Au travail, le tabou du handicap psychique demeure
Au travail, le tabou du handicap psychique demeure
Si les handicapés physiques et sensoriels commencent à s’intégrer dans le milieu du travail, les handicapés psychiques, eux, restent ignorés. 600.000 personnes sont concernées.
Le seuil des 6 % de travailleurs handicapés, imposé par la loi du 11 février 2005, reste difficile à atteindre pour les entreprises. Y compris les entreprises les mieux disposées. Le profil des candidats est trop souvent en décalage avec leurs besoins. Le niveau de qualification des chercheurs d’emploi handicapés est en effet nettement inférieur à la moyenne : 80 % d’entre eux ont une formation de niveau 5, équivalent au CAP. De plus, les aléas médicaux et sociaux les ont souvent éloignés de l’emploi : 53 % des personnes handicapées inscrites à Pôle emploi le sont depuis plus d’un an ; 30 % depuis plus de deux ans. Enfin, comme 85 % des handicaps se déclarent ou se développent avec l’âge, 37 % des chercheurs d’emploi handicapés ont plus de 50 ans. Entre l’âge, l’éloignement de l’emploi et le manque de qualifications, ils cumulent les handicaps…
Les travailleurs handicapés psychiques, plus qualifiés
Parmi les travailleurs handicapés, il existe une population plus diplômée que la moyenne et pourtant négligée : les 16 % de personnes atteintes d’un handicap psychique. Ce handicap est la conséquence d’une maladie psychique ou de troubles mentaux chroniques qui affectent la personnalité : schizophrénie, paranoïa, anxiété généralisée, dépression chronique, troubles bipolaires, troubles obsessionnels ou phobiques, etc. Contrairement au handicap mental, il n’affecte pas les facultés intellectuelles. Au contraire, les 600 000 personnes recensées par l’Agefiph auraient un niveau de qualification nettement supérieur à la moyenne : ces pathologies se déclarent généralement à l’âge adulte, sans entraver le cours de la scolarité. Elles surviennent de plus en plus souvent au cours de cursus particulièrement exigeants : « A ce jour, 37 % des étudiants scientifiques suivis par des associations spécialisées sont atteints de handicap psychique, observe Gérard Lefranc, directeur de la mission Insertion du groupe Thalès. Les écoles préparatoires, leur travail intensif et leurs pics de stress favorisent les décompensations. »
Peur des managers
Le handicap psychique peut se manifester de différentes façons : difficultés relationnelles, déficit d’attention, de concentration ou de mémorisation, instabilité de l’humeur, obsessions, compulsions, etc. Avec une alternance d’états calmes et de crises : c’est précisément le caractère imprévisible des troubles qui inquiète les recruteurs. A plus forte raison si l’on considère qu’un mauvais management peut déclencher des épisodes de crise. Contrairement aux idées reçues, les accès de violence sont aussi rares que dans le reste de la population. Le handicap fait pourtant peur : les managers se portent rarement volontaires pour intégrer une personne atteinte dans leur équipe. Parce que le handicap psychique reste tabou. Et parce que les difficultés objectives ne manquent pas : « Alors que l’intégration professionnelle des handicaps physiques ou sensoriels passe par une adaptation du poste de travail, l’intégration du handicap psychique passe par l’adaptation de l’employeur, du manager et des collègues. Ce qui est évidemment plus délicat », admet Thierry Brun, directeur général de l’association Messidor, qui gère des établissements de travail protégé et adapté. « Face au handicap psychique, c’est tout le collectif de travail qu’il faut adapter », confirme Jane Gansel, chargée de mission handicap et diversité au sein de l’institution de prévoyance Klesia. Ce qui est toujours plus difficile quand la pathologie est taboue : « On ne peut parler ouvertement du handicap que si la personne l’accepte. Du reste, je préfère l’éviter car le mot fait peur. Mieux vaut décrire concrètement au manager les situations qui peuvent poser problème : le stress, le sentiment d’échec, les conflits ouverts. En insistant sur le fait que la personne a les compétences requises et est qu’elle est reconnue comme étant apte à travailler. »
Souplesse et formation des équipes
Exactement de la même façon que face à un handicap physique ou sensoriel. « Le handicap psychique ne doit pas être stigmatisé, estime Erwan Le Cornec, chargé de la mission handicap d’Assystem et psychologue de formation. Tous les types de handicaps requièrent une certaine souplesse, du temps et de l’engagement de la part de l’environnement de travail. » De plus, « l’intégration du handicap psychique est gérable dès lors qu’on comprend qu’il faut éviter de placer le collaborateur concerné dans des environnements stressants ou instables. » C’est pourquoi l’intervention du médecin du travail est essentielle : « A défaut de dévoiler la nature de la pathologie, qui reste de la seule décision de la personne concernée, il se porte garant de son aptitude à travailler et explicite les conditions dans lesquelles elle peut le faire. » Mieux vaut toutefois former l’ensemble de l’équipe à l’identification des signaux d’alerte : « Retards trop fréquents ou absences subites et inexpliquées, dégradation de l’hygiène et de la présentation physique, refus systématiquement d’aller au restaurant d’entreprise, signes d’angoisse traduisent souvent une dégradation de l’état psychique », détaille Gérard Lefranc. Il faut, surtout, expliquer au manager qu’il n’est pas seul face au handicap psychique : « Il doit travailler en équipe avec le médecin du travail et la mission handicap tout en restant dans son rôle de manager ». C’est-à-dire éviter de jouer les psys ou les nounous, et ne pas hésiter à sanctionner les attitudes inacceptables. Comme avec tous leurs autres collaborateurs.