Etat Limite ou diagnostics limites ?

 

Etat Limite ou diagnostics limites ?

29/09/2011
Auteur : Dr Hantouche et Dr Kochman

Bipo / Cyclo > Personnalité borderline

La notion même de trouble de la personnalité « Etat-Limite » ou Borderline est éminemment complexe car les points de vues de différents cliniciens, même s’ils se recoupent sont loin d’être consensuels
octobre 2011

Les limites du concept d’Etat-Limite.


La notion même de trouble de la personnalité « Etat-Limite » ou Borderline est éminemment complexe car les points de vues de différents cliniciens, même s’ils se recoupent sont loin d’être consensuels. Nonobstant, les fines descriptions cliniques et psychopathologiques de Kernberg, de Bergeret et de Marcelli font référence, et décrivent en commun des sujets présentant sur le plan sémiologique une instabilité émotionnelle et anxieuse, des traits impulsifs parfois incontrôlables dans les relations affectives et interpersonnelles notamment, une vulnérabilité aux passages à l’acte auto-agressifs, des conduites addictives (4, 11, 13). Cette description succincte nous incite inévitablement à faire le lien avec certains patients bipolaires. D’ailleurs, la classification réductrice et contestable du fameux DSM IV (tableau) ne fait qu’entretenir la confusion diagnostique puisque 5 critères sur 9 sont nécessaires pour porter le diagnostic de personnalité borderline, alors que 5 critères de ce trouble sont également caractéristiques de la bipolarité…(3).

Trouble de la personnalité Borderline (DSM-IV-TR)
(1) Efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginés
(2) Mode de relations interpersonnelles instables et intenses caractérisées par lʼalternance entre les positions extrêmes dʼidéalisation excessive et de dévalorisation
(3) Perturbation de lʼidentité: instabilité marquée et persistante de lʼimage ou de la notion de soi
(4) Impulsivité dans au moins deux domaines potentiellement dommageables pour le sujet (p. ex.., dépenses, sexualité, toxicomanie, conduite automobile dangereuse, crises de boulimie).
(5) Répétition de comportements, de gestes ou de menaces suicidaires, ou dʼautomutilations
(6) Instabilité affective due à une réactivité marquée de lʼhumeur (p. ex., dysphorie épisodique intense, irritabilité ou anxiété durant habituellement quelques heures et rarement plus de quelques jours)
(7) Colères intenses et inappropriées ou difficulté à contrôler sa colère (p. ex., manifestations fréquentes de mauvaise humeur, de colère constante ou des bagarres répétées)
(8) Sentiments chroniques de vide
(9) Survenue transitoire dans des situations de stress dʼune idéation persécutoire ou de symptômes dissociatifs sévères

De fait, les nombreuses études de comorbidité entre ce trouble de la personnalité et le trouble bipolaire se révèlent caduques et d’interprétation très discutable. Il n’est de ce fait pas absurde de remettre en question la notion même de trouble de la personnalité borderline comme ne manquent pas de le faire certains auteurs (2, 14). Ainsi, selon Deltito & al, jusqu’à 81% des sujets borderline souffriraient d’un trouble bipolaire si l’on tient compte des critères complets du spectre à savoir les hypomanies spontanées et pharmacologiques, l’histoire familiale de bipolarité et les traits de cyclothymie (7).

« Etat Limite » : un diagnostic fourre-tout ?


De l’avis même de Bergeret, la personnalité Etat Limite n’est pas une structure, ce n’est donc ni une névrose, ni une psychose (4). Il y a donc un espace vide entre ces deux structures, et cʼest le domaine des états limites. Les malades "états limites" ont dépassé le stade des frustrations et de la psychose et ils nʼont pas régressé vers ces fixations. Ils ne sont ni névrosés, ni psychotiques. Cet espace vide associé aux conceptions sémiologiques et psychopathologiques larges et ouvertes permettent à bon nombre de cliniciens d’évoquer ce diagnostic au sujet de patients inclassables sur le plan nosographique ou présentant une symptomatologie complexe, intriquant traits névrotiques et psychotiques. N’ayons pas peur d’écrire qu’il s’agit alors parfois d’un diagnostic de facilité qui débouche surtout sur des stratégies thérapeutiques pour le moins floues. Force est en effet de constater que l’abord thérapeutique de ce trouble de la personnalité est loin d’être clair et formalisé (17). Dans nos synthèses cliniques, le diagnostic fourre-tout de personnalité borderline a peu à peu volé la vedette à l’hystérie, passée de mode depuis deux décennies.

Le retour du tempérament, fondement de la psychiatrie moderne


Depuis plus de 20 siècles, l’abord clinique des troubles de l’humeur a été fondé sur la notion de tempérament, chère à Hippocrate (6). La notion de tempérament issue de notre histoire de la médecine européenne, étonnamment reprise et revisitée par nos collègues américains se définit par des traits émotionnels et de comportement prémorbides et hautement prédictifs d’une décompensation thymique, notamment bipolaire (1). Les sujets présentant un tempérament cyclothymique présentent à la fois une grande labilité de l’humeur et une hyperémotivité manifeste, traits qui ressemblent à s’y méprendre aux critères centraux des personnalités borderline (15). La notion de tempérament se prête à de nouvelles réflexions passionnantes en termes de recherche clinique et thérapeutique. Il a ainsi été démontré que des adolescents dépressifs à risque d’évolution vers un trouble bipolaire peuvent être repérés et donc pris en charge précocement grâce à la recherche d’un tempérament cyclothymique sous-jacent (8, 12). Les tempéraments en tant qu’endophénotypes prémorbides de certains troubles de l’humeur ouvrent aujourd’hui la voie à des recherches génétiques, cliniques et thérapeutiques aux répercussions potentiellement majeures (10). Plusieurs études récentes ont établi un lien entre un sous-type génétique de protéine codant pour le transporteur de la sérotonine (haplotypes court-court 5HTTLPR), un tempérament marqué par une hyperémotivité et une propension majeure aux décompensations dépressives, établissant pour la première fois un lien direct entre vulnérabilité génétique, tempérament et clinique (5, 9, 16). Nous pouvons raisonnablement penser que le concept de personnalité borderline peut être dans certains cas revu et corrigé en tant que tempérament, fortement lié à une prémorbidité thymique, notamment bipolaire (15).

Conclusion


Cette controverse au sujet du trouble de la personnalité borderline m’apparaît très pertinente dans le contexte des nouvelles données à la fois cliniques autour de la renaissance des tempéraments prémorbides et des avancées les plus récentes en génétique, notamment à travers la vogue des endophénotypes.
Il ne s’agit pas de remettre en question le concept même de ce trouble de la personnalité, mais tout au moins de mettre en exergue les chevauchements symptomatiques problématiques entre personnalité borderline et troubles bipolaires, de souligner le caractère parfois « fourre-tout » du diagnostic borderline au détriment de l’évaluation complète d’une forme atténuée ou complexe de trouble bipolaire, qui augurerait le cas échéant d’une prise en charge thérapeutique totalement différente.
La souffrance engendrée par les troubles bipolaires, leur sous-évaluation diagnostique majeure, les conséquences personnelles, familiales, comorbides, ainsi que l’augmentation de la mortalité (suicidaire et par cause somatique sont autant de facteurs trop graves pour ne pas évaluer systématiquement la dimension bipolaire parmi les patients chez qui on a envie, souvent assez vite, de poser le diagnostic « Etat-Limite ».

Références bibliographiques


1 - Akiskal HS. Le spectre bipolaire : recherche et perspectives cliniques. Encephale, 1995 ; 21 : spec N°6 : 3-11.

2 - Akiskal HS, Hantouche EG, Allilaire JF. Bipolar II with and without cyclothymic temperament: "dark" and "sunny" expressions of soft bipolarity. J Affect Disord. 2003; 73(1-2):49-57.

3 - American Psychiatric association, DSM-IV, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Traduction française, Paris, Masson, 1996.

4 - Bergeret J. La dépression et les états-limites. Ed : Sciences de l’Homme Payot, Paris, 1992.

5 - Bertolino A, Arciero G, Rubino V & al. Variation of human amygdala response during threatening stimuli as a function of 5ʼHTTLPR genotype and personality style. Biol Psychiatry. 2005 ; 57(12) : 1517-1525.

6 - Dandrey P & al. Anthologie de lʼhumeur noire : Ecrits sur la mélancolie dʼHippocrate à lʼEncyclopédie. Le Promeneur. Ed : Gallimard, Paris, 2005.

7 - Deltito J, Martin L, Riefkohl J & al. Do patients with borderline personality disorder belong to the bipolar spectrum? J Affect Disord. 2001 ; 67(1-3):221-228.

8 - Hantouche EG, Kochman F, Akiskal HS. Evaluation des tempéraments affectifs : version complète de l’auto-évaluation. Encéphale 2001 ; 27. N° spec 3 : 24-30.

9 - Hariri AR, Drabant EM, Munoz KE & al. A susceptibility gene for affective disorders and the response of the human amygdala. Arch Gen Psychiatry. 2005 ; 62(2) : 146-152.

10 - Henry C, Lacoste J, Bellivier F & al. Temperament in bipolar illness: impact on prognosis. J Affect Disord. 1999 Dec;56(2-3):103-8.

11 - Kernberg O, Adamov J. Les troubles graves de la personnalité : stratégies psychothérapiques. Le Fil Rouge. Ed : Presses Universitaires de France, Paris, 2004.

12 - Kochman FJ, Hantouche EG, Ferrari P & al. Cyclothymic temperament as a prospective predictor of bipolarity and suicidality in children and adolescents with major depressive disorder. J Affect Disord. 2005 ; 85(1-2) : 181-189.

13 - Marcelli D. Les Etats-Limites en psychiatrie. Nodules. Ed : Presses Universitaires de France, Paris, 2001.

14 - Perugi G, Akiskal HS. The soft bipolar spectrum redefined: focus on the cyclothymic, anxious-sensitive, impulse-dyscontrol, and binge-eating connection in bipolar II and related conditions. Psychiatr Clin North Am. 2002 ; 25(4) : 713-737.

15 - Perugi G, Toni C, Travierso MC & al. The role of cyclothymia in atypical depression: toward a data-based reconceptualization of the borderline-bipolar II connection. J Affect Disord. 2003 ; 73(1-2):87-98.

16 - Pezawas L, Meyer-Lindenberg A, Drabant EM & al. 5-HTTLPR polymorphism impacts human cingulate-amygdala interactions: a genetic susceptibility mechanism for depression. Nat Neurosci. 2005 ; 8(6) : 828-834.

17 - Stone MH. Borderline patients at the border of treatability: at the intersection of borderline, narcissistic, and antisocial personalities. J Psychiatr Pract. 2003; 9(4):279-290.


10/05/2013
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