COMMUNISTES
C'était un mois d'août, un mois d'août à Paris,
Pas comme les autres, un mois de célibat, où
Mes 20 ans me faisaient briller à l'âme une espérance
Ouverte vers l'aventure.
Paris désert, mais encore fréquenté par les parisiens
Qui avaient fait le choix de rester, et où il régnait un air de fête.
Paris abandonné aux touristes étrangers, et à ceux qui venaient
Se distraire, humer l'odeur des vielles rues, redevenues
Paisibles l'espace d'un instant. Le Paris de la quiétude,
Des arts et des promenades sous l'ombre des arbres feuillus,
Le Paris des terrasses de café, de ceux qui se pansent des plaies
De l'année qui vient de passer.
Un ami m'avait fait connaître deux femmes de 30 ans,
Parisiennes jusqu'au bout de leurs ongles, toutes deux
Professeurs de Français. L'une d'elle était aussi journaliste
Au parti communiste, et l'autre avait élu son domicile
Au Lycée Henri IV, dans une mansarde grise perchée sous
Les toits des bâtiments, dans un monde d'ombres et de calme
qui nous Protégeaient de la rigueur de ce soleil d'août.
Je les avait rejoins là, et on aurait dit deux sœurs jumelles,
Tant il paraissait une complicité entre les deux femmes,
Et pourtant si différentes, l'une renfermée sur ses souvenirs,
Et l'autre, la journaliste, qui me semblait plus ouverte vers
le monde Extérieur.
Toutes les deux étaient célibataires, ou au moins provisoirement,
Leurs conversations évoquant leurs ex, ou les connaissances
Qu'elles avaient faites, au cours de sorties au théâtre, ou dans
D'autres lieux.
Je ne me sentais pas à l'aise au départ, pour la différence d'âge,
Elles avaient la trentaine contre ma vingtaine,
Mais elles m'avaient rassuré rapidement, en se montrant presque
Maternelles, et à la fois copines, au langage moderne, et
aux préoccupations de tous les jours.
Je les questionnais sur leurs métiers, sur leurs connaissances,
Intrigué que j'étais sur leur côté un peu branché intello de gauche,
intrigué par les gens de lettres parisiens, par certains côtés amusants
de leurs défauts.
On parlait de révolution, de lutte des classes, de la future et supposée
Victoire de la Gauche. Mes deux consoeurs n'en finissaient plus de
Refaire le Monde, citant les figures de proues du combat social.
Puis elles revenaient à leurs préoccupations quotidiennes, à qui
Feraient les courses, à ce que nous allions manger, ou ce que devenait
Un tel ou un autre.
Abrité dans l'appartement sombre et frais où j'étais en compagnie
De mes deux ravissantes intellectuelles, je pensais à toutes ces
Générations de professeurs qui les avaient précédé, dans ce lycée
Prestigieux Henri IV où nous étions, aux histoires de pions, aux
Elèves qui quittaient enfin le lycée pour voler de leurs propres ailes,
A ces destins qui se faisaient et partaient au loin, à tout ce petit
Univers qui gravitait autour des connaissances livresque, chacun
Cherchant sa place dans cette société des années 75, rêvant de jours
Meilleurs et de mondes libertaires.
Je m'assoupissait dans mes pensées, repensant à ma propre sortie
Du lycée il y avait à peine un an, sans diplôme ni rien, et au métier
Ingrat de manutentionnaire que je faisais, quand Boubou,
la Journaliste m'arracha de mes pensées,
En proposant soudain de partir nous promener dans Paris,
Dans un petit parc tout près, pour profiter dit-elle de l'air
De l'été.
Nous voilà partis à trois pèlerins, cahotant à pieds sur les pavés
Des rues. Nous remontons une ruelle bordée de petits
Arbres, et Boubou me glisse sa main dans la mienne.
Je suis à moitié surpris, tant la chaleur débonnaire de cet après-midi
M'a engourdi. Je pense qu'elle ne perd pas son temps. Je la regarde
Et lui sourit. Belle après-midi où je vis mon deuxième flirt, ou une
Autre fille m'attendait dans la lointaine campagne.
Nous marchons la main dans la main, comme des enfants conduits
A une messe en plein air. Les rues chargées de passé me font
Plonger vers les histoires des amants de passage, vers toutes ces
Vies qui se rencontrent, aux hasard d'un carrefour.
Boubou est jeune et belle. Elle n'a que 10 ans de plus que moi.
Je pense que nous formons un beau couple. Oui, un beau couple.
La promenade se finit et on me propose de me présenter la cellule
Communiste où Boubou est inscrite. Un coup de téléphone dans un
Café et nous voilà en route vers une destination mystérieuse.
Nous gravissons l'escalier d'un vieil immeuble, et nous retrouvons
Dans un appartement exigu gris comme les toits de Paris.
On me présente un jeune cadre du Parti communiste. Il vient de
Sortir de l'ENA. Il a des gestes précieux et me murmure bonjour
A l'oreille, me regardant en coin.
Une table ronde est en place où se trouve 5 personnes. La sonnette
D'entrée retentit, et on introduit un homme d'une cinquantaine
D'années aux vêtements usés, aux cheveux grisonnants et mi-longs.
Boubou me glisse dans l'oreille qu'il s'agit d'un nouveau postulant
A une adhésion au Parti Communiste.
L'Homme s'assied et explique qu'il est professeur à l'Education
Nationale, et que sa conscience le travaillant, il a décidé de venir
Pour postuler à une cellule, pour se joindre à la lutte des camarades.
Des questions fusent de toutes part, le pressant de se justifier.
L'un des convives lui demande pourquoi en tant que Bourgeois
Intellectuel il a décidé de venir rejoindre les camarades ouvriers.
L'Homme s'excuse d'être bourgeois, puis éclate en sanglots.
" Tu es un bourgeois ", crie un autre. L'Homme bredouille
des explications. Je suis mal à l'aise. Je regarde les yeux de
l'Homme qui roulent. J'ai pitié de lui. Je dis à Boubou
que nous devrions y aller. Nous partons en nous excusant.
La soirée passe aussi vite que l'après-midi. Les lumières de la
Ville s'allume peu à peu, pour remplacer le jour qui s'éteint,
Et Boubou m'invite à passer la nuit avec elle.
Elle insiste pour que je prenne une douche avant de me coucher.
Me voilà nu au bord de son lit. Elle se déshabille en se retournant.
Puis elle va à la commode de la chambre, et en retire un objet.
Puis elle s'assoie à côté de moi, et me présente l'objet en
Plastique transparent. " Qu'est-ce-que c'est ? " lui dis-je.
" C'est une capote ", me répond t-elle, " je peux t'aider à
la mettre "…
Je n'avais jamais vu de capote, et je fus pris d'un vertige
De peur à l'idée de mettre cela sur ma pauvre bite. Après avoir
Essayé plusieurs fois en vain, nous convenions que cette nuit
Allait se passer sans faire l'amour. Et que ces choses là
Arrivaient à tous les hommes. Ce qui me réconforta.
Je me retrouvais dans les bras de Boubou, dans la moite
Douceur de la nuit. Je pensais à l'Homme qui pleurait
Cet après-midi. Boubou m'avait dit qu'il fallait que je
M'inscrive à la cellule. Que c'était important.
Je pensais à ce qui allait bien m'arriver le lendemain,
A ce qui allait bien advenir de cette liaison où je ne
Ressentais pas la brûlure de l'amour, mais seulement
la tendre quiétude d'un été qui se meurt lentement sur
les beaux toits de Paris,
et où je ne ressentais aucune exaltation
pour les camarades, ou de haine pour les bourgeois.