Accepter sa nature ou la stratégie de la réduction
Accepter sa nature ou la stratégie de la réduction
1/01/2009
Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Avis des cyclothymiques
La cyclothymie n’est pas un virus, une maladie qu’on contracte un jour par malchance. On naît cyclothymique et on meurt cyclothymique. post rédigé par R. Blain
Dans la médecine traditionnelle grecque, indienne ou chinoise, la santé est un équilibre entre les quatre humeurs, les trois ’forces’ (dhosas) ou les deux ’principes’ élémentaires (yin et yang). Il est intéressant de constater que pour les Chinois, la stagnation ou trop de changement ne prédispose pas à la santé alors que le mouvement constant universel du Yin et du Yang permet une vie harmonieuse. Les Japonais de tradition shintoïste, les anciens Egyptiens et les Occidentaux pensent le contraire : la maladie est différente de l’individu, c’est un ’virus’ qu’il faut extirper...
Cette approche n’a pas toujours celle de la dichotomie. Sénèque écrivait dans la ˮdéfinition du vrai bonheurˮ (la vie heureuse, III, 3) :
Au demeurant, je suis d’accord avec tous les stoïciens, je donne mon assentiment à la Nature ; ne pas s’en écarter, se régler sur sa loi et son exemple, voilà la sagesse. Une vie heureuse est donc celle qui s’accorde avec sa nature ( ).
Il s’agit pour nous de suivre le mouvement de la nature, des saisons, de la météorologie, non pas en tentant d’’exercer un contrôle exagérée , contre nature, sur des forces essentiellement insaisissables’ (Kay Redfield Jamison p.222, ’de l’exaltation à la dépression’) ou de dompter un animal’ (ibid p.13) mais de canaliser’ (’channelization’) un tempérament naturel qui se transforme en trouble lorsqu’on manque de discernement, ’la chose la plus noble de notre existence ’(Maïmonide in Le Guide des Egarés). Dans ce sens ’individu cyclothymique est comparable à un jardinier qui cultive un jardin à l’anglaise, plus libre et naturel qu’un jardin géométrique à la française. ’esthétique ’fengliu’ qui fut répandu pendant plus de trois siècles en Chine (III au VI eme) et ensuite au Japon se fondait sur un retour à la nature. Les mandarins choisissaient de se retirer à la campagne ou à la montagne.
Le grand poète japonais Bashô écrit en 1687, un siècle avant Rousseau : ’ Sors de la sauvagerie, éloigne-toi de la bête, et suis la nature, retourne à la nature’ . Les ’ sauvages’ et les ’bêtes’ représentent ici ceux qui ne savent pas saisir la nature comme il convient. Urabe Kenkô (mort en 1350) note dans ses carnets des ’heures oisives ’ :
"La sagesse consiste à reconnaître ses propre limites et à s’arrêter tout de suite dès qu’on sent qu’on peut aller outre. Ce serait une erreur de reprocher à quiconque une telle sagesse, car, si l’on se force on a tort. L’homme sans fortune qui ne reconnait pas sa pauvreté, en arrive au vol. L’homme qui n’admet pas ses limites quand la force physique est affaiblie, finit dans la maladie".
Un des problèmes majeurs de la cyclothymie est la motivation qui n’est pas toujours en accord avec les aptitudes : on voudrait vivre comme les autres, être ’normal’ (qui est normal ?), vivre dans le siècle mais cela est-il réellement possible ? Sénèque dans ’De la tranquilité de l’âme’ déclare qu’’Avant tout, il est nécessaire de s’évaluer soi-même, parce que nous nous croyons presque toujours pouvoir plus que nous ne pouvons’. Un peu plus loin il ajoute : ’ Il faut examiner aussi si tu es plus doué naturellement pour ’action ou pour la recherche solitaire et la spéculation (je note : ’vita activa’ ou’ contemplativa’ ?), et il faut te laisser aller dans le sens où te porte ton tempérament’. Comme le pensait Tocqueville, ’la véritable dignité consiste à demeurer toujours à sa place, sans monter trop haut ni descendre trop bas’ : entre stagnation et changement trop extrême, trouver un équilibre dans un mouvement naturel peut-être la solution. Pour cela le conditionnement précède la technique, c’est à dire la thérapie choisie.
Anthony Storr explique avec justesse comment Churchill qu’il considère de tempérament cyclothymique’ utilisa sa ’défense maniaque’ (peinture, écriture, lecture, action incessante) pour ne pas s’écrouler.
Cela peut paraître prétentieux et arrogant mais oui il y a une solution draconienne pour la cyclothymie mais elle est difficile à appliquer voir impossible à mettre en pratique. Voici un exemple que j’ai déjà cité sur mon blog (Cyclothymie et Vérité).
Il s’agit d’une anecdote raconté par Andrew Solomon dans le New Yorker du 12 janvier 1998. Il estime que refuser les médicaments est possible mais que ’ le prix à payer est élevé’, que c’est une option ’presque ridicule comme faire une guerre moderne en chargeant avec des chevaux’. Il évoque le cas d’une connaissance qu’il a rencontrée dans un cocktail à Londres. Cette personne lui a expliqué qu’elle avait subi une dépression terrible, qu’elle n’aimait pas l’idée de prendre des médicaments et qu’après réflexion elle avait compris que son problème était lié au stress. Elle décida donc d’abandonner son travail, elle a rompu avec son petit ami et elle n’a pas cherché à en trouver un autre. Elle a a trouvé un petit appartement sans co-locataire. Elle décida de ne plus aller à des soirées qui finissent tard. Elle ne vit plus la plupart de ses amis. Elle arrêta pratiquement d’acheter des vêtements et du maquillage. Solomon resta perplexe mais elle lui affirma qu’elle se sentait moins effrayée ainsi, en parfaite santé et sans médicament. Une personne qui écoutait cette jeune femme chuchota à Solomon qu’elle était folle mais Solomon pensa : ’ Est-ce de la folie que d’éviter des comportements qui vous rendent fou ?’.
Cette personne a appliqué naturellement les préceptes stoïciens ou bouddhistes de la suppression des désirs qui mènent à la quiétude. Il est évident que c’est un comportement radical respectable certes mais peu applicable à la majorité des dépressifs ou des cyclothymiques. Kafka dans sa stratégie de défense contre sa vulnérabilité n’est pas allé aussi loin (CF La cyclothymie pour le pire et pour le meilleur, p.73) mais le principe de la ’réduction’ était similaire.
Michel Lacroix dans ’Se réaliser’ explique que ’ jusqu’au XVIII siècle, la vita contemplativa a représenté pour la majorité des individus , un mode ce vie supérieur à la vita activa’. L’idée de repos, selon un historien de la littérature, était un des pôles de la conception du bonheur au XVIIIème. A partir du XIXème cette logique s’est inversée....
Est-ce que dans ce contexte philosophique et de choix de vie, la prise de médicaments peuvent être une béquille voire un dopage qui nous permettent d’être plus productifs ? Vous avez le droit de refuser mais alors vous avez un désavantage pour la compétition. Il compare le Prozac à certaines substances utilisées par les athlètes pour améliorer leurs performances. A noter qu’il évoque le cas de patients qui ne sont pas en dépression majeure ou en phase maniaque. C’est ’interrogation de Peter Kramer dans ’Listening to Prozac’.
Ma première réflexion : Axer sur son idéal (sens de Frankl ) sur des valeurs ou principes et non pas des réalisations concrètes. Moins de déception en fin de compte et surtout moins de stress, ’ennemi numéro un de la cyclothymie. Tout le monde peut potentiellement être bon, cultivé, courageux, digne indépendamment des ses aptitudes. Seule la motivation compte.
Deuxième réflexion : choisir son style de vie et assumer les risques en prenant en compte le danger d’une vie stressante pour un tempérament hypersensible et vulnérable.
En reprenant ’équation de Charles Barber, j’y ajouterais : ’Misery’ = Exhortation à être heureux+ isolement + ignorer ses limites et ses aptitudes...
Ce premier modèle de l’Kafka’ est un bon ’conditionnement’, une excellente stratégie pour vivre en paix, selon soi, mais elle demande un effort qui peut s’avérer contre-nature. Ce modèle est un dessein de stabilisation essentielle à la santé mentale et à ’équilibre. Un jour ou ’autre, beaucoup d’entre nous se poseront cette question : Ai-je fait le bon choix de vie ? D’une certaine manière beaucoup de thérapies visent cette discipline, cette sagesse, cette connaissance de soi.
D’autres stratégies peuvent mieux convenir au tempérament cyclothymique qui lui permettra d’allier la vita contemplativa à l’activa, deux pôles naturels de la constitution cyclothymique. Vous serez surpris de constater que les philosophes sont parfois des thérapeutes avisés ou plutôt qu’ils peuvent soigner l’âme de ceux qui ne souffrent pas de maux extrêmes.
Cette approche n’a pas toujours celle de la dichotomie. Sénèque écrivait dans la ˮdéfinition du vrai bonheurˮ (la vie heureuse, III, 3) :
Au demeurant, je suis d’accord avec tous les stoïciens, je donne mon assentiment à la Nature ; ne pas s’en écarter, se régler sur sa loi et son exemple, voilà la sagesse. Une vie heureuse est donc celle qui s’accorde avec sa nature ( ).
Il s’agit pour nous de suivre le mouvement de la nature, des saisons, de la météorologie, non pas en tentant d’’exercer un contrôle exagérée , contre nature, sur des forces essentiellement insaisissables’ (Kay Redfield Jamison p.222, ’de l’exaltation à la dépression’) ou de dompter un animal’ (ibid p.13) mais de canaliser’ (’channelization’) un tempérament naturel qui se transforme en trouble lorsqu’on manque de discernement, ’la chose la plus noble de notre existence ’(Maïmonide in Le Guide des Egarés). Dans ce sens ’individu cyclothymique est comparable à un jardinier qui cultive un jardin à l’anglaise, plus libre et naturel qu’un jardin géométrique à la française. ’esthétique ’fengliu’ qui fut répandu pendant plus de trois siècles en Chine (III au VI eme) et ensuite au Japon se fondait sur un retour à la nature. Les mandarins choisissaient de se retirer à la campagne ou à la montagne.
Le grand poète japonais Bashô écrit en 1687, un siècle avant Rousseau : ’ Sors de la sauvagerie, éloigne-toi de la bête, et suis la nature, retourne à la nature’ . Les ’ sauvages’ et les ’bêtes’ représentent ici ceux qui ne savent pas saisir la nature comme il convient. Urabe Kenkô (mort en 1350) note dans ses carnets des ’heures oisives ’ :
"La sagesse consiste à reconnaître ses propre limites et à s’arrêter tout de suite dès qu’on sent qu’on peut aller outre. Ce serait une erreur de reprocher à quiconque une telle sagesse, car, si l’on se force on a tort. L’homme sans fortune qui ne reconnait pas sa pauvreté, en arrive au vol. L’homme qui n’admet pas ses limites quand la force physique est affaiblie, finit dans la maladie".
Un des problèmes majeurs de la cyclothymie est la motivation qui n’est pas toujours en accord avec les aptitudes : on voudrait vivre comme les autres, être ’normal’ (qui est normal ?), vivre dans le siècle mais cela est-il réellement possible ? Sénèque dans ’De la tranquilité de l’âme’ déclare qu’’Avant tout, il est nécessaire de s’évaluer soi-même, parce que nous nous croyons presque toujours pouvoir plus que nous ne pouvons’. Un peu plus loin il ajoute : ’ Il faut examiner aussi si tu es plus doué naturellement pour ’action ou pour la recherche solitaire et la spéculation (je note : ’vita activa’ ou’ contemplativa’ ?), et il faut te laisser aller dans le sens où te porte ton tempérament’. Comme le pensait Tocqueville, ’la véritable dignité consiste à demeurer toujours à sa place, sans monter trop haut ni descendre trop bas’ : entre stagnation et changement trop extrême, trouver un équilibre dans un mouvement naturel peut-être la solution. Pour cela le conditionnement précède la technique, c’est à dire la thérapie choisie.
Anthony Storr explique avec justesse comment Churchill qu’il considère de tempérament cyclothymique’ utilisa sa ’défense maniaque’ (peinture, écriture, lecture, action incessante) pour ne pas s’écrouler.
Cela peut paraître prétentieux et arrogant mais oui il y a une solution draconienne pour la cyclothymie mais elle est difficile à appliquer voir impossible à mettre en pratique. Voici un exemple que j’ai déjà cité sur mon blog (Cyclothymie et Vérité).
Il s’agit d’une anecdote raconté par Andrew Solomon dans le New Yorker du 12 janvier 1998. Il estime que refuser les médicaments est possible mais que ’ le prix à payer est élevé’, que c’est une option ’presque ridicule comme faire une guerre moderne en chargeant avec des chevaux’. Il évoque le cas d’une connaissance qu’il a rencontrée dans un cocktail à Londres. Cette personne lui a expliqué qu’elle avait subi une dépression terrible, qu’elle n’aimait pas l’idée de prendre des médicaments et qu’après réflexion elle avait compris que son problème était lié au stress. Elle décida donc d’abandonner son travail, elle a rompu avec son petit ami et elle n’a pas cherché à en trouver un autre. Elle a a trouvé un petit appartement sans co-locataire. Elle décida de ne plus aller à des soirées qui finissent tard. Elle ne vit plus la plupart de ses amis. Elle arrêta pratiquement d’acheter des vêtements et du maquillage. Solomon resta perplexe mais elle lui affirma qu’elle se sentait moins effrayée ainsi, en parfaite santé et sans médicament. Une personne qui écoutait cette jeune femme chuchota à Solomon qu’elle était folle mais Solomon pensa : ’ Est-ce de la folie que d’éviter des comportements qui vous rendent fou ?’.
Cette personne a appliqué naturellement les préceptes stoïciens ou bouddhistes de la suppression des désirs qui mènent à la quiétude. Il est évident que c’est un comportement radical respectable certes mais peu applicable à la majorité des dépressifs ou des cyclothymiques. Kafka dans sa stratégie de défense contre sa vulnérabilité n’est pas allé aussi loin (CF La cyclothymie pour le pire et pour le meilleur, p.73) mais le principe de la ’réduction’ était similaire.
Michel Lacroix dans ’Se réaliser’ explique que ’ jusqu’au XVIII siècle, la vita contemplativa a représenté pour la majorité des individus , un mode ce vie supérieur à la vita activa’. L’idée de repos, selon un historien de la littérature, était un des pôles de la conception du bonheur au XVIIIème. A partir du XIXème cette logique s’est inversée....
Est-ce que dans ce contexte philosophique et de choix de vie, la prise de médicaments peuvent être une béquille voire un dopage qui nous permettent d’être plus productifs ? Vous avez le droit de refuser mais alors vous avez un désavantage pour la compétition. Il compare le Prozac à certaines substances utilisées par les athlètes pour améliorer leurs performances. A noter qu’il évoque le cas de patients qui ne sont pas en dépression majeure ou en phase maniaque. C’est ’interrogation de Peter Kramer dans ’Listening to Prozac’.
Ma première réflexion : Axer sur son idéal (sens de Frankl ) sur des valeurs ou principes et non pas des réalisations concrètes. Moins de déception en fin de compte et surtout moins de stress, ’ennemi numéro un de la cyclothymie. Tout le monde peut potentiellement être bon, cultivé, courageux, digne indépendamment des ses aptitudes. Seule la motivation compte.
Deuxième réflexion : choisir son style de vie et assumer les risques en prenant en compte le danger d’une vie stressante pour un tempérament hypersensible et vulnérable.
En reprenant ’équation de Charles Barber, j’y ajouterais : ’Misery’ = Exhortation à être heureux+ isolement + ignorer ses limites et ses aptitudes...
Ce premier modèle de l’Kafka’ est un bon ’conditionnement’, une excellente stratégie pour vivre en paix, selon soi, mais elle demande un effort qui peut s’avérer contre-nature. Ce modèle est un dessein de stabilisation essentielle à la santé mentale et à ’équilibre. Un jour ou ’autre, beaucoup d’entre nous se poseront cette question : Ai-je fait le bon choix de vie ? D’une certaine manière beaucoup de thérapies visent cette discipline, cette sagesse, cette connaissance de soi.
D’autres stratégies peuvent mieux convenir au tempérament cyclothymique qui lui permettra d’allier la vita contemplativa à l’activa, deux pôles naturels de la constitution cyclothymique. Vous serez surpris de constater que les philosophes sont parfois des thérapeutes avisés ou plutôt qu’ils peuvent soigner l’âme de ceux qui ne souffrent pas de maux extrêmes.