Rapports entre TOC et bipolarité : aperçu historique
Rapports entre TOC et bipolarité : aperçu historique
1/01/2008
Auteur : Dr Hantouche
Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Frontières / masques trompeurs
Racines historiques des liens entre TOC et bipolarité atténuée, bibliographie sur les TOCs et la bipolarité
Post rédigé par Dr Hantouche et C. Demonfaucon (président de l‘AFTOC)
"Je vais essayer de démontrer que cette aliénation très spéciale a droit à une existence à part, qu’elle forme un chapitre malheureusement trop réel de la pathologie de l’intelligence et qu’elle se prête volontiers à un exposé symptomatologique général facilement reconnaissable". Plusieurs articles suivront dans le même quotidien jusqu’au 9 décembre 1875. Ils seront aussitôt réunis sous la forme d’un ouvrage qui marquera l’entité.
La gazette des hôpitaux lui demandera rapidement un post-scriptum après les communications de faits observés par différents auteurs. Il sera publié le jeudi 6 janvier 1876.
De nombreux travaux dessineront les premiers contours de l’obsession, avec la théorie intellectuelle tenue par Westphal en 1877, et la théorie émotionnelle envisagée dès 1866 par Morel. Les relations entre émotivité et obsessions seront précisées par Delasiauve, Féré, Séglas, Pitres et Régis etc. Au cours de ces réflexions, l’importance de l’obsession sera appuyée par Charles Lasègue déclarant en 1881 :
"La délibération, qui se présente moins sous la forme d’un dilemme que sous celle d’une sorte de bascule intellectuelle, prend peu à peu le caractère de l’obsession, or l’obsession est, en pathologie mentale, un élément considérable à peine étudié"
Toutefois, Magnan (1890) ne fera aucune liaison entre la folie intermittente et l’obsession, rangeant la seconde avec l’impulsion et l’inhibition, dans les stigmates psychiques de la folie héréditaire, ou de la dégénérescence.
Par ailleurs, l’obsession et l’impulsion seront toujours envisagées de paire avec de nombreux auteurs, mais aucun élément ne viendra clairement préciser les rapports entre TOC et bipolarité (Demonfaucon, Hantouche, 2001a).
Bien avant cette date, on suppose que Esquirol, dans son fameux cas de Mlle F, a évoqué, sans insister, le rapport entre les phénomènes TOC et thymiques : "34 ans, de taille élevée ; elle a les cheveux châtains, les yeux bleus, la face colorée, le tempérament sanguin ; elle est d’un caractère gai et d’une humeur douce , Mlle F. craignait de faire tort aux autres Elle a quelques fois de la céphalalgie ; la face se colore promptement pour la plus légère émotion"
Dès 1900, G. Ballet liait la sitiomanie (boulimie) et la dipsomanie (impulsion à boire par crise) à la psychose périodique, mais c’est lors d’un article écrit pour la presse médicale du 14 mai 1902, qu’il signale à propos de la mélancolie intermittente :
"Dans ces formes atténuées, il n’y a pas, à proprement parler, d’idées délirantes : tout au plus de vagues idées de culpabilité, les malades se reprochant leur indifférence pour leurs parents, leur impuissance au travail, leurs agacements et leurs mouvements impulsifs ; assez souvent, on constate une tendance accusée aux craintes hypocondriaques. Enfin, constamment, les malades sont tourmentées par l’appréhension de ne pas guérir : même quand elles ont eu antérieurement des accès nombreux, dont la terminaison favorable devrait suffire à leur démontrer la curabilité de la crise présente, elles sont sceptiques, ne peuvent se convaincre de leur retour à la santé, et éprouvent souvent le besoin de se faire affirmer et réaffirmer par le médecin qu’elles ne sont pas incurables.
Des obsessions de diverses natures viennent souvent ajouter au caractère pénible de cet état : souvenirs désagréables, regrets de certains actes, préoccupation de n’avoir pas eu une attitude correcte dans telle ou telle circonstance de la vie ; ou encore pensées irrésistibles, de nature lubrique, par exemple, que les malades font de vains efforts pour chasser."
Dans les archives de neurologie de 1904, Serge Soukhanoff note l’existence de représentations et d’idées obsédantes très variables au cours de la période mélancolique de la folie circulaire.
En 1907, G.Ballet reviendra sur ce sujet : "l’obsession est plutôt du domaine des états mixtes avec dépression affective et excitation motrice et psychique, analogue par conséquent à la mélancolie anxieuse"
La même année, Anglade intervient au congrès de Genève et fait remarquer que la neurasthénie avec idées obsédantes peut alterner avec la manie "réalisant de la sorte une psychose maniaque-dépressive"
Kraepelin, dans son introduction à la psychiatrie clinique, cite les cas d’une fille ayant à l’occasion d’un accès de dépression, présenté des obsessions d’ordre sexuel très violentes. Dupré, en préfaçant la traduction, dit :
"Je signalerai comme original et, à mon avis légitime, l’interprétation étiologique et clinique que propose l’auteur, de certains états psychopathiques dépressifs où dominent les obsessions et qu’il regarde comme des manifestations de la folie périodique." et il conclut :
"ces cas qui, par la complexité, le polymorphisme et la nature même de leurs manifestations semblent ne relever que des états obsédants de la dégénérescence mentale, doivent être, à mon avis, considérés comme des accès légers de dépression périodique avec prédominance de syndromes obsédants."
Avant cela, Pitres et Régis publient en 1902 "les Obsessions et les Impulsions" ouvrage de référence publié un an avant la publication de Pierre Janet "les Obsessions et la Psychasthénie" (1903) qui fera date par l’importance de l’étude mais sera critiqué par plusieurs auteurs, dont Soukhanoff en 1908, demandant que des distinctions soient faites parmi les psychasthéniques de M. Janet, dont il range une part dans la cyclothymie".
En 1908 également, Hartenberg, sur un article de la presse médicale à propos de la cyclothymie, déclare que la psychasthénie : "est une synthèse artificielle dont la solidité ne résiste pas à l’épreuve des faits"
Pierre Janet répond à son ouvrage "les névroses" publié en 1909 :
"Mais un certain nombre de malades nous présente une forme de développement vraiment extraordinaire et qui ne me paraît pas complètement élucidé. La durée des périodes de dépression et la durée des intermittences semble à peu près régulière et cela pendant un temps très long : ils ont six mois de dépression, trois ou quatre mois de bonne santé, puis, inévitablement, au moins en apparence, une dépression nouvelle. Ce sont des malades qui ont donné naissance aux diverses conceptions médicales de la folie intermittente, de la folie à double forme, de la folie circulaire. On peut se demander si le caractère à peu près périodique de leur maladie suffit pour les distinguer des autres psychasthéniques et pour constituer une maladie toute spéciale appelée aujourd’hui par les Allemands la "psychose maniaque-dépressive".
Dans certains cas, il y a là évidemment des phénomènes assez distincts de ceux que nous venons de décrire, mais je crois que bien souvent on a exagéré cette distinction. Au point de vue psychologique, beaucoup de malades ne diffèrent point du tout de nos psychasthéniques. Il n’y a que l’évolution de leur maladie qui, par suite de circonstances spéciales, encore mal élucidées, prend une allure un peu particulière [ ]. Il n’était peut-être pas indispensable de changer tout à fait la conception de la maladie simplement à cause d’une modification de son évolution".
A la lecture de ce passage, Deny renchérit la critique, en déclarant sur la préface de la thèse de son élève P.Kahn (1909) :
"On a, en effet, le travers en psychiatrie d’accorder une certaine importance à l’évolution des maladies, mais on tient compte aussi de divers autres caractères, et lorsqu’on voit plusieurs syndromes, ayant déjà une évolution et une origine communes se combiner et se remplacer mutuellement, comme cela est précisément le cas pour les états maniaques et dépressifs, il semble assez logique de les considérer comme formant une seule et même espèce morbide et de les réunir et de les grouper sous une étiquette générique. C’est peut-être en partant de ces données que différents auteurs accusent aujourd’hui une certaine tendance à envisager les obsessions qui forment, comme on le sait, l’armature si merveilleusement ciselée par M. Pierre Janet, de la psychasthénie, comme ressortissant plutôt à ces vieilles "conceptions médicales de la folie intermittente, de la folie à double forme, de la folie circulaire" rajeunies et transfigurées par la théorie de la cyclothymie et de la psychose maniaque-dépressive."
P. Khan publiera sa thèse en 1909 où plusieurs observations de scrupules et d’obsessions seront observées avec la constitution cyclothymique. Il fera une communication au congrès de Nantes en 1910 sur l’obsession et la cyclothymie.
En 1909 également, Sollier publiera un ouvrage important sur "le doute", Deny et Charpentier dans la revue l’Encéphale, un article sur "Obsessions et Psychose Maniaque-Dépressive"
En 1911, Bedel, élève de G.Ballet, effectuera une étude approfondie sur "les rapports des Obsessions avec la Psychose Périodique", lors de sa thèse de Médecine. Il conclura : "Il nous semble donc rationnel, en nous basant sur les données qui précèdent, de considérer la plupart des crises d’obsession comme des équivalents symptomatiques des accès de manie et de mélancolie de la psychose périodique"
Telle une boucle, G.Ballet fermera cette première partie de l’histoire qu’il avait commencé en inscrivant à la section de pathologie médicale de l’Académie de Médecine, un mémoire de 6 pages manuscrites, le 8 janvier 1912 "Les Obsessions dans la Psychose Périodique", jamais publié mais conservé aux archives à l’Académie de Médecine.
G.Ballet conclura : "Il ne s’agit pas ici, qu’on le remarque bien, d’une subtilité de classification qui n’aurait qu’un pur et maigre intérêt théorique. La révision que je défends a un incontestable intérêt pratique.
...’Dans les faits auxquels je viens faire allusion les phénomènes obsédants peuvent être assez accusés pour dissimuler, si l’on est averti, les phénomènes sous-jacents de dépression et d’excitation. Ce sont ceux-là pourtant plus encore que les autres qu’il importe de ne pas méconnaître car se sont ceux qui sont importants et cliniquement significatifs puisque ce sont eux qui impriment au processus morbide son caractère et commandent son évolution. Or cette évolution, je l’ai dit, est dans ces cas, essentiellement intermittente et par accès tantôt rapprochés tantôt éloignés, tandis que chez les obsédés d’un autre ordre, elle est chronique. Chez ces derniers, on ne peut jamais prévoir ni quand finissent, ni si finiront les obsessions, chez les obsédés affectés de psychose périodique, la guérison est certaine si la récidive est probable. C’est pour n’avoir pas fait les distinctions sur lesquelles je viens d’insister, qu’on a souvent commis, et moi tout le premier naguère, des erreurs de pronostic qu’on évitera en ne perdant pas de vue les notions sur lesquelles il m’a paru utile d’appeler l’attention"
Il est remarquable de redécouvrir les rapports entre TOC et bipolarité à travers les observations des auteurs anciens. Comme le disait G. Ballet, Il ne s’agit pas d’une subtilité de classification, mais d’une réalité clinique fréquente qui nécessite une approche phénoménologique appropriée (Demonfaucon, Hantouche, 2001a,b) et légitime une prise en charge spécifique.
Nos publications sur les rapports entre TOC et bipolarité datent depuis plus de 10 ans et nous constatons que peu de psychiatres en font référence ou les appliquent dans leur pratique. Le CTAH reçoit des dizaines de patients qui viennent consulter pour des TOC sévères ou réfractaires et se révèlent, bel et bien, appartenant au spectre bipolaire, notamment cyclothymique.
Fin du XIXeme siècle
Les éclats de la bipolarité n’ont pas effleuré le TOC malgré la "bataille" de la monomanie où l’obsession avait sa place (monomanie raisonnante d’ Esquirol, monomanie avec conscience de Baillarger), et le Dr Legrand du Saulle établira une première synthèse en déclarant, dans la gazette des hôpitaux du mardi 28 septembre 1875, au sujet de la folie du doute (avec délire du toucher) :"Je vais essayer de démontrer que cette aliénation très spéciale a droit à une existence à part, qu’elle forme un chapitre malheureusement trop réel de la pathologie de l’intelligence et qu’elle se prête volontiers à un exposé symptomatologique général facilement reconnaissable". Plusieurs articles suivront dans le même quotidien jusqu’au 9 décembre 1875. Ils seront aussitôt réunis sous la forme d’un ouvrage qui marquera l’entité.
La gazette des hôpitaux lui demandera rapidement un post-scriptum après les communications de faits observés par différents auteurs. Il sera publié le jeudi 6 janvier 1876.
De nombreux travaux dessineront les premiers contours de l’obsession, avec la théorie intellectuelle tenue par Westphal en 1877, et la théorie émotionnelle envisagée dès 1866 par Morel. Les relations entre émotivité et obsessions seront précisées par Delasiauve, Féré, Séglas, Pitres et Régis etc. Au cours de ces réflexions, l’importance de l’obsession sera appuyée par Charles Lasègue déclarant en 1881 :
"La délibération, qui se présente moins sous la forme d’un dilemme que sous celle d’une sorte de bascule intellectuelle, prend peu à peu le caractère de l’obsession, or l’obsession est, en pathologie mentale, un élément considérable à peine étudié"
Toutefois, Magnan (1890) ne fera aucune liaison entre la folie intermittente et l’obsession, rangeant la seconde avec l’impulsion et l’inhibition, dans les stigmates psychiques de la folie héréditaire, ou de la dégénérescence.
Par ailleurs, l’obsession et l’impulsion seront toujours envisagées de paire avec de nombreux auteurs, mais aucun élément ne viendra clairement préciser les rapports entre TOC et bipolarité (Demonfaucon, Hantouche, 2001a).
début 1900
G.Ballet, dès 1900, a été le premier à attirer l’attention sur les rapports qui pouvaient exister entre TOC et bipolarité.Bien avant cette date, on suppose que Esquirol, dans son fameux cas de Mlle F, a évoqué, sans insister, le rapport entre les phénomènes TOC et thymiques : "34 ans, de taille élevée ; elle a les cheveux châtains, les yeux bleus, la face colorée, le tempérament sanguin ; elle est d’un caractère gai et d’une humeur douce , Mlle F. craignait de faire tort aux autres Elle a quelques fois de la céphalalgie ; la face se colore promptement pour la plus légère émotion"
Dès 1900, G. Ballet liait la sitiomanie (boulimie) et la dipsomanie (impulsion à boire par crise) à la psychose périodique, mais c’est lors d’un article écrit pour la presse médicale du 14 mai 1902, qu’il signale à propos de la mélancolie intermittente :
"Dans ces formes atténuées, il n’y a pas, à proprement parler, d’idées délirantes : tout au plus de vagues idées de culpabilité, les malades se reprochant leur indifférence pour leurs parents, leur impuissance au travail, leurs agacements et leurs mouvements impulsifs ; assez souvent, on constate une tendance accusée aux craintes hypocondriaques. Enfin, constamment, les malades sont tourmentées par l’appréhension de ne pas guérir : même quand elles ont eu antérieurement des accès nombreux, dont la terminaison favorable devrait suffire à leur démontrer la curabilité de la crise présente, elles sont sceptiques, ne peuvent se convaincre de leur retour à la santé, et éprouvent souvent le besoin de se faire affirmer et réaffirmer par le médecin qu’elles ne sont pas incurables.
Des obsessions de diverses natures viennent souvent ajouter au caractère pénible de cet état : souvenirs désagréables, regrets de certains actes, préoccupation de n’avoir pas eu une attitude correcte dans telle ou telle circonstance de la vie ; ou encore pensées irrésistibles, de nature lubrique, par exemple, que les malades font de vains efforts pour chasser."
Dans les archives de neurologie de 1904, Serge Soukhanoff note l’existence de représentations et d’idées obsédantes très variables au cours de la période mélancolique de la folie circulaire.
En 1907, G.Ballet reviendra sur ce sujet : "l’obsession est plutôt du domaine des états mixtes avec dépression affective et excitation motrice et psychique, analogue par conséquent à la mélancolie anxieuse"
La même année, Anglade intervient au congrès de Genève et fait remarquer que la neurasthénie avec idées obsédantes peut alterner avec la manie "réalisant de la sorte une psychose maniaque-dépressive"
Kraepelin, dans son introduction à la psychiatrie clinique, cite les cas d’une fille ayant à l’occasion d’un accès de dépression, présenté des obsessions d’ordre sexuel très violentes. Dupré, en préfaçant la traduction, dit :
"Je signalerai comme original et, à mon avis légitime, l’interprétation étiologique et clinique que propose l’auteur, de certains états psychopathiques dépressifs où dominent les obsessions et qu’il regarde comme des manifestations de la folie périodique." et il conclut :
"ces cas qui, par la complexité, le polymorphisme et la nature même de leurs manifestations semblent ne relever que des états obsédants de la dégénérescence mentale, doivent être, à mon avis, considérés comme des accès légers de dépression périodique avec prédominance de syndromes obsédants."
Avant cela, Pitres et Régis publient en 1902 "les Obsessions et les Impulsions" ouvrage de référence publié un an avant la publication de Pierre Janet "les Obsessions et la Psychasthénie" (1903) qui fera date par l’importance de l’étude mais sera critiqué par plusieurs auteurs, dont Soukhanoff en 1908, demandant que des distinctions soient faites parmi les psychasthéniques de M. Janet, dont il range une part dans la cyclothymie".
En 1908 également, Hartenberg, sur un article de la presse médicale à propos de la cyclothymie, déclare que la psychasthénie : "est une synthèse artificielle dont la solidité ne résiste pas à l’épreuve des faits"
Pierre Janet répond à son ouvrage "les névroses" publié en 1909 :
"Mais un certain nombre de malades nous présente une forme de développement vraiment extraordinaire et qui ne me paraît pas complètement élucidé. La durée des périodes de dépression et la durée des intermittences semble à peu près régulière et cela pendant un temps très long : ils ont six mois de dépression, trois ou quatre mois de bonne santé, puis, inévitablement, au moins en apparence, une dépression nouvelle. Ce sont des malades qui ont donné naissance aux diverses conceptions médicales de la folie intermittente, de la folie à double forme, de la folie circulaire. On peut se demander si le caractère à peu près périodique de leur maladie suffit pour les distinguer des autres psychasthéniques et pour constituer une maladie toute spéciale appelée aujourd’hui par les Allemands la "psychose maniaque-dépressive".
Dans certains cas, il y a là évidemment des phénomènes assez distincts de ceux que nous venons de décrire, mais je crois que bien souvent on a exagéré cette distinction. Au point de vue psychologique, beaucoup de malades ne diffèrent point du tout de nos psychasthéniques. Il n’y a que l’évolution de leur maladie qui, par suite de circonstances spéciales, encore mal élucidées, prend une allure un peu particulière [ ]. Il n’était peut-être pas indispensable de changer tout à fait la conception de la maladie simplement à cause d’une modification de son évolution".
A la lecture de ce passage, Deny renchérit la critique, en déclarant sur la préface de la thèse de son élève P.Kahn (1909) :
"On a, en effet, le travers en psychiatrie d’accorder une certaine importance à l’évolution des maladies, mais on tient compte aussi de divers autres caractères, et lorsqu’on voit plusieurs syndromes, ayant déjà une évolution et une origine communes se combiner et se remplacer mutuellement, comme cela est précisément le cas pour les états maniaques et dépressifs, il semble assez logique de les considérer comme formant une seule et même espèce morbide et de les réunir et de les grouper sous une étiquette générique. C’est peut-être en partant de ces données que différents auteurs accusent aujourd’hui une certaine tendance à envisager les obsessions qui forment, comme on le sait, l’armature si merveilleusement ciselée par M. Pierre Janet, de la psychasthénie, comme ressortissant plutôt à ces vieilles "conceptions médicales de la folie intermittente, de la folie à double forme, de la folie circulaire" rajeunies et transfigurées par la théorie de la cyclothymie et de la psychose maniaque-dépressive."
P. Khan publiera sa thèse en 1909 où plusieurs observations de scrupules et d’obsessions seront observées avec la constitution cyclothymique. Il fera une communication au congrès de Nantes en 1910 sur l’obsession et la cyclothymie.
En 1909 également, Sollier publiera un ouvrage important sur "le doute", Deny et Charpentier dans la revue l’Encéphale, un article sur "Obsessions et Psychose Maniaque-Dépressive"
En 1911, Bedel, élève de G.Ballet, effectuera une étude approfondie sur "les rapports des Obsessions avec la Psychose Périodique", lors de sa thèse de Médecine. Il conclura : "Il nous semble donc rationnel, en nous basant sur les données qui précèdent, de considérer la plupart des crises d’obsession comme des équivalents symptomatiques des accès de manie et de mélancolie de la psychose périodique"
Telle une boucle, G.Ballet fermera cette première partie de l’histoire qu’il avait commencé en inscrivant à la section de pathologie médicale de l’Académie de Médecine, un mémoire de 6 pages manuscrites, le 8 janvier 1912 "Les Obsessions dans la Psychose Périodique", jamais publié mais conservé aux archives à l’Académie de Médecine.
G.Ballet conclura : "Il ne s’agit pas ici, qu’on le remarque bien, d’une subtilité de classification qui n’aurait qu’un pur et maigre intérêt théorique. La révision que je défends a un incontestable intérêt pratique.
...’Dans les faits auxquels je viens faire allusion les phénomènes obsédants peuvent être assez accusés pour dissimuler, si l’on est averti, les phénomènes sous-jacents de dépression et d’excitation. Ce sont ceux-là pourtant plus encore que les autres qu’il importe de ne pas méconnaître car se sont ceux qui sont importants et cliniquement significatifs puisque ce sont eux qui impriment au processus morbide son caractère et commandent son évolution. Or cette évolution, je l’ai dit, est dans ces cas, essentiellement intermittente et par accès tantôt rapprochés tantôt éloignés, tandis que chez les obsédés d’un autre ordre, elle est chronique. Chez ces derniers, on ne peut jamais prévoir ni quand finissent, ni si finiront les obsessions, chez les obsédés affectés de psychose périodique, la guérison est certaine si la récidive est probable. C’est pour n’avoir pas fait les distinctions sur lesquelles je viens d’insister, qu’on a souvent commis, et moi tout le premier naguère, des erreurs de pronostic qu’on évitera en ne perdant pas de vue les notions sur lesquelles il m’a paru utile d’appeler l’attention"
Conclusion
Cette période, 1816-1912, pour autant qu’elle soit prise au coeur des documents ne se veut pas exhaustive. En effet, chaque jour passé en bibliothèque apporte une nouvelle pierre à l’édifice historique. Il faut toutefois noter et affirmer que la clinique ne saurait se départir de son histoire, et y revenir est nécessaire à la mémoire des faits cliniques. Ils font échos aux travaux actuels et leur donne toute leur amplitude. Une étude récente, réalisée par l’ AFTOC et consacrée à "TOC cyclothymie" (Hantouche et al, 2003).Il est remarquable de redécouvrir les rapports entre TOC et bipolarité à travers les observations des auteurs anciens. Comme le disait G. Ballet, Il ne s’agit pas d’une subtilité de classification, mais d’une réalité clinique fréquente qui nécessite une approche phénoménologique appropriée (Demonfaucon, Hantouche, 2001a,b) et légitime une prise en charge spécifique.
Nos publications sur les rapports entre TOC et bipolarité datent depuis plus de 10 ans et nous constatons que peu de psychiatres en font référence ou les appliquent dans leur pratique. Le CTAH reçoit des dizaines de patients qui viennent consulter pour des TOC sévères ou réfractaires et se révèlent, bel et bien, appartenant au spectre bipolaire, notamment cyclothymique.
Bibliographie
- BAILLARGER J., Sur la folie circulaire, Bulletin de l’Académie Impériale de Médecine, éditions J.B Baillière, 1854, page 413.
- BAILLARGER J., Monomanie avec conscience, Archives Cliniques des maladies mentales et nerveuses, 1861.
- BALLET G., Les obsessions dans la psychose périodique, Manuscrit conservé à l’Académie de Médecine (Paris), 8 janvier 1912, pages 6.
- BEDEL R., Les rapports des obsessions avec la psychose périodique, éditions Jules Rousset, thèse de Paris, 1911. loc cité G.Ballet.
- DELASIAUVE L., Du délire émotif, Journal de Médecine Mentale, édition V. Masson et fils, Paris, 1867 ; tome VII
- DEMONFAUCON C et HANTOUCHE E.G. (2001a). Autour de la comorbidité entre TOC et trouble bipolaire : historique et enquêtes récentes, Nervure, Paris, Décembre : 9-15.
- DEMONFAUCON C. et HANTOUCHE E.G. (2001b). Approche dimensionnelle des rapports entre TOC et bipolarité : interactions entre émotivité, impulsivité et lenteur, place fondamentale de la symétrie. Synapse, Novembre,180 : 31-40.
- DESCURET J.B. Manie de l’ordre, La médecine des passions ou les passions considérées dans leurs rapports avec les maladies, les lois et la religion, Labé libraire, Paris, 1884, chap.18 : 742.
- DENY G., préface de la thèse de Pierre Kahn, La Cyclothymie, de la constitution cyclothymique et de ses manifestations (dépression et excitation intermittentes), éditions G. Steinheil, 1909
- DENY G. et CAMUS P., Les Folies intermittentes, La Psychose maniaque-dépressive, éditions JB Baillière et fils, les actualités médicales, 1907 loc cité Sérieux, Capras, Rogues de Fursac, Kirn.
- DENY G. et CHARPENTIER R., Obsessions et Psychose Maniaque-Dépressive, Revue L’Encéphale, 1909, loc cité G.Ballet et S.Soukhanoff
- DOMERGUE A.J., Considérations sur les Etats Mixtes de la Psychose Maniaque -Dépressives, Diagnostic, imprimerie Berthod, 1938, page 14, loc cité G.Ballet, 1903.
- DUBUISSON J., Des vésanies ou maladies mentales, 1816, Paris, chez l’auteur, page 165 (tableau)
- ESQUIROL E., De la monomanie, la monomanie raisonnante, Des maladies mentales, considérées sous les rapports médical, hygiénique et médico-légal, librairie J.B Baillière, Paris, , Mlle F. 1838, page 361
- FéRé CH., La pathologie des émotions, études physiologiques et cliniques, Félix Alcan éditeur, Paris, 1892.
- FREUD S., Obsessions et phobies : leur mécanisme psychique et leur étiologie. Revue Neurologique de Brissaud et Marie, 1895 ; Tome III. Loc. cité Hack Tuke
- FRIDERICH V., Sur le rôle des obsessions dans la folie maniaque-dépressive, éditions Universitaires de Strasbourg, 1929, loc cité Kraepelin et Dupré.
- GEOFFROY A., De la folie à double forme, imprimerie Rignoud, 19 décembre 1861, thèse de Paris, pages 28 et 39.
- JANET P., Les Obsessions et la Psychasthénie. Félix Alcan éditeur,Paris, 1903.
- JANET P., Les névroses, éditions Ernest Flammarion, 1909, page 290.
- KAHLBAUM, Uber cykliches Irresein, Breslauer Aertzlich. Zeitschritt, 14 octobre 1882, page 217.
- KHAN P., La Cyclothymie, de la constitution cyclothymique et de ses manifestations (dépression et excitation intermittentes), éditions G. Steinheil, thèse de Paris, 1909 loc cité Khalbaum.
- KERAVAL P., La pratique de la médecine mentale, conférences, Vigot Frères éditeurs, Paris, 1901, page 241.
- LASEGUE CH., Vertige Mental, études médicales, Asselin et Cie éditeurs, Paris, 1884, Tome 1, communication faite à l’Académie de médecine, janvier 1876.
- LASEGUE CH., La mélancolie perplexe, études médicales, Asselin et Cie éditeurs, Paris, 1884, Tome 1, page 704, archives générales de médecine, 1881.
- LEGRAND DU SAULLE H., La folie du doute (avec délire du toucher), Gazette des Hôpitaux, éditions de La lancette française, 1875, numéros des 28, 30 septembre, 7,14, 21, 28 octobre, 11, 23 novembre, 9 décembre.
- LEGRAND DU SAULLE H., La folie du doute (avec délire du toucher), éditions Adrien Delahaye, 1875.
- LEGRAND DU SAULLE H., folie â double forme. Guérison par l’emploi du sulfate de quinine, Annales-Médico-Psychologiques, 1855, page 53.
- MAGNAN V., Alcoolisme (hygiène), dégénérescence mentale (médecine légale), recherche sur les centres nerveux, quatrième partie : de la folie intermittente, congrès international de médecine de Berlin 1890, édition G. Masson 1893, pages 506 et 512 (illustration)
- MAGNAN V., Les folies intermittentes, La Semaine médicale, août 1890, page 297.
- MARCE L.V, De la folie â double forme, ou folie circulaire, Traité pratique des maladies mentales, éditions J.B Baillière et fils, Paris, 1862, page 339.
- MOREL B.A Du délire émotif, névrose du système nerveux ganglionnaire viscéral. Extrait des Archives Générales de Médecine, Pierre Asselin éditeur, Paris, 1866
- PITRES A. et REGIS E., Les obsessions et les impulsions, Octave Doin éditeur, Paris, Bibliothèque Internationale de Psychologie Expérimentale normale et pathologique, 1902.
- RITTI A., Traité clinique de la Folie â Double Forme (folie circulaire, délire â formes alternes, Ouvrage couronné par l’Académie de Médecine (prix Falret) 1880, Octave Doin éditeur, 1883, page 195.
- ROUILLARD A. et ISCOVESCO M., L’obsession en pathologie mentale, Gazette des Hôpitaux, éditions La Lancette française, 1896, numéro 49, samedi 25 avril. Loc cité Wernicke, Meynert.
- SEGLAS J. Leçons cliniques sur les maladies nerveuses (Henri Meige), 1894, Asselin et Houzeau libraires, Paris, 1895.
- SOLLIER P. Obsessions, Guide pratique des maladies mentales (séméiologie ? pronostic ? indications), G.Masson éditeur, 1893, page 355.
- SOLLIER P. Le Doute, Bilbliothèque de Philosophie contemporaine, Félix Alcan éditeur, Paris, 1909, loc cité Sollier P., revue de médecine, 1891.
- SOUKHANOFF S., Sur la pathologie des obsessions morbides, Archives de Neurologie, édition du progrès médical, 1903, page 274.