Première étape : savoir observer
Le hasard n’arrive-t-il que… par hasard ? Pas vraiment. Les coïncidences ne sont ni des raretés ni des vues de l’esprit, et sont même si fréquentes qu’elles ont été étudiées de manière scientifique. Jusqu’au début du XXe siècle, certains, comme l’astronome Camille Flammarion, collectionnaient les coïncidences – comme d’autres les timbres-poste ou les papillons –, confectionnant des catalogues bourrés d’histoires personnelles, de récits d’amis, de coupures de journaux qui relataient de telles aventures. Peut-être pour prouver que ces événements étranges « signifiaient quelque chose », et certainement en se sentant coupables de pécher contre les lois de la rationalité. Dans “le Réquisitionnaire”, Balzac avait même écrit que ces « sympathies qui méconnaissent les lois de l’espace », rassemblées par ces amateurs d’impossible, « serviront un jour à asseoir les bases d’une science nouvelle à laquelle manque un homme de génie ».
Cet homme, ce sera Paul Kammerer. En 1900, ce jeune biologiste autrichien commence sa propre collection. Des banalités. Noms ou chiffres identiques qu’il rencontre au cours d’une journée, lettres similaires qu’il reçoit de correspondants différents, rêves de personnes diverses évoquant les mêmes thèmes, etc. Il note méticuleusement tous les événements concordants et met au point une classification par genre et importance des points communs, comme d’autres ont classé les lézards de l’Adriatique. Exemple : un jour, sa femme commence un roman dans lequel apparaît une madame Rohan ; le soir même, le prince Joseph de Rohan leur rend visite à l’improviste. Voilà une série simple, avec un point commun. Kammerer relève aussi des événements beaucoup plus spectaculaires totalisant parfois jusqu’à six points communs. Exemple : en 1915, deux soldats sont admis le même jour dans un hôpital militaire de Bohême. Jusque-là, rien d’extraordinaire. Sauf que tous deux ont 19 ans, sont nés en Silésie, se sont portés volontaires, souffrent de pneumonie, et s’appellent… Franz Richter !
Le biologiste passe des heures sur les bancs des jardins publics à observer les passants, leurs particularités, leurs vêtements, les objets qu’ils transportent, et commence à mettre à jour des groupements —phénomène plus connu sous l’appellation populaire de «loi des séries». En 1919, devenu un éminent scientifique, Paul Kammerer publie le résultat de ses observations, assorti d’analyses statistiques et d’une tentative de théorie : il y aurait, dans l’univers, une force qui, comme la gravitation, regrouperait les «semblables» par affinités. Albert Einstein lui-même déclare que ce livre est «original et nullement absurde».
Quasiment inconnus du grand public, les travaux de Kammerer ne sont cités que par quelques spécialistes. Pourtant, ils mettent en évidence deux choses fondamentales de notre vie quotidienne. D’abord, que le principe de « sérialité », ou loi des séries — le fameux « jamais deux sans trois » — n’est pas un pur produit de l’imagination, mais un phénomène très courant que connaissent bien statisticiens, compagnies d’assurance ou habitués du Loto. Ensuite, que les coïncidences apparaissent si l’on apprend à regarder le monde qui nous entoure. Etre attentif à soi, aux autres et à son environnement est d’ailleurs l’une des bases du développement personnel. |