Psychothérapie de la cyclothymie : quelles spécificités ? quels besoins ?

 

 

CTAH

 

Psychothérapie de la cyclothymie : quelles spécificités ? quels besoins ?

 

22/11/2012
Auteur : Dr Hantouche

Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Cyclothymie

La prise en charge médicamenteuse et psychologique doit être guidée par cette conception basée sur la spécificité de la cyclothymie. Détaillons la démarche.
Dans un article récent (Hantouche et Perugi, 2012), nous avons défendu l’hypothèse selon laquelle la cyclothymie mérite sa place nosologique comme un trouble bipolaire spécifique et distinct des autres formes épisodiques (BP-I, BP-II) de la bipolarité. Par conséquent, la prise en charge médicamenteuse et psychologique doit être guidée par cette conception basée sur la « spécificité » de la cyclothymie.

Complexité du traitement de la cyclothymie

Avant de détailler notre approche psychologique de la cyclothymie, il est important de préciser certains points qui témoignent de la complexité et de la difficulté de traiter la cyclothymie :
  • En premier, l’absence de consensus sur la définition du spectre bipolaire et de la cyclothymie (donc un obstacle majeur pour obtenir le diagnostic correct)
  • Le tableau clinique complexe de la cyclothymie
  • L’absence de vrais épisodes (« clear-cut » episodes)
  • La continuité entre tempérament et trouble
  • La comorbidité assez riche (anxiétés, trouble conduites alimentaires, abus de substances, trouble de contrôle des impulsions…)
  • L’âge de début précoce
  • Les chevauchements avec les troubles de personnalité
  • Les longs délais avant le diagnostic (plus de 10 ans chez 50% des cas)
  • Les difficultés interpersonnelles des cyclothymiques (altération probable de la relation patient-thérapeute)
  • Faible réponse aux traitements conventionnels de la bipolarité.
Même quand le diagnostic est établi, il n’existe pas de traitement approuvé pour la cyclothymie – ni médicamenteux ni psychologique ! Ce manque de recherche est d’autant plus choquant quand on observe les conséquences de la cyclothymie en termes de récurrence dépressive et hypomaniaque, du risque suicidaire, d’abus de substances, d’aggravation avec les antidépresseurs, d’impact sur la vie sociale, professionnelle et familiale… (Nilsson et al 2012 ; Pompili et al 2012).

Pour toutes ces raisons, traiter la cyclothymie requiert aujourd’hui des approches sophistiquées qui tiennent compte d’une part de la complexité naturelle de ce trouble et d’autre part des conséquences péjoratives secondaires à de longues périodes d’errance diagnostique et thérapeutique.

Ainsi pour confirmer la pauvreté de la recherche clinique dans le domaine de la psychothérapie de la cyclothymie, nous n’avons retrouvé qu’une seule publication (Fava et al, 2011). Cette étude montre les bénéfices de la combinaison séquentielle de thérapie cognitive et thérapie de « bien-être » (sequential combination of cognitive behavioral therapy and well-being) qui sont supérieurs au suivi médical habituel. Les gains thérapeutiques avec cette méthode sont maintenus sur une période de suivi de 2 ans.

Principe de base

Un autre point important à signaler est le « timing » de la psychothérapie proprement dite. Pour nous, le traitement des aspects psychologiques de la cyclothymie doit se faire après une première phase médicamenteuse et de psychoéducation. En effet, une grande partie des dysfonctions psychologiques apparentes peuvent nʼêtre que les conséquences de l’instabilité (dérèglements circulaires des niveaux des émotions et des énergies physique et psychique), de la mixité (épisodes complexes), de l’intensité affective et de la réactivité émotionnelle excessive. Dans plus de la moitié des cas, un traitement psychotrope spécifique et adapté est suffisant pour obtenir des changements significatifs au niveau émotionnel et cognitif avec des conséquences positives sur des dimensions psychologiques comme la sensibilité au rejet, le manque d’estime de soi, le besoin de contrôle… Pour cette raison, on diffère toute intervention psychothérapique après l’obtention d’un certain niveau de stabilité émotionnelle.

Il n’existe pas de schéma « rigide » pour la psychothérapie des cyclothymiques. Cependant, toute psychothérapie doit respecter un modèle basique du trouble avec les mots-clé « hauts/bas », circularité, réactivité, intensité, sensibilité interpersonnelle, insécurité… Ces dimensions illustrent la « cyclicité endogène » du trouble cyclothymique (selon Koukopoulos et al, 2006) et doivent ainsi guider la prise en charge intégrée (médicaments et psychothérapie).

Dans notre pratique, l’approche cognitive et comportementale est appliquée de manière systématique avec des stratégies à adapter selon chaque cas (besoins et capacités individuels) et en fonction des objectifs principaux : connaître sa cyclothymie, apprendre à évaluer les cycles du trouble, appliquer des routines positives et enfin obtenir la meilleure stabilité possible.

La prise en charge de la cyclothymie est globalement divisée en 3 phases :
Schéma de la stratégie de traitement des cyclothymiques
Stratégie de traitement de la cyclothymie

Psychoéducation des cyclothymiques

La phase 1 ou Psychoéducation, a été largement détaillée dans notre livre « Soigner sa Cyclothymie » (avec le format en poche « vivre heureux avec des hauts et des bas », paru ches Odile Jacob, 2009, 2011). La psychoéducation a été explorée en format de groupe (7 groupes traités entre 2006 et 2008). Depuis, elle est appliquée systématiquement en individuel. L’objectif est donc d’expliquer au patient les points importants de ce trouble bipolaire, l’aider à tenir un agenda pour enregistrer ses cycles de haut et bas (sur papier, sur un ordinateur, sur un smartphone…) et dépister ainsi le début des « grands » épisodes et le mode évolutif des « petits » épisodes (parfois des changements dans la même journée).

De plus, cette phase permet d’informer le patient sur la multitude des problèmes associés à la cyclothymie (comme les dysfonctions cognitives et les fragilités psychologiques qui constituent des schémas de vie dysfonctionnels et source de difficultés et de souffrance).

Régulation comportementale et cognitive des cyclothymiques

La phase 2 dite phase de « régulation comportementale et cognitive » est dans la continuité de la phase 1 avec maintien de l’enregistrement des variations (une loupe sur les « petites » vagues de la cyclothymie), des conseils pour repérer les routines « négatives » (concernant les habitudes du sommeil, de nourriture, d’hygiène de vie, des rythmes sociaux…) et mise en place des routines plus « positives » (souvent des rythmes adaptés à chaque sujet selon ses capacités, son emploi du temps, ses activités…). Le but de cette phase, qui peut s’étaler sur des mois, est d’apprendre au sujet de connaître les hauts et les bas, en passant par les croyances dysfonctionnelles (qui vont de pair avec les périodes hypomaniaques et dépressives) afin de les gérer au mieux : avoir le contrôle optimal sur les phénomènes récurrents d’activation (hypomanie) et d’inhibition – blocage (dépression) (alatiq et al, 2010).

Il s’agit d’un travail plus subtil et difficile par rapport à la psychothérapie des troubles bipolaires « classiques » (BP-I / BP-II). En effet, dans ces troubles à évolution épisodique, il est plus facile de saisir le contraste entre le fonctionnement habituel de la personne et les épisodes d’(hypo)manie et de dépression. Dans la cyclothymie, les cycles sont ultra-rapides et d’amplitude moins intense que celle observée dans les troubles bipolaires-I / bipolaires-II. De plus, la cyclicité dans la cyclothymie est « endogène » (variations continuelles des niveaux d’humeur et d’énergie, indépendantes des événements extérieurs – même si les personnes cyclothymiques sont sensibles et réactifs au stress) – Mais c’est une « réactivité endogène excessive » qui est au centre de la cyclothymie.

Le travail avec les cyclothymiques est de faciliter la gestion des cycles en réparant les cognitions et les comportements liés soit à l’activation soit à l’inhibition (et parfois aux deux phénomènes combinés, comme activation psychique combinée à une inhibition physique – ce qui arrive souvent dans les états dépressifs mixtes, typiques dans la cyclothymie). Soigner les phases mixtes est une tâche difficile dans la psychothérapie.
Cette phase a été détaillée dans le livre « J’apprends à gérer ma cyclothymie » ( nouvelle édition, Septembre 2012).

La phase 2 peut également se focaliser sur la comorbidité anxieuse, une condition assez fréquente dans la cyclothymie (TOC, trouble Panique, Phobie Sociale, Stress Post-Traumatique…), notamment dans les cas où le trouble anxieux occupe le devant de la scène clinique (Perugi et al, 1999). D’une part, le thérapeute explique au patient les liens entre la cyclothymie et l’anxiété et d’autre part l’aide à réduire son anxiété en appliquant des techniques cognitives et comportementales adaptées à chaque trouble anxieux. Cette approche est importante pour les cyclothymiques car elle permet souvent d’éviter de prescrire des antidépresseurs pour soigner le trouble anxieux (ou au moins le donner aux doses les plus faibles).

Optimisation de lʼadaptation des cyclothymiques

La phase 3 « Optimiser l’adaptation» vise, comme les thymorégulateurs, la « stabilité au long cours ». Cette phase est multifocale puisqu’elle s’inspire de plusieurs modèles et concepts de la cyclothymie, notamment celui des tempéraments affectifs. Pour nous, un trouble cyclothymique est une accentuation pathologique d’un tempérament cyclothymique – donc, une nécessité au long cours d’assurer au patient la possibilité de vivre avec « sa nature cyclothymique » sans complications, donc de s’adapter avec son tempérament et les contraintes de son environnement. Pour cela, les deux premières phases devraient être acquises (comme avoir un socle chimique et comportemental solide sur lequel on peut continuer la thérapie) et d’autres techniques sont requises pour travailler sur plusieurs domaines :
  • La reconstruction de l’estime de soi (il est classique d’admettre que l’estime de soi soit affecté lourdement suite à l’instabilité et la réactivité émotionnelles excessives). Un faible estime de soi détermine une sensibilité maladive au jugement, à la critique, et surtout au rejet des autres. Les patients sont facilement blessés et offensés avec des sentiments forts de colère et d’hostilité vis-à-vis de certaines personnes qui seront considérées et traitées par les patients comme les « responsables » de leur souffrance et de leurs malheurs. Il n’est pas étonnant que face à des telles réactions que les patients cyclothymiques soient reconnus comme « hystériques » ou « borderline » (Perugi et al., 2003).
  • La restauration d’un soutien social « sain » : en effet, la majorité des cyclothymiques développent, en raison de leur sensibilité interpersonnelle, des difficultés relationnelles et surtout un handicap pour avoir des relations durables avec les proches, les amis ou les amoureux. Les proches signalent à quel point les cyclothymiques peuvent être hostiles et méchants avec leur entourage, surtout avec les personnes importantes et intimes. Dans plusieurs cas, on décrit des explosions de « rage » suite à des contrariétés ou disputes mineures (comme des avalanches émotionnelles avec des conséquences destructrices sur la vie sociale et familiale). Ce phénomène est typique de la cyclothymie juvénile.
  • L’aide à déjouer et survivre les schémas de vie répétitifs et dysfonctionnels qui sont liés à la cyclothymie. Notre étude préliminaire réalisée en 2008 (dans un échantillon de 45 patients cyclothymiques) au CTAH a montré la prévalence des scénarios de vie chez les cyclothymiques qui touchent 5 domaines : abandon, abnégation (ou sensibilité aux malheurs des autres), auto-contrôle insuffisant, dépendance affective, besoin de contrôle et de standards exigeants (Hantouche, 2010).
  • La mise en place du modèle de « Goodness of Fit » qui signifie aider la personne cyclothymique à trouver les meilleurs contexte et environnement qui conviennent à son tempérament de base (c’est-à-dire obtenir la meilleure harmonie entre la personne et son habitat : lieu de vie, travail, partenaires de vie, climat…). Ce modèle a été initié par Thomas et Chess, experts de la psychopathologie des enfants et de leurs tempéraments.
Le travail sur ces 4 domaines est censé garantir au cyclothymique la possibilité de sauvegarder sa propre nature (se connaître soi-même), de connaître ses propres limites (pour respecter celles des autres), de mieux choisir l’environnement et le style de vie (qui conviennent à sa nature) et par conséquent vivre en équilibre avec soi-même. Un de nos patients qui a été traité pour une agoraphobie handicapante associée à une cyclothymie, nous dit après 4 ans de suivi (avec une belle rémission clinique et fonctionnelle) : « maintenant je peux dire que j’aime me rencontrer» !

Références

  • Hantouche EG, Perugi G. Should cyclothymia be considered as a specific and distinct bipolar disorder? Neuropsychiatry, 2(5): 407-14. (2012)
  • Nilsson KK, Straarup KN, Jørgensen CR, Licht RW. Affective temperaments relation to functional impairment and affective recurrences in bipolar disorder patients. J. Affect. Disord. 138(3), 332-336 (2012).
  • Pompili M, Innamorati M, Rihmer Z et al. Cyclothymic-depressive-anxious temperament pattern is related to suicide risk in 346 patients with major mood disorders. J. Affect. Disord. 136(3):405-11 (2012).
  • Hantouche EG, Majdalani C, Trybou V. “Psychoeducation in group-therapy for cyclothymic patients; a novel approach”. Presented at: 7th IRBD, Rome, 3-5 May, 2007.
  • Hantouche EG, Trybou T (eds). Vivre heureux avec des hauts et des bas. Paris, Odile Jacob, (Janvier 2011)
  • Hantouche EG, Majdalani C. J’apprends à gérer ma cyclothymie. Josette Lyon, Septembre (2012).
  • Perugi G, Toni C, Akiskal HS. Anxious-bipolar comorbidity. Diagnostic and treatment challengesʼ, Psychiatric Clinics of North America, 22(3), 565-83 (1999). 
  • Koukopoulos A, Sani G, Koukopoulos AE, Albert MJ, Girardi P, Tatarelli R. Endogenous and exogenous cyclicity and temperament in bipolar disorder: review, new data and hypotheses. J. Affect. Disord. 96(3), 165-75 (2006).
  • Alatiq Y, Crane C, Williams JM, Goodwin GM. Dysfunctional beliefs in bipolar disorder: hypomanic vs. depressive attitudes. J. Affect. Disord. 122(3), 294-300 (2010).
  • Perugi G, Toni C, Travierso MC, Akiskal HS. The role of cyclothymia in atypical depression: toward a data-based reconceptualization of the borderline-bipolar II connection. J. Affect. Disord. 73(1-2), 87-98 (2003).
  • Hantouche EG. “Cyclothymia, Affective Basic Temperaments, and Schema Focused Diagnosis: Exploring Soft Bipolarity”- Presented at: the 10th IRBD, Budapest, 12-14 May, (2010).
  • Fava GA, Rafanelli C, Tomba E, Guidi J, Grandi S. The sequential combination of cognitive behavioral treatment and well-being therapy in cyclothymic disorder. Psychother. Psychosom. 80(3), 136-43 (2011).


01/05/2013
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