Evolution de la bipolarité sur le long terme

 

 

Evolution de la bipolarité sur le long terme

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 Evoquer le cours évolutif du trouble bipolaire est difficile, tant cette maladie est multiforme, comme vous allez le découvrir dans l'article et comme, si vous êtes vous même bipolaire, vous le savez peut-être déjà. 

Cet article, synthèse de nombreux travaux cités en annexe, fournie par le Centre des troubles anxieux et de l'humeur (CTAH) couvre deux aspects de l'évolution de la bipolarité :  individuelle et collective. En effet, il semblerait que la maladie se transforme non seulement au fil du temps pour un individu mais aussi qu'il est possible que des modifications génétiques soient survenues de générations en générations expliquant pourquoi le trouble semble devenir plus précoce et plus sévère. 

Nous vous invitons à lire aussi, dans le forum "La bipolarité au quotidien", les réponses de bipolaires à un questionnaire fourni par le CTAH en même temps que cette synthèse, fil ouvert le 2 novembre 2008 sous le titre "CTAH : questionnaire evolution bipolarité).
Bipolaire-info lance en même temps, dans le même forum, un fil intitulé "Ma bipolarité : historique".

 

Bipolarité : maladie capricieuse

Il y a des personnes ayant expérimenté un seul épisode au cours de leur vie ou présenté après une phase active de la maladie bipolaire, un intervalle libre (sans épisodes) sur plusieurs années. D’autres patients ont vécu avec des épisodes chroniques ou récurrents (un épisode ou plus par an). C’est dire à quel degré la maladie bipolaire est capricieuse.

Cela dit, les premiers cas de figure existent certes, mais ne sont pas le prototype évolutif de la bipolarité. Ils ne sont pas ceux qui remplissent nos cabinets ou ne sont pas inclus dans les études cliniques.

Au début de l’ère du lithium, presque 100% des cas bipolaires étaient sensibles aux effets positifs de ce traitement. Actuellement, on assiste au phénomène inverse : la majorité des bipolaires présente un trouble récurrent et/ou chronique (avec des manifestations persistantes).

Typiquement, un trouble bipolaire ne se limite pas à un seul épisode,

En effet, les études montrent que :

  • les épisodes ont tendance à se répéter (p. ex. le risque de récidive après un épisode maniaque est de 90%)

  • la durée des cycles (entre le début de 2 épisodes) a tendance à se raccourcir avec le temps (10 à 20% feront des cycles rapides, soit 4 épisodes ou plus dans l’année)

  • la durée des épisodes est en moyenne de 4 mois pour la manie et de 6 mois pour la dépression (risque d’allongement avec le temps et dans les cas mixtes)

  • la majorité des bipolaires est malade la moitié de leur vie, essentiellement en dépression (rapport temps total en manie / dépression = 1/20 – 1/30)

  • les manifestations subsyndromiques persistantes sont de règle

  • plus de 25% des bipolaires conservent des altérations thymiques significatives

  • les manifestations comorbides (troubles associés) sont fréquentes, surtout les troubles anxieux comme le trouble panique, le TOC, le trouble anxiété généralisé ou la phobie sociale (ces manifestations sont souvent chroniques et peuvent se maintenir même après stabilisation des dérèglements thymiques)

  • plus d’un tiers des bipolaires n’atteignent pas une guérison sociale

 

Les études prospectives ayant exploré le devenir des bipolaires

En 1975, Winokur, un des grands noms de la psychiatrie américaine, pensait que la maladie bipolaire avait tendance à s’affaiblir avec le temps. Malheureusement, ce mythe n’a pas longtemps duré. Les études de suivi plus récentes montrent une autre réalité. En appliquant des méthodes statistiques plus adaptées (comme les analyses des courbes de survie et l’évolution intra individuelle), Lavori (1996) et Solomon (2000) ont prouvé que le risque évolutif dans les troubles de l’humeur, surtout bipolaires, est caractérisé par un degré de récurrence assez élevé.

L’étude de Zurich (Angst, 2003) est probablement la plus démonstrative par sa méthodologie, la comparaison entre BP-I, BP-II et unipolaires, et la durée de suivi (plus de 20 ans). Elle a globalement montré que le risque de récurrence (présenter un nouvel épisode après rémission) demeure constant avec l’âge, même après l’âge de 70 ans. Donc la maladie bipolaire ne s’affaiblit pas avec le temps !

De plus, le risque de récurrence est plus important chez les bipolaires (en moyenne 0,4 épisode / an) versus 0,20 épisode / an chez les dépressifs unipolaires. Et dans le trouble BP-II, le risque est un peu plus important que dans BP-I. Enfin, le risque est équivalent chez les hommes et les femmes.

Une seule limite concernant ces études : dans leur majorité, elles ont inclus des patients initialement hospitalisés en psychiatrie (ce qui facilite l’inclusion). Donc, peu de choses sont connues sur les bipolaires suivis en ambulatoire.

 

Mais il n’y a pas que de mauvaises nouvelles

D’autres résultats dérivent de ces études de suivi. Par exemple, on retient que

  • les patients bipolaires qui sont traités vivent plus longtemps par rapport aux patients non traités

  • la mortalité liée à la bipolarité non traitée est expliquée par le suicide et par une incidence plus élevée des troubles vasculaires (cardiaques et cérébrales)

  • le risque de suicide est nettement diminué chez les patients traités ; de plus, plus le nombre des médicaments est élevé plus le risque de suicide est diminué !

  • l’incidence et la sévérité des démences (type Alzheimer) sont plus faibles chez les bipolaires ayant reçu des sels de lithium

 

Pour quelles raisons une maladie si bien définie et théoriquement de bon pronostic aurait-elle une telle destinée ?

Facteurs expliquant l’aggravation du pronostic de la bipolarité

Opportunités de faire changer les états des lieux

1- Retard du diagnostic entre 5 et 10 ans

Améliorer le dépistage (ex. toute dépression est bipolaire jusqu’à preuve du contraire)

2- Plusieurs médecins consultés avant le diagnostic et le traitement adapté

Former les médecins, surtout généralistes et les psychiatres

3- Exposition au début du trouble à des « mauvais » traitements souvent préjudiciables sur l’évolution de la bipolarité

Pas d’antidépresseur avant le dépistage de l’hypomanie, la cyclothymie et les autres indices de bipolarité

4- Tendance naturelle des épisodes à la récurrence : chaque épisode devient un facteur de risque pour le prochain

Initier assez tôt un thymorégulateur (« cut it out early » : stopper la bipolarité le plutôt possible)

5- Faible pourcentage de patients correctement traités

Savoir prescrire un traitement spécifique avec des doses et durées adéquates

6- Tendance naturelle des épisodes à la récurrence : chaque épisode devient un facteur de risque pour le prochain

Instaurer assez tôt un thymorégulateur et éviter les antidépresseurs comme premier traitement

7- Rajeunissement de la maladie qui débute de plus en plus à un âge précoce (âge pour lequel la majorité des pédopsychiatres et psychologues ne pense pas à la bipolarité)

Former les pédopsychiatres à mieux connaître et traiter la BPJ

8- Incohérences et interruptions répétées du traitement thymorégulateur (lithium) ; Souhait des patients de préserver les phases de « hauts » et juste soigner les « bas » « C’est uniquement la dépression qui me pose problème, l’hypo, j’adore » 

 

Education au sujet de la bipolarité et de ses traitements

Connaissance des complications liées à l’arrêt brutal du lithium et autres thymorégulateurs antimanie

9- Augmentation de la co-morbidité avec l’abus de substance (alcool, stimulants, cannabis…) à des âges de plus en plus précoces

Évaluation systématique de la co-morbidité avec des traitements ciblés

10- Elargissement du spectre clinique avec inclusion de formes dites atypiques, instables, proche des cas de Borderline

Ces cas résistent au lithium ; donc meilleur apprentissage avec des traitements plus sophistiqués que la monothérapie avec lithium

11- Changements des habitudes de sommeil chez les jeunes

Eviter les causes entraînant des ruptures des rythmes de vie et des cycles veille-sommeil

12- Changements des habitudes alimentaires ; manque d’apport d’Oméga-3 ; excès de viande rouge (dopamine)

Attention à l’équilibre alimentaire ; cures d’Oméga-3 ; réduire les addictions sucrées

13- Environnement social « hostile » avec urbanisation, pression professionnelle, précarité professionnelle (altérant l’accès à une guérison sociale)

Agir et collaborer avec toutes les institutions de santé publique, la médecine de travail…

 

Vers une bipolarité plus précoce, compliquée et résistante ?

Apparemment, tout est là pour expliquer une telle évolution. Les facteurs listés dans la colonne de gauche (tableau) montrent ou prédisent que :

  • la bipolarité est condamnée à devenir de plus en plus sévère

  • la bipolarité débute à des âges plus précoces (même avant la puberté) ; certains experts pensent que des modifications génétiques progressives surviennent de génération en génération pour expliquer le rajeunissement du trouble bipolaire

  • son mode évolutif de plus en plus compliqué (récurrence et chronicité)

  • sa réponse aux traitements disponibles est de moindre qualité : en effet, au début de l’ère du lithium, on parlait de 100% de réponse positive à ce traitement – maintenant même pas 20% sont stabilisés avec le lithium seul sur une période de 2 ans de suivi ! Est-ce le fait d’inclure l’ensemble du spectre bipolaire et non seulement les formes de « BP-I épisodiques » qui sont les plus sensibles au lithium ?

 

Mais, cette réalité n’est pas une fatalité

Nous pensons que cette réalité est susceptible de changer et il est urgent que ça change.

Nos moyens disponibles :

  • Dépistage précoce,

  • Traitement spécifique le plus tôt possible,

  • Diffusion de l’information,

  • Psycho-éducation adaptée pour les sous-types de bipolarité

  • Gestion des rythmes et hygiène de vie

  • Adhésion aux traitements et aux suivis médicaux (plus on se soigne mieux c’est, mais à condition de recevoir le « bon traitement »)

Donc un tas d’idées et de recettes pour contrôler la bipolarité et la vivre convenablement.

 

Un bipolaire « bien » traité aura sur le long terme :

  • moins de risque de faire des épisodes maniaques ou dépressifs

  • s’il fait des rechutes, elles seront moins sévères ou moins longues, donc moins handicapantes

  • plus de chance de vivre plus longtemps : moins de suicide et meilleure santé cardiovasculaire

  • moins de comportements impulsifs et des conduites à risque

  • moins de suicide (effet prouvé pour le lithium même si l’effet sur les dérèglements de l’humeur sont discrets ou modérés)

  • moins de risque de développer une démence ou si démence, elle sera moins sévère

  • plus d’immunité contre les virus (effets protecteurs du lithium et valproate)

 

Ces messages doivent être diffusés pour casser les mythes autour des médicaments psychiatriques et faire adhérer les patients au traitement, mais à condition que ceux-ci soient les mieux choisis et prescrits de manière appropriée

 

 

Références :

Bourgeois ML.: Manie et dépression : comprendre et soigner les troubles bipolaires. Odile Jacob, 2007.

Hantouche E, Houyvet B. : Cyclothymie : troubles bipolaires des enfants et adolescents au quotidien. J Lyon, 2007.

Angst J, Gamma A, Sellaro R.:Recurrence of bipolar disorders and major depression : A life-long perspective. Eur Arch Psychiatry Clin Neurosci 2003 ; 253 : 236-40.

Angst J et al.:Does long-term medication with lithium, clozapine or antidepressants prevent or attenuate dementia in bipolar and depressive patients ? Int J Psychiatry in Clin Practice 2007 ; 11 : 2-8.

Angst J et al :Suicide in 406 mood-disorder patients with or without long-term medication: a 40 to 44 year’s follow-up. Arch Suicide Research 2005; 9: 279-300.

Lavori PW et al.: Analysis of course of psychopathology : transitions among states of health and illness. Int J Meth Psychiatry Res 1996 ; 6 : 321-34.

Solomon DA et al.:Multiple recurrences of major depressive episode. Am J Psychiatry 2000 ; 157 : 229-33.

Birmaher B, Axelson D. : Course and outcome of bipolar spectrum disorder in children and adolescents: a review of the existing literature. Dev Psychopathol. 2006; 18(4):1023-35

Salvatore P, Tohen M, Khalsa HM, Baethge C, Tondo L, Baldessarini RJ. : Longitudinal research on bipolar disorders. Epidemiol Psichiatr Soc. 2007 ; 16(2):109-17.

Huxley N, Baldessarini RJ : Disability and its treatment in bipolar disorder patients. Bipolar Disord. 2007; 9(1-2):183-96.

Agren H, Backlund L. : Bipolar disorder: balancing mood states early in course of illness effects long-term prognosis. Physiol Behav. 2007; 92(1-2):199-202.

Judd LL, Akiskal HS, Schettler PJ et al.: Psychosocial disability in the course of BP I and II disorders : a prospective, comparative, longitudinal study. Arch Gen Psychiatry 2005 ; 62 : 1322-30.

 

Deux documents en PDF à télécharger pour aller plus loin : 

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13/05/2013
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