TROUBLES DE L’HUMEUR ET TROUBLES BIPOLAIRES A L’ADOLESCENCE
DEUXIÈME PARTIE : MALADIES ET GRANDS SYNDROMES
Objectif 283 –
TROUBLES DE L’HUMEUR ET TROUBLES BIPOLAIRES A
L’ADOLESCENCE
Rédaction : Jean-Philippe RAYNAUD
Objectifs
:
·
Connaître les différentes formes de dépression et de troubles
bipolaires chez l’adolescent
·
Connaître les facteurs de vulnérabilité
·
Connaître les orientations diagnostiques et thérapeutiques.
1. LA DEPRESSION DE L’ADOLESCENT
La dépression de l’adolescent ne doit pas être banalisée ou mise sur
le compte d’une « crise de l’adolescence ». Il est important de la
diagnostiquer et de la traiter, pour plusieurs raisons :
La prévalence de la dépression à l’adolescence en population
générale serait d’environ 5%, avec un risque de récidive à 4 ans
dans un tiers à la moitié des cas.
La dépression chez l’adolescent est souvent méconnue. Il est parfois
difficile de faire la différence entre le normal et le pathologique,
notamment avec ce que l’on appelle classiquement la « crise
d’adolescence », qui fait partie des processus normaux du
développement. On parlera de dépression ou de maladie dépressive
lorsque l’adolescent présente des symptômes dépressifs caractérisés
et prolongés, dont lui-même ou son entourage peuvent repérer le
début.
Une dépression à l’adolescence non repérée et non traitée peut être
à l’origine de troubles surajoutés à type de troubles relationnels,
de difficultés voire d’échecs scolaires, de difficultés à s’intégrer
dans la société. Enfin, il existe un risque de passage à l’acte
suicidaire, qui ne doit jamais être sous-estimé
1
.
Le diagnostic peut être difficile, car l’adolescent dépressif ne
présente pas uniquement les signes cliniques habituels de l’état
dépressif majeur (EDM), mais peut aussi attirer l’attention au
travers de troubles comportementaux ou relationnels, de difficultés
scolaires, de passages à l’acte, de prise de toxiques...
L’une des particularités de la dépression à l’adolescence est d’être
souvent atypique, masquée ou précédée par ce que l’on appelle un
syndrome de menace dépressive
ou crise anxio-dépressive
, qui peut
comprendre des troubles anxieux, des troubles fonctionnels ou
somatiques, des manifestations d’agitation ou de colère.
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50 à 70% des suicides d’adolescents seraient liés à la dépression et au moins 40% des
sujets dépressifs feraient des tentatives de suicide au cours de leur vie.
FACTEURS DE VULNERABILITE
Lors de l’entretien, on sera particulièrement attentif aux éléments
suivants, qui pourraient constituer des facteurs de vulnérabilité à
la dépression chez l’adolescent :
·
Le sexe féminin,
·
Des antécédents personnels d’idées suicidaires ou de tentative de
suicide,
·
Des antécédents personnels de troubles de l’humeur (dépression ou
manie) dans l’enfance, souvent ces antécédents n’ont pas été
clairement identifiés comme un épisode de trouble de l’humeur,
·
Une situation de deuil, de perte ou de séparation, dans l’enfance
ou plus récemment,
·
Des antécédents de troubles dépressifs chez les parents.
MOTIFS DE CONSULTATION PRINCIPAUX
qui doivent évoquer une dépression
à l’adolescence :
·
Signes d’anxiété : tension, inquiétude, fébrilité, peur d’être
atteint d’une maladie grave (cancer, SIDA), palpitations,
sensation d’oppression de boule dans la gorge, sueurs, vertiges.
Ca peut aller jusqu’à la véritable crise d’angoisse ou l’état de
panique.
·
Retrait.
·
Troubles du comportement, le plus souvent relevés par la famille :
irritabilité, impulsivité, agressivité, prises de risque et
passages à l’acte (prise d’alcool, prise de toxiques, expériences
à risque...).
·
Rupture brutale dans les résultats scolaires
·
Signes fonctionnels ou somatiques divers : fatigue et manque
d’entrain, troubles du sommeil, diminution de l’appétit, douleurs
diverses (céphalées, maux de ventre...).
·
Expression d’idées suicidaires, voire une tentative de suicide
agie.
SIGNES D’EXAMEN
:
Au cours de l’examen et des entretiens avec l’adolescent, mais aussi
auprès de l’entourage, on recherchera les signes suivants, dont la
caractéristique principale est de marquer un changement par rapport
à l’état antérieur :
·
La tristesse : l’adolescent a un facies triste, il exprime un
sentiment de « cafard», des idées noires, il pleure facilement.
·
L’irritabilité : il est de « mauvaise humeur », s’agace
facilement, peut se montrer agressif.
·
La diminution de l’intérêt et du plaisir : elle se traduit par un
sentiment d’ennui, de dégoût, une anhédonie, un isolement et
l’abandon d’activités qui jusque là étaient investies.
2
·
Le ralentissement psychomoteur : la mimique et la gestuelle
spontanés sont pauvres, la voix est monotone, l’adolescent est
ralenti dans ses actions et ses pensées.
·
L’agitation psychomotrice : elle est en général inadaptée et
improductive.
·
Les troubles du sommeil : il peut s’agir d’insomnies (difficultés
à s’endormir, réveils nocturnes, réveil matinal précoce) ,
d’hypersomnies ou de cauchemars.
·
La fatigue : l’adolescent est fatigué dès le réveil, n’arrive pas
à récupérer et aimerait qu’on lui donne des « vitamines » pour le
stimuler.
·
Les difficultés à se concentrer : difficultés pour maintenir son
attention, pour mémoriser.
·
Les cognitions de la lignée dépressive : sentiment d’être
dévalorisé, idées de culpabilité ou de honte, pessimisme, autoaccusation,
tendance à la dépréciation de soi et des autres (peur
de ne pas réussir).
L’EPISODE DEPRESSIF MAJEUR (E.D.M.)
Les critères diagnostiques qui peuvent être retenus pour l’épisode
dépressif majeur à l’adolescence sont ceux du DSM IV. Dans sa forme
la plus typique, l’épisode dépressif majeur est caractérisé par des
symptômes dépressifs assez proches de ceux observés chez l’adulte,
suffisamment aigus, nombreux et durables.
C ritères DSM.IV de l’épisode dépressif majeur :
·
Episode durant au moins deux semaines.
·
Episode qui marque un changement par rapport au fonctionnement
antérieur.
·
Pendant au mois deux semaines les symptômes sont présents de façon
persistante, la plupart du temps, presque tous les jours.
·
Les symptômes sont à l’origine d’une détresse ou d’une altération
du fonctionnement habituel.
·
Parmi les neuf symptômes suivants, cinq au moins sont présents et
obligatoirement le premier ou le deuxième :
1 - humeur dépressive ou irritabilité
2 - réduction marquée de l’intérêt ou du plaisir dans toutes les
activités ou presque
3 - perte ou gain notable de poids ou réduction ou augmentation
de l’appétit
4 - insomnie ou hypersomnie
5 - agitation ou ralentissement psychomoteur
6 - fatigue ou perte d’énergie
7 - sentiment d’indignité ou culpabilité excessive ou
inappropriée
8 - difficultés de concentration ou indécision
9 - pensée récurrente de mort ou de suicide ou tentative de
suicide
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LES FORMES CLINIQUES DES TROUBLES DEPRESSIFS A L’ADOLESCENCE :
L es formes selon l’intensité :
·
Dysthymie
:
Trouble dépressif caractérisé essentiellement par une humeur
dépressive et/ou irritable, présente la plupart du temps (plus d’un
jour sur 2) pendant au moins deux ans.
La dysthymie est une dépression moins sévère que l’E.D.M. ( les
critères pour poser le diagnostic d’E.D.M. ne sont pas réunis).
Elle associe : dysphorie, fatigue, plaintes, sentiment d’être
inadéquat, troubles du sommeil, sentiment que rien n’est agréable,
que tout demande un effort, et faible estime de soi.
·
E.D.M. léger
:
Retentissement mineur sur les relations et la scolarité.
·
E.D.M. moyen
·
E.D.M. sévère
:
Perturbations très importantes.
L es formes selon le type clinique :
·
Dépression de type mélancolique
:
L’adolescent a perdu le plaisir pour toutes les activités ou
presque, il ne réagit pas aux stimulations agréables, il présente
une culpabilité excessive ou inappropriée, une anorexie ou un
amaigrissement significatifs, des réveils matinaux précoces...
·
Dépression avec des manifestations psychotiques
:
L’adolescent est en proie à des hallucinations et/ou à des idées
délirantes, avec des thèmes essentiellement de culpabilité,
d’indignité, de punition, d’incurabilité, de persécution...
·
Dépression avec des traits atypiques
:
L’humeur est réactive, l’appétit et le poids sont augmentés, il
existe une hypersomnie...
·
Dépression d’infériorité
:
Le sentiment d’infériorité et la baisse de l’estime de soi sont au
premier plan.
·
Dépression d’abandon
: Elle serait plus spécifique des adolescents
états-limites, ou de ceux qui passent à l’acte (auto ou
hétéroagressivité) et qui souvent ont un vécu jalonné d’abandons..
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L es formes trompeuses :
·
formes où les plaintes somatiques ou fonctionnelles
sont au
premier plan.
·
formes où l’anxiété
est au premier plan.
·
formes où histrionisme et dépendance affective
sont au premier
plan.
·
formes où les troubles du comportement
sont au premier plan.
·
formes où difficultés scolaires, phobie scolaire
sont au premier
plan.
L es formes étiologiques :
·
dépression réactionnelle à un deuil, à une perte
: décès, maladie
d’un parent, séparation des parents, évènement familial,...
·
dépression réactionnelle à une maladie somatique
:
en général, il s’agit d’une pathologie somatique grave, de mauvais
pronostic, ou chronique, ou entraînant des douleurs, des handicaps,
des contraintes...
·
dépression liée aux effets biologiques d’une maladie ou de
certains traitements
: maladie de Cushing, hypothyroïdie,
corticoïdes,...
L es formes associées à d’autres troubles psychiatriques :
·
dépression associée à des troubles anxieux
: troubles phobiques,
troubles obsessionnels compulsifs, troubles paniques.
·
dépression associée à des troubles des conduites
.
·
dépression associée à une addiction
: alcoolisme, toxicomanie.
·
dépression associée à des troubles des conduites alimentaires
:
anorexie mentale, boulimie.
·
dépression associée à un trouble de la personnalité
, notamment un
état limite de l’adolescence.
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2. LES TROUBLES BIPOLAIRES A L’ADOLESCENCE
20 % des adolescents déprimés présentent en fait des troubles
bipolaires (ou maladie maniaco-dépressive). Il existe un risque de
suicide, d’échecs affectifs et professionnels à répétition, de
désinsertion sociale et d’évolution vers des conduites addictives.
Classiquement, le trouble bipolaire est un trouble chronique de
l’humeur, qui se caractérise par la succession d’états maniaques
et/ou d’états dépressifs. Chez l’adolescent, la distinction entre
normal et pathologique est parfois difficile.
L’
épisode maniaque
se caractérise par l’existence d’une période
clairement identifiable où l’humeur de l’adolescent est anormalement
expansive, exaltée ou irritable. Cette période doit avoir duré au
moins une semaine ou avoir nécessité une hospitalisation.
Selon le DSM IV, pour parler d’épisode maniaque, il faut qu’il
existe au moins trois des symptômes suivants :
1 - Inflation de l’estime de soi ou idées de grandeur
2 - Réduction marquée du besoin de sommeil
3 - Logorrhée, besoin de parler en permanence
4 - Fuite des idées ou sentiment que les idées vont trop vite
5 - Distractibilité
6 - Augmentation de l’activité orientée vers un but (social,
professionnel, sexuel) ou agitation psychomotrice
7 - Implication excessive dans des activités agréables mais
potentiellement dommageables : achats et investissements
inconsidérés, désinhibition sexuelle.
Selon l’intensité des symptômes, il faut distinguer épisode maniaque
et épisode hypomaniaque :
- On parle d’épisode maniaque quand le trouble de l’humeur
décrit plus haut entraîne une perturbation marquée du
fonctionnement ou nécessite une hospitalisation ou s’accompagne
de traits psychotiques, en particulier d’idées délirantes.
- On parle d’épisode hypomaniaque lorsque l’épisode comporte un
changement significatif par rapport au fonctionnement habituel,
qu’il est remarqué par les autres mais qu’il ne s’accompagne pas
d’une altération sévère du fonctionnement, ni d’idées délirantes
et ne nécessite pas d’hospitalisation.
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A partir de ces différentes définitions, on va décrire différentes
catégories de troubles :
·
dans la dépression unipolaire
le patient présente tout au long de
sa vie exclusivement des épisodes dépressifs.
·
dans le trouble bipolaire I
le patient présente un ou plusieurs
épisodes maniaques corrélés ou non avec un épisode dépressif.
·
dans le trouble bipolaire II
le patient présente essentiellement
des épisodes dépressifs, mais avec dans son évolution la présence
cyclique d’épisodes hypomaniaques (épisodes maniaques de faible
intensité).
·
dans l’état mixte
le patient présente à la fois les critères d’un
épisode maniaque et d’un épisode dépressif majeur.
3. TRAITEMENTS DES TROUBLES DE L’HUMEUR A L’ADOLESCENCE :
3.1 - Les consultations :
Les consultations sont thérapeutiques. La relation qui s’instaure
entre le clinicien et le patient va permettre non seulement de
préciser le diagnostic et d’évaluer les risques, mais aussi de
proposer un soutien et un espace relationnel où peuvent s’exprimer
les difficultés et les souffrances. C’est également le lieu pour
informer clairement le patient et sa famille sur sa pathologie et la
conduite de son traitement.
3.2 - La psychothérapie :
Elle est toujours indispensable. Selon les cas et selon les
contextes, il peut s’agir d’un soutien dans le cadre de
consultations du médecin-généraliste ou du spécialiste, mais aussi
de psychothérapies plus « cadrées », dont les modalités sont
variables : psychothérapies d’inspiration psychanalytique, thérapies
cognitivo-comportementales, thérapies familiales, thérapies
systémiques ...
3.3 - La prise en compte des facteurs sociaux familiaux et
éducatifs :
Elle est fondamentale : des interventions sur le milieu familial,
des aménagements de scolarité, l’intervention d’un tiers sur le plan
éducatif, des liaisons entre les différents partenaires, peuvent
jouer un rôle majeur.
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3.4 - Les traitements médicamenteux :
- Les médicaments antidépresseurs :
Ils sont réservés aux formes moyennes et sévères d’états dépressifs
de l’adolescent.
Ils ne sont jamais prescrits isolément, mais toujours associés aux
interventions psychologiques et familiales.
Une bonne information du patient et de son entourage et un suivi
rapproché (toutes les semaines au début) favoriseront la compliance
et l’observance.
On prescrit toujours un seul antidépresseur en première intention à
un adolescent et à dose efficace.
Le traitement antidépresseur n’apportera d’amélioration qu’au bout
de 1 à 2 semaines, et en moyenne la rémission est obtenue en 4 à 8
semaines.
La durée du traitement sera de 3 à 6 mois à partir du moment où le
patient est asymptomatique.
Avant 15 ans on peut utiliser les antidépresseurs tricycliques
(Clomipramine, Amitryptiline). Après 15 ans on dispose également des
Inhibiteurs de la Recapture de la Sérotonine (Fluoxétine,
Paroxétine).
- Les anxiolytiques :
Ils sont surtout utilisés dans les formes les plus sévères ou les
plus inquiétantes : niveau d’anxiété élevé, risque de levée
d’inhibition important. Ils sont toujours prescrits de façon brève
et avec une surveillance clinique rapprochée.
- Les hypnotiques :
Ils ne sont pas utilisés systématiquement, mais uniquement si les
troubles du sommeil le justifient, et de façon brève et avec une
surveillance clinique rapprochée.
- Les neuroleptiques :
Il peut être nécessaire de les associer aux antidépresseurs dans les
cas de dépressions délirantes. Ils peuvent être nécessaires en phase
aiguë d’épisode maniaque.
- Les thymorégulateurs
Ils constituent le traitement de fond du trouble bipolaire. Ils sont
utilisés face à un épisode dépressif sévère associé à des
manifestations psychotiques congruentes à l’humeur, mais aussi face
à un virage de l’humeur (notamment passage d’un état dépressif à un
état maniaque ou hypomaniaque). On utilise le Carbonate de Lithium,
la Carbamazépine et le Valpromide.
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3.5. - L’hospitalisation :
Elle est indiquée s’il existe un risque suicidaire majeur, si
l’épisode dépressif est sévère, s’il existe des idées délirantes
associées, s’il existe un contexte défavorable (isolement de
l’adolescent, refus de soins, nécessité de séparation...) ou en
phase aigüe d’épisode maniaque.
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