Pourquoi les cyclothymiques sont-ils plus exposés aux antidépresseurs ?
CTAH
Pourquoi les cyclothymiques sont-ils plus exposés aux antidépresseurs ?
1/10/2012
Auteur : Dr Hantouche
Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Cyclothymie
Notre constat au CTAH est clair : les cyclothymiques reçoivent trop d’antidépresseurs (AD) et cette exposition excessive à ces psychotropes n’est pas dénuée de complications.
5 dangers potentiels
Regardons les différentes raisons qui expliquent cette fâcheuse réalité- en premier, les cyclothymiques présentent plus de plaintes et de symptômes par comparaison aux autres patients dépressifs unipolaires ou anxieux ; Les cyclothymiques sont souvent anxieux, dépressifs, irritables, fatigués, inquiets, obsessionnels, phobiques, boulimiques, impulsifs, abuseurs de substance (alcool), enclins à des addictions comportementales (achats excessifs, jeux pathologiques, trichotillomanie, Internet…). Cette complexité sémiologique conduit à une demande de soins plus fréquente, donc plus de consultations, donc une probabilité supérieure de recevoir des médicaments, notamment des anxiolytiques, des sédatifs et surtout des antidépresseurs.
- En second, le diagnostic de Cyclothymie ou de Spectre Bipolaire est rarement établi à temps chez les cyclothymiques ; cela s’explique par l’absence d’épisodes (hypo)maniaques francs au début du trouble, ce qui explique la non reconnaissance de la nature bipolaire. En fait, les médecins ont une vision restrictive et rigide de la bipolarité à travers la présence d’épisodes nets et francs de manie. Pour rappel, cette vision concerne le trouble BP type I qui en fait ne représente que 10% du spectre bipolaire
- En trois, c’est la réactivité des cyclothymiques aux AD ; Au début, les AD peuvent s’avérer efficaces mais pas pour longtemps ; Après une réponse positive de la dépression, l’effet de l’AD s’estompe, ce qui conduit le prescripteur à augmenter les doses de l’AD ou à le substituer par un autre AD. En raison de la forte récurrence des épisodes dépressifs, ce phénomène de « réponse – échappement » se répète pour culminer vers un état de résistance. La preuve est le nombre élevé des psychotropes que peuvent recevoir les cyclothymiques.
- En quatre, les AD peuvent induire des virages thymiques discrets – survenue de symptômes hypomaniaques qui s’ajoutent à l’état dépressif, constituant ainsi un « état mixte » avec agitation, irritabilité, insomnie, excitation psychique (abondance de pensées négatives), tension intérieure, pulsions suicidaires ou d’automutilation… Un tableau clinique que les cliniciens considèrent comme résistance à l’AD, donc augmentation des doses ou recours aux sédatifs et anxiolytiques (à fortes doses) ou des antipsychotiques.
- En cinq, les AD sont souvent prescrits au début sans couverture de stabilisateurs (ou thymorégulateurs) – ce qui signifie l’absence de protection contre les effets « nocifs » des AD : formation des états mixtes, induction de résistance, accélération des cycles… En un mot, rendre le trouble plus complexe à soigner – avec plus de récurrence, plus de plaintes qui, en l’absence du « bon » diagnostic, ne peuvent qu’aggraver l’état de santé des patients cyclothymiques ; un cercle vicieux qu’il convient de casser au plus vite en instaurant des traitements plus adaptés.
Deux autres points sont importants à garder en tête : la cyclothymie est une affection qui commence tôt dans la vie et qui est évolutive et non statique. Tant qu’elle n’est pas stabilisée, elle a tendance à cycler de manière circulaire, c’est-à-dire d’évoluer avec des oscillations continuelles avec des cycles de plus en plus rapides, sans compter le fardeau des conséquences négatives dans la vie professionnelle, familiale et sociale. En effet, les études les plus récentes confirment la complexité clinique de la cyclothymie et son impact sur le fonctionnement et la qualité de vie des personnes qui en souffrent.
Pourquoi les AD sont-ils « mauvais » chez les bipolaires cyclothymiques ?
Ces psychotropes peuvent induire plusieurs complications :- Virages (hypo)maniaques (c’est-à-dire une inversion de la polarité de l’humeur), avec une levée rapide de l’inhibition dépressive vers un état d’excitation avec hyperactivité.
- Aggravation de l’état général
- Pulsions suicidaires
- Agitation interne, intense avec des pensées pressantes intenables
- Insomnie rebelle avec un besoin de somnifères et de sédatifs
- Délire ou hallucinations (comme ça on peut changer un cyclothymique en psychotique
- Comportements insolites, bizarres ou antisociaux
- Augmentation de la cyclicité du trouble (plus d’instabilité et de cyclicité rapide
- Formation d’états dépressifs mixtes, prolongés et/ou réfractaires ; ainsi, l’antidépresseur peut transformer un épisode dépressif passager en une longue période complexe et résistante.
Les oublis ou arrêts répétés d’un AD sont responsables d’effets indésirables, nommés symptômes d’interruption brutale (impulsivité, vertiges, mauvais sommeil, confusion…) qui nécessitent la remise du traitement. C’est typiquement le cas des patients qui, après arrêt ou oublis répétés de l’antidépresseur, voient leur dépression revenir plus intense et plus grave (avec de nouveaux symptômes). Parmi les AD les plus difficiles à arrêter, on cite la clomipramine, la paroxétine et la venlafaxine. Ces 3 AD ont en commun la puissance d’action sur les récepteurs de la sérotonine, leur demi-vie courte et leurs effets latéraux notamment sur les systèmes cholinergique et histaminique. Ce qui explique l’intensité du sevrage et la rapidité de sa survenue. Dans certains cas, le sevrage de ces AD est capable d’induire curieusement des virages (hypo)maniaques. Le seul AD qui comporte le moins de sevrage est la fluoxétine car sa demi-vie d’élimination est la plus longue (une semaine pour la fluoxétine et 5 semaines pour son métabolite, la nor-fluoxétine, qui est un métabolite actif, contrairement aux métabolites de la venlafaxine et paroxétine).
La répétition des phénomènes de sevrage est capable d’induire une résistance à l’effet antidépresseur. Ainsi, on se retrouve dans une situation bizarre où on est convaincu que l’AD n’est plus utile (voire même nocif) mais impossible de l’arrêter. Et dans les deux cas, de maintien ou d’arrêt, la cyclothymie risque de s’aggraver. Dans notre pratique au CTAH, on est contraint de faire face à cette situation qui demande des stratégies de longue haleine pour réduire au maximum et très progressivement l’AD et instaurer des thymorégulateurs (en sachant que les effets de ces derniers est susceptible d’être limité par les AD).