Le blog Projections est un projet collectif créé à l’initiative d’étudiants en lettres modernes à la même université. Ils proposent des articles intéressants dans une interdisciplinarité. Il s’agit d’un bel exemple d’universitaires profitant de la diffusion permise par la plateforme du web pour se faire connaître et partager leurs connaissances dans un cadre convivial. Cet article témoigne de la rencontre possible entre les différents champs des sciences humaines, là où littérature et histoire de l’art peuvent s’enrichir mutuellement.
De plus, le blog est extrêmement rigoureux, comme en témoigne cette étude des correspondances de Van Gogh qui reprend les lettres qu’il a échangé avec son frère Théo: “Vincent Van Gogh, l’impossible embrasement – Considérations esthétiques au départ de la correspondance avec Théo” Chaque lettre est référencée et l’auteur propose même des indications de lecture pour un visiteur qui souhaiterait poursuivre ses recherches sur l’artiste.
L’auteur a un style très littéraire et se permet parfois des envolées lyriques: ” (…) la terre absorbe sans broncher les bouillons de sang du peintre qui, muet, la panse trouée, regagne l’auberge des Ravoux, place de la Mairie.[1]” mais cela ne rend la lecture que plus agréable et permet au visiteur du site d’être immédiatement interpelé par la sombre histoire du peintre. L’auteur parle du frère mort-né de Van Gogh un an avant sa naissance et duquel Vincent tira son nom. Il reconnait dans la correspondance de l’artiste un manque structural et incomblable qui ne guérira jamais, incarné selon le blogueur par le tableau La chaise de Vincent avec sa pipe dont nous avons déjà parlé. C’est par le travail du “réel” que Van Gogh tentera de définir sa personne, la parole seule ne parvenant pas à exprimer sa béance.
Alors qu’on voit qu’il rêvait parfois d’une “vie idéale et pas réalisable”, on voit que pour Vincent, vie artistique et vie mondaine font deux et ne sont pas compatibles. Cela rejoint ce que l’on avait vu lors de l’analyse des cyprès, ces arbres et lui se tenant à l’écart de la société. Il s’isola d’ailleurs dans la solitude, concentré sur ses recherches picturales. Il sera alors peu à peu marginalisé, ayant fait peut-être preuve de trop de zèle dans ses démarches pour rester au sein de toute communauté.
L’auteur interprète finalement les mutilations de Van Gogh comme la manifestation d’un rejet de sa chair qui devient handicapante dans ses recherches de définition ontologique de lui-même. Il rappelle ainsi un incident plus rarement évoqué, soit lorsqu’il aurait plongé sa main dans les flammes en 1881 puis 7 ans plus tard la section de son oreille. L’auteur ferme donc la boucle en reparlant du suicide évoqué au début du texte: ce serait donc la manifestation de son désir de tendre vers cette connaissance de lui-même empêchée par un attachement terrestre par le corps.
[1] Matthias De Jonghe, “Vincent Van Gogh: L’impossible embrasement”, Projections, 27 octobre 2011 [En ligne] Disponible sur http://revueprojections.wordpress.com/2011/10/27/vincent-van-gogh-limpossible-embrasement-considerations-esthetiques-au-depart-de-la-correspondance-avec-theo/, (Consulté le 14 avril 2013)