passage BP II a BP I possible ou pas ?

 

 

passage BP II a BP I possible ou pas ?

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Si votre psychiatre vous déclare tout de go : monsieur, madame, mademoiselle, vous n'êtes pas bipolaire II mais I soit vous aviez mal été diagnostiqué au départ, soit votre psychiatre se laisse leurrer par une hypomanie particulièrement forte... On ne change pas de catégorie comme ça.

Passage des troubles BP-II à BP-I

 

Dr Elie Hantouche

Consultant Bipolaire-info

CTAH

 

Cette observation soulève pas mal de questions

 

Que dit la littérature ?

En principe le diagnostic de « BP-II » est stable dans le temps ; cependant, un certain pourcentage de cas 7,5% de BP-II peut se transformer en « BP-I » (étude en 1989, sur 64 patients BP-II avec un suivi sur 10 ans) et cela à cause de la survenue d’épisodes maniaques. Si on comptabilise les sorties prématurées du suivi, le pourcentage est chiffré à 15%. Ce qui signifie que 85% des BP-II restent BP-II.

Le même expert, B. Corryell publie une autre étude en 1995 confirmant la stabilité du diagnostic « BP-II » dans le temps (plus de 15 ans de suivi). Dans cette étude, il a été montré, en plus, que la durée de l’hypomanie (2 jours versus 7 jours) n’a aucune influence sur l’évolution au long cours et les conséquences du trouble BP-II. Cette donnée est confirmée par Jules Angst pour qui la récurrence des hypomanies est de loin plus significative que la durée de l’épisode, en termes d’impact sur la santé.

 

Quelle est la frontière entre « Manie » et « Hypomanie » ?

Précisons que dans les DSM-IV et IV-TR, les épisodes de manie et d’hypomanie partagent les mêmes symptômes décrivant un état d’hyperactivité psychique, motrice et émotionnelle avec accélération et désinhibition.

Trois critères majeurs distinguent la « Manie » :

  • présence de symptômes psychotiques (délire, hallucinations) : critère de qualité différent de l’hypomanie

  • altération marquée du fonctionnement au quotidien

  • recours à l’hospitalisation : critère de sévérité des symptômes, état de dangerosité pour le sujet ou pour les autres.

A part ces trois critères, les symptômes sont communs.

Une autre différence, en dehors des épisodes de haut, les « BP-II » présentent un nombre plus élevé de dépressions, une durée plus longue des dépressions, surtout une dépression sub-syndromique chronique.

 

Donc, si une personne diagnostiquée « BP-II » - dépression(s) + hypomanie(s) – présente un épisode de Manie (même un seul épisode) au cours de l’évolution de sa maladie, sera reconnu comme « BP-I » (selon les DSMs) à condition qu’il y ait un des 3 critères cités ci-dessus.

Est-ce aussi simple que ça ?

 

Qu’est-ce qui peut expliquer la transformation de BP-II en BP-I ?

Selon moi, rien, à part un diagnostic initial incorrect ; en effet, peu de patients ont des entretiens structurés et focalisés sur les troubles bipolaires avec passation des questionnaires. De ce fait, je fais le constat inverse : il y a plein de « BP-II » qui sont diagnostiqués « BP-I » ; le cas de figure le plus classique : cas jugés « dépressifs » sur des années puis subitement reconnus « BP-I » avec des traitements hyper-lourds !

Dans la majorité des cas de transformation « apparente » de BP-II vers BP-I, observés au CTAH, il s’agit d’hypomanie aggravée par divers facteurs

  • arrêt brutal d’un thymorégulateur, surtout arrêt du lithium qui comporte, en plus de la rechute, un risque de sevrage qui vient aggraver la sévérité des hypomanies

  • prise discontinue du traitement (« j’arrête quand j’en ai marre et je reprends quand je suis mal ») ; une mauvaise observance est capable d’induire une résistance progressive au traitement

  • survenue d’une hypothyroïdie qui peut être responsable d’une résistance au thymorégulateur (p. ex. lithium) qui devient inefficace (risque de manie, de cycles rapides…)

  • exposition à un antidépresseur (parfois suite à l’arrêt d’un AD, comme arrêt de paroxétine et fluvoxamine)

  • mauvaise hygiène de vie (nuits blanches, faire la fête des jours de suite, dette de sommeil, décalage horaire important, prise d’alcool ou autres stimulants)

  • parfois, une combinaison des facteurs listés ci-dessus (ce qui n’est pas rare vu l’enchaînement logique des événements)

Le fait est que peu de patients ont une histoire sans psychotropes, il est difficile d’observer et évaluer correctement les cas de « BP-II » qui se transforment naturellement vers « BP-I ». Certains experts pensent que depuis l’usage du lithium, on observe plus de Manies après qu’avant (probablement à cause du sevrage du lithium causé par des arrêts prématurés ou des observances de mauvaise qualité).

Je pense que ce facteur explique une maigre partie – car combien de patients « BP-II » sont vraiment sous lithium ? Déjà plus de 80% ne sont pas déjà diagnostiqués. Selon moi, c’est l’effet aggravant et pathogène d’une longue exposition aux antidépresseurs (AD) et la conséquence de laisser une maladie sérieuse évoluer sur des années, sans traitement protecteur (accidents de vie, ruptures, perte des amis, licenciements, instabilité dans tous les domaines, faux diagnostics, mauvaise hygiène de vie…).

 

Un « épisode » ne définit jamais un « trouble » !

Cette formule doit être toujours appliquée. En effet, j’ai observé chez pas mal de patients BP-II et/ou cyclothymiques, la survenue d’épisodes sévères d’hypomanie, surtout chez les cyclothymiques, les hypomanies sont plus sévères avec une composante irritable et de prise de risques plus importante par comparaison aux cas BP-II non cyclothymiques.

Avant de changer le diagnostic vers « BP-I », il importe de vérifier les points suivants :

  • Dominance des traits cyclothymiques et dépressifs dans le tempérament de base (avant l’âge de 18 ans)

  • Prise d’antidépresseurs, de stimulants (cocaïne, alcool) ou de corticoïdes avant l’apparition de la Manie ; l’épisode de Manie doit être « spontané » pour évoquer l’éventualité d’un trouble « BP-I »

  • Présence des symptômes psychotiques au sein de la Manie ou une Dépression Mixte ; on peut avoir des « BP-II psychotiques » quand les éléments psychotiques sont présents dans un épisode dépressif

  • Séquence des épisodes : dans « BP-I », la séquence typique est manie suivie d’une dépression ; dans BP-II et cyclothymie, c’est la séquence inverse

  • Degré de récurrence des épisodes notamment dépressifs (plus élevé dans BP-II / cyclothymiques)

  • Présence ou non des intervalles libres ou lucides entre les épisodes

  • Age de début des troubles (thymiques, anxieux et autres) et des dimensions comme la sensibilité interpersonnelle, la réactivité émotionnelle, l’instabilité… Les cas débutant à un âge précoce (avant 15 ans) sont plutôt des BP-II / cyclothymiques.

 

En résumé, en plus de la sévérité de l’épisode d’Hypomanie, le diagnostic final doit tenir compte d’autres variables comme Tempérament, Réactivité aux médicaments, Age de début, Mode évolutif, Séquence ; Histoire familiale…

Le tableau qui suit illustre la dichotomie « intra-bipolaire » qui sépare au sein de l’ensemble de la bipolarité, deux formes principales – une classification plus simple que celle des DSMs et plus réaliste. Evidemment, elle n’explique pas la totalité des formes bipolaires (BP-III, BP-IV, BP-V et BP-VI) mais représente une approche basique de la maladie.

 

 

Trouble bipolaire classique – épisodique : BP-I et 20% de BP-II

Trouble Bipolaire Cyclothymique : 80% des BP-II et 60% des Dépressions récurrentes

Episodes Maniaques ou dépressifs majeurs

Présents dès le début

Absents au début : épisodes mineurs pendant au moins 2 ans chez les adultes et 1 an chez les jeunes

Intervalles libres entre les épisodes

Présents

Absents – car oscillations perpétuelles continues entre les hauts et les bas

Age de début des premières dépressions

Tardif (> 20 ans)

Tôt dans l’enfance – adolescence

Tempérament de base*

Stable, plutôt vers le haut (hyperthymie)

Instable, complexe avec des traits anxieux, dépressifs et une sensibilité émotionnelle excessive

Sexe

Plutôt masculin

Plutôt féminin

Histoire familiale

Plus de BP-I / troubles psychotiques

Plus de dépressifs, cyclothymiques, anxieux, boulimiques

Cyclicité

Exogène (présence des facteurs déclencheurs comme arrêt du Li, décalage horaire…)

Endogène (alternance des hauts et des bas indépendante des facteurs externes)

Fréquence des épisodes

Faible à modérée

Plus élevée

Cyclicité rapide, ultrarapide

Séquence des épisodes*

(Hypo)Manie suivie d’une dépression

Dépression suivie d’une (hypo)manie

Mixité des épisodes

Peu fréquente

Classique

Réponse au lithium

Excellente

Mitigée

Comorbidité (ou troubles associés)

Modérée

Très fréquente : troubles anxieux, addictions (boulimie, abus d’alcool), troubles de contrôle des impulsions, troubles de la personnalité…


Implications pratiques

Ce n’est pas à cause d’un épisode sévère que le diagnostic doit changer dans sa globalité (avec les corrélats au niveau pronostique et thérapeutique).

Il est clair que l’épisode actuel qui évoque la Manie doit être traité comme une Manie – mais le pronostic au long cours dépendra toujours du diagnostic initial.

 

Par exemple, Mme L, 42 ans, souffre de dépressions récurrentes avec des phases très brèves d’hyperactivité et d’exaltation (quelques jours alors que ses dépressions durent entre 2 et 4 mois en moyenne). Elle a été reconnue « bipolaire type II » à l’âge de 40 ans bien que ses dépressions ont démarré vers 20 ans ! Elle nous dit qu’elle n’a jamais eu de « vrai bilan clinique » évaluant les hypomanies, la cyclothymie et les indices de bipolarité !

Ainsi, il n’est pas étonnant de constater qu’elle a été exposée pendant toutes ces années aux antidépresseurs, anxiolytiques, somnifères et neuroleptiques. Malgré le diagnostic de BP-II, le traitement de Mme L. comportait toujours un AD, 2 anxiolytiques, 1 somnifère avec seulement l’ajout d’Abilify 5 mg.

Il y a un an, elle manifeste pour la première fois, un épisode sévère de Manie : sommeil de 2 à 3 heures, agitation constante, achats excessifs, libido excessive avec recherche frénétique de partenaires sexuels… et progressivement survenue de signes psychotiques (parle d’un complot, persécutée par les voisins, entend des voix menaçantes). Son psychiatre change le diagnostic pour « BP-I » et applique une stratégie posologique conséquente, à savoir augmentation de la dose d’aripiprazole à 20 mg (pendant 3 mois puis 10 mg au long cours) avec Valproate 2000 mg (qui sera maintenu au long cours) et arrêt brutal de l’AD. Conséquence : virage dépressif, 3 chutes avec fractures, difficultés cognitives persistantes…

 

L’enquête clinique réalisée au CTAH révèlera qu’avant le virage vers l’épisode de Manie, il y a eu un changement d’AD (arrêt paroxétine et instauration de duloxétine) qui a induit un état de sevrage (connu pour la paroxétine, le pire des ISRSs) avec insomnie et agitation anxieuse, suivie très vite par un début d’hypomanie, qui, au début a été jugée comme une preuve d’efficacité du nouvel AD ; en effet, Mme L, se sentait en pleine forme et pensait, comme son psychiatre, être guérie de sa dépression. Mais en fait, c’était un cumul de facteurs aggravants ; sevrage paroxétine qui peut induire des virages maniaques, début d’hypomanie non détectée ni traitée à temps…

Cela dit, le diagnostic de Mme L., selon moi, n’a pas besoin de changer – elle présente toujours un trouble « BP-II avec cyclothymie ».

L’épisode de Manie n’est qu’une accentuation iatrogène d’une hypomanie. De ce fait, le valproate a été réduit à 500 mg avec un suivi rapproché des dépressions et des variations thymiques avec bilan thyroïdien, hépatique (ALAT, ASAT), dosage de valproate (qui était au dessus de 100, ce qui est TROP même pour un BP-I !).

En cas d’échec de ce traitement, un autre traitement sera instauré à base d’une combinaison de lithium (400 mg) avec lamotrigine (plus adaptée pour réduire la récurrence dépressive chez les femmes BP-II cyclothymiques)



13/05/2013
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