BASES PSYCHOPATHOLOGIQUES DE LA PSYCHOLOGIE MÉDICALE - Partie 2
. Attitudes de minimisation, négation et refus de la maladie
Ces réactions sont courantes. Elles peuvent aller jusqu’à des attitudes de négation et de refus de la maladie reposant sur des mécanismes de dénégation ou de déni. Par exemple, tel patient « refuse de s’écouter » et dénie partiellement la réalité en méconnaissant la gravité de son état et en rationalisant sa maladie qui « est due à un surmenage passager ».
Ces attitudes peuvent s’accompagner parfois de comportements d’hyperactivité centrée sur la maladie (consultations multiples).
. Réactions d’ordre narcissique
Le narcissisme définit le caractère de « tout inviolable, impérissable, important, capable et digne d’être aimé » de l’individu (Balint). La maladie menace l’intégrité de l’individu et induit des réactions variables sur son narcissisme.
Certains patients se sente avant tout blessés et vivent une expérience de « faille narcissique ». Certains la surmonteront en se repliant sur eux-mêmes et en accentuant leur égocentrisme, alors que d’autres développeront des thèmes dépressifs associés à la crainte de ne plus être dignes d’être aimés.
Certains patients au contraire voient leur narcissisme renforcé par l’expérience de la maladie : l’intérêt porté à sa propre personne malade devient la source de nombreuses satisfactions. Certains comportements narcissiques pourront être utiles au médecin, s’ils facilitent la participation du patient à la thérapeutique. Ces réactions narcissiques sont fréquentes chez les sujets dont la dimension de narcissisme est une dimension dominante du fonctionnement psychique.
. Réactions dépressives
Elles sont fréquentes au cours des maladies chroniques et/ou sévères. En effet, la maladie représente une atteinte de l’image idéale de soi, c’est à dire du narcissisme du sujet. Elle représente aussi une confrontation avec la mort. A ce double titre, elle peut être à l’origine de réactions dépressives, qui sont par ailleurs favorisées par certains facteurs biologiques, lésionnels et thérapeutiques.
Les réactions dépressives peuvent être exprimées par le malade (sentiment de dévalorisation, d’incomplétude, de fatalité avec abandon de tout projet et de tout souhait) ou masquées par des plaintes en particulier somatiques.
. Attitudes agressives et persécutives
L’agressivité n’est pas l’apanage des patients psychiatriques. Elle est souvent le reflet de la perception d’une menace. Elle peut s’exprimer de façons très variées : agressivité passive, agressivité verbale voire agressivité physique.
L’agressivité peut aussi témoigner d’un sentiment d’injustice et de persécution. Se considérant comme victimes d’une agression, certains patients pensent plus ou moins consciemment qu’on « on leur veut du mal ». Le mécanisme de défense mis en jeu est un mécanisme projectif.
4. Le caractère pathologique de la réaction
Il n’y a pas de stratégie défensive idéale vis à vis de la maladie. Le caractère pathologique de la réaction et la nécessité d’une intervention thérapeutique seront en général les suivants :
- la souffrance du patient et son inadaptation à la situation
- le caractère inhabituel de la réaction dans son intensité
- le caractère inhabituel de la réaction dans sa durée.
III – LA RELATION MÉDECIN-MALADE
La relation thérapeutique médecin-malade est déterminée par de nombreux facteurs, individuel et socio-culturels. De même que le malade réagit à sa maladie en fonction de sa personnalité propre, le médecin réagit face à son malade par un certain nombre d’attitudes conscientes et inconscientes qui dépendent de sa personnalité et de son histoire, et qui sont susceptibles d’infléchir le cours de la relation thérapeutique.
1. Les particularités psychiques et psychosociales du médecin
. Le choix individuel de la profession
Il s’explicite par des motivations conscientes sous-tendues par des mobiles plus inconscients.
Ainsi les désirs de voir, comprendre, savoir, toucher, pouvoir sont sous tendus par le couple pulsionnel voyeur-exhibitionniste plus inconscient. Les désirs conscients de soulager, se rendre utile, réparer, gagner de l’argent sont sous tendus par l’attrait de la réparation des tendances agressives et sadiques.
. Les attentes de la société
Elles peuvent influer sur le choix de la profession. Elles concernent : le savoir technique, l’altruisme, l’universalité du pouvoir, le désintéressement, la neutralité affective, morale, juridique voire politique et religieuse. Ces attentes réelles ou imaginaires peuvent confronter le médecin à des conflits internes.
2. Les caractéristiques générales de la relation médecin-malade
. Les données classiques
Avec ses symptômes, un malade demande certainement au médecin-technicien de le guérir de sa maladie, mais il demande aussi d’autres choses. L’Homme malade demande soutien, réassurance, sécurité et affection ; il demande donc à son médecin une véritable relation affective et une disponibilité, compatibles avec l’exigence de neutralité qui incombe au médecin.
Le médecin réagit devant son malade non seulement comme un technicien averti des maladies, mais aussi comme personne ayant une histoire propre, plus ou moins sensible à la souffrance de l’autre.
Ainsi la relation médecin-patient a les caractéristiques suivantes :
- c’est une relation fondamentalement fondée sur l’inégalité et l’asymétrie, puisque la demande du patient le rend passif et dépendant et puisque sa souffrance le mobilise et le diminue.
- c’est une relation d’attente et d’espérance mutuelle : le malade attend la guérison ou au moins le soulagement, le soignant la reconnaissance de son pouvoir réparateur
- c’est une relation où le lieu d’échange est avant tout le corps mais où la parole a sa place
- c’est une relation de confiance non égalitaire, impliquant la distance et l’aseptie.
. L’apport du modèle psychanalytique
La théorie psychanalytique a défini le concept de transfert. Il s’agit des réactions affectives conscientes et inconscientes qu’éprouve le patient à l’égard de son médecin.
En effet, dans le cadre de la relation médecin-malade des désirs inconscients sont actualisés et un certain nombre de désirs insatisfaits du patient vont se projeter sur la personne du médecin en ce qu’il représente – inconsciemment – un autre personnage. Le malade peut ainsi répéter des situations conflictuelles qu’il a vécu dans son passé.
La théorie psychanalytique a aussi défini le concept de contre-transfert alors que le malade est sujet au transfert, le contre-transfert se définit comme les réactions affectives conscientes et inconscientes qu’éprouve le médecin vis à vis de son patient. Ce contre-transfert et très directement lié à la personnalité et à l’histoire personnelle du médecin.
Le plus souvent, le contre-transfert est positif, permettant une relation médecin-malade de qualité caractérisée par l’empathie du médecin et une action thérapeutique efficace. Une relation médecin-malade de qualité fait référence au fait que le médecin s’identifie au patient et comprend sa situation tout en étant capable de garder une certaine distance vis à vis de lui, distance requise par l’objectivité nécessaire à la prise de décisions thérapeutiques.
Un contre-transfert excessivement positif risque de conduire à une identification massive au malade et/ou à une perte d’objectivité dans les soins.
Ailleurs, un contre transfert négatif induisant l’agressivité et des frustrations excessives du malade peut être à l’origine d’échecs de la relation thérapeutique. Il en est de même pour une absence de contre-transfert qui peut conduire à une froideur excessive.
. L’apport des travaux de M. Balint
M. Balint, psychanalyste hongrois, a développé une modalité originale d’approche de la relation médecin-malade.
Ces travaux sont issus de quelques constatations : 1. il existe un certain nombre d’insuffisances de la médecine traditionnelle, qui étudie plus les maladies que les malades. 2. Un tiers de l’activité professionnelle d’un médecin généraliste ne relève que d’une action psychothérapeutique et 3. que la relation médecin-malade s’organise entre 2 pôles extrêmes de domination et de soumission auxquels correspondent le pouvoir du médecin et la fragilité du malade.
Pour Balint, le médecin est un remède en soi, même si son action est médiatisée par un médicament. Ainsi, une meilleure maîtrise de la relation inter-individuelle doit permettre au médecin d’établir avec son patient un échange affectif qui aura des vertus curatives. C’est l’objectif des « Groupes Balint » consacrés à l’approche en groupe des diverses problématiques relationnelles médecin-malade.
. Les données récentes
La relation médecin-patient est actuellement en pleine mutation.
Mettant en avant les droits de l’individu, notre société souhaite faire évoluer la relation médecin-patient d’un modèle « paternaliste » vers un modèle d’ « autonomie ». Cette évolution se traduit notamment dans les nouvelles obligations liées à l’information et consentement éclairé du patient concernant les soins et à la communication du dossier médical au patient.
Ainsi, le médecin risque d’avoir une marge de manœuvre relativement faible entre ses obligations éthiques et déontologiques anciennes d’une part et ces nouvelles modalités de fonctionnement d’autre part.
D’une façon un peu schématique, la situation pourrait être ainsi résumée : le médecin devra trouver un juste milieu entre deux pôles extrêmes.
Le premier pôle est une relation dite « paternaliste » trop inégalitaire, respectant insuffisamment l’individu, trop peu concerté et informé des traitements.
Le second rôle correspond à une relation dite d’ « autonomie ». Dans cette relation, le médecin, désinvestissant son rôle et son statut de médecin, se déresponsabiliserait de toute décision pour le patient : le patient, sensé être capable de prendre les meilleures décisions pour lui-même (dans les domaines aussi difficiles que sa maladie ou sa mort par exemple), serait quant à lui renvoyé à des décisions imprenables, car le mettant dans une position ingérable en termes psychologiques et risquant de conduire au fait qu’il ne bénéficie pas des meilleurs traitements pour lui-même.
En pratique, et pour respecter le patient sans se dédouaner de son rôle, le médecin se devra d’expliquer sa maladie au patient en adaptant son langage à celui du patient. La communication du dossier médical devra se faire, autant que possible, dans le respect de ces grands principes.
3. Quelques situations pratiques
Quelques exemples particulièrement fréquents sont illustrés dans ce paragraphe
. Attitudes face à l’angoisse
L’attitude la plus adaptée est le plus souvent une attitude souple d’écoute bienveillante, centrée sur les préoccupations du malade, associée une attitude de ré-assurance et d’explication des symptômes.
Certains médecins, au tempérament « actif » et « volontaire » préfèreront des attitudes plus directives, qui entretiennent l’image mythique du « médecin-Sauveur ». Elles sont sous-tendues par une tentative d’identification directe du malade au médecin : « Soyez fort comme moi ». Ce type d’attitude donne des résultats inconstants, parfois négatifs.
. Attitudes face à l’agressivité :
Les réactions agressives du médecin face à l’agressivité du patient sont fréquentes car certains médecins tolèrent mal les revendications agressives de leurs patients. Ces réactions agressives sont à éviter car elles entraînent souvent une escalade dans l’agressivité et une rupture de la relation thérapeutique.
L’attitude la plus adaptée consiste, dans la mesure du possible à reconnaître et nommer l’émotion du patient, ne pas refuser le principe du dialogue mais sans chercher à discuter rationnellement.
. Attitudes face à l’hypochondrie
L’hypochondriaque confrontera le médecin à l’impuissance thérapeutique. Si le médecin l’accepte, il évitera toute surenchère de médicalisation qui pérenniserait les troubles voire les aggraverait.
. Attitudes face à la séduction histrionique
Ces patients, suggestibles, influençables, dépendants se moulent au corps médical avec une plasticité étonnante. Guérir pourrait alors signifier pou eux une rupture de ce lien affectif. Ce phénomène favorise l’engrenage des hospitalisations abusives, de la iatrogénie, des bénéfices secondaires. Le médecin doit avoir pour objectif de prévenir cet engrenage.
. Effet non spécifique : effet placebo
Le placebo désigne toute substance pharmacologique inerte, susceptible de modifier l’état du malade, soit en l’améliorant (effet placebo-positif), soit en déclenchant des effets indésirables (effet placebo-négatif ou effet nocebo).
L’effet placebo dépend de nombreux facteurs : nature des symptômes pour lesquels il est administré, présentation du placebo et modalités de sa prise (nombre et couleur des comprimés), personnalité du sujet, influence du prescripteur. Les sujets placebo-répondeurs sont plutôt les sujets sociables et extravertis, qui ont une « attente » par rapport aux effets du produit. Le prescripteur, influence la réponse au placebo. La relation positive au médecin favorise la réponse au placebo et par extension au traitement actif.
. Observance et relation médecin-malade
Une réaction médecin-malade de qualité est un facteur qui favorise l’observance du traitement médicamenteux au long cours.
Conclusion
L’ensemble de ces enjeux, dont la complexité est perceptible justifie pour le moins une formation psychologique du médecin, qui devrait être acceptée et reconnue par tous.
Dans une société en pleine mutation pour ce qui est de la relation médecin-patient, cette formation permettra au médecin :
. d’éviter l’utilisation inadaptée et parfois pathogène des dimensions psychologiques
. de jouer son rôle apaisant et réorganisateur à travers la qualité de la relation établie avec le patient et son entourage.
Indications de lectures complémentaires :
- PH. JEAMMET et al. " Psychologie médicale ", coll. ABrégés, Masson, Paris, 2° éd. 1996
- BALINT M. " Le Médecin, son malade et la maladie " Trad. J.P. VAlabrega,7° éd. Petite coll. PAYOT, PARIS, 1996
- GUYOTAT J (éd) et al. Psychothérapies Médicales, collection Médecine et Psychothérapie, Masson, Paris, 1978.