symbolise un excès dans la génération des émotions alors que la flèche violette représente un déficit du contrôle de celles-ci (d'après Phillips et al. 2008).Abréviations: CPFvl: cortex préfrontal ventrolatéral, CPFdl: cortex préfrontal dorsolatéral, CPFdm: cortex préfrontal dorsomédian, CCA: cortex cingulaire antérieur, COF: cortex orbitofrontal, hipp/parahipp:gyrus hippocampique/ parahippocampique.
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En conséquence, le préfrontal et le cingulaire pourraient jouer un rôle anormalement faible dans le contrôle inhibiteur des structures sous-corticales (Ochsner and Gross, 2005; Strakowski et al., 2005) résultant en une régulation émotionnelle déficiente. Comme le cortex préfrontal ventrolatéral (aires de Brodmann (BA) 45/47) joue un rôle important dans la régulation des états émotionnels (Raffael, 2009; Kanske et al., 2011), il a été inclus dans le réseau cortico-cognitif plutôt que ventro-limbique dans les récents modèles de trouble bipolaire (Phillips et al., 2008). Ces modèles neurobiologiques de trouble bipolaire se superposent partiellement à ceux de la dépression unipolaire tels qu’introduits par Mayberg (1997, 2003). Ces modèles diffèrent cependant dans l’hypothèse que les altérations neurobiologiques suggérées sont médiées par une hyperactivité émotionnelle générale, c’est-à-dire aussi bien aux stimuli positifs que négatifs, tandis que ce n’est le cas que pour les stimuli négatifs dans la dépression unipolaire. Cependant, la spécificité des altérations neurobiologiques doit encore être investiguée et malheureusement, la plupart des études n’utilisent ni n’analysent les stimuli positif s et négatifs séparément.
En lien avec les modèles neurobiologiques de trouble bipolaire décrits ci-dessus, une plus grande activation des structures ventro-limbiques a été démontrée chez les patients symptomatiques et en rémission, particulièrement aux réponses émotionnelles (Strakowski et al., 2005; Wessa et Linke, 2009). Il y a aussi des preuves empiriques d’une hypoactivation du préfrontal cortico-cognitif et des régions pariétales chez ces patients (Wessa et Linke, 2009) bien que les résultats significatifs soient inconsistants. De manière intéressante, des anomalies neurales structurelles correspondant à celles observées fonctionnellement ont été décrites. Une récente revue de la littérature (Savitz and Drevets, 2009) et une méta-analyse (Arnone et al., 2009) suggèrent que le lobe préfrontal en général et les composants du réseau cortico-cognitif tel que le cortex préfrontal dorsolatéral en particulier, sont plus petits chez les
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patients bipolaires. Différents résultats ont été rapportés pour les structures ventro-limbiques avec un volume de l’amygdale augmenté, une taille normale de l’hippocampe et une quantité de substance grise plus petite que la normale dans le cortex orbitofrontal, le cortex cingulaire antérieur subgénual et le cortex cingulaire antérieur rostral (Hajek et al., 2009; Savitz and Drevets, 2009).
Globalement, les découvertes des études de neuroimagerie fonctionnelle et structurelle dans le trouble bipolaire semblent être en lien avec les modèles neurobiologiques et les anomalies décrites peuvent être considérées comme des caractéristiques solides ou des biomarqueurs de trouble bipolaire. Cependant, ces conclusions sont affaiblies par la divergence des découvertes empiriques qui pourrait être liée à l’hétérogénéité entre les diverses études. De plus, la plupart des études de neuroimagerie du trouble bipolaire ont une puissance faible, avec un haut risque d’erreur de type II (Kempton et al., 2008), entraînant de faux négatifs. Une approche méthodologique qui améliore partiellement ces problèmes est la méta-analyse, méthode recherchant les points communs entre les différentes études chez des patients avec des caractéristiques cliniques diverses (notamment sur le plan des états thymiques) et utilisant des méthodologies variées. Dans le cadre des études de neuroimagerie du trouble bipolaire, cela signifie la recherche d’anomalies neurobiologiques communes aux différents échantillons de patients avec l’utilisation de méthodologies différentes.
Des outils de méta-analyse sont maintenant disponibles pour les études de neuroimagerie fonctionnelle et structurelle (par exemple, la méthode d’estimation de probabilité anatomique ou Anatomical Likelihood Estimation (ALE)) (Turkeltaub et al., 2002; Laird et al., 2005a, 2005b; Eickhoff et al., 2009) et les approches de méta-analyse permettent d’obtenir des résultats plus généralisables (Rosenthal and DiMatteo, 2001). Les méta-analyses de résultats de neuroimagerie permettent maintenant l’identification de découvertes
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communes à plusieurs études d’IRM sans biais subjectifs. De plus, les outils de méta-analyse pour des informations de neuroimagerie rendent possible une comparabilité des localisations cérébrales dans les différentes études par l’intermédiaire de transformations dans un espace stéréotactique commun unique (l’espace de Talairach) et utilisant une terminologie unique. Dans les récentes dernières années, quelques études ont utilisé l’approche ALE pour identifier les réseaux cérébraux fonctionnels sous-tendant les diverses fonctions exécutives (Minzenberg et al., 2009) et des tâches émotionnelles diverses (Fusar-Poli et al., 2009) aussi bien que des réseaux neuraux aberrants dans divers troubles mentaux (trouble obsessionnels compulsifs : Rotge et al., 2010 ; schizophrénie : (Li et al., 2010). Jusqu’à ce jour, il n’y avait pas de méta-analyse des altérations fonctionnelles associées aux processus émotionnels qui ait été conduite dans le trouble bipolaire, malgré la réactivité émotionnelle anormale apparaissant être un élément central de cette maladie.
La plupart des méta-analyses traitant de changements structurels se sont centrés sur des régions d’intérêts particulières (McDonald et al., 2004; Kempton et al., 2008; Arnone et al., 2009) telles que l’amygdale. L’approche ALE a récemment été utilisée pour analyser les différences de substance grise cerveau entier voxel à voxel (morphométrie basée sur les voxels ou VBM) chez des adultes et des enfants atteints de trouble bipolaire (Ellison-Wright and Bullmore, 2010). Nous décrivons ici une approche de méta-analyse dans le but de rechercher des biomarqueurs cérébraux structurels et fonctionnels de trouble bipolaire en combinant les résultats d’études d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) reliées à des processus émotionnels et des études cerveau entier de substance grise par la technique VBM. Nous avons utilisé la même stratégie ALE pour les deux méta-analyses parallèles chez des adultes atteints de trouble bipolaire, l’une examinant les caractéristiques fonctionnelles, l’autre les changements structurels de substance grise, dans
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l’objectif de faciliter la comparaison des résultats pour les deux méta-analyses. Pour la même raison, non avons restreint la méta-analyse structurelle à la substance grise.
Nous n’avons inclus que les études de patients adultes du fait que le développement neuronal durant l’adolescence influence les modifications neurales dans le trouble bipolaire (Blumberg et al., 2004). Nous avons fait l’hypothèse que l’activité dans les régions cérébrales ventro-limbiques impliquées dans l’augmentation de la réactivité émotionnelle serait plus importante chez les patients souffrant de trouble bipolaire que chez les contrôles, tandis que l’activité du réseau cortico-cognitif, impliqué dans la régulation des états émotionnels, serait hypoactif. Nous avions aussi comme hypothèse que les patients bipolaires auraient une quantité de substance grise supérieure à la normale dans ces régions ventro-limbiques (parahippocampe, amygdale, cortex cingulaire subgenual) et inférieure à la normale dans le réseau cortico-cognitif (cortex préfrontal dorsolatéral, cortex cingulaire antérieur dorsal, cortex cingulaire postérieur, précuneus).
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Méthodes
Sources d’information
Pour les deux méta-analyses, nous avons fait une recherche dans la littérature via Pubmed, d’articles en anglais, publiés dans des revues avec comités de relecture, publiées avant septembre 2009, qui investiguaient les corrélats neuraux des processus émotionnels par imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) ou les anomalies de substance grise sur le cerveau entier par IRM chez des patients bipolaires adultes (de type I et II) en comparaison à des sujets contrôles. Nous avons aussi vérifié les listes de références de chacune des études identifiées et les revues de la littérature pertinentes.
Sélection des études
Pour les deux méta-analyses, les études ont été exclues si :
les participants de l’étude étaient des enfants ou des adolescents bipolaires (Chang et al., 2004; Wilke et al., 2004; Dickstein et al., 2005, 2007; Farrow et al., 2005; Pavuluri et al., 2007, 2008)
des informations insuffisantes étaient reportées pour extraire le nombre de participants dans chaque groupe
il n’y avait pas de comparaison entre les groupes de patients bipolaires versus contrôles (Malhi et al., 2004a, 2004b; Kempton et al., 2009; Matsuo et al., 2009, 2010; Sarnicola et al., 2009; Walterfang et al., 2009)
les informations contribuant à d’autres publications ayant déjà été inclues dans la méta-analyse
les résultats n’étaient pas reportés en tant que coordonnées tri-dimensionnelles dans un espace stéréotaxique standardisé
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Seuls des résultats de régions d’intérêts étaient reportés, c’est-à-dire que seules les analyses conduites sur cerveau entier ont été incluses dans les deux méta-analyses.
Les tableaux 1 et 2 donnent une vue d’ensemble des études incluses avec les détails démographiques et les caractéristiques cliniques des études respectives et le tableau 3 contient les informations des détails expérimentaux et méthodologiques des études d’IRMf incluses. Pour les études comparant différents groupes de patients entre eux (Lawrence et al., 2004; McIntosh et al., 2004; Chen et al., 2006; Ha et al., 2009), seules les comparaisons entre les patients bipolaires et les contrôles sains ont été inclus dans les analyses. Les contrastes comparant différents groupes de patients, c’est-à-dire patients bipolaires maniaques et dépressifs n’ont pas été inclus dans les analyses. Dans l’une des étude de VBM (Ha et al., 2009), deux groupes de patients bipolaires (type I et type II) ont été comparés au même groupe contrôle ; seules les comparaisons entre les patients bipolaires de type I et les contrôles sains ont été considérées afin de ne pas augmenter artificiellement l’impact des contrôles sains.
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Tableau 1.
Études incluses dans la méta-analyse d’IRMf Nr. |
Premier auteur (Année)
|
N Patients avec Trouble Bipolaire (
♂)* |
Evaluation symptomatique (HDRS/ YMRS)
|
Age moyen
|
Age de début/ Durée moyenne de la maladie
|
Traite-ments actuels**
|
N Cont-rôles sains (
♂) |
1
|
Malhi et al. (2005)
|
12 E (0)
|
4.3 ± 1.1/ 0.9 ± 0.5
|
34.9 ± 9.1
|
NA/11.9 ± 7.1
|
8 MS, 4 N
|
12 (0)
|
2
|
Lagopoulos et al. (2007)
|
10 E (0)
|
4.1 ± 1.6/ 0.9 ± 0.7
|
31.3 ± 8.1
|
NA/10.1 ± 9.1
|
7 MS, 3 N
|
10 (0)
|
3
|
Wessa et al. (2007)
|
17 E (10)
|
1.4 ± 1.4/ 0.7 ± 2.0
|
44.9 ± 12.7
|
22.6 ± 10.5/ 21.9/12.7
|
2 N
|
17 (11)
|
4
|
Elliott et al. (2004)
|
8 M (4)
|
NA/28.1 (NA)
|
33.5 ± NA***
|
NA/NA
|
7 MS, 7 O, 1 N
|
11 (3)
|
5
|
Malhi et al. (2007a)
|
10 E (0)
|
4.2 (1.0)/ 0.9 (0.8)
|
32.4 ± 10.8
|
NA/8.8 ± 5.8
|
7 MS, 3 N
|
10 (0)
|
6
|
Chen et al. (2006)
|
8 M (5) 8 D (8)
|
0.4 ± 0.5/ 24.1 ± 8.2 18.4 ± 6.4/ 2.0 ± 3.0
|
39.0 ± 13.4 41.9 ± 12.1
|
NA/NA
|
8 MS, 2 O
|
8 (2)
|
7
|
Lennox et al. (2004)
|
10 M (8)
|
0.0 ± 0.0/ 27.7 ± 7.9
|
37.3 ± 12.8
|
NA/NA
|
8 L, 7 MS, 7 O
|
12 (6)
|
8
|
Malhi et al. (2007b)
|
10 E (0)
|
4.4 ± 1.1/ 0.9 ± 0.5
|
33.5 ± 8.7
|
NA/12.0 ± 7.7
|
3 L, 4 O, 3 N
|
10 (0)
|
9
|
Jogia et al. (2008)
|
12 (3)
|
13.8 ± 2.4/ 1.0 ± 1.3
|
42.1 ± 11.8
|
23.1 ± 5.6/NA
|
12 MS
|
12 (3)
|
10
|
(Hassel et al. (2008)
|
19 E (10)
|
1.9 ± 2.6/ 1.4 ± 2.7
|
32.5 ± 8.8
|
22.5 ± 8.0/ 10.7 ± 6.6
|
13 MS, 27 O
|
24 (11)
|
11
|
Lawrence et al. (2004)
|
12 E (8)
|
BDI: 15.3 ± 9.2
|
41 ± 11
|
NA/15.4 ± 13.4
|
9 MS, 10 O
|
12 (7)
|
12
|
Altshuler et al. (2008)
|
11 D (5)
|
20.8 ± 3.3/ 2.9 ± 1.9
|
32.0 ± 7.3
|
NA/NA
|
8 MS, 5 O, 2 N
|
17 (9)
|
13
|
Foland et al. (2008)
|
9 M (3)
|
9.1 ± 5.3/ 15.1 ± 3.7
|
34.6 ± 8.0
|
NA/ 14.8 ± 5.1
|
2 L, 6 MS, 2 O, 2 N
|
9 (3)
|
E = euthymique, M = maniaque/hypomane/mixe, D = dépressif; ** L = Lithium, MS = Autres Thymorégulateurs (Anticonvulsivants), O = Autre, N = Aucun; *** pas d’index de variabilité (déviation standard, variance) disponible; NA = Pas d’Information ; # étude inclue à la fois dans la méta-analyse de diminution et d’augmentation de substance grise ;
♂ = hommes |