Soins psychiatriques sans consentement ?
Soins psychiatriques sans consentement ?
Adoptée avant l’été par les deux chambres, une nouvelle loi devrait permettre désormais, sur l’avis d’un seul psychiatre, d’interner de force un citoyen pendant 72 heures en hôpital psychiatrique. Le point sur ces nouvelles mesures inquiétantes !
- Une loi plutôt ferme…
- Pourquoi une réforme de la loi ?
- Stigmatisation des malades mentaux…
- Le mythe du médicament
- 72 heures de garde à vue !
Mesures liberticides, équipes soignantes transformées en police sanitaire psychiatrique, criminalisation des malades mentaux, «flic-iatrie»…, voilà bien un projet de loi qui suscite de nombreux superlatifs et beaucoup d’indignation. Adopté par l’Assemblée Nationale en deuxième lecture le 31 mai 2011, ce projet a trait aux «droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques ainsi qu’aux modalités de leur prise en charge». A priori, rien d’inquiétant ! D’autant que cette future loi vise à permettre «l’accès aux soins et leur continuité», mais aussi à protéger les malades mentaux d’actes qui leur seraient préjudiciables… «En réalité, ce projet de loi parle très peu de soins, mais plutôt de contrainte. Ce texte met en place des soins ambulatoires, c’est-à-dire au domicile, sans consentement», rectifie Paul Machto, psychiatre hospitalier et membre du «Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire» (lire encadré).
Une loi plutôt ferme…
Dans le détail, certains aspects de ce nouveau projet de loi peuvent effectivement inquiéter ! Certes, les hospitalisations sous contraintes existaient déjà lorsque le malade présentait un risque pour lui-même ou pour son entourage. Mais, «la mise en place de soins ambulatoires sans consentement s’apparente à un enfermement à domicile sous contrôle médical, et sous l’entière responsabilité du préfet», s’inquiète Paul Machto. D’ailleurs, le pouvoir du préfet se trouve accru, car son seul avis prime en matière de levée ou de poursuite des soins sans consentement ! Ce projet de loi prévoit également un allègement de la procédure médicolégale d’entrée dans le dispositif des soins sans consentement. En effet, un seul certificat médical circonstancié suffit, au lieu de deux dans la loi précédente. À l’inverse, la sortie du dispositif est alourdie, nécessitant un collège d’experts !
Pourquoi une réforme de la loi ?
Ce nouveau projet de loi vient remplacer la loi de 1990, encadrant les pratiques psychiatriques. Pourquoi une telle réforme ? «Cette loi est le fruit d’une réaction émotionnelle à un fait divers», rappelle Paul Machto. En effet, en novembre 2008 à Grenoble, un patient schizophrène de 56 ans échappé de l’établissement psychiatrique de Saint-Égrève (Isère) poignarde un jeune étudiant de 26 ans. Sous le coup de l’émotion populaire, le 2 décembre 2008 à Antony (92), le Président de la République annonce la réforme de la loi de 1990, réclamant une meilleure sécurisation des établissements, une réforme de l’hospitalisation d’office ainsi que l’instauration d’une obligation de soins effective.
Soins psychiatriques sans consentement ?
Stigmatisation des malades mentaux…
Ce projet de loi provoque un dangereux amalgame entre les délinquants et les malades mentaux. «Cette réforme se fonde sur le présupposé scientifiquement erroné que tous les malades mentaux sont potentiellement dangereux et criminels. Pourtant, 80 à 85 % des auteurs d’homicides, sont indemnes de maladie mentale grave. Cela ne fera que renforcer les méprises : l’emprisonnement de malades et l’hospitalisation de criminels qui ne relèvent pas des soins psychiatriques», prédit Paul Machto. L’intervention du juge des libertés et de la détention à posteriori (15 jours après la première décision) renforce d’ailleurs cette confusion ! «Auparavant, nous déplorions une réduction du patient à sa maladie. Aujourd’hui, il y a en plus confusion de la personne souffrante à un sentiment d’insécurité qui ne cesse d’être invoqué par les politiques», affirme Paul Machto.
Loi contreproductive !
Bien sûr, cette loi a pour but de protéger la société des «dangereux malades». Alors, le citoyen peut-il dire dormir tranquille ? Pas si sûr ! «Les personnes les plus perturbées souffrent souvent d’une méfiance extrême, voire d’un sentiment de persécution. Elles se sentent plus facilement surveillées et épiées. Elles sauront vite que leur psychiatre ou leurs soignants pourront les dénoncer au directeur de l’hôpital et au préfet en cas de refus ou d’opposition aux soins. Elles sauront aussi qu’elles risquent alors un retour forcé à l’hôpital. Leur premier réflexe sera certainement de se sauver, échappant à tout contrôle», prévient Paul Machto. Dans un tel contexte de fuite, ces individus ayant le sentiment d’être cernés ou pourchassés risquent fort de basculer vers des actes graves...
Le mythe du médicament
Les soins évoqués dans le projet de loi concernent principalement les traitements médicamenteux, notamment une injection mensuelle de neuroleptiques retards pour les patients psychotiques. «Ce dispositif repose sur un mythe médical : les médicaments seuls sont des soins et ils entraînent la guérison. Or, ce n’est pas le cas ! L’accès aux soins psychothérapeutiques, comme la thérapie comportementale ou psychanalytique, sont indissociables du traitement médicamenteux. Mais ce projet de loi ne favorise pas du tout ce type de soins», regrette Mathieu Bellahsen, interne en psychiatrie.
72 heures de garde à vue !
Le projet de loi prévoit que les patients en état de crise sont obligatoirement placés sous surveillance pendant 72 heures dans un établissement psychiatrique. Ils y reçoivent alors des soins psychiatriques intensifs. «Au bout de trois jours, les psychiatres parviennent bien souvent à obtenir le consentement de la personne : elle va mieux, comprend la nécessité de poursuivre les soins, et s’engage d’elle-même dans une démarche thérapeutique, à l’hôpital ou en ambulatoire. Cette période de 72 heures évitera donc des mesures de contrainte beaucoup plus longues», a précisé Nora Berra, secrétaire d’État chargée de la Santé, lors de la présentation du projet de loi devant le Sénat, le 10 mai 2011. Pour leur part, la majorité des psychiatres ne voit pas les choses de la même manière. «Le passage de 24 à 72 heures d’observation avant que le médecin ne se prononce laisse la porte ouverte aux abus à l’encontre du patient. Cette durée ressemble plus à une “garde à vue” qu’à une période de soins pourtant primordiale», estime Paul Machto.
Tous concernés ?
Et si cette loi ne concernait pas seulement les malades mentaux ? En effet, une des dérives possibles est de pouvoir contraindre n’importe qui à des soins psychiatriques ! «Imaginons un patient qui consulterait dans un Centre Médico-Psychologique (CMP) pour une légère déprime, en disant “J’ai parfois des idées suicidaires”. S’il refuse à plusieurs reprises les antidépresseurs prescrits, la nouvelle loi me permettra de le mettre de force en soins ambulatoires sans consentement, pour le “protéger», prévient Mathieu Bellahsen. Si l’on va plus loin, un employé qui souffre de mauvaises relations avec son patron pourrait très bien être diagnostiqué “revendiquant paranoïaque” et se voir contraindre par un psychiatre de se soigner. Voilà une nouvelle loi qui a de quoi rendre fou !
Le Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire
«Le Collectif des 39» s’est constitué le 12 décembre 2008 autour de l’Appel contre La Nuit Sécuritaire. Cette pétition lancée en réaction au discours du président de la République du 2 décembre 2008, qui assimilait la maladie mentale à une supposée dangerosité, a été signée depuis par près de 30 000 Français. Ce collectif réunit principalement des professionnels de la psychiatrie tous statuts confondus, des personnes du monde de la Culture….
Pour plus d’informations : www.collectifpsychiatrie.fr
France et psychiatrie : quelques chiffres…
- 1 200 000 personnes sont suivies chaque année, en psychiatrie hospitalière, privée, ou en simples consultations.
- Environ 70 000 personnes sont hospitalisées sans consentement par an, soit à la demande d’un tiers (60 000 cas) ou d’office en cas d’atteinte «à la sûreté des personnes» ou «à l’ordre public» (10 000 cas).