Addictions et psychiatrie : qui est comorbide ?
Addictions et psychiatrie : qui est comorbide ?
J. Adès
Paris VII – Denis Diderot
Hôpital Louis Mourier - APHP
Quel est le sens de cette question ?
La comorbidité entre addictions et troubles psychiatriques, qui est la règle plus que l'exception, concerne les deux troubles, et pas l'un plus que l'autre. La comorbidité est une interrelation complexe source d'interactions négatives.
Certaines addictions ont-elles, plus que d'autres, une comorbidité psychiatrique ?
Certains troubles psychiatriques (troubles de la personnalité et/ou troubles mentaux) sont-il plus que d'autres associés aux addictions ?
Le patient comorbide est-il un patient différent, nécessitant une approche spécifique. Laquelle ?
Définitions
La comorbidité (ou « double diagnostic » dans la psychiatrie Nord Américaine) est définie par l'OMS en 1995 comme « la co-occurrence, chez un même individu, d'un trouble lié à la consommation d'une substance psychoactive et d'un autre trouble psychiatrique ».
Le terme de co-occurrence est préféré. « coexistence d'un ou plusieurs troubles psychiatriques et d'un ou plusieurs troubles liés à des substances » ou à une addiction comportementale.
La fréquence de la co-occurrence Addictions-
Troubles psychiatriques est importante.
Grandes études épidémiologiques ECA (1997),
NCS (2003) Prévalence sur la vie des troubles mentaux de 38 à 51 % chez les patients ayant un diagnostic « life-time » de trouble addictif.
NCS : 50 % des sujets ayant un trouble psychiatrique « vie entière » cotent pour un trouble addictif « vie entière ». Chiffres analogues dans toutes les études de cohortes, anglosaxonnes et européennes.Quelles sont les significations possibles de cette co-occurrence ?
Troubles psychiques primaires, addictions secondaires Automédication (anxiété, dépression, schizophrénie) Risque accru d'exposition aux drogues lié aux troubles de la personnalité (psychopathie, étatlimite, manie)
Significations possibles de la cooccurrence.
Troubles psychiques secondaires liés à l'addiction ou favorisé par elle Effets pharmacologiques du produit (hallucinogènes, dépressogènes, anxiogènes…). Exemple actuel du rôle favorisant de l'usage excessif de cannabis dans le déclenchement d'une schizophrénie. Rôle de l'usage du tabac sur la dépression, etc. Effets délétères de l'addiction sur le comportement, le stress, l'environnement social, professionnel, familial.
Significations possibles de la cooccurrence (suite)
Relations biologiques (neurobiochimiques, génétiques) entre addictions et troubles mentaux (diathèse biologique favorisant, en fonction de facteurs d'environnement, la survenue de telle ou telle conduite addictive et d'un trouble mental).
Co-occurrence fortuite entre des troubles très fréquents : Ex : Dépression et Alcoolo-dépendance.
La notion de troubles psychiques secondaires (effets propres du produit sur le psychisme)
Est reconnue par le DSM IV TR
Catégorie Troubles mentaux induits par une substance : Delirium Démence Trouble amnésique Troubles psychotiques Troubles de l'humeur Anxiété Dysfonction sexuelle Troubles du sommeil
La co-occurrence est, en fait, un phénomène hétérogène et complexe.
La fréquence d'une apparente co-occurrence, observée cliniquement, entre troubles psychiatriques et addictions, doit être pondérée. Inflation des taux de prévalence des troubles mentaux
dans les populations de sujets traités en psychiatrie vs sujets traités en milieu addictologique
dans les populations de sujets demandeurs d'un traitement vs population générale. Biais de sélection (Troubles dépressifs chez les alcoolodépendants traités en milieu psychiatrique : 30 %, en milieu alcoologique : 5 %).
La co-occurrence est un phénomène hétérogène et complexe (suite)
Plus de comportements addictifs en milieu psychiatrique qu'en milieu médical (31 % d'abus d'alcool et dépendance en psychiatrie vs 15 % en médecine et chirurgie).
I.Sabbah-Lim, J. Adès, M. Lejoyeux, 2004.
Donc : Surévaluation probable de la fréquence des troubles mentaux dans les addictions. Prévalence différente des symptômes psychiatriques (80 % chez les addictés, 20 % en population générale) et des maladies psychiatriques (prévalence comparable chez les addictés et en population générale. 17 % selon N. Miller, 1995).
Les « double-diagnostics »
Co-occurrence de troubles mentaux, troubles de la personnalité, et addictions péjorent le pronostic du trouble psychiatrique et celui de la conduite addictive.
Des nombreux travaux de la littérature : Taux plus élevés d'hospitalisations
Plus de suicides et de TS
Plus de délinquance-criminalité Plus de désinsertion sociale Moins bonne compliance aux traitements Plus de rechutes pour les deux troubles.Les troubles de la personnalité le plus souvent associés aux addictions
Etude ECA Personnalité antisociale (30 à 50 %) Etats-limites (15 % chez les alcoolo-dépendants). Les conduites addictives sont l'un des critères des personnalités limites pour Gunderson. Personnalité évitante
PAS et alcoolo-dépendance : odds ratio de 21 (étude ECA)
30 à 50 % de PAS chez les toxicomanes
Les troubles de la personnalité le plus souvent associés aux addictions
(suite)
½ des usagers d'opiacés ont une PAS
1/3 des usagers de cocaïne
25 % dans les addictions comportementales (Etude ECA) Regier et coll. 1990
La co-occurrence entre troubles de la personnalité et addictions (suite)
Les troubles de la personnalité sont des facteurs de vulnérabilité des addictions.
Ils sont primaires, préexistent à la conduite addictive qu'ils favorisent.
Les troubles des conduites, l'hyperactivité avec troubles déficitaires de l'attention sont fréquents dans toutes les addictions.
La co-occurrence entre troubles de la personnalité et addictions (suite)
Toutes les études prospectives, dans l'alcoolo-dépendance ou les toxicomanies Traits préexistants chez les futurs alcooliques ou toxicomanes
Impulsivité
Extraversion
Hyperactivité
La co-occurrence entre troubles psychiatriques et addictions (suite)
Les troubles les plus fréquemment associés Etude ECA Etude NCS Etude NESARC
Troubles anxieux : anxiété sociale+
Troubles dépressifs et surtout troubles bipolaires type I
Schizophrénie
La co-occurrence entre troubles psychiatriques et addictions (suite)
Relations entre sévérité du trouble psychiatrique et risque de co-occurrence d'une addiction (risque majeur, pour la dépression ® Bipolaire type I)
Relations entre sévérité de l'addiction et risque de co-occurrence d'un trouble psychiatrique (K. Merikangas, 1998).
Troubles psychiatriques et addictions
Les interrelations
.Les troubles dépressifs sont considérés classiquement comme le plus souvent secondaires à l'addiction
®
Conceptions de Schuckit : 80 % des dépressions chez les alcoolo-dépendants s'améliorent en 1 à 3 mois avec le sevrage (Brown et al, 1988, 1991).Troubles psychiatriques et addictions
Les interrelations (suite)
Différence entre symptômes dépressifs (liés aux effets pharmacologiques des produits, aux conséquences socio-familiales négatives de l'addiction, au mauvais état de santé) et maladies dépressives. Données controversées ® pour certains, prévalence comparable dans les addictions avec la population générale ;
®
Pour d'autres (NESARC), prévalence élevée des troubles psychiatriques indépendants.L'étude NESARC
2004. Arch. Gen. Psychiatry
Etude épidémiologique conduite par le NIAA aux USA. 49 093 sujets en population générale.
Questionnaire AUDADIS qui tient compte du problème de la comorbidité pour les abus de substances.
®
Troubles de l'humeur indépendants chez les sujets ayant un abus de substance : 19,6 % de dépressions.®
Troubles de l'humeur induits : 1 %Conclusions et questions
(étude NESARC)
Prévalence élevée chez les addicts de troubles de l'humeur indépendants.
Faible prévalence des troubles de l'humeur induits.
L'hypothèse d'abus de substances secondaires n'est pas démontrée (automédication ?).
Les dépressions secondaires sont rares. Plutôt symptômes dépressifs intriqués à l'addiction.
Conclusions et questions (étude NESARC) suite
Cette étude contredit en partie des résultats de travaux antérieurs :
Ex : étude COGA (Schuckit et al, 1997)
2 713 sujets alcoolo-dépendants,919 contrôles
Prévalence sur la vie des troubles dépressifs indépendants Chez les alcoolo-dépendants : 14 % Contrôles : 17 %
Prévalence sur la vie des troubles bipolaires Alcoolo-dépendants : 2,3 % Contrôle : 1 % ® relation entre trouble bipolaire et alcoolodépendance.
Les interrelations : la question des troubles anxieux.
Co-occurrence importante entre anxiété et abus de substance et/ou Dépendance.
Etude NCS. Deux troubles plus fréquents chez les alcoolo-dépendants : Trouble panique (4,2 vs 1 %) Phobies sociales (3,2 vs 1,4 %)
Les interrelations : la question des troubles anxieux (suite)
S'agit-il de troubles indépendants ou de troubles anxieux induits par la conduite addictive ?
Les interrelations : la question des troubles anxieux (suite)
Même approche que pour les troubles dépressifs.
Co-occurrence anxiété-addiction très fréquente, presque constante.
Différencier : Anxiété symptôme ® effet pharmacologique anxiogène des produits à forte dose, anxiété de sevrage. Troubles anxieux indépendants : 17,7 % étude NESARC
®
Anxiété Sociale®
Trouble PaniqueLes interrelations : la question des troubles anxieux (suite)
Les troubles anxieux comorbides sont le plus souvent primaires, antérieurs à la conduite addictive
®
Anxiété sociale®
Trouble Panique®
Trouble Anxieux GénéraliséAutomédication par le produit ou la conduite ?
Choix spécifique du produit en fonction de la pathologie mentale ?
Variation des choix d'un produit en
fonction d'une pathologie mentale
Aucune étude complète concluante.
Hypothèses : Phobie sociale ®effet anxiolytique ® alcool, cannabis TAG, T. Panique ®effet anxiolytique ® alcool, cannabis, tabac… Troubles dépressifs unipolaires ® effet « antidépresseur » ® alcool, tabac, cannabis, cocaïne, jeu pathologique, achats compulsifs, addiction sexuelle… Schizophrénie ®effets sédatifs ou stimulants ® cannabis, alcool, tabac+++, héroïne…
Conclusions
Co-occurrence fréquente entre tous les troubles addictifs et les troubles de la
personnalité, les troubles mentaux.
Les symptômes psychiatriques (anxiété, dépression) sont fréquents, secondaires, liés aux effets pharmacologiques du produit et aux conséquences de la conduite.
Conclusions (II)
Les troubles psychiatriques co-occurents les plus fréquents (TAG, Anxiété Sociale, Trouble Panique, Trouble bipolaire type I, Dépression unipolaire) sont le plus souvent primaires, indépendants, favorisant la ou les addictions (automédication).
Conclusions (III)
La co-occurrence de troubles addictifs et de troubles psychiatriques aggrave le pronostic des deux troubles. Profil du sujet comorbide : troubles plus sévères, plus de suicide, plus de conduites hétéroagressives, évolution plus défavorable, mauvaise compliance.
Conclusions (IV)
Nécessité de stratégies adaptées ® traitement intégré (même équipe, même lieu)
Lieux de soins adaptés, équipes formées à des doubles prises en charge, psychiatrique et addictologique.