Pourquoi est-on jaloux de l'ex de l'autre ?
Pourquoi est-on jaloux de l'ex de l'autre ?
Il est souvent difficile d’accepter le passé amoureux de son partenaire. D’où vient cette jalousie rétrospective et que nous apprend-elle ? Décryptage d’un poison qui en dit bien plus long sur soi que sur son couple.
- Parce que nous craignons de ne pas être à la hauteur
- Parce que nous revivons des rivalités enfantines
- Parce que nous nous pensons incomplets
- Parce que nous n’avons pas notre place
- Parce que nous voulons posséder l’autre
- Parce que nous avons peur de nous engager
- Parce que nous fuyons nos angoisses existentielles
- Comment s'en sortir ?
Nous traînons sur la page Facebook de l’ex honni, épluchons les albums photos… « Nous essayons de savoir, mais nous ne savons rien. Car ce que notre partenaire a partagé d’essentiel dans une relation précédente est insaisissable, souligne Marie-José de Aguiar, gestalt-thérapeute. Chaque relation lui a révélé une part inédite de lui-même. S’il a eu plusieurs histoires avant nous, nous pouvons craindre que plusieurs facettes de lui nous échappent. Son secret semble démultiplié. » Et c’est bien là que le bât blesse. Et reblesse. Et reblesse encore.
« Avant moi, Carole a eu trois maris. Ça fait trois fois plus mal », raconte Jean-Pierre, 56 ans, jardinier. Une souffrance sans fond et, au temps des couples successifs, exponentielle. « J’arrive aujourd’hui à mieux me contrôler, reprend-il. Mais pendant longtemps, il suffisait qu’elle évoque une vieille aventure pour que cela me plonge dans des affres pendant plusieurs jours. Sans que je ne lui en dise rien, bien sûr… » À l’angoisse s’ajoute en effet la culpabilité : celle de reprocher à l’autre un passé auquel il ne peut rien changer, de faire des scènes, d’être odieux… Pourquoi nous faisons-nous tant de mal ?
Parce que nous craignons de ne pas être à la hauteur
« Je suis jaloux(se) de son ex ». Marie-José de Aguiar, gestaltthérapeute, a répondu à toutes vos questions. Retrouvez le compte-rendu du tchat ici.
Quand elle se porte sur l’ex, la jalousie révèle une piètre estime de soi et la peur de ne pas être à la hauteur. Sommes-nous mieux que le ou la précédent(e) ? Suffisons-nous à notre partenaire ? Pourquoi est-il avec nous ? Toutes ces questions renvoient à la façon dont nous nous sommes construits. Avons-nous été désirés par nos parents, considérés comme des individus à part entière, dignes d’intérêt et d’amour ? Avons-nous été moins aimés qu’un aîné ou sans cesse comparés ? Pour Sophie, 31 ans, institutrice, la blessure est plus récente : « Je n’ai jamais été jalouse avant d’être la maîtresse de Jean, un homme marié. Depuis, j’ai du mal à ne pas croire qu’une autre femme mérite plus que moi d’être avec mon amoureux. »
La jalousie dissimule aussi, parfois, « un besoin d’être rassuré sur sa normalité », ajoute Marie-José de Aguiar. Son ex pensait-il, disait-il cela ? Suis-je « normal » dans ma façon d’être ? Est-il plus heureux ou moins heureux avec moi ? Ou le besoin, lorsque nous ne sommes pas sûrs d’être aimables, de tester l’amour de l’autre : « En étant odieux, j’éprouve la force de l’attachement de Carole. Si elle reste, c’est qu’elle m’aime vraiment… et peut-être plus que les autres », reconnaît Jean-Pierre.
Parce que nous revivons des rivalités enfantines
Derrière la jalousie rétroactive se cache l’idéal de l’amour platonicien : deux amants, incomplets l’un sans l’autre, destinés à ne faire qu’un. Qu’un autre soit passé avant est alors insupportable. Parce que nous espérons toujours retrouver cette symbiose de la toute petite enfance, lorsque nous ne faisions qu’un avec notre mère et la comblions totalement.
« Nous vivons, lors de notre développement, deux grandes jalousies qui peuvent encore nous agiter à l’âge adulte, assure la psychanalyste Valérie Blanco, auteure de Dits de divan (L'Harmattan, 2010). La première, la jalousie spéculaire, apparaît au stade du miroir. Quand notre mère désigne notre reflet en nous disant “c’est toi”, nous prenons conscience que nous sommes séparés d’elle, et que le temps de la fusion est fini. Mais aussi que cette image est un leurre, qu’elle ne nous définit pas tout à fait, et que nous sommes entourés de semblables qui pourraient prendre notre place (frères, soeurs, camarades de classe…). Donc, que nous sommes interchangeables. » À cette jalousie courante, que Freud nomme « rivalité de concurrence », s’ajoute celle de l’oedipe, « lorsque ce n’est plus un semblable, mais un adulte, le père, qui nous barre l’accès à la mère », reprend la psychanalyste.
- Parce que nous craignons de ne pas être à la hauteur
- Parce que nous revivons des rivalités enfantines
- Parce que nous nous pensons incomplets
- Parce que nous n’avons pas notre place
- Parce que nous voulons posséder l’autre
- Parce que nous avons peur de nous engager
- Parce que nous fuyons nos angoisses existentielles
- Comment s'en sortir ?
Jean-Pierre, en analyse, fait le lien avec le fait d’avoir dormi, très tard, dans la chambre de ses parents : « Voulais-je être à la place de mon père ? Je ne sais pas… Vers 5 ans, puisque ma mère n’était pas tout à moi, j’ai décidé que je ne lui donnerais plus rien. Je reconnais qu’il y a, dans mes crises de jalousie envers Carole, quelque chose de mes caprices enfantins pour tester son amour. » Avec, pour les petites filles, une troisième déception à surmonter : découvrir, quand elles se tournent vers leur père, que leur mère occupe déjà la place.
La jalousie réveille ainsi ces moments difficiles de notre enfance… mais cache aussi parfois des bénéfices inconscients. En introduisant un tiers dans le couple, elle nous fait rejouer quelque chose de l’oedipe, de ses interdits, et soutient notre désir. En rajoutant du drame, de la passion, voire de l’embrouille, elle peut aussi enflammer nos étreintes. Pour Jean-Pierre, elle est même le signe d’un véritable amour : « J’ai vécu vingt-cinq ans avec une femme dont je n’étais pas très amoureux. Je n’ai jamais été jaloux de ses ex. Avec Carole, rien à voir : la relation est plus investie, passionnelle, mais aussi plus douloureuse. »
Parce que nous nous pensons incomplets
Etes-vous jaloux(se) en couple ? Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ? A quel point êtes-vous jaloux(se) en couple ? Pour le savoir, faites le test.
« Selon Lacan, tous les humains sont manquants, parce qu’ils ne peuvent loger tout leur être dans les mots, explique encore Valérie Blanco. Mais chez la femme, cette castration symbolique se double d’un manque réel, radical, de pénis. C’est ce que nous cherchons à combler lorsque, dans l’amour, nous fantasmons d’être “le tout” de l’autre. » C’est aussi pour cela que, jamais vraiment assurées de leur féminité, certaines se comparent, imaginent que les ex sont plus complètes et détiennent mieux qu’elles les clés de la jouissance masculine.
« Au début de mon histoire avec Jean, je n’étais pas du tout jalouse de Martine. Il l’avait quittée sans ambiguïté, je n’avais pas peur d’elle, témoigne Véronique, 48 ans, écrivaine. C’est venu trois ans après, quand nous avons réalisé que nous ne pouvions pas avoir d’enfant, alors qu’il en avait eu avec elle. Brusquement, tout ce qu’il lui avait donné m’était insupportable. Aujourd’hui encore, quand je trouve une photo de leur mariage, je la déchire. Il a beau me dire que le nôtre était mille fois plus beau et important pour lui, n’empêche ! » Les femmes, confrontées à la menace ontologique d’être renvoyée à leur « rien », peuvent ainsi vivre la jalousie rétroactive de manière bien plus ravageuse que leurs compagnons. Eux se rassurent par le fait d’avoir ce qu’il faut pour rendre une femme heureuse, et, notamment, la faire jouir. Sauf que, précisait Lacan, « aimer féminise ». Valérie Blanco : « Lorsqu’un homme aime vraiment, il voit lui aussi qu’il est un être manquant. » Et connaît alors parfois la jalousie rétrospective.
Parce que nous n’avons pas notre place
Attention, met en garde la psychanalyste : « Un ex ne devrait être qu’un ex. S’il est rival, soit le partenaire lui fait toujours une place, soit il ne vous donne pas la vôtre. L’inquiétude est légitime. » Une préoccupation courante dans les familles recomposées où, malgré eux, les enfants entretiennent le lien entre les parents séparés. Véronique, qui a élevé ceux de Jean, se souvient d’avoir dû, « pendant des années, tout demander à Martine. Heureusement, aujourd’hui, j’ai avec eux des relations d’adultes qui ne sont plus polluées par leur mère ».
- Parce que nous craignons de ne pas être à la hauteur
- Parce que nous revivons des rivalités enfantines
- Parce que nous nous pensons incomplets
- Parce que nous n’avons pas notre place
- Parce que nous voulons posséder l’autre
- Parce que nous avons peur de nous engager
- Parce que nous fuyons nos angoisses existentielles
- Comment s'en sortir ?
Parce que nous voulons posséder l’autre
Qu’a-t-il vécu avant moi sur quoi je n’ai pas de prise ? Que s’est-il passé que je ne pourrai jamais savoir ? Jean-Pierre l’admet : « Par ma jalousie envers ses ex, j’essaie de contrôler Carole. » Ne pas vouloir que notre partenaire ait vécu avant de nous connaître. Ne pas vouloir qu’il change. Ne pas même accepter qu’il soit, tout simplement, autre que nous-même, profondément différent. Un idéal rassurant, mais mortifère : avec l’altérité meurt aussi le mystère, espace incompressible où se faufile le désir.
« Aimer, c’est être porté vers l’altérité, se mettre en mouvement. La rencontre se fonde sur un cheminement vers l’autre, mais jamais l’autre ne peut s’épuiser dans une complète connaissance », expose la philosophe Michela Marzano. Ou alors, c’est l’asphyxie. « Il y a, chez chacun de nous, donc chez notre partenaire, un noyau insaisissable sur lequel nous ne pouvons mettre de mots et que nous devons préserver. Un endroit que nous n’atteindrons jamais et qui n’appartient qu’à lui », détaille Marie-José de Aguiar.
Parce que nous avons peur de nous engager
Je vis avec un jaloux Possessives, soupçonneuses, inquisitrices, obsessionnelles… Les personnes jalouses font parfois vivre à leurs compagnons un véritable enfer, dont il est heureusement possible de sortir. Les conseils de nos experts (...).
« Plus je posais de questions à Luc sur ses anciennes compagnes, plus j’avais mal… et moins je parvenais à le cerner, avoue Sophie. Pour la première fois, j’emménageais avec un homme. Je voulais tout savoir de lui, même le pire. » Derrière la jalousie se cache parfois une stratégie inconsciente de protection. Par peur de la dépendance ou d’une souffrance dévastatrice en cas de rupture, nous empoisonnons les jolis moments. Car le bon, c’est parfois trop. Voire insupportable si cela nous rappelle comme nous en avons manqué avant, ou bien ouvre sur un besoin de l’autre qui paraît infini. Avec la croyance que la chute sera moins rude. Sophie se souvient : « Un jour, Luc m’a dit : “C’est mon histoire. Quitte-moi si elle ne te convient pas, mais arrête tes accusations.” J’ai réalisé que j’avais la trouille de me lier à lui et de le perdre. Je préférais provoquer des crises à propos de ses ex, plutôt que de regarder en face ma crainte de l’engagement. »
« S’occuper du passé de l’autre, c’est ne pas se tourner vers l’avenir », acquiesce Marie-José de Aguiar. Ou, au contraire, se donner l’illusion de le contrôler. Comme si, en comprenant ce que l’autre a fait avant, nous nous donnions des repères. Ou qu’en décelant pourquoi sa relation précédente a échoué, nous espérions éviter les mêmes écueils. « Sauf que c’est vouloir mettre de la sécurité là où il ne peut y en avoir, rappelle la gestalt-thérapeute. Chaque histoire est singulière, donc imprévisible. Vous aurez une vision plus large de son être, mais vous ne pourrez pas tout savoir. La réassurance n’est que momentanée. » Avec l’inconvénient de figer l’autre dans ce qu’il a été. En l’y ramenant sans cesse, nous le privons de sa liberté d’être autrement et nous empêchons notre relation de créer du nouveau.
Parce que nous fuyons nos angoisses existentielles
L’alliance amoureuse réveille parfois de grandes inquiétudes. Peurs archaïques de fusion, d’engloutissement, d’abandon, mais aussi angoisses existentielles de solitude et de finitude. En fouillant le passé de l’autre, ne cherchons-nous pas, au fond, à comprendre : « Pourquoi moi ? », « Pourquoi suis-je là ? » « Nous sommes toujours en quête de ce que l’écrivain Pascal Quignard appelle “la nuit sexuelle”, indique Marie-José de Aguiar. (La Nuit sexuelle de Pascal Quignard (J’ai lu, “En images”, 2007)). En psychanalyse, nous la nommons “la scène primitive”, celle de notre conception à laquelle, bien sûr, nous n’avons pas assisté. »
Et de compléter : « Mais aussi celle de notre mort, dont nous ne pouvons rien savoir à l’avance. » Des questions vertigineuses, en face desquelles même le plus grand amour ne peut nous accompagner. Nous accrocher au passé de notre partenaire, c’est refuser d’affronter cette donnée existentielle : nous sommes seuls à naître, à vivre et, plus tard, seuls à mourir. Même fous amoureux. Même fous de jalousie.
Comment s'en sortir ?
La Jalousie de Willy Pasini. Le psychiatre explore le lien entre jalousie et amour (Odile Jacob, “Poches”).
Faire des projets
« Regarder devant plutôt que derrière, conseille Marie-José de Aguiar, gestalt-thérapeute. Au lieu d’essayer de trouver de la sécurité dans le passé de l’autre, ce qui est impossible, mieux vaut réinvestir la relation, regarder ensemble vers l’avenir. »
Consulter
« Quand la jalousie devient une souffrance, elle est à déchiffrer comme symptôme. Cela vaut la peine d’aller consulter pour voir quelle en est la cause ou à quoi elle sert », propose Valérie Blanco, psychanalyste.
Cultiver son indépendance
« Se réapproprier sa vie pour exister en face de l’autre, suggère Marie-José de Aguiar. Renoncer à l’idéal de ne faire qu’un avec lui. Accepter son indépendance et cultiver la nôtre. »