Le modèle Proust pour la cyclothymie : la vie en alternance

 

 

Le modèle Proust pour la cyclothymie : la vie en alternance

1/01/2009

Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Avis des cyclothymiques

Modèle de Proust: une solution au problème de la cyclothymie ? Post par R. Blain
Ceux et celles qui ont lu mon post sur le modèle de Proust ne seront pas surpris d’entendre que je considère cette option comme une solution au problème de la cyclothymie.

Les ’mood-charts’ et autres techniques de TCC sont efficaces mais parfois trop austères et rigide pour ’esprit libre et inconstant que possède le cyclothymique.

Colin Martindale qui a étudié les mouvements du cerveau créatifs n’a peut-être pas relu Sénèque et son chapitre de "De la tranquillité de l’âme" qui s’intitule ’ Il faut alterner ’temps forts’ et ’temps faibles’’ (p.689 de l’édition de La Pléiade consacrée aux Stoïciens).  Sénèque déclare que ’solitude et société doivent se succéder’ et que ’la solitude nous donnera le désir de fréquenter les hommes, la société, celui de nous fréquenter nous-mêmes, et chacune sera ’antidote de l’autre, la solitude nous guérissant de l’horreur de la foule (je rajoute : de sa femme ou de son mari !), et la foule, de l’ennui de la solitude’.

Ces phases qui se succèdent comme des saisons ou des intempéries suivent le rythme de la constitution cyclothymique et de la Nature. Goethe dans ’Vérité et Poésie’ explique que : ’Tout L’agrément  de la vie est fondé sur le retour des objets extérieurs. L’alternance du jour et de la nuit, des saisons, des fleurs et des fruits, et de tout ce qui vient à nous par périodes fixes’. S’il ’on suit sa nature en ’accompagnant et en la canalisant on se sentira plus en vie qu’en la contrôlant uniquement. Bien sûr ces phases doivent être comprises et expliquées à l’entourage, ce qui pose problème lorsqu’on travaille dans une entreprise où que ’on éduque un enfant. Je suis conscient de la limite de ce principe mais pour une personne avec des responsabilités réduites, cela peut fonctionner. Je suis personnellement en déprime ("d" minuscule) de fin septembre jusqu’à fin mars et ensuite je renais comme les arbres du Parc de St Cloud  en face de chez moi.

Un type de bipolarité saisonnier existe (SAD : ’seasonal affective disorder’) d’ailleurs et Kay Jamison l’a souvent évoqué notamment pour le cas du compositeur Schumann qui composait exclusivement ses pièces au printemps.  Elle précise : "Nous sommes, comme le reste de la vie, des créatures périodiques, nos rythmes dépendent des rotations de la terre autour du soleil, et de la lune autour de la terre. La chimie de nos cerveaux et de nos corps oscillent en s’adaptant aux fluctuations de la terre au regard de la chaleur et de la lumière (...). Comme les autres mammifères, nos façons  de manger, de dormir et autres activités physiques changent avec les saisons, variant en accord avec les changements de température et de longueur de la journée’. De même, pour Hippocrate et les anciens grecs, chaque humeur était prédominante selon la saison ou l’âge."

Emil Kraeplin a décrit ses variations selon les saisons et Johannes Langes en 1928 comparait la dépression hivernale avec ’hibernation. Au cours du XX eme siècle cette approche psychiatrique est tombé en désuétude en raison notamment de l’influence de la psychanalyse et des traitements pharmacologiques.

Nous pouvons donc penser qu’au delà des changements d’humeurs ou d’émotions provoqués par ’environnement social, il existe bien des fluctuations naturelles dépendantes de la nature et que nous avons donc des ’temps forts’ et ’faibles’ pour reprendre le terme de Sénèque. Nous ne sommes pas plus capricieux que les marronniers ou que les belettes...

En développant cette idée de mouvement, je me permets de citer notre livre ’La cyclothymie pour le pire et pour le meilleur’,  dans lequel j’ai écrit en guise de conclusion : ’ je trouve une raison de vivre dans ma lutte pour la stabilité qui se veut un équilibre des contrastes, un mouvement perpétuel de haut en bas qui jamais ne s’altère (enfin je l’espère...)’.

Charles Barber, dans son livre historique sur la psychiatrie américaine et l’abus des médicaments, suggère une stratégie pour mener une existence digne : ’La vie en contrastes’ , c’est à dire accepter le lien entre la douleur et la joie, la plénitude ressentie après ’effort, la souffrance. Le soulagement est pour lui un sentiment exquis et qui ne serait pas d’accord avec cette affirmation ?

Kay Redfield Jamison pour sa part exprime des émotions similaires dans ’An unquiet mind’ : ’ Parce que je crois honnêtement que je lui dois d’avoir éprouvé plus de choses, plus profondément. D’avoir eu plus d’expériences, plus intenses. D’avoir aimé d’avantage et d’avoir été plus aimée. De rire plus souvent pour avoir plus pleuré. De mieux apprécié le printemps au sortir de l’hiver. D’avoir porté la mort aussi étroitement qu’une salopette, et d’en avoir mieux conscience- comme de la vie’.

J’ai toujours pensé comme Barber et Jamison que ces contrastes qui évidemment font souffrir peuvent aussi apporter le goût de vivre et personnellement je ne souhaiterais pas me sentir trop stable vers le bas ou vers le haut. Etre privé de sensations positives ne fait que les amplifier lorsqu’elles s’offrent de nouveau à nous. Nous avons besoin de la mélancolie comme de l’exubérance car ces deux pôles font partie de notre nature.

Lisez les paroles et écoutez cette chanson de Hallyday sur U tube ou Dailymotion : l’envie (1986)

Qu’on me donne l’obscurité puis la lumière
Qu’on me donne la faim la soif puis un festin
Qu’on m’enlève ce qui est vain et secondaire
Que Je retrouve le prix de la vie... enfin !


Qu’on me donne la peine pour que j’aime dormir
Qu’on me donne le froid pour que j’aime la flamme
Pour que j’aime ma terre qu’on me donne l’exil
Et qu’on m’enferme un an pour rêver à... des femmes !

On m’a trop donné bien avant l’envie
J’ai oublié les rêves et les merci
Toutes ces choses qui avaient un prix
Qui font l’envie de vivre et le désir
Et le plaisir aussi..

qu’on me donne l’envie
l’envie d’avoir envie...
qu’on allume ma vie !

Qu’on me donne la haine pour que j’aime l‘amour
La solitude aussi pour que j’aime les gens
Pour que j’aime le silence qu’on me fasse des discours
Et toucher la misère pour respecter... l’argent !

Pour que j’aime être sain, vaincre la maladie
Qu’on me donne la nuit pour que j’aime le jour
Qu’on me donne le jour pour que j’aime la nuit
Pour que j’aime aujourd’hui oublier les... ’toujours’ !

On m’a trop donné bien avant l’envie
J’ai oublié les rêves et les merci
Toutes ces choses qui avaient un prix
Qui font l’envie de vivre et le désir
Et le plaisir aussi...
qu’on me donne l’envie
l’envie d’avoir envie, qu’on... Rallume ma vie !


Quand vous aurez lu et réfléchi sur cette chanson, vous ne verrez plus votre cyclothymie de manière si négative. Dans le traité de médecine  Yôjôkun, il est dit qu’’il faut être poltron pour se soigner bien’ mais il faut être courageux pour parler de soi aux autres, dire ce que ’on est et trouver un consensus de vie. Le cyclothymique doit tenter de s’adapter aux autres mais les autres doivent aussi accepter notre idiosyncrasie et ne pas utiliser le trouble pour réfuter nos arguments (risque de syndrome de Démocrite : philosophe de renom considéré comme fous par ses compatriotes les abdéritains mais lequel était tout simplement trop savant. Hippocrate proposa au peuple une traitement â base d’éllebore !).

Le cerveau cyclothymique n’est pas fait pour les cadences infernales et le mode de vie linéaire telle que nous le connaissons aujourd’hui. Sénèque recommande de la ’prévenance pour son esprit’, il va même a recommander des moments ponctuels d’ivresse (ce que je ne vous recommande pas!) et fait même ’apologie de la folie en citant le problème XXX d’Aristote (’ Il faut un transport de l’esprit pour proférer des mots sublimes, qui dépassent la portée des autres hommes; méprisant les sentiments vulgaires et ordinaires’).

Le modèle de Proust que j’invoque pour tous les bipolaires se fonde sur une observation des rythmes naturels et peut sembler contradictoire du modèle de Kafka de l’auto-discipline mais en fait ils sont complémentaires car le ’transport de l’esprit’ ou le changement de phase-polarité ne peuvent s’accomplir que si nous avons le discernement nécessaire. Je rappelle que ’le discernement est la chose la plus noble de notre existence’ (Maïmonide).

Le problème de cette philosophie, comme toutes les philosophies, c’est qu’elle reste du domaine de l’idée. Je ne sais pas encore jusqu’â quel point, dans notre société actuelle, nous pouvons vivre comme Sérénus, le disciple de Sénèque, Proust, ou les arbres et les mammifères des forets...Mais comme je l’ai annoncé, je parle de tendance et de réflexions non de solutions pratiques pour le self-management. Pour cela, il y a la psycho-éducation et le nouveau livre d’Elie Hantouche* qui sort dans quelques jours.

*"Soigner sa Cyclothymie", Odile Jacob, 2009


30/04/2013
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