Bipolaire-info a le plaisir de vous présenter exceptionnellement ce large extrait de l'ouvrage "Soigner sa cyclothymie" du docteur Elie Hantouche et du psychologue VincentTrybou, paru en mars 2009 aux éditions Odile Jacob.
Il s'agit dune partie du chapître consacré aux états mixtes, ces périodes si pénibles à vivre et si difficiles à traiter pendant lesquelles symptômes dépressifs et hypomaniaques s'enchevêtrent.
Nous vous proposons de le lire attentivement puis de nous retrouver dans le forum bipoéducation pour discuter de nos cas
Savoir repérer l’état mixte : un mélange de dépression et d’hypomanie au même moment
L’état mixte est une mixture détonante classique chez les personnes souffrant de bipolarité. Théoriquement, on peut penser quand on est bipolaire ou cyclothymique, que le sujet est en « haut » ou en « bas ». Cependant, il existe des épisodes où on peut présenter simultanément des variations d’humeur et d’énergie de polarité opposée. Ainsi l’« état mixte » consiste en un mélange de signes de dépression et d’hypomanie au même moment. Le plus souvent, on ressent la force de l’hypomanie (énergie se manifestant dans le corps ou dans l’afflux subit de pensées) d’un côté, et l’émotion négative ou l’immobilisme de la dépression de l’autre. Cet état mixte est nettement plus fréquent dans la cyclothymie et cela s’explique par la rapidité des oscillations des niveaux d’humeur et d’énergie, donc par l’extrême instabilité.
➤ Comment peut-on ressentir ces états mixtes ? Pour vous aider à mieux définir ces états, pensez en premier que les variations vers le haut (les excès) et le bas (les défauts) s’opèrent dans trois domaines : votre corps (psychomotricité), votre humeur (émotions) et votre esprit (pensées). Ainsi, en combinant les doubles variations dans les trois domaines, six formes d’états mixtes sont possibles (dans le tableau qui suit les états mixtes sont classés selon les combinaisons possibles avec des flèches orientées en fonction de la polarité hypomaniaque ou dépressive).
Pensées Émotions Corps Hypomanie inhibée ou ralentie ▲ (H) ▲ (H) ▼ (D) Hypomanie mixte « dépressive » ▲ (H) ▼ (D) ▲ (H) Hypomanie avec pauvreté de la pensée ▼ (D) ▲ (H) ▲ (H) Dépression mixte agitée ▼ (D) ▲ (D) ▲ (H) Dépression mixte excitée ▼ (D) ▲ (H) ▼ (D) Dépression mixte avec pensée abondante ▲ (H) ▼ (D) ▼ (D)
(H) : variation vers le haut hypomaniaque
(D) : variation vers le bas dépressif
Regardons ensemble ces formes classiques d’états mixtes.
– Vous êtes « hyper », exalté, de bonne humeur, vous vous sentez plein d’entrain, envie de faire plein de choses, mais rien ne sort ; votre corps est en décalage, il n’arrive pas à suivre l’envolée de vos émotions et ambitions. Vous êtes dans une « hypomanie mixte type inhibée », tout comme une voiture qui s’apprête à démarrer à pleine vitesse mais dont le frein à main est toujours levé.
Hèlène, 36 ans, mère au foyer vient souvent consulter pour une dépression ; c’est le mari qui l’amène régulièrement lors de ses rechutes, qui, selon lui, sont des dépressions. À l’entretien, Hélène, malgré son aspect général figé et bloqué, participe bien et discute comme il faut. Elle se plaint de ne pas pouvoir réaliser ce qui se passe dans sa tête.
– Vous êtes « hyper », bourré de projets à réaliser, et surtout hyperactif (200 à l’heure et rien ne vous freine), vos pensées aussi sont rapides et créatives, mais l’esprit ne suit pas. Au fond, vous êtes en même temps triste, morose, pas de joie, pas d’émotions agréables. C’est l’« hypomanie mixte dépressive » ou dysphorique. Souvent, des montées subites et incontrôlables de peur, d’angoisse, sans raison, une incapacité à savoir comment faire les choses peuvent survenir et entraîner une perte de contrôle et la panique. On ressent un flottement dans la tête, sans pour autant être capable de dire si c’est de la peur, de l’appréhension, ou l’attente d’une catastrophe… Cet état est inexplicable et peut durer quelques heures ou quelques jours sans raison particulière. La différence avec les autres formes d’états mixtes réside dans le fait que l’hypomanie n’alimente pas d’excitation mentale ou physique mais représente un réservoir inépuisable d’angoisse, sans scénario ou idée claire. Tout se traduit par de la fuite, de l’évitement, de la peur flottante.
Paul, 45 ans, commercial « Il m’arrive une à deux fois par mois d’avoir une montée de panique sans raison. Je suis chez moi, je rentre du travail et cela arrive d’un seul coup. Je sens que ma tête tourne à 100 à l’heure, je ressens de la peur, mais je n’en trouve pas la raison. Et le pire est que, comme c’est sans raison, je ne sais pas quoi faire pour me calmer. »
– Vous êtes hyperactif, envie de faire plein de choses, exalté (en d’autres termes trop bien) mais votre esprit semble bloqué – trop d’énergie pour rien –, pas de projet, la pensée lente, pauvre ou bloquée sur une idée (ça tourne comme une idée fixe ou une obsession et ça rumine). Dans ces cas, on devient plus impulsif que d’habitude. L’impulsivité se manifeste par des conduites à risque (envie de faire mal ou de se faire mal, de prendre des risques, de tester l’impossible, crises de boulimie). Très souvent, ces patients ressentent une grande impression de vide et ont des envies suicidaires. L’état mixte avec impulsivité est dangereux (risque suicidaire, risque de se blesser) et demande que vous appeliez au plus vite votre psychiatre. Ce type d’état mixte, et notamment l’impulsivité qui l’alimente, est un état très complexe reposant sur une base biologique (l’énergie vient de l’hypomanie) et envenimé par des facteurs psychologiques (événements ou pensées qui entraînent une émotion triste ou une excitation).
Mathilde, 23 ans, étudiante en architecture « Quand je me sens bouillonnante dans la tête et que mon corps ne veut rien, c’est insoutenable pour moi, autant à cause de l’ébullition que par la montée inexpliquée d’une impulsivité et d’une envie de se foutre en l’air pour que ça cesse. Le plus souvent je prends du cannabis ou je me tripote les bras à la lame de rasoir. Cela m’arrive soit quelques fois par an, soit très fréquemment en quelques jours. Puis ça retombe d’un seul coup. Jusqu’à la prochaine fois. »
– Vous êtes très agité, comme une pile électrique (taper du pied, raclements incessants de gorge, impossibilité de rester en place) et à l’inverse votre cerveau est complètement vide, sans idée claire, avec un ressenti triste. C’est l’hypomanie dans le corps et la dépression dans les émotions et les pensées. C’est la « dépression mixte agitée » (ou Melancholia Agitans).
Étienne, 27 ans, professeur d’italien « Il m’arrive souvent, quand je perds pied, quand je suis dans une situation dont je ne trouve pas l’issue, de ressentir une montée de souffrance très vive et de forte agitation. Je touche à tout, je zappe, commence sans finir, je n’ai aucune concentration. Je me sens mal, j’ai envie de tout casser, et en même temps mon cerveau ne veut rien entendre. Le plus souvent, je sors dans la rue et je marche pendant des heures, ou je vais à la piscine me fatiguer physiquement. Et si on me demande ce qui se passe, si on me demande d’écrire, il n’y a rien qui sort. Je ne suis même pas sûr de pouvoir rester attentif à ce qu’on me dit. Je me sens mal, ça doit sortir, j’ai les larmes aux yeux. »
– Vous-vous sentez abattu, l’esprit ralenti, tout a l’air d’une dépression « banale » mais vous êtes pris par des crises de rire ; paradoxalement, votre humeur paraît joyeuse sans raison.
Alexandre, 19 ans, étudiant en économie « La dernière fois, je regardais un DVD et subitement j’ai eu une crise de fou rire et des larmes de tristesse qui sont montées. Le DVD me paraissait drôle mais ce que disait la personne touchait en moi une douleur passée. C’est très étrange cette impression de ressentir des émotions contradictoires d’un seul coup. »
– Vous ressentez votre corps lourd comme « en plomb », avec une immense difficulté à faire quoi que ce soit ; vous ressentez une intense fatigue, de la tristesse ou du mal-être, et paradoxalement votre cerveau est envahi de milliers de choses floues, de pensées pêle-mêle de ce que vous avez fait dans la journée, des pensées qui s’encombrent sans fil conducteur et forment comme un « bouchon de circulation » (certains désignent cet état de « crowded thoughts » ou embouteillage de pensées). C’est la dépression au niveau du corps et de l’émotion et l’hypomanie au niveau de la pensée (trop-plein de pensées).
Fabien, 32 ans, assistant juridique « Le soir, quand je me couche, je sais que c’est parti pour plusieurs heures de ruminations sur tout et rien, une parole entendue dans la journée, une chanson qui passe en boucle dans ma tête. Je ne peux rien contrôler et c’est extrêmement fatigant. Je me sens épuisé et pourtant, il y a quelque part une réserve d’énergie intarissable pour alimenter ces délires. »
Quelle que soit la forme que revêt l’état mixte, il est fréquent que les patients relatent aussi des manifestations anxieuses comme l’arrivée : – d’obsessions soudaines, souvent à thème sexuel, de mort, de maladie. Ce sont des pensées absurdes et irrationnelles, basées sur rien, aucune logique, mais insistantes et intrusives, en boucle ; – des crises de panique spontanées, parfois survenant en plein milieu de votre sommeil ; – d’une anxiété sociale sévère où l’on devient subitement timide, on perd ses moyens face aux autres et on n’a qu’une seule envie, est disparaître ou quitter les lieux dans l’immédiat ; – des soucis de tout genre au sujet de la famille, du travail, de la santé, des finances… ; – des inquiétudes sur votre corps au point de devenir subitement hypocondriaque.
➤ Pourquoi est-il si important de connaître les états mixtes ? – En premier lieu, ça aide à suspecter la nature cyclothymique de votre trouble ; en effet, on ne peut pas manifester un état mixte si on n’est pas bipolaire ; donc mixité signifie présence de phénomène bipolaire. – En second, les variétés des états mixtes peuvent fausser les pistes diagnostiques vers des diagnostics comme TOC, trouble panique ou hystérie. – Enfin, ne pas détecter un état mixte peut vous exposer à des risques liés à un traitement inadapté, comme vous prescrire un antidépresseur alors que vous êtes dans une dépression mixte, ce qui peut entraîner une levée brutale de l’excitation, des idées ou pulsions suicidaires ou une aggravation nette de l’agitation avec des conduites impulsives ou violentes.
Extrait du livre d'Elie Hantouche et Vincent Trybou, SOIGNER SA CYCLOTHYMIE, éditions Odile Jacob |